Ce matin, j’échangeais avec un entrepreneur qui a lancé son offre depuis quelques mois.
Ayant déjà depuis plusieurs années une entreprise, il a identifié un besoin en lien avec la gestion opérationnelle de celle-ci.
N’ayant pas trouvé de solutions à sa convenance, il a décidé de créer une autre entreprise pour développer la solution qu’il imagine et la vendre aux entreprises de son secteur.
Après avoir testé avec satisfaction cette solution dans sa propre entreprise, cet entrepreneur prévoyait des chiffres d’affaires importants, persuadés que tous ses confrères dans la même situation que lui, sauteraient sur l’occasion inespérée de satisfaire enfin leur besoin.
La croyance que le besoin entraîne automatiquement la vente est une des fausses croyances les plus répandues chez les entrepreneurs débutants.
Le besoin est nécessaire à l’existence d’un marché, mais en aucun cas suffisant !
Je vais essayer d’expliquer les raisons de cette vérité contre-intuitive.
Créer une entreprise demande une certaine audace. Faire un pas dans l’inconnu, lâcher son travail stable pour affronter un avenir incertain n’est pas facile.
Heureusement, les primo-entrepreneurs ignorent par manque d’expérience un certain nombre des difficultés qui les attendent.
Cette réalité est au final assez favorable au développement de l’économie, car nombre d’entrepreneurs bien qu’ayant réussi affirment après quelques années, que s’ils avaient su, ils ne se seraient peut-être pas lancés !
L’ignorance de la difficulté de vendre et son corolaire, la croyance que si le besoin existe, la vente est faite sont certainement deux des moteurs les plus forts qui aident les entrepreneurs à se lancer.
Nous les voyons arriver dans nos incubateurs avec ces croyances assez ancrées en eux et notre travail, souvent ingrat, est de les aider à prendre conscience de la réalité.
Mais pourquoi leur ouvrir les yeux puisque cela les aide à avancer ?
Malheureusement, s’entêter dans ce type de croyance ne peut que conduire à l’échec. Utiles pour se lancer, elles empêchent sérieusement d’agir correctement pour vendre vraiment.
Il y a des besoins qui n’en sont pas
Il n’y a pas de marché s’il n’y a pas de besoin. C’est très clair.
Mais qu’est-ce qu’un besoin ?
Un besoin est un irritant rencontré dans une circonstance précise par un persona bien identifié, que ce soit un consommateur dans sa vie privée (marché BtoC) ou un professionnel dans l’exercice de son métier (marché BtoB).
L’irritant peut être un manque, une difficulté, une impossibilité, un effort important à faire, une perte de temps, etc...
La plupart des gens vivent avec leurs irritants et s’en accommodent tant bien que mal.
Les inventeurs quant à eux se délectent des irritants qui sont autant de défis à résoudre pour leur créativité débordante.
Je me souviens d’un inventeur qui était venu me voir avec des boites à chaussures remplies de gadgets sortis de son imagination. Dès qu’il détectait un besoin, il s’y attaquait et sa créativité était telle qu’il trouvait une solution. Son plaisir était de résoudre des problèmes, tout comme le cruciverbiste prend plaisir à compléter des grilles.
Il venait me voir pour savoir si je pouvais l’aider à créer une entreprise.
Il avait certes des solutions à des besoins, dont certaines étaient sans doute brevetables, mais ces besoins faisaient-ils un marché et ses solutions feraient-elles des innovations ?
Tout besoin, tout irritant ne fait pas obligatoirement un marché, même s’il est répandu.
Lors de l’épisode de la semaine dernière de “Qui veut être mon associé ?”, les entrepreneurs proposant un barbecue à allumage rapide depuis son smartphone n’ont pas convaincu les investisseurs sceptiques sur la pertinence du besoin. “Le plaisir du barbecue n’est-il pas dans le fait d’allumer le feu ?” ont-ils demandé.
Il y a quelques années, on a vu fleurir tout un tas de projets d’objets connectés. Il suffisait d’ajouter “connecté” à un objet du quotidien pour se voir à la tête d’une startup florissante. Les plateformes de crowdfunding regorgent pourtant de projets de ce type qui n’ont pas trouvé leur marché.
