Mon premier téléphone portable était un Nokia 3310, l’emblématique mobile bleu vendu à 128 millions d’exemplaires dans les années 2000. Mais qui se souvient aujourd’hui que Nokia était alors plus puissant que Samsung et Apple ?
En moins de 5 ans, Nokia a disparu du marché des téléphones. Entreprise de hardware, Nokia n’a pas compris qu’avec l’avènement des smartphones, c’est le logiciel qui piloterait désormais cette industrie.
Cette chute brutale a traumatisé les finlandais. Comment un tel mastodonte si puissant peut-il chuter ? Comment une entreprise leader mondial, peut-elle passer à côté d’une innovation qui révolutionne son marché ?
La banque OP est le plus gros groupe bancaire finlandais. En 2015, son patron ne voulant pas subir le sort de Nokia, décide d’investir 2 milliards sur 5 ans pour transformer en profondeur sa banque. Mais que peut-il imaginer pour anticiper les évolutions du marché ? Quels virages stratégiques doit-il suivre ? Quelles innovations doit-il lancer ?
Améliorer à la marge ne suffit pas
La plupart des entreprises leader sur leur marché innovent sans cesse. Elles sortent régulièrement de nouvelles versions de leurs produits. Elles ajoutent des fonctionnalités, revoient le design, remplacent des composants par d’autres de nouvelle génération, ajoutent du service, modifient le modèle d’affaires.
Ce type d’innovation, appelée innovation incrémentale a pour objectif de protéger et de développer les parts de marché de l’entreprise. En prolongeant la durée de vie d’un produit, l’innovation incrémentale permet de maximiser le retour sur investissement. C’est ainsi que les entreprises qui réussissent construisent ce qu’on appelle des produits “vaches à lait”.
La série des téléphones 33xx de Nokia, les papiers photo de Kodak sont de bons exemples de produits “vaches à lait”.
Une stratégie d’innovation fondée sur l’innovation incrémentale est pourtant fragile. A tout moment, une autre entreprise peut introduire une innovation de rupture qui emportera l’adhésion de la majorité du marché en quelques années.
Comprendre la menace
Lorsque l’entreprise est prospère, lorsque les clients sont satisfaits, lorsque les indicateurs sont positifs, lorsque les résultats financiers sont au rendez-vous, comment imaginer que le danger guette ?
La banque OP comme la plupart des banques centenaires semble indestructible. Leader sur son marché, dans un métier qui paraît indispensable pour toujours, il ne semble pas y avoir de raison de s’inquiéter. Il y a bien sûr les néo-banques, banques en ligne qui proposent des services moins onéreux et séduisent les plus jeunes. Mais est-ce de là que viendra le danger ?
Cryptomonnaies, prêts entre particuliers, blockchain, intelligence artificielle, voitures électriques, véhicules autonomes, et bien d’autres technologies disruptives sont en réalité les vraies menaces de la banque. Ces technologies permettront à ceux qui les maîtrisent de capter la valeur.
Si les véhicules autonomes payés à l’usage se développent, qu’advient-il des revenus liés aux prêts pour l’achat d’automobiles et aux assurances de celles-ci qui représentent 10% du chiffre d’affaires de la banque?
En changeant les usages, les technologies déplacent la valeur, et créent la menace sur les revenus habituels de l’entreprise.
Focaliser l’attention sur le client
Surveiller l’émergence des technologies, et pas seulement dans son secteur, est bien sûr essentiel. Mais la compréhension juste de la direction à prendre ne vient pas principalement de là.
C’est le client ou plus généralement l’usager qui détient la clé des évolutions de son comportement. C’est seulement en comprenant très finement le comportement de son client, son besoin exprimé et latent, ses aspirations profondes, que l’entreprise peut orienter sa stratégie d’innovation.
Le marché de la santé est organisé avec d’un côté les acteurs du soin, et de l’autre côté les acteurs de l’assurance. Le client achète une assurance santé parce qu’il se préoccupe de sa santé sur le long terme et veut être couvert au mieux en cas de problème. En parallèle, il achète aussi une assurance qui couvre son train de vie pendant les arrêts maladie.
Les intérêts des hôpitaux et des assurances ne sont pas alignés: pour tourner les hôpitaux ont intérêt à prescrire des actes et à allonger les séjours. Les assurances ont elles l’intérêt opposé, créant ainsi de nombreux points de friction dans le système.
Le besoin réel du client est en réalité un besoin de “bien-être” tout au long de la vie. Fort de ce constat, la banque OP qui fournit déjà des assurances santé à ses clients, a décidé de se lancer dans la santé en construisant des cliniques ultra-modernes. En mettant sous un même toit les soins et l’assurance, les intérêts s’alignent. La banque a intérêt à remettre le client en bonne santé le plus rapidement possible et à le maintenir ainsi le plus longtemps possible. C’est aussi ce que demande le client. Demain, l’avènement de l’intelligence artificielle couplée à la médecine personnalisée, permettra d’optimiser pour chacun la prévention et le parcours de soin, tant d’un point de vue santé que d’un point de vue financier.
