Internet a mis en lumière un nouveau type d’entreprises: Google, Amazon, AirBnB, Uber, Booking, Leboncoin, Facebook, Blablacar, Doctolib, Lafourchette, Ebay, et des milliers d’autres.
Mais quel est le point commun entre toutes ces startups devenues des mastodontes ? Quelles leçons chaque entreprise peut en tirer pour son développement ? Leurs méthodes sont-elles applicables à des entreprises plus petites ?
Les classes d’entreprises
Les sociétés humaines sont pour leur très grande majorité organisées en classes sociales. Cette organisation évolue au gré des évènements historiques, des innovations technologiques et politiques, mais la société sans classes n’est pas encore advenue.
De même, les entreprises aussi sont organisées en “classes”, même si ce vocabulaire n’est pas utilisé. Mais quelles sont donc les grandes “classes” d’entreprises ?
les fournisseurs de matières premières exploitent une ressource naturelle acquise par concession.
les transformateurs façonnent la matière brute pour la rendre utilisable.
les sous-traitants investissent dans des moyens de production, et des compétences pour utiliser ces moyens. Leur fonction est de produire pour des donneurs d’ordre fabricants, qui conçoivent et/ou spécifient les produits. Dans les industries complexes, il y a des sous-traitants qui travaillent pour d’autres, d’où la notion de sous-traitant de rang 1, 2, ou 3.
les fabricants conçoivent, fabriquent et vendent des produits. Certains fabriquent des produits physiques, d’autres “fabriquent” des produits immatériels (logiciels, musique, média, connaissance, …), et les modèles économiques sont différents.
les sociétés de services produisent et vendent des prestations de services à d’autres entreprises ou à des clients particuliers.
les grossistes achètent et centralisent de grandes quantités de produits, pour les revendre à des distributeurs.
les distributeurs vendent à des clients un grand nombre de produits ou de services achetés à des grossistes et/ou directement à des fabricants.
les sociétés d’intérim vendent du personnel à tout type d’entreprises.
les banques (et les fonds d’investissement) fournissent à toutes les autres entreprises les liquidités et les capitaux nécessaires à leur fonctionnement, et s’apparentent par certains côtés aux fournisseurs de matières premières. Les assurances sont aussi à rapprocher de cette classe, car elles fournissent des liquidités différées, en cas d’accident.
les plateformes mettent en relation les fournisseurs (fabricants, grossistes, distributeurs) et les clients.
Qui sont les dominants ?
Ces différentes “classes” d’entreprises entretiennent des relations entre elles. On parle souvent de chaine de valeur. Ces relations ne sont pas toutes équivalentes ni symétriques. Les “classes” d’entreprises qui ont un accès direct au marché détiennent généralement un pouvoir sur les “classes” productives. Il est souvent fait état des distributeurs qui “étranglent” les fabricants.
A l’autre bout de la chaîne, les fournisseurs de matières premières ont aussi un pouvoir en régulant l’offre. L’exemple le plus emblématique de cette puissance est celui de l’OPEP.
Mais il est une classe d’entreprise au dessus de toutes les autres. Les plateformes centralisent les échanges entre tous les autres types d’entreprises et leurs clients. Ce faisant, elles récoltent des données extrêmement précises sur le marché, ces données devenant à leur tour un produit à haute valeur qu’elles vendent aux autres entreprises.
Cette caricature de la société entrepreneuriale, où les plateformes, les distributeurs et et les fournisseurs (y compris les banques) dominent l’économie n’est pas si fausse.
Sur les 10 premières capitalisations boursières du monde à fin 2019, il y avait 7 plateformes (Apple, Amazon, Google, Microsoft, Facebook, Alibaba, Tencent), 2 banques (Berkshire Hathaway et JP Morgan) et 1 fournisseur (Saudi Aramco).
Si l’on compare les 10 premières entreprises pour le chiffre d’affaires, il y a 6 fournisseurs (sociétés pétrolières), 1 distributeur (Wallmart), 1 plateforme (State Grid) et 2 fabricants (Volkwagen et Toyota).
Dans la hiérarchie des “classes” d’entreprises, les fournisseurs dominent (chiffres d’affaires), mais les plateformes sont les plus riches (capitalisation).
Les plateformes ont toujours existé
Les foires de Champagne au XIIème siècle sont un magnifique exemple de plateforme: les marchands des Flandres, d’Italie et de la Champagne se retrouvent pendant des semaines plusieurs fois par an à Troyes, Lagny ou Bar-sur-Aube pour commercer. Le succès de ces foires est lié à plusieurs facteurs caractéristiques des plateformes:
le contexte juridique mis en place par les comtes de Champagne qui protège et garantit la bonne tenue des transactions
une organisation rigoureuse garante de la sécurité et du bon déroulement
une infrastructure performante (hôtels, entrepôts, routes, canaux)
un système de paiement innovant (lettres de change) qui facilite les échanges internationaux sécurisés
une organisation en réseaux qui assure la coopération gagnant-gagnant des différentes foires.
Les salons sont les héritiers de ces foires et sont un exemple moderne de plateforme non digitales. Les bourses sont aussi des plateformes pour les transactions financières. Les journaux dans la rubrique petites annonces sont des plateformes anciennes.
Pourquoi les plateformes sont-elles aussi puissantes ?
Les plateformes sont des infrastructures technologiques ou éventuellement juridiques, qui permettent simplement à d’autres acteurs de rencontrer leurs clients et d’effectuer leur business.