Attention à l’illusion d’une solution à un problème qui bien que réel n’en est au fond pas un. Prendre 5 minutes pour allumer un barbecue est-il un problème suffisamment douloureux pour justifier de changer son appareil pour un autre plus sophistiqué et donc plus fragile ?
On ne bâtit pas une entreprise viable sur un gadget ! Même si certains gadgets peuvent se vendre !
Le rejet du changement
Les humains sont par nature assez conservateurs.
Une des phrases les plus souvent prononcées pour rejeter un changement de quelque nature que ce soit est : “on a toujours fait comme cela”.
L’innovation, c’est-à-dire la solution nouvelle à un problème ancien, s’accompagne généralement de la nécessité de changer sa pratique.
Adopter une innovation, ce n’est pas seulement acheter un produit ou un service. C’est presque systématiquement modifier ses habitudes.
Ce frein est plus important encore en entreprise. Acheter une innovation signifie souvent modifier le process, former des collaborateurs, éventuellement supprimer des postes, passer du temps à se réorganiser.
Le vendeur doit alors convaincre de l’intérêt de ce changement, car au fond chacun est habitué à la situation et la douleur du problème n’est pas si insupportable !
Les pertes précèdent les gains
Avant de voir le bénéfice d’une innovation, le personnel et le dirigeant voient tous les inconvénients que procure le changement.
Le gain est pour plus tard, les pertes sont pour aujourd’hui.
Si le quotidien est chargé, si l’entreprise fonctionne à flux tendu, si le personnel est insuffisant, le dirigeant va repousser à plus tard l’intégration de l’innovation qui pourtant répond totalement à ses besoins.
C’est là que les innovateurs qui essaient de vendre leur produit sont souvent aveugles. Ils sont focalisés sur les avantages de leur solution et ignorants des difficultés qu’il y aura pour le client à changer.
L’avènement de l’intelligence artificielle nous offre un bel exemple de cette situation. Les opportunités sont énormes, mais les efforts à fournir pour les identifier, pour se former, pour tester, et pour anticiper les conséquences éventuellement négatives sont un frein suffisant pour ne pas y aller, ou en tous cas pas tout de suite.
Intégrer une innovation nécessite très souvent un investissement lourd en argent et surtout en temps et en désorganisation de l’entreprise. Demandez par exemple aux entreprises qui décident d’installer un logiciel ERP. Nombre d’entre elles souffrent pendant des mois car les process sont perturbés, au point parfois de perdre des clients ou de les mécontenter fortement.
Il y aurait certainement intérêt pour les entreprises qui proposent des innovations de développer des services pour accompagner leurs clients à les intégrer plus facilement.
Quel est le vrai gain du changement ?
J’échangeais récemment avec un chef d’entreprise qui me partageait le gain important réalisé après avoir installé une API pour connecter les données d’une plateforme avec un logiciel utilisé par ses équipes. Il chiffrait ce gain à 5 équivalents temps plein.
La semaine dernière la banque suédoise Klarna annonçait que son assistant IA déployé depuis un mois a déjà eu 2,3 millions de conversations avec les clients ce qui équivaut au travail de 700 agents à temps plein. L'assistant "est à égalité avec les agents humains en ce qui concerne le score de satisfaction client" et les dirigeants comptent sur une amélioration des bénéfices de 40 millions de dollars.1
Les innovations peuvent réellement générer des gains financiers importants. Cet argument est souvent mis en avant par les commerciaux des entreprises innovantes au moment de convaincre leurs clients.
Nous insistons auprès des startups que nous accompagnons pour qu’elles estiment le plus précisément possible, les gains procurés au client lorsqu’il achète leur innovation. Cette estimation peut être difficile tant elle peut dépendre des conditions particulières de chaque client.
Il faut aussi se méfier des gains théoriques : si une innovation fait gagner 5 minutes par jour aux 100 salariés de l’entreprise, la tentation du vendeur sera de dire que l’entreprise va gagner un équivalent temps plein. C’est le calcul fait par le chef d’entreprise mentionné au début de cette section. Bien que théoriquement vrai, cet argument ne fera peut-être pas mouche. En effet, comment chaque salarié utilisera-t-il ces 5 minutes gagnées ? Il n’est pas du tout évident qu’à la fin de l’année, l’entreprise récupère l’équivalent d’un employé supplémentaire. Par contre, elle aura bien payé le coût de l’innovation, et au final le gain promis se transformera en perte.
