#126 Entreprendre pour être libre
Mes 4 conseils préférés d'Eric Larchevêque aux entrepreneurs
“Qui veut être mon associé ?” continue de séduire le public tous les mercredis soir sur M6.
L’émission qui permet à des entrepreneures et entrepreneurs d’être mis en lumière et accessoirement de lever des fonds auprès d’investisseurs connus, est divertissante tout en éduquant les français à l’entrepreneuriat.
Au vu des commentaires sur les réseaux sociaux, il est clair que beaucoup de gens ont encore beaucoup de choses à apprendre pour comprendre les rouages du business.
Eric Larchevêque, le fondateur de Ledger, une des 26 licornes françaises, est avec Anthony Bourbon et Jean-Pierre Nadir un des trois piliers de l’émission. Au delà d’investir dans des startups, Eric est profondément animé par la volonté de transmettre son expérience comme le prouve ses masterclass au domaine Larchevêque, ses webinars sur internet, son école pour les développeurs et son rôle dans le Village by CA de Vierzon.
Sa dernière contribution à l’éducation des jeunes entrepreneurs est son livre “Entreprendre pour être libre” paru le jour du lancement de la saison 4 de “Qui veut être mon associé ?”.
Je l’avais réservé dès l’annonce de sa sortie fin 2023. Je l’ai lu d’un trait hier soir, et sans en faire une recension complète, j’en tire quelques leçons parmi les plus originales qu’il partage.
J’espère que cela vous donnera envie de lire le livre en entier !
Quelqu’un écrira-t-il un jour un scénario de série TV basé sur la vie incroyable d’Eric Larchevêque ? Quand on referme son livre en partie autobiographique, on se dit que sous son air d’ingénieur tranquille, Eric cache bien son jeu.
Son livre est construit suivant une formule originale. Dans les chapitres pairs, Eric raconte sa vie, et dans les chapitres impairs, il en tire des leçons pour les entrepreneurs. Pour le prix d’un livre, vous achetez en fait un roman et un livre de mentoring !
Je ne vais pas ici résumer la vie d’Eric, pour cela vous pourrez lire le livre. En guise de teaser, sachez que cet homme éclectique, qui enfant voulait être pâtissier, a vendu des logiciels pirate, écrit des articles dans une revue d’électronique, publié un livre d’électronique, lancé un site web à une époque où il y en avait encore peu, puis créé de nombreuses entreprises dont l’ancêtre de Google Analytics, un portail de sites pour adultes, un hôtel en Lettonie, un comparateur de prix, un fabricant de portefeuilles de cryptomonnaies, une école de développeurs, …etc.. Il a aussi pris le temps d’être un joueur de poker de niveau international !
A la lecture de ce parcours trépident, on comprend qu’Eric est un homme pressé, à l’affût des opportunités, prompt à agir, doté d’une grande confiance et de beaucoup de sang froid, peu sensible au risque, avide d’apprendre, très travailleur, courageux et immensément rusé (la façon dont il conclut son service militaire relève plus de James Bond que de la vie d’un petit gars de Vierzon !!).
Que retenir de ce parcours et des leçons qu’il en tire ? Chacun suivant son niveau et son avancement dans la carrière d’entrepreneur apprendra et retiendra des choses différentes. Pour ma part, j’ai particulièrement aimé 4 conseils que je développe ici en y rajoutant ma touche.
La discipline de l’ennui
“L’ennui fait donc partie de l’arsenal stratégique de l’entrepreneur”. Je crois bien que c’est la première fois que je lis quelque chose d’aussi affirmé sur le rôle de l’ennui dans l’entrepreneuriat.
Si d’aucun la prenne au sérieux, cette phrase va induire de sérieux changements dans leur vie, car les entrepreneurs que je connais sont plutôt sur-occupés !
Victime d’un grave accident de ski à l’âge de 7 ans, Eric doit rester immobilisé pendant un an. Cette période d’ennui l’aide à développer une vie intérieure, et comme il dit à “être son meilleur ami”. Ce dialogue intérieur avec lui-même lui a permis de mieux se connaître et de développer cette grande confiance en soi qui le caractérise.
Lorsque j’étais très jeune, les longs trajets en voiture étaient ennuyeux, mais je savais inventer des jeux en lien avec l’environnement traversé. Je me souviens d’un trajet avec mon grand-père durant lequel je comptais les ponts que nous voyions. L’ennui s’était transformé en jeu au point que mon grand-père pour prolonger le plaisir a fait un détour qui nous a permis d’ajouter quelques ponts à notre décompte !
