Recruter est sans doute une des tâches les plus difficiles et risquées. Le choix de ses collaborateurs et collaboratrices conditionne très fortement le succès de l’entrepreneur.
Du premier stagiaire au premier salarié, du CTO au responsable commercial, chaque choix rajoute une brique essentielle à la construction d’une équipe performante. Le premier salarié, c’est 50% de la force de frappe de l’entreprise et le 5ème en représente encore 20%. Toute erreur se paye cash.
Il n’y a pas de martingale pour réussir systématiquement un recrutement. Recruter, c’est résoudre une équation complexe: trouver une compétence disponible à un moment et un endroit donnés; mais aussi satisfaire à la nécessaire alchimie émotionnelle positive qui doit se produire pendant la brève rencontre entre deux personnes qui ne se connaissent pas.
Je ne suis pas un professionnel du domaine RH et je n’ai jamais appris à recruter. J’ai recruté une cinquantaine de salariés et plus de 150 stagiaires au long de mon parcours. Je partage avec vous quelques principes que j’ai appliqués de façon consistante et qui m’ont plutôt réussi. Je considère n’avoir raté qu’un recrutement, avec une incidence au final assez limitée puisque c’était un alternant pour quelques mois.
Mais au fait qu’est-ce qu’un échec de recrutement ? C’est la découverte après quelques mois de coopération que la personne recrutée montre des défauts graves et des comportements inappropriés qui n’avaient pas du tout été perçus lors de l’entretien. Ce décalage entre la projection imaginée et la réalité est très décevant.
Je précise que les conseils que je partage s’appliquent à des postes de travail en autonomie. Je n’ai quasiment jamais recruté de personnes pour des postes d’exécution simple, et je conçois que certaines approches peuvent être différentes dans ce cas.
Recruter est un jeu de taquin
Que ce soit pour un poste nouveau, ou un remplacement sur un poste existant, le préalable impératif du recruteur, est de considérer comment le poste ou une partie de celui-ci peut constituer une opportunité d’évolution pour un membre de l’équipe en place.
Une erreur de recrutement classique est d’embaucher quelqu’un de nouveau sur un poste qui intéresse quelqu’un déjà présent dans l’entreprise. Comme dans un jeu de taquin ou un Rubik’s Cube, recruter pour un poste vacant, peut signifier réallouer les tâches et les responsabilités pour créer un besoin ailleurs.
Remplacer quelqu’un, poste pour poste, est la meilleure façon d’être déçu, surtout si la personne qui est partie était excellente. Le nouvel embauché aura un mal fou à rivaliser avec son prédécesseur et la tentation de comparer sera très forte pour son manager et ses collègues. En redistribuant les tâches, cela devient plus difficile de comparer, et préserve le nouveau collaborateur.
Un poste à pourvoir est une formidable occasion de réorganiser, promouvoir, faire évoluer et réoxygéner une équipe.
Deux pré-requis évidents
Réussir une opération de recrutement commence bien sûr par poser les fondements:
s’assurer que le candidat a les compétences minimum nécessaires pour la tâche qui va lui être confiée. La lecture du CV, l’échange, la prise de référence, le test technique, sont autant d’outils simples pour cela.
vérifier que l’offre proposée s’inscrit bien dans les aspirations et le projet professionnel du candidat. Quelqu’un qui a d’autres ambitions, sera vite insatisfait, et quelqu’un qui voulait seulement un salaire en attendant mieux, sera peu impliqué. Les mots peuvent être trompeurs, mais les yeux qui brillent pendant l’entretien sont un signe qu’il est difficile de simuler.
Ces pré-requis sont simples, et je ne m’étendrai pas. Ils sont toutefois très largement insuffisants pour que le recrutement soit réussi.
Quand il y a un doute, il n’y a pas de doute
Lorsque je conseille un jeune entrepreneur qui doit recruter pour la première fois de sa vie, je partage souvent ce principe: “Quand il y un doute, il n’y a pas de doute”. Même s’il est caricatural, il a le mérite d’être simple à comprendre et à appliquer.
Ce principe est une précaution. Il n’est pas une garantie de réussir, il n’exclut pas de passer à côté de quelqu’un d’extraordinaire, mais il évite d’avoir des regrets si le recrutement s’avère plus tard catastrophique, alors qu’on avait douté.
En ne faisant aucun compromis avec le doute, l’entrepreneur, surtout s’il est peu expérimenté, s’achète une tranquillité mentale pour l’avenir.
Adapter la fiche de poste à la personne et non l’inverse
La fiche de poste décrit un personæ idéal qu’on souhaiterait recruter. Chercher ensuite dans une pile de CV, celui ou celle qui colle parfaitement à cet idéal est non seulement une gageure, mais une grave bêtise.
La fiche de poste n’est qu’un guide. Les personnes intéressantes ne rentrent pas dans des cases. Ce qui les rend intéressantes, c’est souvent cette originalité, cet écart de parcours, ce trait atypique de personnalité qui ne peut se prévoir dans une fiche de poste, forcément générique et fade.
