“Tout seul on va plus vite, ensemble, on va plus loin”, “intelligence collective”, “construire ensemble”, “consultation publique”, “réunion de concertation” autant de phrases et de mots évoqués dans les entreprises et organisations pour justifier de processus collectifs de réflexion.
Les collectivités publiques pour établir leur stratégie, les clubs d’entreprises pour définir leur programme d’action, les grandes entreprises pour produire leur plan stratégique, les associations pour préparer un grand projet, utilisent des réunions de consultations, qui suivant les contextes s’appellent brainstorming, séances de concertations, assemblées générales ou séances de créativité.
J’ai participé à des dizaines de réunions de ce type, réunissant entre 10 et 50 personnes, rassemblées pour réfléchir ensemble sur un sujet prospectif, une stratégie à définir, un plan d’action à concevoir. La plupart du temps, je suis sorti déçu et frustré par la pauvreté des idées échangées, et la platitude des conclusions, alors que les participants sont pourtant de bon niveau. Comment est-il possible que le groupe produise moins que ce qu’auraient pu faire quelques individus seuls? La puissance de l’intelligence collective serait-elle une légende?
Le Plus Grand Commun Diviseur
J’ai vu récemment le compte-rendu d’une réunion, où une institution nationale prestigieuse avait réuni 120 experts de l’accompagnement de startups pour définir collectivement ce qui pourrait être fait pour améliorer cet accompagnement. Le résultat de cette réunion est remarquable par sa généricité et son manque d’ambition (voir image ci-dessous). Il est évident que n’importe lequel des participants (dont je n’étais pas) aurait pu écrire cette feuille de route seul, en moins de 5 minutes. Quel est donc l’intérêt de réunir 120 experts pour arriver à cela? Comment se fait-il que 120 experts de leur métier soient incapables de produire une feuille de route plus élaborée?
Vous vous souvenez sans doute de ces sigles barbares qu’essayait de vous inculquer votre professeur de mathématiques au collège: PPCM et PGCD, le Plus Petit Commun Multiple et le Plus Grand Commun Diviseur.
Ces concepts pourraient aussi décrire ce qu’il se passe dans une réunion de réflexion collective sur des sujets prospectifs ou stratégiques. Le processus habituel de prise de parole successive par chacun des membres du groupe, qu’il soit ou non associé au sacro-saint “post-it”, conduit immanquablement à filtrer toutes les idées pour ne retenir que les plus répandues, donc les plus banales. Pour peu que la question soit assez floue ou trop large, on obtient alors un document de synthèse générique qui pourrait s’appliquer à n’importe quelle situation. Ce travail conduit à exprimer le Plus Grand Commun Diviseur du groupe, c’est-à-dire la plus grande pensée consensuelle qui ne choque personne et convient à tout le monde. Cette pensée est inférieure à ce que chacun peut produire individuellement, puisque chaque idée un peu originale, n’est pas retenue par la synthèse, car bien sûr elle n’est pas majoritaire et trouvera toujours au moins un opposant dans le groupe pour l’éliminer.
On s’attendrait à ce que l’intelligence collective produise à contrario le Plus Grand Commun Multiple du groupe, c’est à dire une pensée qui serait plus grande que ce que chacun peut produire individuellement. Comment parvenir à cela?
Bien poser la question
On ne le répétera pas assez, la façon de poser une question conditionne en grande partie la qualité de la réponse obtenue. Trop souvent malheureusement les personnes sont convoquées à une réunion sans bien savoir ce qu’on attend d’elles, et la réflexion est lancée après une introduction vague et une question imprécise.
Une bonne question doit définir précisément le contour du problème et fixer les objectifs à atteindre. Dans l’exemple cité plus haut, au lieu de poser la question très large “quels sont les objectifs clés de la communauté des accompagnateurs de startups et les premières actions à lancer?”, une meilleure question aurait pu être: “comment une forte collaboration des structures d’accompagnement peut conduire à doubler le nombre de licornes en France?”
Une bonne question permet de focaliser le groupe et d’éviter que chacun comprenne ce qu’il veut. Si la question fixe des objectifs, les réponses devront être à la hauteur des attentes.
Utiliser une méthode d’animation
Trop souvent l’animateur de réunion se contente d’une méthodologie simpliste. Sortir des post-it et faire des groupes n’est pas une méthode. Une méthode précise avec des cycles de divergence et de convergence, animée par une personne formée, est la seule façon d’obtenir des résultats collectifs qui dépassent ce que chacun pourrait faire individuellement.
Dérouler une méthode demande un temps minimum. Le temps est souvent le péché mignon de ces mauvaises réunions. Les organisateurs n’osent pas mobiliser tant de monde sur un temps trop long: résultat, le temps alloué est trop court, les conclusions de la réunion décevantes et au final le gâchis important.