Cette situation explique bien souvent l’échec commercial d’une innovation. Certes elle couvre un besoin, mais le gain n’est pas clairement démontré, et le client fait vite son calcul. Il risque de perdre plutôt que de gagner. Pourquoi donc changer ?
Quid de la personnalité du prospect ?
Vendre n’est pas qu’une affaire d’avoir une solution pour répondre à un besoin.
C’est avant tout un rapport humain entre deux personnes.
En fin d’année dernière, ayant quelques besoins d’achat d’équipement, je prends RV avec le commercial d’un de nos fournisseurs habituels. Après avoir présenté mes besoins, je lui indique qu’il doit être réactif, car je dois passer commande avant Noël.
L’affaire ne s’est jamais conclue. Au delà de ne pas être suffisamment réactif, le commercial n’avait aucune réponse à mes questions pourtant simples sur ses produits.
Je lisais récemment un post Linkedin qui reflétait bien mon sentiment dans une concession automobile. Au lieu d’écouter le besoin du client, le commercial passionné d’automobile vante toutes les caractéristiques de son bolide préféré, en tentant d’activer le désir supposé de tout mâle devant un engin à quatre roues. Sauf qu’il oublie que tous les mâles ne sont pas également constitués !
Les écoles de commerce ont pourtant bien théorisé les différentes motivations d’achat.
Conscient de son besoin à satisfaire, le consommateur ne se dépouille pas pour autant de ses pulsions profondes qui vont déclencher l’acte d’achat.
La méthode SONCAS a fait ses preuves sur des générations de commerciaux. En classifiant les motivations d’achat en 6 catégories (Sécurité, Orgueil, Nouveauté, Confort, Argent et Sympathie), elle permet au commercial à l’écoute de son client, de découvrir quels sont ses “drivers” profonds qui le poussent à la décision d’achat.
La personnalité du client, ses pulsions conscientes ou inconscientes, son environnement, son humeur, sont des éléments tout aussi importants dans l’acte de vente que l’adéquation du produit au besoin.
C’est bien pour cela que les bons vendeurs arrivent à vendre aux gens des choses dont ils n’ont pas besoin, alors que les mauvais rentrent chez eux bredouilles bien qu’ils aient un produit génial.
Satisfaire le client
Identifier un problème et trouver une solution est une tâche d’ingénieur.
Identifier une insatisfaction chez le prospect, lui révéler son besoin et le satisfaire en y apportant une solution est le rôle du commercial.
Ces deux formulations semblent proches, mais pourtant elles expliquent toute la différence entre une solution qui se vend et une autre qui ne se vend pas.
Christophe Praud, ancien président du CJD, expert en vente, l’exprime bien : “J'accompagne des entreprises qui ont identifié des vrais besoins à satisfaire et qui y répondent en proposant des produits ou services innovants, mais qui ne se vendent pas. Pourquoi ? Parce qu'avoir la conviction réelle que notre produit ou service comble un manque incontestable ne suffit pas à le vendre. Il ne se vendra que lorsque le client aura décidé que sa situation actuelle l'insatisfait suffisamment pour enclencher un désir de changement. Et ce n'est malheureusement pas tous les jours.”2
A bon entendeur salut !
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Une soirée exceptionnelle à l’Espace Mayenne de Laval
conférence-débat dans le cadre du West Data Festival, avec la participation de :
Nathalie Dupuy, autrice du premier magazine entièrement créée par une IA
Florence Réal Rougier, directrice de recrutement chez Talan
Doreid Ammar, professeur à aivancity
animé par Tawhid Chtioui, président-fondateur aivancity
Qui est Klarna, la pépite suédoise qui fait plonger Teleperformance en bourse ?, Boursier.com, 28/02/2024
Le besoin du client naît toujours d'une insatisfaction !, Christophe Praud, Actioco.fr, 29/10/2014