#6 Pourquoi changer est-il si difficile ?
La dynamique du changement dans les projets récurrents
A chaque démarrage d’activité ou de projet récurrent, et puis régulièrement au cours de leur déroulé, il devrait être normal de se poser les questions suivantes: pourquoi faisons-nous cela? Est-ce toujours pertinent? Que faut-il changer?
Et pourtant, je constate tous les jours dans les entreprises, les administrations et les organisations de tout type, que ce n’est pas le cas. Pourquoi? Quels sont les mécanismes en jeu qui empêchent de se remettre régulièrement en question?
La force de l’habitude
En posant la question du pourquoi, passé la surprise de l’interlocuteur, on obtient souvent les réponses suivantes: “on a toujours fait comme cela”, “on fait comme l’an dernier”, “tout le monde fait cela”, “çà marche bien depuis des années”.
L’habitude, la routine, la répétition sont des moteurs extrêmement puissants de l’action humaine. Un nombre incalculable d’activités ne sont que la répétition quotidienne, hebdomadaire, mensuelle ou annuelle d’une action née dans le passé sous l’impulsion d’une personne ou d’un groupe visionnaire. Cette action peut être excellente et la reproduire être assurément une bonne chose. L’habitude n’est pas négative en soi. Ce qui est négatif, c’est l’habitude de ne pas questionner l’habitude.
Face aux habitudes, il convient de rechercher systématiquement si le sens qui a prévalu à leur mise en place est toujours présent.
Le manque d’attention à l’environnement
Les activités ne sont pas des valeurs fondamentales, elles ne sont pas bonnes ou mauvaises en elles-mêmes. C’est en référence à un contexte donné, qu’elles s’avèrent pertinentes ou non.
En 2007, nous avons créé avec Idenergie le premier accélérateur de startups français. A l’époque ce terme n’existait pas et l’accompagnement des porteurs de projets dans les incubateurs était majoritairement individuel. Nous avons “inventé” un programme collectif articulé autour de 5 ateliers d’une semaine répartis sur 6 mois et centrés sur les thématiques essentielles de l’entrepreneuriat: l’humain, le marketing, le commercial et le financier. Ce programme a merveilleusement fonctionné pendant 7 ans, avec des résultats et un taux de satisfaction dépassant nos attentes. Nous avons cependant tout changé en 2014. L’arrivée des concepts de “lean startup”, “design thinking”, “open innovation” et l’émergence de nouveaux acteurs de l’accompagnement de startups avaient bouleversé la donne. Aussi efficace soit-il, notre programme initial n’était plus adapté. Si nous l’avions gardé tel quel, il n’existerait plus aujourd’hui, faute de candidats.
Il est fréquent aussi de constater qu’un produit “vache à lait” qui a fait le succès d’une entreprise décline soudainement sans que l’entreprise n’ait anticipé.
Pour éviter ces situations qui peuvent être douloureuses voire dramatiques, il est essentiel d’être attentif à l’évolution de son environnement, et d’écouter les signaux faibles, pour changer avant qu’il ne soit trop tard.
La lassitude
Répéter les mêmes actions, les mêmes programmes, les mêmes évènements, produire toujours les mêmes produits, finit par lasser. Nous avons certes des taux variés de résistance à la lassitude. Certains vont s’ennuyer dès la deuxième fois, là où d’autres vont tenir dix ans. La lassitude finira toujours par surgir un jour ou l’autre.
Avant qu’elle ne prenne la forme extrême du rejet, la lassitude se manifeste subrepticement par la moindre motivation, une qualité en baisse, l’abandon progressif des détails qui avaient fait le succès de l’opération, et l’oubli des bonnes raisons qui avaient justifié le lancement du projet. La première manifestation de ces indices est un signe évident qu’il faut rapidement changer. Changer ne veut pas dire tout changer, mais modifier un ou plusieurs paramètres pour apporter un renouveau.