Une méthodologie bien maîtrisée, un animateur formé, et suffisamment de temps sont trois ingrédients indispensables de la réussite d’une démarche d’intelligence collective.
Effectuer un travail préparatoire
Brainstormer à froid sur un sujet général et vaste ne peut conduire qu’à des résultats décevants. Sans être préparé, il est difficile pour le cerveau de se mettre dès le début de la réunion à son niveau maximum d’efficacité.
Pour tirer le maximum d’un groupe, il est nécessaire de préparer la réunion. Plus le sujet est général, plus le groupe est hétéroclite, plus il faut consacrer d’efforts à la préparation. Celle-ci consiste par exemple à produire un état des lieux du sujet, un recueil d’exemples de bonnes pratiques, une série de témoignages d’acteurs clés, une série de chiffres clés. Ces documents seront envoyés avant la réunion pour permettre à ceux qui y participent de se préparer.
L’équipe en charge de la réunion, doit aussi mettre sur le papier les évidences et généralités qui serviront de base. Typiquement, dans l’exemple ci-dessus, le résultat obtenu aurait pu être produit par l’équipe d’organisation, ce qui aurait permis au groupe de réflexion d’approfondir les différents points.
Plus la réunion sera préparée, plus l’intelligence collective du groupe sera utilisée à bon escient pour produire des résultats puissants.
Faire de la place aux idées audacieuses
Pour éviter de se retrouver avec les idées les plus banales, il est possible de poser au démarrage de la réunion une règle simple: les solutions issues de la réunion devront comporter au moins une ou deux idées fortement disruptives.
Cette règle permettra de focaliser un temps de la réunion sur la recherche d’idées disruptives. Cette formulation explicite est de nature à libérer la créativité de ceux qui n’oseraient pas se lâcher sans cette autorisation expresse. Il sera alors essentiel de rappeler les règles de l’échange créatif: le respect de toutes les idées et l’interdiction de critiquer les idées au fur et à mesure où elles émergent. Cette règle est rarement respectée dans les réunions conventionnelles.
Les idées audacieuses sont fragiles à leur naissance et doivent être protégées. Il est essentiel d’établir un quota pour contrer la tendance naturelle à la conformité.
Mobiliser les talents
Le recours à l’intelligence collective ne doit pas éliminer les contributions des personnalités plus créatives, plus expertes, plus visionnaires. Il n’est pas insultant de dire que dans un groupe, toutes les contributions n’ont pas le même impact. De part leur personnalité, leur talent, leur expérience, certaines personnes sont capables de produire des idées à fort impact.
Dans les réunions de brainstorming classique, les contributions des différentes personnes sont prises en compte de façon uniforme. Un post-it vaut un autre post-it. Les idées impactantes ont toutes les chances de ne pas être identifiées et retenues. Ces idées sont souvent décalées et peuvent apparaître difficilement réalisables: elles vont donc être probablement écartées par les processus de sélection à base de vote.
Une façon de mieux prendre en compte l’apport de ces personnalités est de les interroger en amont de la réunion et de les associer à la préparation. En ayant connaissance en amont de leurs idées, on pourra intégrer celles-ci dans les points à approfondir collectivement.
Au lieu d’utiliser l’intelligence collective pour générer un socle d’idées, il est plus efficace de l’utiliser pour enrichir des idées ayant un fort potentiel.
Avoir une vraie attente
Organiser une consultation collective fructueuse nécessite une vraie intention d’en tirer le meilleur. Si cette intention n’est pas perçue par les participants, ou si les organisateurs sont suspectés de ne pas être sincères, ou de ne pas être prêts à s’ouvrir à des solutions originales, les participants ne seront pas motivés pour s’investir dans la réflexion.
Il est essentiel de n’organiser des séances d’intelligence collective que si la route n’est pas déjà tracée, que s’il y a un réel besoin de trouver des solutions disruptives. Si ce n’est pas le cas, il faut s’abstenir et procéder plutôt à des consultations individuelles de validation.
Cesser la bêtise collective
Etre plusieurs à réfléchir n’est pas un synonyme d’intelligence collective, mais bien plus souvent de bêtise collective, tant les résultats produits sont décevants. Cette bêtise est en fait le résultat de la paresse de ceux qui préparent la réunion, ou pire encore de leur hypocrisie lorsqu’ils espèrent au fond d’eux-mêmes que rien de dérangeant ne sortira des échanges.
Il est temps de dénoncer la complaisance nocive de ceux qui valorisent ces pseudo démarches collectives pour éviter la remise en question et l’effort que représente une vraie démarche d’intelligence collective.
Soyons courageux et travaillons pour que l’intelligence collective soit autre chose qu’un alibi!
Pour aller plus loin
La minute d’informations
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