#132 La singularité, facteur de réussite
Enseignements tirés de la vie d'Alain Robert, le "Spiderman français".
Il y a fort à parier que dans les années qui viennent vous allez entendre de plus en plus parler de singularité.
La “singularité technologique” souvent abrégée en “singularité” est le moment de l’histoire où l’intelligence des machines dépassera l’intelligence humaine. Les machines seront alors capables de s’améliorer elles-mêmes et dépasseront rapidement les capacités humaines. Il en résultera une nouvelle ère pour l’humanité.
Les experts ne sont pas tous d’accord, mais certains prédisent l’avènement de cette singularité d’ici à 2040 !
Il serait intéressant d’essayer d’imaginer ce qui va se passer, mais je ne suis pas auteur de science-fiction et je m’en sens donc bien incapable.
En réalité, je voulais vous entretenir tout simplement de l’importance de la singularité ordinaire dans la vie de chacun et de l’entrepreneur en particulier.
Qu’est-ce que la singularité ? D’où vient-elle ? Comment se construit-elle ? Pourquoi est-elle si importante ?
Le sportif français le plus sous-côté est sans aucun doute Alain Robert.
Avec sa dégaine de papy soixante-huitard, et son parler simple, il n’a rien d’un sportif exceptionnel.
Il est pourtant l’un des plus grands grimpeurs, si ce n’est le plus grand, que le monde ait connu.
D’abord spécialiste du “free solo” (escalade sans corde) sur falaise, il évolue passé la trentaine, pour se consacrer à l’escalade des buildings.
A 61 ans, il poursuit sa carrière et a désormais gravi plus de 200 immeubles.
Il y a quelques jours, j’ai passé un peu de temps à visionner certaines de ses vidéos et à écouter un podcast dans lequel il intervient1. Cela m’a convaincu de vous parler de singularité tant Alain Robert est un archétype de la singularité entrepreneuriale au sens large.
La singularité se bâtit sur la conscience de la fragilité
Alain Robert est un enfant timide, chétif, peureux, introverti et démuni de confiance en lui. Le portrait craché de l’anti-héros.
Il aurait pu vivre avec, en souffrir en silence et je ne serai pas en train de vous en parler.
Mais Alain est conscient de sa fragilité et désireux de la dominer, car il perçoit bien que ce caractère ne lui promet pas une vie de plénitude.
Admiratif de Zorro, Robin des Bois ou D’Artagnan, Alain formalise très tôt le désir intense de devenir courageux.
Donner une chance à la singularité de se développer, c’est tout d’abord avoir une conscience aigüe de sa fragilité.
La singularité est nourrie par le rêve
Alain veut devenir courageux. Bien, mais comment faire ?
Encore enfant, il visionne le film “La neige en deuil” adapté d’un roman d’Henri Troyat lui-même inspiré d’un fait divers, le crash d’un avion dans le massif du Mont-Blanc. Le film raconte l’histoire de deux frères qui grimpent jusqu’à l’avion pour piller les morts. Ce qui fascine le jeune Alain, ce sont les nombreuses scènes d’alpinisme qui constituent la majeure partie du film.
Suite à ce visionnage, il comprend que l’escalade est sa voie. Quelques temps après lors d’un voyage pour les vacances, son père décide d’emprunter une route escarpée des gorges du Tarn. Fidèle à son caractère, le jeune Alain est terrorisé par la vue des précipices. Le passage à la pratique assidue de l’escalade attendra un peu.
Alain n’abandonne pas pour autant l’idée de grimper, tant le film a nourri son imaginaire et rencontré son rêve de devenir courageux.
Devenir singulier passe par le rêve qui permet d’avancer dans la construction d’une passion. C’est ce rêve allumé par un livre, une histoire, une rencontre qui donne l’énergie d’avancer malgré les difficultés et les obstacles qui ne manquent pas rapidement d’apparaître.
Quand la circonstance allume la flamme
Un jour deux professeurs du lycée sont absents. Alain finit donc sa journée scolaire beaucoup plus tôt que prévu. Arrivé chez lui, il découvre qu’il n’a pas ses clés. Il doit pourtant absolument aller dans sa chambre. Il décide alors de grimper les 7 étages en passant d’un balcon à l’autre afin de rentrer par la fenêtre entrouverte.
Bien sûr, depuis des années, Alain avait souvent regardé cette enfilade de balcons qui offrait un formidable terrain de jeu pour l’escaladeur qui dormait en lui.
Il aura fallu cette circonstance banale pour qu’Alain saute le pas et ose enfin se lancer et vaincre sa peur du vide. Alain se lance avec un ami, achète un livre et apprend les rudiments de l’escalade classique puis très vite de l’escalade sans corde.
Le monde se distingue entre ceux qui savent saisir une circonstance pour enfourcher leur rêves et ceux qui sont insensibles à ces appels du destin.
Devenir singulier passe évidemment par la nécessité d’avoir saisi la bonne occasion.
Le drame, pierre angulaire de la singularité
A 20 ans, Alain Robert est victime d’un très grave accident. Alors qu’il équipe une voie pour des jeunes, un nœud mal fait lâche et il fait une chute de 20 m sur une dalle calcaire. Les poignets sont broyés, le crâne est fracturé (6 jours de comas) et il perd la moitié de son sang.