Amazon aurait pu être la plus grande librairie du monde et une formidable réussite, en se contentant de vendre de plus en plus de livres sur internet. Jeff Bezos a compris très tôt qu’il y avait mieux à faire. La formidable infrastructure (site e-commerce très ergonomique, entrepôts pilotés par des logiciels performants, réseaux de serveurs surpuissants) qu’il avait construite pouvait être mise à disposition d’autres entreprises. En regardant le commerce se faire sous ses yeux, Amazon a accumulé des quantités astronomiques de données et une connaissance inouïe des clients, tout en prélevant au passage un pourcentage conséquent sur toutes les transactions. Ce faisant, Amazon est devenue en moins de 20 ans, l’entreprise la plus riche et la plus puissante du monde.
Internet et la technologie numérique associée (serveurs, intelligence artificielle, smartphone), en baissant considérablement le coût d’accès à l’offre et en élargissant considérablement le rayon de chalandise, ont donné aux plateformes une puissance inégalée, transformant ainsi le monde en une vaste place de marché.
La plateforme, une bonne idée pour les startups et les PME ?
Nombre d’entrepreneurs ont compris le potentiel des plateformes, et les projets de plateformes représentent une proportion importante des startups dans les incubateurs.
Cependant, le lancement d’une plateforme ex-nihilo est très difficile, du fait de la problématique de “l’œuf et de la poule”: pour qu’une plateforme attire des clients, il faut beaucoup d’offres et pour avoir beaucoup d’offres, il faut des clients. Par quoi commence-t-on ? Une des solutions souvent utilisées, est d’offrir le service gratuitement aux clients.
Par contre et sans que cela soit trivial non plus, introduire un modèle de plateforme dans une entreprise d’une autre “classe” est une innovation à considérer.
Nous avons accompagné l’an dernier, un projet de plateforme dans une entreprise de taille intermédiaire (ETI). Alors que le potentiel semblait énorme, les dirigeants avaient beaucoup de mal à comprendre qu’investir, développer des outils puis les ouvrir à leurs concurrents était beaucoup plus intéressant que les garder à leur seul profit. Ce frein psychologique est assez répandu chez les dirigeants de PME. La plateforme n’est pas dans leur culture, et ils maitrisent mal les outils numériques.
Et pourtant, une PME qui connait son secteur et sa chaine de valeur, ses clients, ses concurrents, a de nombreux atouts pour lancer une plateforme. Sans vouloir lâcher la proie pour l’ombre et abandonner son activité pour devenir une plateforme à 100%, une PME ou une ETI peut explorer un fonctionnement de plateforme pour une partie de son activité.
Quelques idées pour “plateformiser” son activité
Même sans devenir une plateforme à 100%, une entreprise peut introduire une part d’activité sous forme de plateforme. Outre les avantages liés à la diversification de son chiffre d’affaires que cela procure, se lancer dans une activité de plateforme donne une meilleure connaissance du marché, permet de maîtriser les outils numériques et d’accumuler des données.
Quelques idées et exemples d’activités qui intègrent en tout ou partie les principes des plateformes:
créer une plateforme de e-commerce spécialisée et permettre à des concurrents d’y vendre des produits complémentaires. Développer ainsi son chiffre d’affaire grâce à la commission sur les ventes des concurrents, mais aussi augmenter sa notoriété et capter de la donnée sur le comportement et les choix des clients, pour orienter l’innovation produit de l’entreprise. Cette stratégie est souvent utilisée par les commerces physiques, qui ouvrent leurs rayons à des producteurs locaux qui n’ont pas de boutiques.
créer une plateforme pour mettre en relation vos clients avec des installateurs, à l’instar de Taskrabbit, la plateforme d’Ikea.
créer une franchise: mettre son savoir-faire et sa marque au service d’entrepreneurs indépendants pour étendre son rayonnement en particulier géographique.
investir dans des machines spécifiques et/ou innovantes et les louer à des concurrents pour produire leurs propres produits. Ceci permet de rentabiliser plus vite ses investissements. Entrepairs est une plateforme spécialisée de ce type.
créer une plateforme de coopération pour répondre avec ses concurrents (qui deviennent ainsi des partenaires) à des gros appels d’offre, permettant ainsi d’accéder à des clients inaccessibles autrement et d’apprendre de la coopération avec d’autres. Mecareso est un exemple de ce type de plateforme dans la mécanique.
partager ses locaux avec des startups de son secteur. En travaillant dans un même lieu, la coopération sera ainsi facilitée.
mettre ses brevets, ses logiciels ou ses conceptions de pièces en open source pour d’autres applications: ceci permet d’augmenter les cas d’usages et ainsi créer de nouveaux marchés.
mettre son réseau commercial (équipe commerciale et distributeurs) au profit d’autres entreprises proposant des produits complémentaires. Voir par exemple Revlon et Deborah dans le domaine de la cosmétique.
permettre aux clients de créer ou personnaliser leur propres produits au travers d’une plateforme, à l’instar de la célèbre plateforme Lego Ideas.
Passer à l’action
Imaginer son entreprise en mode plateforme, c’est se donner la possibilité de sortir du “business model” traditionnel de son secteur, pour trouver de nouvelles sources de croissance.
Cette approche est certes un “pas dans l’inconnu”, mais un pas qui peut s’avérer salutaire demain, car en ayant pris de l’avance sur vos concurrents et en ayant changé de place dans la chaîne de valeur, vous aurez acquis de nouvelles compétences, une notoriété plus forte, et des données essentielles sur le marché. Peut-être une stratégie pour sortir de la crise post COVID19 ?
Pour aller plus loin
L’économie des plateformes (en anglais): article Wikipedia
Demain, l’entreprise plateforme sera au cœur de nos économies, un article de Jean-Claude Lamoureux
Nouvelles stratégies de plateformes: un guide méthodologique à destination des grandes entreprises, qui peut néanmoins inspirer les plus petites.
La minute d’informations
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