Une solution que nous avons utilisée dans le programme Idenergie est de changer la personne en charge du projet. Contrairement à ce que pensent souvent les entreprises, la meilleure personne pour accomplir une tâche n’est pas forcément celle qui a le plus d’expérience. Il est très souvent préférable de confier cette tâche à une personne nouvelle qui verra dans cette opportunité, une occasion de bien faire. Elle cherchera à comprendre ce qui faisait le succès de l’opération pour ne pas le compromettre, tout en apportant sa créativité et sa vision des choses.
La lassitude étouffe la lucidité, amoindrit la capacité d’analyse, émousse la créativité, siphonne l’énergie et empêche in fine de se remettre en question.
Eviter la lassitude permet de rester alerte sur le pourquoi de l’action.
Le manque d’intuition
Depuis l’origine de notre programme Idenergie, le recrutement des candidats se faisait principalement au Salon des Entrepreneurs à Paris. Pendant 10 ans, toutes les premières semaines de février, nous étions mobilisés sur cet évènement. Les dernières années, nous avions l’intuition que ce n’était peut-être plus ce qu’il fallait faire. Je dis ici “intuition”, car c’était un sentiment partagé dans l’équipe, mais en même temps, nous n’avions pas d’indicateurs objectifs incontestables, et nous avions encore moins, la certitude de savoir par quoi le remplacer.
Nous avons malgré tout écouté notre intuition et pris le risque de changer: abandonner le Salon, et inventer une autre méthode de recrutement fondée essentiellement sur la visibilité sur Internet et des rendez-vous individuels d’évaluation de projet. Nous avons aussi rajouté une étape dans le processus de sélection qui consistait en un pré-programme de 3 jours. Après y avoir beaucoup travaillé, quand nous avons décidé d’y aller, nous avons accepté le risque de l’échec. Nous n’avions aucune certitude que cette nouvelle méthode fonctionnerait et nous étions prêts à en assumer les conséquences. Heureusement pour nous, elle a marché.
L’intuition collective partagée est un formidable outil de changement qu’il ne faut pas brider. Il faut toutefois y mettre quelques garde-fous:
le temps de maturation doit être assez long, car l’intuition instantanée peut aussi n’être qu’un reflet des émotions et s’avérer d’aucune valeur dans la durée.
l’intuition doit être partagée par tous et chacun dans l’équipe doit être d’accord de la suivre et assumer ensuite sa part de travail dans la nouvelle option.
en cas d’échec, tout le monde doit être solidaire et personne ne doit reprocher aux autres d’avoir lâché une option qui fonctionnait pour se lancer dans une autre.
la solution de remplacement doit être savamment construite et réfléchie, sous peine de lâcher la proie pour l’ombre.
Ecouter les intuitions est un formidable facteur d’innovation. Les inhiber peut conduire à l’échec sans même s’en rendre compte.
Le mauvais équilibre entre les Concepteurs et les Faiseurs
Pourquoi certaines personnes n’arrivent pas à sortir de la routine et pourquoi d’autres en font une règle de vie? Pourquoi ces deux catégories de personnes ont généralement du mal à travailler ensemble? Quel doit être leur rôle respectif dans un projet ?
Cela fait plus de trente ans que j’observe les comportements en environnement de travail vis-à-vis de ces questions. Pour résumer, de façon un peu caricaturale bien sûr, j’ai pu constater qu’il y a généralement deux comportements au sein d’un groupe projet:
les Concepteurs préoccupés d’abord par le sens de ce qu’ils font ont tendance à se remettre fréquemment en question. Ils cherchent à s’élever au dessus de la simple action factuelle pour en comprendre la nécessité, la portée, la raison d’être, la conformité à la mission et l’alignement à la vision. Cette attitude de prise de recul les oblige, à s’adapter, à revoir leurs présupposés et à changer. On retrouve généralement dans cette catégorie, des personnes plus créatives, fonctionnant à l’intuition, à l’écoute de leurs émotions, n’aimant pas les cadres et les règles.
