Il y a deux semaines, j’ai pu participer à Nantes au congrès européen des incubateurs. La table ronde la plus intéressante réunissait trois entrepreneurs au parcours incroyable et au message très inspirant.
Cédric François, le moins connu des trois est le fondateur d’une startup nantaise porteuse d’une innovation révolutionnaire. Equium propose un nouveau type de pompe à chaleur qui fonctionne en utilisant l’énergie du son.
Inspiré par la physique de son appareil, Cédric François nous a partagé avec enthousiasme et conviction l’importance de créer les conditions de la résonance pour réussir dans l’entrepreneuriat et le management au service de l’industrie durable.
En tant que physicien, cette image m’a parlé et et j’ai tout de suite vu tout le développement que je pouvais faire autour de ce sujet.
Je vous le livre aujourd’hui, en espérant qu’il vous fera vibrer !
Mais qu’est-ce qu’une résonance ?
Désolé pour celles et ceux que cela peut rebuter, mais je ne peux traiter efficacement l’allégorie de la résonance, sans expliquer ce qu’est une résonance au sens de la physique.
Faire écrouler un pont en marchant au pas, casser un verre en chantant à côté sont deux manifestations du phénomène physique de résonance.
Tout objet mécanique possède des fréquences propres de résonance, c’est à dire qu’il va osciller préférentiellement à certaines fréquences. En excitant l’objet à l’une de ses fréquences de résonance, on lui transfère de l’énergie de façon optimum. L’énergie transférée s’accumule et les amplitudes d’oscillation augmentent. C’est exactement ce qui se passe, lorsqu’on pousse quelqu’un sur une balançoire au bon moment. La petite énergie transférée au bon moment amplifie la course jusqu’à possiblement permettre un tour complet.
L’énergie accumulée à cette fréquence de résonance est telle que l’objet s’il est mal dimensionné peut se briser.
Ce phénomène de résonance se retrouve aussi en électricité.
L’air est rempli de tout un tas de signaux électriques provenant entre autres des antennes de radio, de télévision, du wifi, ou des satellites (GPS par exemple). Comment donc les appareils électroniques s’y prennent-ils pour ne reconnaître que le type de signal qui les concernent ? Pourquoi entendons-nous bien la voix de celui qui nous appellent sur notre téléphone et non l’émission de TV qui se déroule au même moment ?
Le tri entre ces milliards de signaux qui se baladent librement dans l’atmosphère se fait grâce à un phénomène de résonance. Tous les signaux émis sont des signaux alternatifs dont l’amplitude oscille à une certaine fréquence. En tournant la mollette de votre récepteur radio pour changer de station (oui, je sais, aujourd’hui on déplace un curseur mais cela revient au même !), vous agissez sur une résistance qui modifie la fréquence de résonance du circuit électronique (on appelle cela un filtre) et permet de la caler sur la fréquence de l’émetteur de votre émission favorite. L’énergie portée par l’onde émettrice est ainsi transmise au récepteur de façon optimale à l’inverse de toutes les autres énergies portées par les ondes d’autres fréquences qui sont atténuées et deviennent donc inaudibles. Dans le cas d’appareils de mauvaise qualité, il est possible d’entendre sur un canal donné l’émission d’une autre station en particulier si celle-ci diffuse avec une plus forte puissance. Ceci s’explique en terme physique, par le fait que la résonance présente une certaine largeur et que des fréquences proches de la fréquence de résonance sont peu atténuées.
La résonance à très petite échelle fonctionne aussi : l’excitation des atomes à une certaine fréquence modifie leur comportement et permet ainsi de les reconnaître (spectroscopie RMN), mais aussi d’obtenir des images comme dans les IRM.
La résonance est un phénomène physique omniprésent dans tous les domaines techniques qui s’il est bien maîtrisé permet de produire utilement des effets (exemple de la transmission des ondes développé plus haut) et s’il est mal maîtrisé peut entraîner des conséquences graves comme la destruction d’objets entrés en résonance.
En résumé, la résonance permet de transmettre de façon optimale une énergie ou un signal à un objet en l’excitant suivant des caractéristiques qui lui sont propres et permettent donc de le distinguer d’autres objets.
En quoi cette analogie nous aide-t-elle dans le domaine de l’entrepreneuriat, de l’innovation et du management ?
Le “product-market fit”, graal des entrepreneurs
L’obsession de l’entrepreneur ambitieux est de trouver le plus vite possible le “product-market fit”.
Lorsqu’il se lance avec une idée précise de l’innovation qu’il veut proposer au marché, l’entrepreneur a une intuition que son idée peut combler un besoin. Que cette intuition soit issue d’une longue expérience dans le domaine ou d’un coup de génie créatif, il n’est cependant sûr de rien. Les études de marché donnent des tendances mais seule la mise en vente du produit valide ou non les hypothèses.
Au vu des premiers retours, il est courant de réorienter l’offre en la simplifiant ou au contraire en rajoutant des fonctionnalités oubliées, de changer de cible, de changer son modèle économique pour trouver un nouveau positionnement.