Suivre la fiche de poste, c’est recruter des personnes lisses et interchangeables, des gens moyens qui auront une valeur ajoutée limitée. La fiche de poste est seulement un filet qui sert à pêcher. Suivant la tension sur le métier recherché, le filet doit être à plus ou moins grosses mailles. Quand on sait que le recrutement va être difficile, inutile de faire une fiche de poste trop précise. L’essentiel est d’avoir des candidats.
Après avoir repéré les profils les plus intéressants et passer les 2 filtres des pré-requis, le travail consiste à fabriquer la fiche de poste la plus adéquate pour la candidature la plus intéressante. Cela signifie, enlever des missions par rapport à celles imaginées a priori, ou au contraire en rajouter de nouvelles. Cet exercice passionnant demande de la créativité, mais aussi de l’agilité pour redistribuer les tâches au sein de l’équipe en place.
Voir le potentiel plus que l’acquis
Je suis dépité quand je vois des annonces demandant une expérience de 5 ans dans une fonction en tout point équivalente dans une autre entreprise. Qui peut être intéressé et motivé de recommencer exactement ce qu’il vient de faire ailleurs ? Seulement ceux qui prennent le poste par défaut et par conséquent les moins motivés.
Cette approche très court-termiste et utilitaire du recrutement ne prépare pas l’avenir. Miser sur un potentiel plus que sur un acquis est un levier de motivation. Quelqu’un qui se sent un peu imposteur lorsqu’il démarre son poste sera beaucoup plus motivé que celui qui arrive en terrain ultra-connu.
L’autre avantage de parier sur quelqu’un n’ayant jamais eu exactement le même poste, c’est la possibilité d’innovation que cela représente. Celui qui sait va souvent se contenter de reproduire ce qu’il connaît. Celui qui ne sait pas tout, se pose des questions, et se donne la possibilité d’innover.
Miser sur l’avenir signifie sacrifier l’efficacité des premiers mois, mais cet investissement est très rentable à moyen et long terme.
Un défaut n’est pas rédhibitoire
Les offres d’emploi décrivent des gens parfaits qui n’existent pas. Autant ne pas perdre son temps à les chercher.
Recruter, c’est identifier la personne ayant les défauts les plus compatibles et les moins gênants avec la mission qu’on entend lui confier. Peu de défauts sont rédhibitoires dans l’absolu. Le pire des manipulateurs peut faire un excellent gardien de phare, vu qu’il travaille seul ! Un défaut n’est gênant que dans le contexte d’une mission donnée.
Au vu des défauts ou des lacunes d’un candidat, il faut soit le rejeter si ses défauts ne sont pas compatibles avec la mission, soit changer la mission. Voir le défaut incompatible avec la mission et penser qu’on pourra s’en accommoder est une erreur majeure. Penser que la personne changera est également un pari risqué.
Il y a cependant des défauts, ou plutôt des lacunes qui peuvent être dus à la jeunesse ou à l’inexpérience. Dans ce cas, il est essentiel de prévoir un temps important de formation, d’accepter de faire confiance et se contenter d’un résultat non optimal pendant un temps qui peut être long. En cas de réussite, ce choix procure des satisfactions importantes au salarié et à son manager.
Recruter, c’est avant tout comprendre les qualités indispensables et les défauts acceptables pour une mission donnée, et savoir les reconnaître chez les candidats. Les tests de personnalités peuvent aider.
Respecter la culture d’entreprise
Il est important de bien réfléchir à un ou deux critères éliminatoires. Le critère éliminatoire est le critère qui ne tolère aucune espèce d’exception. Tout peut être parfait, voire exceptionnel par ailleurs, si le critère éliminatoire n’est pas rempli, il faut s’abstenir.
Le critère éliminatoire n’est pas lié à une compétence technique (ceci doit avoir été traité d’entrée), mais à la culture d’entreprise. Celle-ci est primordiale pour une bonne harmonie et une grande efficacité. Si quelqu’un ne peut rentrer dans la culture d’entreprise, il n’y a pas sa place.
Nous sommes dans un métier de service et de relations. Mon critère éliminatoire est le sourire. Tout candidat ou candidate qui n’est pas naturellement souriant est éliminé.e automatiquement. Le sourire est la porte d’entrée de l’accueil de l’autre. Le sourire met à l’aise et crée immédiatement une relation positive. C’est en tous cas, la marque de fabrique de notre entité.
Façonner une culture d’entreprise prend du temps, et chaque recrutement y contribue. Un recrutement qui n’en tient pas compte peut sérieusement impacter la performance collective.
L’occasion fait le larron
J’aime les candidatures spontanées et les rencontres fortuites. Parmi les plus beaux recrutements que j’ai faits, figurent certainement quelques-uns pour lesquels aucun poste n’était ouvert.
Lorsqu’un alignement des planètes magique conduit sur votre passage un candidat ou une candidate dont le CV résonne avec vos circonstances du moment, il faut réagir. Pourquoi le recrutement serait le seul domaine qui devrait être planifié ?
Dans la même mouvance, j’ai souvent recruté des stagiaires qui s’étaient montrés exceptionnels, et que je ne voulais pas perdre.
