#143 Le super-pouvoir de la transparence
Une arme efficace bien peu utilisée dans les entreprises
Les nuages s’amoncellent sur le paysage économique. Instabilité politique, menace de nouveaux impôts pour essayer de contenir la dette colossale du pays, menaces géopolitiques, crises sectorielles, fragilité financière des entreprises suite à la crise Covid, montée des velléités protectionnistes dans certains pays, virages technologiques et sociétaux à opérer avec l’arrivée de l’IA, instabilités sociales, les raisons sont nombreuses pour inciter les patrons à la prudence.
Comment réagir quand les leviers semblent échapper au contrôle et la situation subie sans possibilités apparentes de réaction ?
Comment les dirigeants doivent-ils se comporter vis-à-vis de leurs équipes ? Rassurer, faire comme si tout allait bien, verrouiller l’information, ou au contraire jouer cartes sur tables ? Pas facile de trancher !
Il y a 15 jours, mon président me prévient que notre subvention pourrait baisser significativement pour l’année prochaine. C’était le début du week-end et je dois avouer qu’il aurait pu mieux commencer. J’étais un peu abattu et ne voyais pas bien comment nous allions faire face à cette situation. Dès le lendemain, je cherchais des solutions, sans toutefois y voir bien clair. Le surlendemain, passée la sidération, j’entrevoyais quelques pistes pour dépasser les difficultés engendrées par une telle évolution, mais surtout je retrouvais un esprit combatif et volontaire.
J’ai passé les jours suivants à tenter de me faire confirmer cette annonce. Même si à l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai toujours aucune confirmation officielle du niveau de la baisse qui sera au final appliquée, je travaille à préparer un plan de bataille.
Dans les jours suivants, j’avais une réunion du CSE et une réunion d’équipe programmée depuis de longue date. Même sans information, je ne me voyais pas tenir ces réunions sans rien dire ou en faisant comme si tout était normal. J’ai donc partagé les informations en ma possession, ainsi que les possibles conséquences que cela aurait et j’ai surtout montré l’état d’esprit dans lequel je souhaitais que nous avancions collectivement.
J’ai toujours choisi le parti de la transparence. Dire les faits sans alarmer ni tenter de surprotéger a toujours été ma position.
Je sais que tous les managers ne partagent pas ce point de vue. Ils craignent que la transparence les affaiblissent en ne leur laissant pas une longueur d’avance sur leur équipe, que la situation réelle ne soit pas comprise et fasse peur aux équipes.
Je vais expliquer les raisons objectives qui justifient l’usage de la transparence quand la situation est critique.
La transparence est bâtie sur la confiance
Transparence sans confiance n’est que ruine potentielle.
Le manager qui veut être transparent mais qui n’a pas confiance en son équipe, aura énormément de mal à trouver les mots.
Sans confiance, le manager va supposer que toute parole transparente pourra être utilisée contre lui et lui fera perdre son autorité. Et il aura sans doute raison, car s’il ne fait pas confiance en son équipe, il est quasi certain que c’est réciproque. Et si l’équipe ne fait pas confiance au manager en temps normal, il est sûr qu’en temps de crise, elle ne le suivra pas, lui ôtant ainsi toute autorité.
Quelques jours après l’annonce grave que j’ai mentionnée plus haut, n’ayant pas pu réunir mes managers, je leur ai fait un état transparent de la situation sur notre messagerie. J’ai spontanément eu leur soutien, résultat de longues années à bâtir une relation de confiance.
Si l’équipe n’a pas confiance au manager, ne croit pas en son leadership ou en ses capacités de chef, il est certain que sa transparence va déstabiliser tout le monde. Les équipiers vont prendre peur car si on ne peut faire confiance au manager quand tout va bien, qu’adviendra-t-il en temps de crise ? La peur va alors paralyser tout le monde, l’énergie pour le combat va s’évaporer et la sortie de crise s’éloigner d’autant.
Bien évidemment, comme il faut mettre de l’argent de côté pour les mauvais jours, ce n’est pas quand le ciel s’assombrit qu’il faut chercher à bâtir la confiance par un discours pseudo-rassurant auquel personne ne va croire.
La confiance se bâtit dans la durée dès le jour 1 de la prise de fonction du manager. Elle est un pré-requis de la transparence.
La transparence responsabilise
Un test simple pour savoir s’il faut être transparent ou non en tant que manager est de se poser la question : si j’étais un équipier, est-ce que j’apprécierai de ne découvrir une situation difficile que très tard lorsque les conséquences ne peuvent plus être cachées?