Cette phase d’adaptation au marché, parfois appelée pivot lorsque les changements sont assez radicaux, est un passage obligé vers la réussite. Lorsque les ventes décollent et se confirment de mois en mois, on parle de “product-market fit” (PMF) pour signifier que la rencontre avec le marché s’est faite : le produit correspond aux attentes de la cible qui a finalement été bien identifiée.
Certains entrepreneurs se posent parfois la question de savoir s’ils ont trouvé le PMF. Se poser la question, c’est y répondre, c’est non. Comme dit Oussama Ammar, “Success is obvious”. Le PFM, c’est comme le coup de foudre. Quand il est là, on ne peut en douter. Les commandes affluent, l’équipe est débordée, la production a du mal à suivre, la trésorerie est très tendue à cause du besoin en fonds de roulement insuffisamment couvert, bref, on a des problèmes de riches !
Le “product-market fit” est clairement une résonance. Il y a adéquation parfaite entre l’offre, la cible et son attente. Un effort commercial minimal produit des résultats. Plus l’entreprise vend, plus le produit s’impose comme un leader du marché et plus les prospects prennent confiance dans sa pertinence. Cette boucle positive est une caractéristique de la résonance.
A contrario, s’acharner encore et encore avec un mauvais produit, ou en adressant une mauvaise cible consomme une énergie dingue, et ne produit aucun résultat. J’ai tellement vu d’entrepreneur s’entêter dans cette démarche pour finir par s’épuiser et se décourager. La persévérance est souvent louée comme une qualité de l’entrepreneur. Elle ne signifie pas continuer jusqu’à l’épuisement sans rien changer. Elle signifie pivoter autant de fois qu’il faut pour trouver le “product-market fit”.
Le fameux “time-to-market”
Une autre préoccupation importante des entrepreneurs est d’être dans le bon tempo.
C’est bien connu, avoir raison trop tôt, c’est d’abord avoir tort. La meilleure idée du monde ne rencontrera pas son marché si elle arrive trop tôt. Les innovateurs visionnaires trop précoces alimentent en permanence le registre des faillites d’entreprises.
Quand vient enfin le bon timing, ils n’ont plus les moyens d’agir et disparaissent alors pour laisser la place à d’autres qui vont remporter la mise, frustrant à jamais les pionniers qui pestent contre l’injustice du fait qu’avoir évangéliser le marché permet aux autres de réussir.
Il y a de nombreuses raisons de ne pas être dans le bon “time-to-market”. Les principales sont sans doute, une vision trop puissante et beaucoup trop en avance sur son temps (le syndrome de l’inventeur incompris), une indisponibilité des technologies pour atteindre les performances du produit imaginé, une impréparation de la cible à accepter les changements importants qu’impliquent l’usage de l’innovation, l’inexistence d’un cadre légal d’opération de l’innovation, la force et le lobby des solutions en place dont les usines ne sont pas encore amorties et qu’il faut d’abord rentabiliser.
A un moment, la situation se retourne et évolue alors rapidement. Je pense à toutes les sociétés qui essayaient parfois depuis très longtemps de vendre de l’intelligence artificielle et qui se heurtaient à la non conviction des clients potentiels. L’avènement de ChatGPT a provoqué un reset complet de cette industrie un peu confidentielle jusqu’alors. D’un coup les potentiels sont devenus immenses et le sujet à la mode.
Cette période de résonance que nous vivons est incroyable. Tout semble possible, les solutions sur étagère se multiplient, les exemples d’usages variés apparaissent. tout est disponible facilement, les opportunités se multiplient, tout va très vite. Les conditions de la résonance sont bien réelles.
A l’inverse, se lancer trop tard est rarement producteur de valeur, car les jeux sont déjà faits. Les concurrents sont installés, le marché est acquis. Il ne reste qu’à convaincre les clients réfractaires à l’innovation et ceux là sont clairement hors résonance.
Le “time-to-market” obéit clairement à une loi de résonance. Les effets de mode et les bulles spéculatives sont évidemment une manifestation des effets pervers d’une résonance qui peut détruire l’objet qu’elle a étreint.
Trouver le bon client
Même une fois le “product-market fit” trouvé, cela ne signifie pas que tous les clients sont intéressants.
Un entrepreneur expliquait dans une courte vidéo récemment vue sur Instagram, qu’il ne prenait pas de client avec qui il n’aimerait pas partager un repas. Cette affirmation, certes radicale, a l’avantage de mettre en avant l’importance de la relation de qualité avec un client.
J’avais ce jour un appel d’un entrepreneur qui m’expliquait ses difficultés de trésorerie, liées en partie à des clients qui mettent la pression pour être servis rapidement, puis finalement ne donnent pas suite, d’autres qui ne cessent de repousser leur décision et d’autres enfin qui refusent de payer des acomptes.