Lorsqu’une telle opportunité se présente, il faut réagir vite, vérifier son budget, imaginer une fiche de poste appropriée, voir comment la personne s’insère dans l’organisation existante.
Saisir une opportunité lorsqu’elle se présente est un des ingrédients qui permet de bâtir une équipe exceptionnelle. Il faut en avoir l’audace.
Recruter c’est aussi séduire
Il est un principe qui me semble souvent omis dans les entreprises qui pensent que le recrutement est une relation asymétrique. Le recrutement pour être sain, doit être considéré comme parfaitement symétrique: l’entreprise choisit le salarié, mais le salarié choisit aussi l’entreprise.
L’entretien d’embauche permet au candidat d’évaluer l’entreprise. Je me souviens particulièrement de deux entretiens d’embauche où j’avais l’impression que c’était moi qui passait l’entretien. C’était avec une stagiaire brillantissime et exigeante et un candidat au CV totalement inespéré pour le poste proposé. Il a fallu être très persuasif pour aligner le poste avec les ambitions et les potentiels de ces candidats. Dans les deux cas j’ai réussi, et bien plus tard, j’ai demandé à ces personnes pourquoi elles avaient accepté mon offre. Elles ont clairement fait référence à la perspective que j’avais su leur donner pendant l’entretien et au mode de management et de relation qu’elles avaient ressenti.
Pour recruter d’excellents potentiels, il faut accepter de passer un entretien d’embauche inversé !
La visualisation mentale ne ment pas
L’entretien d’embauche mériterait tout un article. Je voudrais ici seulement partager un outil que j’ai expérimenté récemment et qui me semble très utile. C’est une méthode utilisée dans la préparation mentale qui s’appelle la visualisation.
Après avoir échangé, présenté le poste et les missions, j’ai demandé au candidat de visualiser dans sa tête son premier jour dans l’entreprise, puis sa première semaine. Je lui ai ensuite demandé de me raconter ce qu’il avait vécu pendant celle-ci.
Le candidat a formidablement joué le jeu et m’a fait un récit détaillé de sa première semaine. Je voyais qu’il vivait le moment, car il n’était plus présent dans la pièce, ses yeux étaient fixes et il voyait vraiment le film dans sa tête.
Grâce à cet exercice, j’ai beaucoup appris sur lui, ses valeurs, ses rêves, ses doutes, ses priorités. Je ne sais pas si cela marche avec tout le monde, car la visualisation mentale peut demander un peu d’entraînement, mais en tous cas, il est certain que ceux qui entrent dans l’exercice ne mentent pas.
La visualisation mentale est un outil puissant. En entretien d’embauche, elle permet de révéler plus facilement qu’une simple question les motivations, les peurs et les attentes d’un candidat.
Recruter c’est préparer l’avenir
Récemment, on m’a parlé d’une annonce explicitant la recherche d’un “Directeur pour remplacer la fondatrice d’une association”. Grave erreur ! Un recrutement doit être tourné vers l’avenir et donner des perspectives. Peu importe que la fondatrice soit partie, l’important ce sont les perspectives, le projet, la vision !
Recruter c’est préparer l’avenir et attirer ceux qui veulent construire, et non ceux qui sont attirés par un poste prestigieux. Donner le bon ton dès la rédaction de l’annonce est primordial pour attirer les bons candidats.
Un employé niveau bac+4 ou 5 va en moyenne rester 10 ans dans une entreprise. Le recruter revient à faire un investissement de 500 k€ à 1 M€ voire plus.
Recruter est un investissement pour l’avenir qui coûte cher. Il est essentiel de soigner le processus, pour être certain de faire le meilleur choix.
Une fois la personne recrutée, quelles que soient ses qualités, le plus dur reste à faire: lui permettre de révéler tout son potentiel. Napoléon Bonaparte, formidable meneur d’hommes l’avait bien compris lorsqu’il disait: « L’art le plus difficile n’est pas de choisir les hommes mais de donner aux hommes qu’on a choisis toute la valeur qu’ils peuvent avoir ».
Chaque recrutement est “Un pas dans l’inconnu”. Les bonnes précautions permettent que cet inconnu soit moins angoissant, et devienne plutôt une formidable promesse. Je vous souhaite de beaux recrutements !
Pour aller plus loin
Une interview de Nicolas Desseigne, un des co-fondateurs d’Algolia qui explique la culture de son entreprise et les incidences sur le recrutement.
Pourquoi le meilleur candidat n’est pas celui qui a le CV parfait ?: une conférence TED de Regina Hartley.
Vous souhaitez que je traite un sujet, vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez pas à m’écrire en répondant à l’email que vous recevez. La réponse m’arrive directement. Si vous êtes un abonné, vous pouvez aussi laisser un commentaire sur le site. Merci d’avance.
Vous avez aimé cette Newsletter, partagez-la par email ou sur les réseaux sociaux. Pour cela, cliquez sur le bouton ci-dessous. Merci d’avance.
Quelqu’un vous a transféré cette newsletter et vous souhaitez vous abonner pour la recevoir directement dans votre boîte mail tous les mardi à 9h, cliquez sur le bouton ci-dessous. Merci d’avance.