Je pars du principe que je manage des adultes responsables capables de comprendre une situation quand celle-ci est expliquée clairement.
Je les crois aussi capables d’adopter une attitude responsable et d’adapter leur comportement pour minimiser au mieux les impacts de la crise.
Ne rien dire revient à infantiliser son équipe en croyant que les personnes ne sont pas capables de comprendre ou pire pas capables de réagir de façon responsable. Ce manque de confiance en son équipe sera certainement mal perçu et vu comme de la déloyauté.
Au contraire, la transparence invite les membres de l’équipe à se sentir partie prenante de la solution et donc les valorise en affirmant qu’ils ont un rôle important à jouer.
La transparence fait gagner beaucoup de temps
Dès lors que le problème est partagé, tout le monde commence à y réfléchir, les réunions déjà programmées sont autant de temps que l’on peut tout de suite allouer à imaginer des solutions.
Le mindset de chaque personne commence à évoluer dès l’annonce faite et le temps d’adaptation qui est souvent long démarre aussitôt, donnant ainsi à chaque personne la possibilité d’être prête quand les conséquences les plus concrètes du problème se manifesteront à haute intensité.
Quand un trauma survient, il est toujours nécessaire de passer par les différentes phases de la courbe de deuil : déni, colère/peur, tristesse/dépression, quête de sens/acceptation, action.
Suivant l’intensité du trauma, la personnalité de chacun, et les expériences précédentes qui ont pu laisser des traces, la courbe de deuil prendra plus ou moins de temps.
En étant transparent dès les premiers signes d’une crise, le dirigeant permet à chaque collaborateur de démarrer sa propre courbe de deuil. Une fois la crise bien établie, certains seront déjà parvenus au temps de l’action, et en tous cas de précieuses semaines auront été gagnées et l’équipe sera bientôt entièrement remobilisée.
La transparence n’est pas sans filtre
La transparence est souvent comprise comme l’exigence de se mettre à nu, de ne rien garder de son intimité. Cette vision est dangereuse et fait légitimement peur.
Cette semaine, un fidèle partenaire m’a pris à part et m’a signifié qu’il ne pourrait pas s’engager à nouveau l’année prochaine. Il m’a alors expliqué avec sincérité les raisons réelles de cette décision qui relevaient du champ personnel. Il m’a demandé de garder cela confidentiel. J’ai donc informé l’équipe de sa décision en précisant que je ne pouvais donner les détails. La transparence totale est inutile dans cette situation et n’apporterait rien de plus.
Expliquer que l’on ne peut pas tout dire pour des raisons de confidentialité ou pour ne pas obérer l’avenir relève de la transparence. Lorsque la confiance est établie, cette approche est très bien acceptée.
Bien sûr, celui qui jouerait à utiliser ce prétexte à tous bouts de champ finirait par être suspect de non-transparence. Sa démarche passerait alors pour une façon trompeuse de se faire bien voir.
La transparence demande du tact
Tout le monde n’a pas la même capacité à encaisser des chocs. Tout le monde n’a pas la hauteur de vue et la connaissance qui permettent de prendre du recul sur une circonstance pour envisager des solutions.
Délivrer brutalement des faits est une forme de violence qui peut être insupportable pour certains.
Le manager transparent et bienveillant prendra en compte la fragilité de certaines personnes. Il veillera à préparer le terrain avant de délivrer l’information plus difficile à entendre.
Lorsque j’ai pris la parole devant l’équipe, je n’ai pas annoncé de but en blanc la baisse drastique des subventions.
J’ai commencé par resituer notre action et nos avancées au regard du plan stratégique pluriannuel, en montrant le chemin parcouru et les points restants à travailler. J’ai partagé les évolutions de la situation financière sur les dernières années pour expliquer que la situation nouvelle n’était qu’une accélération de la tendance que nous poursuivions et non une rupture complète. J’ai présenté cette crise comme une opportunité de faire mieux, plus vite et plus efficacement ce qui était de toute façon prévu à plus long terme.
Une fois ces précautions prises, il faut bien être conscient du fait que la réaction de l’autre à la transparence lui appartient. Vouloir contrôler, maitriser ou orienter la réaction de l’autre est un leurre et une ambition vaine.
La transparence fidélise les clients
La transparence ne concerne pas que les relations entre managers et employés. La transparence est également un atout commercial.
En 2009, Domino’s Pizzas était en chute libre : l’action était passée de 19$ à 2,61$, les ventes dégringolaient et dans les tests de dégustation à l’aveugle, Domino’s était dernière, les magasins fermaient et les scandales faisaient la une des médias.
