Vous ne connaissez sans doute pas Thang Nguyen. Il y a deux jours, j’étais comme vous.
Je suis resté scotché devant un long podcast où il intervenait et totalement bluffé par son approche de l’entrepreneuriat et sa réussite. J’ai d’autant plus apprécié cet entrepreneur qu’il a réussi à faire l’entreprise dont je rêve depuis des années.
Trader à Genève pendant dix ans, il réalise que ce métier ne satisfait pas son désir de trouver des solutions et de créer. Il démarre à 32 ans un “side business” dans la rénovation de salles de bain, qui va progressivement se transformer en une entreprise générale du bâtiment. Dix ans après, Swissroc est un groupe de 250 salariés qui fait 200 millions de francs suisses de chiffre d’affaires et qui a révolutionné le métier traditionnel de la promotion et de la construction immobilière.
Je vous partage ici les principales leçons que je retiens de son parcours et de sa vision.
J’espère que comme moi, vous serez conquis et inspirés !
Enfant, Thang Nguyen est passionné de casse-tête, d’échecs et de jeux vidéos. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est de résoudre des problèmes, de trouver des solutions.
Thang est un créatif, amateur de hip-hop et de salsa. Durant ses études à HEC Genève, il crée une première entreprise, une plateforme de mise en relation entre artistes et organisateurs d’évènements.
Il envisage un temps de devenir architecte, mais mis au défi par son meilleur ami de devenir riche, il se lance à sa sortie des études dans une carrière de trader.
Pendant dix ans, il travaille dur à essayer de résoudre l’inconnu des marchés et de trouver la martingale qui le rendra riche.
Au fil du temps, sa motivation baisse car il est frustré d’avoir l’impression de ne rien apprendre. Chaque jour, un nouvel évènement semble remettre en cause ce qu’il croyait avoir compris.
Il revient alors à ses premiers amours : résoudre des problèmes. Quel domaine d’activités présente plus de problèmes à résoudre que celui du bâtiment ?
Thang investit dans un premier bien, le transforme en pilotant lui-même les travaux. Suite à cette première expérience, il s’associe avec son stagiaire trader, lui aussi courtier dans l’immobilier à ses heures perdues et décide de lancer une entreprise de rénovation de salles de bains.
Les grandes réussites débutent souvent très modestement !
L’illusion est nécessaire
Au sortir de sa première opération de rénovation-extension, Thang est très fier de ce qu’il a réussi à faire. Il comprendra plus tard qu’en réalité ce n’était pas si bien que cela.
Lorsqu’il lance son entreprise de rénovation, Thang et son associé ne connaissent presque rien au métier. Même la mère de l’associé ne veut pas leur confier sa salle de bain, tant elle sait qu’ils n’y connaissent rien.
Cette naïveté, cette ignorance et même cette incompétence sont souvent présentes dans les parcours entrepreneuriaux réussis.
Être un expert du domaine est parfois un frein. Connaître à l’avance toutes les difficultés que l’on va rencontrer peut rebuter et empêcher de se lancer.
Se croire fort, presque invincible, penser que l’on va réussir là où tant d’autres ont échoué est une attitude assez répandue chez les entrepreneurs déterminés. Cette force intérieure qui s’apparente souvent à de l’arrogance est assez mal comprise de l’entourage plus rationnel comme les banquiers par exemple.
Cette attitude naïve et pourtant sûre d’elle est un bouclier, une cuirasse qui permet de se lancer sans être découragé avant de commencer ou démotivé à la première difficulté.
En vivant dans une illusion de la réalité, l’entrepreneur se protège et avance vers sa destinée. Cette ignorance voire cette incompétence permet de se lancer sans trop d’appréhension et sans être paralysé par le syndrome de l’imposteur.
Une fois lancé, il faut par contre apprendre vite, s’adapter, comprendre et revenir vers une forme de réalité pragmatique, tout en gardant l’ambition du début.
La naïveté, l’incompétence, l’ignorance ne peuvent faire illusion trop longtemps, mais sont essentielles pour se lancer.
Progresser dans la chaîne de valeur
Tout business s’inscrit dans une chaîne de valeur plus ou moins longue, plus ou moins complexe et comprenant plus ou moins de branches.