Les médecins le considèrent comme un miraculé. Les séquelles à vie sont nombreuses : vertige, poignets rigidifiés, plusieurs doigts insensibles, qui font de lui un handicapé à 66%.
Neuf ans plus tard, il escalade pourtant la “Nuit des Lézards”, une des 2 ou 3 voies les plus difficiles au monde.
Le drame absolu qui aurait dû briser net sa carrière et ramener Alain à son état d’homme fragile, est pourtant ce qui fait de lui un être si singulier et tellement hors normes. Alors qu’il est physiquement diminué, il réussit ce que personne d’autres au monde arrive à faire.
L’histoire des gens célèbres pour ce qu’ils ont accompli est remplie de drames qui ont forgé leur destin. Philippe Croizon est le parfait exemple où le drame change le destin d’un homme ordinaire en homme si singulier.
Surmonter le drame est très souvent un facteur accélérateur de la singularité.
Il n’y a pas de singularité sans travail
Avant de devenir célèbre, avant d’en vivre financièrement, Alain Robert grimpe, grimpe et grimpe encore.
Pendant 10 ans, sa seule obsession chaque matin est de grimper.
La répétition acharnée des efforts et la volonté indestructible de réussir caractérisent ceux qui réussissent et deviennent singuliers dans leur domaine.
Il y a une infime minorité de surdoués pour qui tout semble facile. Mais la plupart de ceux qui réussissent témoignent de leur infatigable volonté à répéter encore et encore leurs gammes.
La singularité est une rébellion
Alain Robert est un rebelle tranquille.
Son look tout droit issu de l’influence hippie et du rock’n roll affiche la couleur.
Ses positions solidement ancrées dès son plus jeune âge de rejet de la société de consommation et du capitalisme se poursuivent aujourd’hui pour son goût prononcé pour les médias alternatifs.
Lors de ses premières escalades de buildings sans autorisation, il découvre la garde à vue et trouve cela fantastique, digne du Robin des Bois son héros d’enfance.
Sa philosophie rebelle est résumée dans cette phrase : “Je n’aime pas le sport, j’aime quelque chose qui est dangereux où il faut vraiment s’investir, c’est un mode de vie, une philosophie de la vie, je suis dans le jeu entre la vie et mort”.
Se lever le matin sans savoir si on sera encore en vie demain et vivre pleinement l’instant présent est une rébellion contre le refus du risque de la société actuelle.
Être rebelle, c’est rejeter le conformisme, le confort du mimétisme et exister pour soi-même en kiffant ce que l’on fait. C’est la réalité de tous les grands artistes, les grands sportifs, les grands aventuriers, les grands savants, les grands entrepreneurs.
La singularité est sublimée par un don
Jusqu’ici il n’a pas été question de talents bien que nous parlions de quelqu’un réellement hors normes.
La singularité est pourtant souvent cristallisée sur un talent particulier qui synthétise l’essence de son être.
Même si elle est essentielle, la singularité ne peut se résumer au seul talent. Les paragraphes précédents ont montré quelques-unes des nombreuses facettes de la singularité et de la façon dont elle apparaît.
Le talent d’Alain Robert est assurément son mental à toute épreuve.
A chaque ascension, Alain est livré à lui-même. Une fois les premiers mètres franchis, il ne peut compter que sur lui-même dans sa lutte contre la mort.
Alain raconte comment un strap qui se décolle sur son doigt comme dans sa dernière ascension de la tour Total représente un danger incroyable et crée un stress inouï. N’ayant d’autres choix que de continuer, le mental est déterminant pour arriver au bout. “Je me bats jusqu’à la mort”. Pour Alain, cette phrase est au premier degré. “Si tu tombes, c’est la chute, si tu chutes c’est la tombe.”, comme il aime le dire avec son sens des punchlines.
Le talent particulier souvent appelé don est un peu la cerise sur le gâteau de la singularité. Seul, il ne suffit pas car il se gâche facilement par manque de travail ou d’épreuves qui le bonifient.
Au lieu de rêver sa vie, il vaut mieux vivre ses rêves
Après avoir passé sa vie à chercher à devenir courageux en grimpant, Alain Robert nous partage une extraordinaire leçon, en admettant qu’il a compris sur le tard “que le vrai courage, c’est pas tant de se mettre au taquet et de mourir, être courageux c’est plus des personnes comme l’abbé Pierre, Sœur Emmanuelle, Mère Théresa, c’est çà le courage ultime, c’est pas de faire le con en solo sur des rochers, c’est d’aimer les gens, d’aimer l’être humain.”
Il est certain que ces personnes sont des modèles de singularité extraordinaires très inspirants.
La singularité vécue comme une façon de transcender sa vie pour mieux la vivre pleinement est sans aucun doute un moyen d’accomplir de grandes choses quelque soit le domaine pour lequel on se passionne, et de vivre heureux.
Alain Robert résume cela en une phrase choc à méditer :
“Au lieu de rêver sa vie, il vaut mieux vivre ses rêves.”