Aujourd’hui je suis tombé sur le post Linkedin d’une avocate qui se vantait de toujours faire payer le premier rendez-vous avec un client. Elle en faisait un principe strict.
Je n’ai pu m’empêcher de lui faire remarquer qu’elle n’apprécierait peut-être pas si les artisans faisaient de même ! S’en est suivi un échange qui m’a montré que cette personne n’était pas prête à faire plus que ce qu’elle devait faire. Elle a conclu en m’indiquant qu’elle était sur Linkedin pour prospecter. Permettez-moi de douter que montrer une incapacité à faire un effort supplémentaire soit la meilleure façon de gagner des clients.
“To go the extra mile”. Cette expression est souvent utilisée dans le management anglo-saxon pour désigner les efforts supplémentaires à faire au delà de ce qui est inclus dans sa description de poste, pour satisfaire les clients.
Cette vision du service à l’américaine est assez peu répandue chez nous.
Mais d’où vient cette expression ? Que signifie-t-elle concrètement ? Pour l’employé, pour le manager, pour l’entrepreneur ? Quelles sont les conséquences d’une telle pratique ? Quels sont les bénéfices mais aussi les dangers à éviter ?
J’ai vu pour vous
Avant de vous partager le contenu qui m’a intéressé pour cette quinzaine, je vous signale que ce numéro sera le dernier avant une pause pour les congés estivaux.
Votre Newsletter préférée reviendra le 30 août !
En attendant, je vous souhaite un excellent été et des vacances régénératrices pour celles et ceux qui en prennent.
Voici le contenu proposé aujourd’hui :
Le sujet de la transition écologique est complexe et malheureusement beaucoup de bêtises sont propagées dans les médias par des personnes peu sachantes mais militantes. Les podcasts du site GreenLetter Club donnent la parole pour une heure au moins à des personnes qualifiées pour aborder un sujet en particulier. J’ai découvert ce site par le podcast d’Emmanuel Hache : Métaux rares, un risque de pénurie ?
Le cycle culturel Thé et Sciences du salon Nun qui traite de vulgarisation scientifique avec des invités prestigieux. Je l’ai découvert au travers de l’entretien avec le physicien Julien Broboff qui vulgarise la physique quantique de façon très imagée.
La loi du mille romain
Le mille romain est une unité de mesure qui comme son nom l’indique (milia passuum) vaut 1000 pas et approximativement 1478 m. La loi romaine indiquait que dans les pays sous occupation, les soldats romains pouvaient réquisitionner les habitants pour les aider à porter leurs charges sur une distance d’un mille.
Dans son célèbre Sermon sur la Montagne, Jésus fait référence à cette loi et fait la recommandation suivante à ses disciples : “Si quelqu'un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui.” (Matthieu 5 v. 41). Celle-ci s’inscrit dans une série d’enseignements visant à montrer que la meilleure façon de vaincre le mal est de faire le bien.
L’expression “To go the extra mile” utilisée par les anglo-saxons vient de cette parole de Jésus. Qu’importe notre religion, il est toujours bon de connaître l’origine des expressions tombées dans le langage courant.
Faire plus permet de progresser
Mehdi Benatia est un footballeur international marocain qui a évolué à la Juventus de Turin entre 2016 et 2019, au côté de la star portugaise Cristiano Ronaldo. Dans une émission sur RMC Sport, il raconte le comportement hors-normes de Cristiano Ronaldo qui faisait seul des séances d’explosivité 30 minutes avant le début de l’entraînement collectif et encore 30 minutes d’abdominaux après la séance. Medhi raconte qu’un jour après un match où Ronaldo n’avait joué que 15 minutes, il est parti à 23 h à la salle de musculation faire une heure d’exercice alors que ses coéquipiers rentraient chez eux. Il justifiait cela en disant qu’il avait besoin de faire quelque chose tous les jours.
Être l’un des meilleurs du monde pendant toute sa carrière n’est pas qu’une affaire de dons initiaux ou de capacités extraordinaires. C’est aussi le résultat d’une volonté de fer d’en faire toujours un peu plus. Les exemples de ce type abondent dans le sport et montrent que c’est quasiment une règle. On ne devient excellent qu’à force de travail acharné.
La première raison “to go the extra mile” est avant tout personnelle. C’est la seule façon de progresser plus vite et d’évoluer dans la maîtrise de son métier et d’augmenter ainsi ses opportunités de carrière professionnelle.
Faire plus renforce l’esprit d’équipe
Pour être une équipe soudée, il ne suffit pas de travailler pour la même bannière, échanger à la machine à café et prendre quelques nouvelles des collègues.