De même, la banque a constaté que les clients ne voulaient pas des prêts immobiliers, mais des logements, ne voulaient pas emprunter pour acheter un véhicule, mais voulaient de la mobilité. Elle a donc mis en place des nouveaux services de logement “homes as a service” et des nouvelles solutions de mobilité.
Dans un autre domaine, et pour une toute autre taille d’entreprise, l’exemple de Deschamps est parlant. A la tête d’une entreprise familiale fabricant des charpentes bois et métalliques, Nathalie Planchais s’est rendu compte en interrogeant ses clients qu’elle n’avait “rien à vendre”. Personne ne veut une charpente, mais chacun veut un espace de vie ou de travail agréable et fonctionnel. Forte de ce constant, l’entreprise a revu son positionnement pour proposer des solutions modulaires et personnalisables de bureaux.
Écouter le client, comprendre son besoin, est la façon la plus pertinente de faire évoluer sa stratégie pour rester en phase avec le marché. Le corolaire indispensable de cette approche est bien sûr de rester aligné avec ses valeurs et sa mission, sous peine de se disperser.
Comprendre les étapes nécessaires
Dans son livre décortiquant l’exemple de transformation réalisé chez OP, David Rowan met en exergue les étapes clés qui ont permis la transformation de la banque. Celles-ci sont valables pour toute entreprise, avec bien sûr des adaptations à faire suivant la taille et les moyens de celles-ci.
Identifier l’objectif fondamental de l’entreprise et ses valeurs : en cherchant à comprendre qu’elle est la raison d’être la plus profonde de l’entreprise, indépendamment de tout produit ou service actuel, les dirigeants ont ainsi une ligne claire pour évaluer les nouvelles idées et les innovations. Pour OP, la raison d’être de l’entreprise était de “promouvoir la prospérité et le bien-être de ses clients”.
Écouter et observer attentivement les clients pour comprendre leurs besoins fondamentaux. L’article “Passez en mode observation” donne plusieurs outils pour cela.
Identifier les lignes de revenus de l’entreprise qui sont menacées par les évolutions des comportements des clients.
Imaginer des nouveaux services, de nouvelles expériences pour les clients susceptibles d’augmenter leur confiance dans la marque, en s’appuyant sur des méthodes de créativité. Voir dans les articles en lien, quelques conseils et un exemple dans le secteur automobile.
Envisager comment les nouvelles technologies peuvent générer de nouveaux modèles économiques pour ces nouveaux services.
Prototyper ces nouveaux services en suivant une méthode agile, et en mesurant de nombreux indicateurs pour comprendre ce qui fonctionnent ou pas. OP a implémenté les méthodes décrites dans le best-seller d’Eric Ries “Lean Startup”.
Investir sur plusieurs projets en étant prêt à accepter que tous ne marcheront pas. OP a travaillé sur 30 projets et moins de la moitié ont abouti.
Travailler avec des gens de culture différentes: startup, designers, laboratoires. Chez OP, le responsable de l’unité “Nouveaux business” qui compte 150 personnes vient du monde des Média. Cette équipe comprend 85 designers, ce qui en fait la plus grosse agence de design de Finlande. La PME Deschamps a quant à elle travaillé avec les équipe de Laval Mayenne Technopole, formées à la culture et aux méthodes des startups.
Réfléchir aujourd’hui
Transformer son entreprise quelle que soit sa taille, pour la préparer aux évolutions de marché doit être une préoccupation constante du chef d’entreprise. Il est le seul à pouvoir instiguer cette démarche.
La crise économique qui résulte du COVID19 constitue une raison supplémentaire à engager cette démarche.
Bien sûr, il faut adapter l’effort à la taille et aux moyens de l’entreprise. Tout le monde n’aura pas 2 milliards et 150 personnes pour opérer cette transformation et bien sûr ces moyens ne sont pas nécessaires pour une plus petite entreprise.
Les 8 étapes décrites plus haut sont malgré tout accessibles à toutes les entreprises. Même si chaque étape n’est pas si compliquée, il est recommandé de se faire accompagner par des personnes ayant l’habitude de la démarche. Ce regard extérieur à l’entreprise permet en plus de s’affranchir des biais de raisonnement, des visions cloisonnées, et des habitudes inhérentes à une longue pratique dans un secteur donné.
Il est temps de faire “un pas dans l’inconnu” et de comprendre ce que devra être votre entreprise demain.
Pour aller plus loin
Non-bullshit Innovation: Livre de David Rowan, d’où j’ai tiré l’exemple d’OP
Passez en mode observation, un article de Charlotte Duval qui donne plusieurs méthodes et exemples pour être à l’écoute de son client.
Témoignage de Nathalie Planchais, dirigeante de l’entreprise Deschamps, sur sa démarche de transformation de l’entreprise.
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
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