Pour délivrer sa valeur, l’entreprise s’appuie sur la valeur créée par ses fournisseurs et prestataires et permet à d’autres, intégrateurs, distributeurs, offreurs de services de créer leur propre valeur.
Lancer un business, surtout s’il est innovant, revient à s’insérer intelligemment dans la chaîne de valeur. Cela revient généralement à capter une part de la valeur amont ou aval et donc parfois faire des mécontents. C’est ce qui explique souvent la difficulté à se lancer. Cette situation surprend les entrepreneurs qui ne comprennent pas que leur produit génial ne soit pas immédiatement adopté par le marché. Son introduction prenant de la valeur à quelqu’un d’autre, il est pourtant normal qu’il y ait une certaine résistance.
Thang Nguyen a commencé assez bas dans la chaîne de valeur de l’immobilier, en rénovant des salles de bains et des cuisines. Il a ensuite progressivement construit des maisons, puis des immeubles.
En travaillant sur des projets de réalisation de plus en plus gros, il a compris que son entreprise générale était prise en sandwich entre les promoteurs et les sous-traitants des différents corps de métier qui exécutaient les tâches de construction. Il se retrouvait à devoir assumer avec les clients les promesses des promoteurs tout en gérant les difficultés issues du travail des sous-traitants.
Quelle que soit la qualité de l’équipe et de l’organisation d’une entreprise, cette situation au milieu de la chaîne de valeur est inconfortable et limite la capacité de l’entreprise à se développer et surtout à être très rentable.
La solution consiste souvent à remonter dans la chaîne de valeur pour acquérir une position où les marges sont plus confortables, ou à intégrer dans son entreprise les différents étages de la chaîne.
Thang Nguyen a très intelligemment et rapidement compris que la solution était dans la création d’un groupe de sociétés ayant chacune une position précise dans la chaine de valeur. Au lieu de tout intégrer, ce qui aurait créé un mastodonte peu flexible et sûrement bureaucratique, il a créé ou racheté de nombreuses sociétés ayant une forte indépendance et des managers concernés par le résultat, puisque souvent associés dans ces sociétés.
Swissroc, c’est aujourd’hui un groupe immobilier qui comprend outre l’entreprise générale qui reste la principale, un promoteur, une société d’architecture, une société d’aménagement intérieur, une société de matériaux, une société d’asset management qui fait de la gestion de parcs immobiliers et même une société d’énergie photovoltaïque. Swissroc a aussi de nombreuses participations dans des startups reliées à l’immobilier.
En créant ainsi un groupe, Thang Nguyen s’assure de nombreux avantages :
les sociétés se nourrissent les unes les autres tout en gardant la capacité de travailler en dehors du groupe,
la connaissance de l’ensemble de la chaîne permet une meilleure compréhension des enjeux du secteur, une plus grande réactivité et un plus grand professionnalisme,
en captant de la valeur à tous les étages de la chaîne, le groupe a plus de moyens que ses concurrents pour investir et innover tout en restant plus compétitif sur les prix.
Aligner les intérêts
Le succès ne s’obtient jamais en travaillant seul. A tout moment, la recherche de partenaires, de collaborateurs et de clients est essentielle.
Pour convaincre quelqu’un de s’engager à nos côtés, il faut certes avoir un bon projet, mais aussi déployer un argumentaire convaincant, gagner la confiance et exercer un certain charisme.
Mais in fine, le “deal” se gagne si l’on parvient à aligner les intérêts des deux parties. Aucune collaboration ne tient dans le temps si l’une ou l’autre des parties se sent lésée et si les intérêts se révèlent divergents dans le temps.
Savoir aligner les intérêts dans une négociation est une arme redoutable d’efficacité. Thang Nguyen est très fort pour cela. Il attribue cela en partie au fait qu’ayant été pendant un an chasseur de tête dans le domaine du trading, il a appris à déceler et à comprendre le “drive” des gens, leurs motivations profondes.
Au tout début de son entreprise, alors qu’il ne fait que des salles de bains, Thang est sollicité pour construire 5 maisons. Problème : il n’a aucune idée de comment chiffrer 5 maisons. Il cherche de l’aide dans son réseau sans succès. Il passe alors une annonce pour un conducteur de travaux capable de chiffrer les chantiers. En guise de test, il lui fait chiffrer son projet et promet une embauche s’il est retenu par le client. Il emporte le marché, embauche le conducteur et construit les maisons.
