J’ai la chance d’avoir de très grandes baies vitrées donnant sur la Mayenne. La vue est superbe, le salon est très lumineux.
Mais il y a un revers à la médaille. Ces baies sont difficiles à nettoyer du fait de leur hauteur. Cela demande de s’y consacrer sérieusement et prend du temps. Je dois avouer que je ne le fais pas souvent.
Après un bel effort le week-end dernier, j’ai pu apprécier à nouveau la vue comme si j’étais dehors.
Je ne passe pas une semaine sans être dans une réunion, assister à un exposé ou entendre une discussion et me faire la remarque que le discours n’est pas clair. La clarté est une nécessité absolue de la communication et pourtant elle ne va pas toujours de soi.
La clarté de la lumière offre une vision nette de la réalité et un sentiment de plénitude et de sérénité. Il en va de même de la clarté dans la communication.
De nombreux paramètres parasitent involontairement la communication entre les personnes, comme par exemple l’état émotionnel, l’arrière-plan social, les biais cognitifs, la culture de chaque interlocuteur.
Au delà de ces interférences, la base d’une communication réussie demeure la clarté du propos.
Cette évidence presque tautologique est pourtant bonne à rappeler car la vie nous offre de nombreuses occasions de constater que la clarté n’est pas toujours au rendez-vous.
Je cite en exemples de ce manque de clarté, les dossiers administratifs, les appels d’offres européens et leurs réponses, les discussions de stratégie dans nombre d’entreprises, les débats politiques, les rapports de consultants qui n’osent prendre parti, les pitchs d’entrepreneurs mal préparés, les réunions ubuesques où personne ne semble comprendre de quoi on parle, les manuels d’utilisations d’appareils électroniques, les règlements et bien d’autres exemples que vous saurez ajouter à cette liste hétéroclite.
Les obstacles à la clarté sont nombreux et variés.
Le plus répandu et le plus difficile à corriger est certainement l’incapacité naturelle que nous avons à nous mettre dans la peau de notre interlocuteur.
L’ingénieur qui rédige le manuel de son invention, le juriste qui écrit le contrat de son client, l’entrepreneur qui pitche devant un jury ont beaucoup de mal à comprendre leur cible et relire leur production avec l’œil du lecteur.
Le biais que nous avons tous est de croire que ce que nous comprenons, sera aussi compris par les autres. Se désaxer de son point de vue, rentrer en empathie avec son auditeur ou son lecteur, prendre conscience de son propre jargon et s’en débarrasser en face de quelqu’un qui ne le maîtrise pas, sont des postures à apprendre si l’on veut être clair.
Utiliser les mots justes est une compétence qui semble s’évaporer. J’entends de plus en plus des personnes qui utilisent un mot pour un autre, qui se contentent d’approximations phonétiques (comme “filiale” à la place de “filière”) ou bien utilisent des mots passe-partout.
Les mots ont un sens précis et la langue française est riche. En faisant l’effort d’utiliser les mots justes nous clarifions notre discours.
Combien de fois par an, mettez-vous le nez dans un dictionnaire pour vérifier le sens précis d’un mot ? Ceci est un indice de l’effort que vous mettez à utiliser les mots justes pour vous exprimer.
Tout en rédigeant cet article, je suis les championnats d’Europe d’athlétisme. C’est un véritable plaisir d’écouter Stéphane Diagana apporter son regard précis et expert pour décrypter une situation obscure pour le public non-averti. Dans le champ du commentaire sportif où il y a souvent beaucoup de verbiage, la clarté de Stéphane Diagana comme celle de Thierry Henry ou celle d’Arsène Wenger est un pur plaisir.
Quel est le point commun de ces commentateurs ? Assurément, une expertise pointue alliée avec une capacité à vulgariser.
Savoir de quoi on parle est certainement une condition sine qua non pour être clair. L’incompétence est probablement une des principales raisons du discours obscur de nombre de personnes.
Cependant l’expertise n’est pas une garantie de clarté non plus. Il suffit d’écouter un informaticien pour savoir qu’expertise ne rime pas avec clarté (désolé chers amis informaticiens, mais il y a peu d’exceptions à cette caricature dans votre profession).