Et que dire des clients qui changent toujours d’avis, des clients hyper exigeants au point d’être insupportables ou des mauvais payeurs.
Trouver le client qui correspond aux valeurs de l’entreprise, avec qui on va pouvoir nouer une relation de confiance dans la durée, et avec qui on va construire une relation gagnant-gagnant doit être l’objectif de toute entreprise. Lorsque c’est majoritairement le cas, on peut parler de résonance, car une fois encore, l’effort à déployer pour satisfaire le client n’est pas pollué par des irritants et la relation est donc fluide. La fidélité de ces bons clients (UPI#129) est un facteur de pérennité de l’entreprise. Ils sont généralement à l’origine d’un bouche à oreille positif qui permet à l’entreprise d’élargir son porte-feuille client à moindre frais.
Sélectionner ses clients peut paraître comme un renoncement à du chiffre affaires à court terme, mais constitue une vraie ressource à long terme. Ce sont bien des caractéristiques de la résonance.
Être sur la même longueur d’onde
Les expressions proposées par la langue française ont pour elles la force d’avoir mis des mots justes sur des situations observées depuis très longtemps. Elles véhiculent ainsi une forme de sagesse populaire.
L’expression “être sur la même longueur d’onde que quelqu’un” est une expression très explicite sur la notion de résonance puisqu’elle en reprend le vocabulaire.
Nous faisons tous régulièrement l’expérience d’une rencontre avec une personne que nous ne connaissions pas et de qui nous nous sentons proches après une simple discussion.
Cette alchimie de la rencontre met en jeu les sens et les idées. L’alignement des idées et des valeurs, la connivence gestuelle des expressions, le partage de passions ou d’arrière-plans culturels importants provoquent une situation de résonance où tout semble facile.
Que ce soit avec un potentiel partenaire, avec un futur employé, avec un prospect ou un fournisseur, une rencontre résonante ouvre des perspectives incroyables. Elle accélère le temps, démultiplie les potentiels, renforce le sentiment de puissance, booste la force créative.
Comme dans le cas d’une résonance physique, la rencontre résonante comporte des dangers. L’énergie, l’enthousiasme, les émotions, la connivence intellectuelle sont tels que l’effervescence peut facilement apparaître et l’emballement prendre le dessus. Même si tout se passe aussi bien à la première rencontre, il est difficile de bien connaître quelqu’un aussi rapidement et on peut se tromper facilement. Engager l’avenir aussi rapidement peut donc casser quelque chose pour l’avenir. Toutes celles et ceux qui ont eu un coup de foudre qui s’est terminé avec pertes et fracas voient sans doute de quoi je parle.
Le danger à plus long terme de ne s’entourer que de gens avec qui on est sur la même longueur d’onde est de s’enfermer dans l’étroitesse de la résonance et d’être ainsi insensible à tout autre opinion ou point de vue. C’est le danger qui guette nombre de dirigeants enfermés dans leur tour d’ivoire relationnelle et qui se retrouvent ainsi handicapés par manque de confrontation avec des opinions plus diverses.
L’excitation créative
Il m’arrive de temps en temps de vivre des moments de créativité collective qui semblent comme suspendus dans le temps.
Les idées fusent, les propositions rebondissent les unes sur les autres en agrégeant de la valeur. Tout semble fluide, les idées s’enchainent pour construire une innovation solide.
A l’inverse, nous connaissons souvent ces réunions lourdes au cour desquelles rien ne sort, où la moindre idée tombe à plat si elle n’est pas au pire démolie par quelqu’un d’autre. On comprend très vite qu’on arrivera nulle part, mais dans notre mauvais réflexe de gestion du temps en bloc, la réunion se poursuit malgré tout jusqu’à l’heure prévue, alors que tout le monde sait depuis la dixième minute qu’il n’en sortira rien, car les conditions de la résonance ne sont pas réunies.
Ces conditions de la résonance créative ne sont pas faciles à réunir à la demande. Elles sont en partie aléatoires, même si bien sûr les facteurs tels que les personnes au tour de la table, la qualité de l’environnement visuel et sonore, l’état de fraîcheur des participants et leur accointance avec le sujet traité, le plaisir d’être ensemble et la volonté de co-construire, la qualité de l’animation, la pertinence de la question posée et l’enjeu qu’elle représente sont certains des paramètres clés à prendre en compte pour résoudre l’équation de la bonne résonance.
Lorsque les conditions sont réunies, le moment est euphorique et extrêmement productif et plaisant. Cet état se retrouve dans d’autres situations et est parfaitement décrit par la notion de “flow” qui a été développée longuement dans UPI#107.
Good vibes
Pour terminer sur une note légère, et montrer qu’au fond la résonance est partout, qu’elle est source de plaisir, je constate que les anglais décrivent une ambiance positive propice aux échanges et à la bonne humeur, par le terme de “good vibes”, qui n’est au fond qu’une expression quasi littérale des conditions de la résonance.
Sachez repérer et susciter les “good vibes” dans votre entreprise !
Super article !