Si chacun travaille en silo, en déroulant sa fiche de poste, et en considérant que tout ce qui dépasse sa responsabilité ne le concerne pas, il y a très peu de chances qu’une telle équipe soit très performante et encore moins qu’elle puisse surmonter les épreuves.
Faire plus ne signifie pas toujours “faire plus de la même chose”, mais peut signifier “faire plus d’autre chose”.
On attend du gardien de but qu’il empêche l’adversaire de marquer. Pourtant, on voit régulièrement en fin de match, le gardien s’approcher du but adverse pour prêter main forte à ses coéquipiers et tenter d’emporter la victoire ou d’égaliser. Et il n’est pas si rare que le gardien puisse marquer.
Le 6 juillet 2020, en Liga espagnole, le match FC Séville-Eibar enflamme les réseaux sociaux. A la 54ème minute Lucas Ocampos ouvre le score pour Séville. Un peu plus tard, alors que tous les changements possibles ont été effectués, le gardien de Séville se blesse. C’est Lucas Ocampos qui prend sa place. A la dernière minute du match, le gardien d’Eibar monte pour essayer d’égaliser. Son tir est miraculeusement sauvé par Ocampos. Séville remporte le match et le doit doublement à son joueur argentin. Le gardien d’Eibar eusse-t-il marqué que ce fût tout aussi extraordinaire : un gardien marquant contre un joueur de champ.
Dans le football, ces situations s’appellent “dépassement de fonction”. En sortant de sa stricte définition de poste, le joueur peut influer sur le résultat. Il est clair qu’un résultat acquis de cette manière renforce la solidarité des joueurs, puisque chacun perçoit que c’est le fait d’avoir fait un effort supplémentaire qui a permis d’en arriver là.
Dépasser sa fonction montre à l’équipe qu’on est pleinement engagé, au service de l’équipe et non seulement concerné par son propre rôle. Cette attitude généreuse va dynamiser toute l’équipe, montrer l’exemple et donner le courage à celles et ceux qui n’osent pas faire un pas de plus.
Être un invité plutôt qu’un client
Certains restaurants font la surprise à leurs clients d’un amuse-bouche ou d’une sucrerie au moment du café. Ces mets non inscrits au menu sont toujours un plaisir pour moi. J’ai l’impression d’être traité comme un invité et non comme un client.
Le client peut exiger ce qu’il paye. L’invité reçoit ce qu’on lui offre. Cela change tout dans la relation.
“To go the extra mile” montre que l’entreprise considère son client non seulement comme un client, mais comme un invité, voire un ami que l’on veut satisfaire.
A l’inverse, n’avez-vous jamais eu ce désagréable sentiment qu’un fournisseur ne s’intéressait qu’à votre argent et n’avait aucune envie d’établir une relation. Personnellement, je ne supporte pas ces fournisseurs, même si leurs produits sont bons.
Toutes les études marketing montrent qu’il est plus facile et moins cher de garder des clients déjà acquis, que d’en acquérir d’autres. Pourtant nombre d’entreprises, parmi lesquelles les opérateurs téléphoniques ne donnent pas leur part au chat, préfèrent délaisser leurs clients historiques et partir à la conquête de nouveaux. C’est ainsi qu’un client ancien paye souvent son abonnement téléphonique plus cher qu’un nouveau, jusqu’à ce qu’il en ait marre et devienne un nouveau client chez un concurrent.
Ne croyez pas que cette attitude soit l’apanage des grandes entreprises. J’ai vu nombre de petites entreprises, de consultants, de freelances, délaisser leurs clients historiques en pensant qu’ils leur étaient acquis.
Chers entrepreneurs, traiter vos clients comme des invités et vous les garderez longtemps. L’invité ne mange pas les restes et un hôte digne de ce nom ne ressert pas toujours le même plat à ses invités. Pensez-y au moment d’imaginer les extras que vous offrirez. Le client bien traité aime revenir !
Valoriser les “extra milers”
Au début de ma carrière, jeune ingénieur au CNRS, j’avais dans mon équipe un technicien au plus bas échelon de qualification. J’ai vite remarqué qu’il était un “extra miler”. Premier arrivé et dernier parti, avide d’apprendre, il n’hésitait pas à proposer ses services pour des tâches qui dépassaient de beaucoup sa qualification. J’aimais beaucoup travailler avec lui et j’encourageais son attitude volontariste en l’associant aux expériences que nous menions.