Lorsque je faisais de la physique, j’ai compris qu’il y a deux catégories d’experts : ceux qui maîtrisent leur sujet et sont capables d’en parler avec d’autres experts à l’aide de jargon, et ceux qui ont atteint un niveau plus profond de compréhension du sujet et sont capables d’expliquer n’importe quel phénomène avec des mots du langage commun. Etienne Klein, Eric Lagadec ou Julien Bobroff sont de parfaits exemples dans le domaine de la physique. Les lire ou les écouter est un vrai plaisir. Les experts de ce type rendent leur public intelligent. En les écoutant, tout le monde a l’impression de comprendre et donc d’être intelligent.
Parmi les conseils d’Elon Musk à ses équipiers pour être plus productifs figure le conseil suivant : “N’utilisez pas d’acronymes ou de mots vides de sens pour les objets, les logiciels ou les processus chez Tesla. En général, tout ce qui demande une explication empêche la communication. Nous ne voulons pas que les gens aient à mémoriser un glossaire juste pour travailler chez Tesla.”
Parler ou écrire revient à aligner des mots ayant un sens dans un arrangement régi par les règles élémentaires de la grammaire. Il semblerait que dans l’univers professionnel, cette définition du discours ou du texte suffise à de plus en plus de monde. La lecture de textes dont on comprend tous les mots pris individuellement, mais qui n’ont pourtant aucun sens est de plus en plus courante Cette pratique montante fait d’ailleurs le bonheur d’humoristes comme Karim Duval ou d’influenceurs comme Clovis Henriot @leteletravailleur sur Instagram.
Ce phénomène de déconnexion entre le sens et le langage dans le monde professionnel est sans doute lié à la multiplication des postes de management intermédiaire qui ont du mal à justifier de leur utilité, à la pénétration du numérique qui éloigne du terrain, et à la place toujours grandissante des postures politiquement correctes qui annihilent le parler vrai.
Au lieu d’exprimer clairement ce qu’il pense, le cadre d’aujourd’hui essaye de se fondre dans la masse en surfant sur un phrasé convenu, mâtiné de jargon sensé prouver une compétence qui fait pourtant défaut, tout en restant politiquement correct c’est-à-dire inclusif, woke et respectueux de l’environnement. Il en résulte un galimatias lénifiant qui ne fait illusion qu’auprès des suiveurs de tendance.
Parler ou écrire clairement demande de parler vrai. Celui ou celle qui parle clairement a un message tranchant qui porte un impact puissant. C’est la raison pour laquelle parler clair peut valoir quelques acrimonies de la part des adeptes du galimatias décrit plus haut. Mis en face de leur confusion et souvent de leur ignorance, celles et ceux qui se cachent derrière un langage confus n’apprécient pas celles ou ceux qui clarifient la situation et mettent ainsi en lumière le brouillard dans la tête de leurs interlocuteurs.
Dans le cas d’une conversation, parler clairement nécessite avant tout d’écouter avec attention son interlocuteur. Nombre de conversations voient les deux protagonistes chacun dans son couloir, délivrer leurs messages sans se préoccuper des vrais arguments de la partie adverse.
En écoutant, il est possible d’ajuster ses arguments, de régler le niveau des explications au niveau de compréhension de son interlocuteur et bien sûr de répondre précisément aux objections ou aux questions.
Le cerveau pédale plus vite que la bouche ou le stylo. Pour synchroniser la production de la pensée et son expression, il est alors tentant de sauter quelques étapes du raisonnement. L’enchaînement des propositions devient alors un pointillé plus difficile à décrypter, à l’image d’un itinéraire où il manquerait des panneaux de direction.
Parler clairement demande de faire attention à l’articulation de la démonstration pour ne pas faire l’ellipse sur un maillon essentiel du raisonnement.
La clarté impose des choix assumés. Les gens passionnés veulent tout dire. Dès qu’ils se lancent dans une présentation ou dans la réponse à une question, le débit s’accélère, les arguments et les informations s’enchaînent à haute cadence et très vite l’interlocuteur est perdu, ne sachant plus pourquoi il entend des propositions qui n’ont aucun rapport évident avec le sujet initial.
La quantité n’est jamais un gage de clarté. Rajouter trop d’informations brouille le message. L’art du discours limpide est aussi celui de la simplicité.
Parler clairement, écrire de façon limpide sont des armes redoutables pour convaincre un jury, séduire un client, faire passer un projet, transmettre son expérience, inspirer les autres. La clarté est assurément un élément du charisme personnel.