Le directeur marketing propose alors une méthode inattendue pour renverser la vapeur : “Et si on disait juste … la vérité ?” Tout le monde pense que c’est une mauvaise idée et qu’il s’agit d’un suicide pour l’entreprise.
Domino’s diffuse à la télé des “focus group” où les clients disent ce qu’ils pensent de leur pizza. Le CEO de la compagnie Patrick Doyle admet publiquement que sortir de telles pizzas n’est pas acceptable et s’engage à ce que cela change.
Domino’s entame alors un incroyable programme de réinvention de ses fondamentaux. De nouvelles recettes sont créées, de nombreuses sauces sont mises au point, de nouvelles pâtes sont proposées pour reconquérir le client. Plus de 100 000 salariés sont formés aux nouvelles recettes et 5000 magasins sont relookés.
Les résultats sont au rendez-vous. Au quatrième trimestre 2009, les ventes ont augmenté de 14,3%. L’action double en 6 mois et la part de marché passe de 9% à 15%.
Aujourd’hui, l’action a été multipliée par 75 par rapport à 2009 et Domino’s est devenue une entreprise tech qui fait d’excellentes pizzas.
La transparence a payé. Non seulement reconnaître les faits négatifs mais aussi reconstruire une nouvelle approche en public ont permis à l’entreprise de gagner une réputation et de conquérir le marché.
Le “build in public” une nouvelle forme de transparence
Le “build in public” est une nouvelle approche ouverte de la création d’une entreprise ou du lancement d’un nouveau produit. en totale transparence avec la communauté des clients et des partenaires, principalement au travers des réseaux sociaux.
Le storytelling est une technique marketing qui met en scène a posteriori la réalité en l’enjolivant pour créer un narratif positif pour la marque. Le “build in public” est une alternative plus authentique puisqu’elle propose d’ouvrir en temps réel les coulisses et de faire vivre à la clientèle le backstage de l’entreprise. Comme l’histoire est en train de s’écrire, pas moyen de l’enjoliver. Les réussites comme les échecs ou les difficultés sont partagés dans une transparence presque totale.
Encore peu utilisée en France par les entreprises, cette approche de la relation avec les clients est surtout pratiquée par les influenceurs et les solopreneurs.
Le “build in public” est un exercice de transparence difficile pour les entreprises. Il nécessite une implication des salariés qui doivent accepter de communiquer sans savoir a priori si le projet va réussir. Le risque est pourtant faible que cette démarche puisse nuire à l’entreprise. L’authenticité de la démarche est en effet vue positivement par les clients qui pourront en cas d’échec en comprendre les raisons.
Le “build in public” a le grand avantage de fidéliser les clients mais surtout de les impliquer dans le projet en cours de construction. En leur demandant leur avis, en étant attentif à leurs réactions, en profitant de leurs suggestions, le projet peut grandement se bonifier et en tous cas se donner la meilleure chance d’un démarrage réussi lors de la commercialisation.
Le “build in public” est en phase avec l’air du temps, avec l’attente d’authenticité des consommateurs, avec l’évolution des réseaux sociaux et de Linkedin en particulier. Les PME gagneraient à apprendre cette approche qui ne coûte pas très cher mais qui peut rapporter une croissance de la communauté des clients et une plus grande fidélité.
La transparence est un super-pouvoir
Il est paradoxal que la transparence qui a autant d’avantages tant au niveau de la motivation des équipes que de la fidélisation des clients, soit aussi peu pratiquée.
La rétention d’informations, le silence, le mensonge sont plus souvent pratiqués que la transparence dans beaucoup d’entreprises, qui n’ont donc pas intégré la puissance de la transparence.
Comme tous les super-pouvoirs, la transparence fait peur. Qui dit super-pouvoir, dit aussi risque de dérapage ! Le super-pouvoir apparaît toujours inaccessible pour tout un chacun et réservé à une caste supérieure.
Il est donc urgent de démystifier la transparence ! J’espère que ce plaidoyer y contribuera.
En conclusion, je répète que l’antidote de la peur de la transparence est la confiance. Je vous encourage donc à développer la confiance et la transparence viendra naturellement et les avantages de ce super-pouvoir suivront.
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Mardi 10 décembre 2024 08:00 - 10:00
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Matinée organisée par Laval Mayenne Technopole
Bravo Christian pour ce billet audacieux, plein de transparence et qui fait du bien. Merci à toi.