Ensuite est apparu la radio dans les voitures pour meubler le temps et occuper l’esprit. Aujourd’hui, le smartphone chasse l’ennui de notre vie, car la moindre minute inactive donne l’occasion de vérifier son fil Instagram.
Pourtant l’ennui est le repos du cerveau. Non sollicité par des stimuli extérieurs, celui-ci peut se mettre en veille et “processe” les données enregistrées précédemment, un peu comme pendant le sommeil.
Livré à lui-même, le cerveau divague passant d’un sujet à l’autre. Il s’évade et crée de nouvelles connexions explorant ainsi des chemins nouveaux de pensées.
Bientôt lassé de ce temps d’ennui, notre cerveau avide de stimulations, imagine des projets. C’est ainsi que naissent les grandes idées sous la douche car se doucher est de nos jours presque le seul moment où notre cerveau n’est pas stimulé.
Entreprendre c’est principalement résoudre des problèmes et imaginer des projets. Ces deux activités nécessitent un temps de compilation du cerveau qui ne peut se faire s’il est toujours sollicité par un bruit ou une image.
L’ennui est donc bien une nécessité pour l’entrepreneur. Merci Eric d’avoir mis le doigt sur cette vérité surprenante.
Toujours vers l’avant
En 2001, Eric s’installe en Roumanie. Toujours intéressé par les nouveautés, Eric veut ouvrir un compte dans une banque en ligne. Encore peu répandues à l’époque, il finit par trouver une banque lettone.
Un jour, alors qu’il se trouve aux États-Unis, il essaye de retirer du cash avec sa carte bleue et c’est impossible. Après plusieurs essais infructueux, il se renseigne et découvre que sa banque est en faillite. Résultat des courses, il perd toute son épargne, soit 400 000 €.
Au lieu de se morfondre, il se souvient de ce qu’il a toujours été : “J’ai toujours regardé vers l’avant, jamais en arrière, et ce n’est pas maintenant que je vais changer”.
Au final, il récupèrera 30% de son pécule qu’il devra aller chercher à Riga. Ce simple voyage le convainc d’y rester. Il y lance un nouveau business en montant un hôtel.
Enfant, j’ai été marqué par les histoires du catéchisme. Celle de la femme de Lot transformée en statue de sel parce qu’elle avait regardé en arrière vers Sodome m’a toujours fait froid dans le dos. Est-ce de là que moi aussi, je n’aime pas regarder en arrière ? En tous les cas, chaque fois que je me laisse aller à regretter quelque chose, je me reprends aussitôt en pensant à la citation que je préfère du pasteur Rick Warren, “the best of your life is the rest of your life”. (“le meilleur de ta vie, c’est le reste de ta vie.”)
Entreprendre c’est souvent aller d’échecs en échecs, de galères en galères, d’imprévus en imprévus. Autant dire que pour traverser cela, il vaut mieux toujours regarder vers l’avant et agir !
Le leadership style
La communication au sein d’une équipe est un facteur essentiel de la réussite. La plupart des tensions entre collaborateurs ou avec les managers viennent de problèmes de communication.
Chaque personne a un caractère, une histoire, une gestion de ses émotions différents. Nous avons pourtant tous tendance à penser que l’autre est comme nous et à croire que ce que nous disons ou faisons a pour les autres le même sens que pour nous. Rien n’est plus faux.
Il est donc essentiel d’expliquer encore et toujours les choses que nous disons ou faisons au risque qu’elles soient interprétées différemment de notre intention initiale. Même avec des collaborateurs anciens avec qui nous avons travaillé plusieurs années, il arrive que des incompréhensions apparaissent et créent des tensions.
Pour résoudre ou en tous cas minimiser ce type de mauvaises communications, Eric Larchevêque propose un outil appelé le “leadership style” ou “clear contracting”.
Il s’agit d’écrire pour chaque manager et chaque managé un mode d’emploi de son fonctionnement.
Chacun écrit :
ce qu’il va faire : …
ce qu’il ne va pas faire : …
ce qu’il faut faire avec lui : …
ce qu’il ne faut pas faire avec lui : …
Eric donne l’exemple de son “leadership style” lorsqu’il était CEO de Ledger. On y retrouve des propositions comme :
Je serai toujours très direct dans ma communication, surtout dans mes mails ou messages.
Je n’écrirai pas “Bonjour, comment ça va”, ni “Bonne journée” dans mes messages.