Les Faiseurs qui, même si le sens ne leur est pas indifférent, s’appliquent dans la réalisation des actions et se préoccupent plus de la construction du projet que de son sens. Ils ne regardent pas toujours autour d’eux pour voir que l’environnement a changé, que l’action a perdu de son sens et qu’il faut en changer. Ce sont souvent des personnes plus intéressées par l’action que par la réflexion, des personnes plus à l’aise avec le respect des règles qu’avec la transgression, des personnes plus enclines à la gestion qu’à la création. La reproduction de ce qui s’est déjà fait les sécurise, là où, la porte ouverte à un changement les effraie.
L’opposition entre ces deux groupes de personnes est fréquent dans les réunions de projet:
les Concepteurs questionnent sur le pourquoi, veulent refaire le monde avant de se lancer dans l’action, cherchent à comprendre ce qui se passe, et veulent inventer autre chose pour répondre à la situation. Les Concepteurs cherchent l’impact et s’intéressent à la finalité plus qu’aux moyens, au but plus qu’à la route. Ils aiment conjecturer pendant des heures pour trouver la bonne façon de faire, ils se plaisent dans la représentation mentale d’un futur à construire.
les Faiseurs veulent avancer, mettre en place quelque chose et aller à l’essentiel. Ils ne supportent pas les questions sur le pourquoi car ils n’ont pas toujours les réponses. Ils pensent que ce qui est important c’est de faire et se donnent des objectifs d’activités plus que d’impact. Les Faiseurs n’aiment pas la remise en cause et pensent qu’explorer d’autres hypothèses est une perte de temps. Les Faiseurs ne voient que le futur immédiat et ne s’intéressent qu’à ce qui est immédiatement possible.
Chacun peut à son tour et suivant les circonstances et les personnes qui l’entourent, se retrouver du côté des Faiseurs ou des Concepteurs. Même si nous sommes tous naturellement plutôt d’un côté ou de l’autre, une prise de conscience de ce biais peut grandement nous aider à avoir une meilleure évaluation des projets auxquels nous participons.
Les deux groupes sont nécessaires à la réalisation des projets et aucun n’est supérieur à l’autre. C’est la coopération des deux qui permet la naissance et l’aboutissement de grands projets. Quelques principes d’équilibre rendent le fonctionnement harmonieux et efficace:
ne pas confier les clés d’un projet à une équipe de Faiseurs pendant trop longtemps, sous peine de constater un jour qu’ils ont créé une machine qui fonctionne pour elle-même et qu’on ne peut plus arrêter. C’est ce qui se passe souvent dans les fonctionnements administratifs qui ont tendance à regrouper majoritairement des Faiseurs.
ne pas laisser des Concepteurs entre eux, sous peine que rien n’aboutisse et que toute l’énergie soit en permanence utilisée à tout changer au lieu d’avancer.
laisser les Concepteurs concevoir et imaginer les projets, qui seront ensuite mener à bien par les Faiseurs, et périodiquement inviter les Concepteurs à revoir les déroulés.
inciter les Concepteurs et les Faiseurs à prendre régulièrement la posture de l’autre groupe pour en comprendre son point de vue.
Pour garder la dynamique d’un projet et l’adapter régulièrement, il est essentiel d’alterner le leadership entre les Faiseurs et les Concepteurs. Si un groupe n’est constitué que de Faiseurs, il faut inclure le questionnement dans le process automatique du projet, car cela ne viendra pas spontanément.
Le subtil équilibre entre les Faiseurs et les Concepteurs est l’alchimie de la réussite des projets.
De la beauté du changement
Changer, s’adapter, évoluer, innover, sont autant de “pas dans l’inconnu”, qui renouvellent les perspectives, permettent d’apprendre de nouvelles compétences, et créent de nouvelles opportunités. Les Faiseurs doivent apprendre à s’ouvrir à ces perspectives et les Concepteurs doivent apprendre à se canaliser pour en tirer profit.
Laissez-vous tenter. Bientôt se remettre en question et changer deviendra une bonne habitude !
Pour aller plus loin
Qu’êtes-vous prêts à sacrifier pour changer votre façon de travailler? une conférence TED de Martin Danoesastro.
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Pour la dixième fois, le CRI de la Roche sur Yon, Laval Mayenne Technopole et Atlanpole organisent Inov’dia, un évènement dédié à l’innovation pour les PME.
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