Aujourd’hui, alors qu’il fait 200 millions de chiffre d’affaires, Thang explique qu’il peut acheter n’importe quelle startup innovante en alignant les intérêts. En prenant l’engagement de faire 2 millions de francs suisses de commande par an pendant trois ans, il peut obtenir en contrepartie 30% de la startup. Il sécurise ainsi sa maîtrise du fournisseur en étant au capital, celui-ci voit son développement assuré et il en résulte un élargissement de son groupe sans avoir à sortir de cash.
Le fait d’avoir créé un groupe plutôt qu’une grosse société est aussi le fruit de cette approche. Il peut ainsi plus facilement embaucher des pointures dans chacun des métiers en leur proposant une part du capital de la société correspondant à leur spécialité.
Un dernier exemple : lorsqu’il veut acquérir un terrain bien situé pour lancer un nouveau projet immobilier, plutôt que de négocier le prix à la baisse puis négocier un emprunt avec son banquier, Thang préfère proposer un prix plus élevé, en contrepartie d’un paiement différé. Il a alors le temps d’obtenir un permis de construire, de vendre les lots aux clients et de toucher les acomptes pour régler le terrain. Cette pratique est sans doute courante dans le métier de promoteur mais illustre bien l’alignement des intérêts.
Innover pour être efficace
Comme Thang Nguyen n’est pas issu du milieu immobilier, il ne maîtrise pas les procédures classiques pour gérer ses chantiers. Il n’a pas non plus d’a priori pour ou contre telle ou telle méthode.
Il explique qu’au début, il essayait d’écouter ses chefs de projets qui lui expliquaient tous une méthode de construction différente. Lassé par cela, tout en étant conscient et même obsédé par la nécessité de mettre en place des procédures optimisées pour réussir, il découvre le BIM (Building Information Modeling) en 2013.
C’est le début de l’utilisation de ces outils transverses aux différents acteurs du bâtiment, et ils ne sont utilisés que dans les énormes projets car ils coûtent chers. Thang y voit pourtant une façon d’optimiser la méthode de construction et à terme une façon d’augmenter sa rentabilité. Il peine à recruter des spécialistes, perd même des collaborateurs pas convaincus, perd de l’argent en R&D, mais au bout de quelques années finit par comprendre comment utiliser le BIM efficacement pour des petits projets.
Au fur et à mesure que l’entreprise grandit, l’investissement devient payant.
Pour révolutionner le secteur traditionnel du bâtiment, Thang a imposé une culture de l’innovation généralisée dans son entreprise. Il organise plusieurs fois par an des workshops transverses aux différents métiers du groupe pour réfléchir aux innovations à mener, qui sont ensuite implémentées par des équipes pluridisciplinaires.
Thang Nugyen explique que lorsqu’il réfléchit aux différentes façons d’utiliser l’intelligence artificielle dans son entreprise, il est inquiet. “J’ai peur, mais pas pour moi, pour les autres qui ne sont pas en train de faire ce que je fais.”
L’innovation coûte, l’innovation est risquée, l’innovation nécessite des compétences, mais c’est le moyen de prendre de l’avance sur les concurrents, de créer des outils qui permettent de passer à l’échelle sans exploser les coûts, et d’améliorer dans la durée la compétitivité de son entreprise.
Le mot de la fin
Lorsque l’interviewer demande à Thang Nguyen ses conseils pour les jeunes entrepreneurs, il répond :
“Fonce ! Arrête de réfléchir, vas-y ! Si t’es passionné par les chaussettes, vas-y, ouvre la meilleure marque de chaussettes qui existe. Tu peux devenir milliardaire en montant une usine à chaussettes innovantes ! Les jeunes entrepreneurs réfléchissent trop. C’est important dans quel marché tu te lances, mais il faut faire un truc qui suit ta curiosité naturelle, sinon tu n’auras pas assez de dévotion, d’énergie, de résilience […] Il faut que ça te drive tellement que ça te recharge quand tu es en train de bosser et pas que ça te décharge.”
Quelle leçon d’entrepreneuriat !!