Il méritait très amplement tant par sa compétence que par son engagement de progresser dans les échelons. Pourtant, le système administratif de gestion du personnel était ainsi fait que cet engagement ne pouvait être reconnu. Progressivement je l’ai vu se démotiver, jusqu’à ce qu’il rentre complètement dans le rang. J’étais triste de voir la flamme de l’enthousiasme s’éteindre chez lui pour être progressivement remplacée par la rancœur. Je lui ai souvent conseillé d’aller ailleurs où son engagement serait mieux valorisé, mais une promesse faite à ses parents agriculteurs d’être fonctionnaire l’en empêchait.
Tout le monde mérite reconnaissance pour son travail. Les “extra milers” doivent être reconnus pour ce qu’ils sont, pour le rôle particulier qu’ils jouent dans une entreprise et dans une équipe.
La première reconnaissance est de remarquer ce qu’ils font, souvent discrètement. Le manager doit être un observateur. Chaque petit geste doit être perçu, reconnu et remercié. L’indifférence fait beaucoup de dégâts dans la motivation.
L’”extra miler” est souvent quelqu’un qui aime les challenges, qui est prêt à sortir de sa zone de confort. Lui donner de nouvelles opportunités va l’encourager à garder la flamme et participera à sa reconnaissance auprès de ses collègues.
L’erreur consiste souvent à penser que les employés motivés et volontaires demandent moins d’encouragements et de reconnaissance que les autres, car ils seraient intrinsèquement motivés quelles que soient les circonstances. Rien n’est plus faux.
Managers, faites un extra mile avec vos “extra milers”.
L’”extra miler” est épanoui
La première qualité de l’”extra miler”, ce qui le caractérise le mieux est sa générosité.
Le perfectionniste qui peut être confondu avec l’”extra miler” agit en réalité souvent pour lui-même, pour satisfaire sa propre exigence de perfection et être en paix avec son égo.
Le vrai “extra miler” agit pour les autres, que ce soit les clients ou les collègues, ou même la hiérarchie. C’est le bien-être de l’autre, la bonne ambiance dans l’équipe, le souci de soulager les autres dans la difficulté qui le motivent.
Cette générosité est souvent inconditionnelle. L’”extra miler” agit pour l’autre et non dans un quelconque calcul carriériste, ou une intention de se faire bien voir. Il agit aussi bien en pleine lumière que dans l’ombre. C’est d’ailleurs pour cela que l’”extra miler” est une personne de confiance, sur qui on peut vraiment s’appuyer, dont l’attitude ne va pas dépendre des circonstances.
Comme il agit pour le bien des autres, l’”extra miler” se nourrit des émotions positives que procurent ce comportement. Il a le sentiment du devoir accompli qui lui permet de ne pas avoir de regret, même en cas d’échec. Les personnes qu’il a aidées, ou qu’il a servies au delà de ce qui était attendu, sont pour la plupart reconnaissantes et lui témoignent de la gratitude. Tant que la proportion des ingrats qui l’entourent reste limitée, l’”extra miler” n’est pas affecté par leur comportement.
Celui qui fait le strict minimum vit en permanence sur la défensive, cherchant à savoir si telle tâche lui revient vraiment, comment se défausser d’une mission qu’il juge hors de sa fonction. Cette attitude qui s’apparente à de la pingrerie génère des ondes négatives, de l’amertume, et suivant les circonstances un sentiment d’injustice. Elle provoque aussi des réactions agressives chez les autres dont il faut constamment se défendre.
Dans la durée, la posture du minimum syndical est bien plus fatigante et stressante que la posture de générosité qui redonne de l’énergie.
Alors que je suis fatigué par une longue journée, il m’arrive souvent d’accepter un dernier rendez-vous pour aider un entrepreneur qui a une difficulté, ou un collaborateur en prise avec un problème. Il est très rare que j’en ressorte encore plus épuisé. Au contraire, cet élan de générosité produit souvent un sursaut d’énergie. L’énergie donnée est souvent renvoyée par l’autre qui y rajoute la sienne.
Contrairement aux apparences, être un “extra miler” n’est pas une croix à porter, mais plutôt un boost énergique, un élan de positivité qui contribue à l’épanouissement personnel et à la bonne santé.
L’”extra mile” peut-être un vrai pas dans l’inconnu, mais il est assurément un chemin positif, apprenant et énergisant.
Bonne course à vous toutes et tous pour cet été.
Pour aller plus loin
10 Outstanding Examples Of Going An Extra Mile In Customer Service, Natalia Chrzanowska, Brand24 (2015)