Je n’attendrai pas de réponse de votre part en dehors des heures de travail, même si je vous écris à 2h du matin.
Avec moi, soyez direct et concis dans vos demandes, ne me racontez pas votre vie.
Soyez à l’heure quand vous avez rendez-vous avec moi.
Ne m’envoyez pas “Bonjour, est-ce que je peux te poser une question ?”, posez-moi votre question directement.
Ne vous énervez jamais en ma présence, je ne gère pas bien l’agressivité.
Ne déguisez jamais la vérité, assumez vos fautes, je valorise la franchise et je ne pardonne pas la dissimulation.
Cette approche très pragmatique demande de bien se connaître pour expliciter les choses les plus importantes à mettre dans ce document. Elle évite de penser que si le chef ne vous pas dit “comment çà va ?” dans son mail, il vous en veut.
Restez humble
La semaine dernière, une séquence de “Qui veut être mon associé ?” n’est pas passée inaperçue.
Après un excellent pitch, Jonathan D. le fondateur de Goxoa, la bière sans alcool pour les sportifs a sombré lors de la séquence de questions-réponses qui fut catastrophique.
J’ai tellement vécu ce genre de situation. Un bon pitch est facile à faire car c’est un exercice répété. La vraie personnalité de l’entrepreneur se révèle quand il faut improviser des réponses face aux questions parfois déstabilisantes des investisseurs, et il n’est pas rare que cette deuxième partie remette en cause les appréciations faites sur le pitch.
Les investisseurs attaquent Jonathan sur sa marque qui ne leur semble pas adaptée au segment adressé. Les entrepreneurs focalisés sur leur produit ne prêtent généralement pas assez d’attention à la marque. Lorsqu’on est sur le marché des consommateurs, celle-ci est pourtant fondamentale.
Au lieu d’écouter, Jonathan s’agace et se défend de façon désagréable. Il fait clairement preuve d’un manque d’humilité.
L’humilité, surtout en face de la somme d’expérience réunie sur le plateau est la seule attitude à avoir. Une marque peut se changer surtout lorsque l’entreprise n’a que quelques mois et que personne ne la connaît. Pourquoi s’agacer de cette remarque, si ce n’est par manque d’humilité.
Sur les réseaux sociaux, certains le défendent et reprochent aux investisseurs leur agressivité et leur refus d’investir alors que le bière est bonne. Ils n’ont pas compris que par son attitude, Jonathan révèle toute la difficulté qu’il y aura à travailler avec lui.
Eric Larchevêque donne dans son livre une définition très opérationnelle de l’humilité: “Rester humble, c’est avant tout rester à l’écoute, prendre les informations qui viennent de l’extérieur, avoir la capacité de synthèse pour analyser sans détour la réalité de la situation.”
Il ajoute une précision importante pour les entrepreneurs : “L’humilité, c’est aussi la lucidité de voir que rien n’est jamais gagné, que tout peut perpétuellement être remis en cause et qu’il faut toujours être prêt à réagir au quart de tour.”
Entreprendre pour être libre
Le titre est bien choisi.
En lisant la biographie d’Eric Larchevêque, on ne peut que constater toute la liberté qu’il a su prendre pour vivre une vie originale, extraordinaire et couronnée par le succès.
La liberté de choisir son destin ne signifie pas qu’à chaque instant on se trouve libre de faire ce qu’on veut.
A tout moment l’entrepreneur qui veut réussir subit de nombreuses contraintes, doit faire face à des aléas qui ne lui laissent pas toujours la liberté d’aller se divertir, et il doit beaucoup travailler.
Attention de bien comprendre ce que signifie la liberté d’entreprendre !
Pour aller plus loin
Pour être plus créatifs, ennuyons-nous !, Marlène Moreira, Welcome to the Jungle, (01/2019)
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Une soirée exceptionnelle à l’Espace Mayenne de Laval
conférence-débat dans le cadre du West Data Festival, avec la participation de :
Eric Boullier, entrepreneur et ancien directeur d’écurie F1
Aurélie Goncalves, Manager de la stratégie et de l’innovation chez Orange
Laurent Lairy, entrepreneur et Président du Stade Lavallois
Aude Reygade, directrice du CREPS des Pays de la Loire
Merci encore, Christian, pour cette passionnante lecture ! Un grand bravo et un profond respect pour l'investissement que cela représente de rédiger autant d'articles de manière aussi régulière. Il faut également trouver sans cesse des idées, ce qui est loin d'être évident. Chapeau !