#19 La Fontaine avait compris
les qualités qu'il faut avoir pour affronter la crise
Nicolas Bouzou écrit dans l’Express “Les experts sans imagination peuvent adresser un grand "merci" au coronavirus. Le Covid 19 leur permet à peu de frais de ressortir leurs vieux fonds de tiroir, en accompagnant le geste d'un immanquable "La crise est bien la preuve que...". Le champ économique et social est un terrain de jeu parfait pour les rentiers de l'idée fixe.”
La lecture du futur à l’aune du passé, l’incapacité à comprendre les disruptions, la croyance en la linéarité de l’histoire, la foi aveugle en des idéologies surannées, voilà quelques travers permanents dont l’incohérence apparait plus évidente en temps de crise.
Au risque de vous décevoir, je ne suis pas en mesure de prédire ce qui va se passer, et donc pas capable de vous dire ce qu’il faut faire. Devant une situation aussi inédite et d’une telle ampleur, il est essentiel de faire preuve de modestie.
Le champ des attitudes à adopter et des qualités nécessaires offre cependant quelques certitudes qu’il est bon de considérer. En voici quelques-unes mises en avant par La Fontaine.
“Quand le mal est certain, la plainte ni la peur ne changent le destin”
Un des mots les plus entendus depuis 2 mois que nous sommes entrés dans la pandémie, est la peur, et ses variantes l’angoisse, l’inquiétude, l’anxiété. Il n’est pas une interview qui parle plus des maux futurs supposés que de la situation actuelle. Et si ce n’est pas le cas, le journaliste s’empresse de faire préciser: “n’avez-vous pas peur que…?”
Certes la peur est une émotion normale et souvent salutaire. En réaction à une situation soudaine, elle permet de mobiliser son énergie pour faire face au danger. Mais lorsque la situation s’installe, la peur perd de son utilité pour finir par devenir néfaste et paralysante.
Il en est de même pour la plainte. Quand le mal est là, se plaindre en permanence ne fait que renforcer la présence du mal et polluer son cerveau et ceux de son entourage, comme le Cochon vis-à-vis de la Chèvre et du Mouton dans la fable.
Passée la première réaction de sidération et de paralysie, la peur et la plainte ne sont plus d’aucune utilité. Seuls ceux et celles qui les laisseront de côté seront capables d’imaginer les solutions et de se retrousser les manches.
“L'Arbre tient bon, le Roseau plie”
Dans la fable “Le Chêne et le Roseau”, La Fontaine illustre magnifiquement une qualité essentielle de ceux qui résistent aux turbulences. La souplesse, qui peut être perçue comme une faiblesse quand tout va bien, est une formidable qualité pour traverser la tempête sans être détruit.
De par notre éducation, nous sommes plus ou moins accrochés aux principes, aux règles, et façons habituelles de faire. S’en référer aux cadres pré-établis, inscrire son action dans un environnement codifié, dans un processus bien défini, représente des garde-fous sécurisants.
Lorsque la route est claire, l’horizon dégagé et qu’il faut exploiter au mieux une situation stable, cette capacité à définir et suivre des règles, des principes et des processus est très productive, là où la créativité pourrait apparaître comme une distraction déstabilisante.
Quand l'avenir est incertain, quand chaque jour peut amener son lot de surprise et de changement, la souplesse, l’adaptation immédiate, la capacité à avancer sans cadre, la créativité, l’imagination, l’aisance dans la liberté sont autant de forces qui permettent de passer au travers des difficultés, de plier sans rompre.
“On a souvent besoin d'un plus petit que soi”
Le Rat vient au secours du Lion pris dans les mailles d’un filet. Le propre des crises est de créer des conditions nouvelles de nature à déstabiliser l’environnement habituel des entreprises.
Qui eut imaginé que les “makers” dans leurs chambres pourraient contribuer utilement à produire en masse des visières pour les personnels soignants ? Des conditions nouvelles créent des solutions nouvelles qui ne sont pas forcément dans les compétences initiales de l’entreprise.
Au-delà même de l’appel à un plus petit, c’est la coopération des talents divers qui produit la solution. Le Rat encore lui, la Tortue et le Corbeau aux talents et aux faiblesses si improbablement divers, coopèrent pour finalement parvenir à délivrer la Gazelle des mailles du filet du chasseur.
Avoir l’humilité de reconnaître qu’on ne détient pas seul la solution, qu’elle se trouve peut-être chez ceux qu’on ne regardait pas, et qu’elle résultera de la coopération des imperfections, est une qualité dont on peut éventuellement se passer quand on maîtrise la situation, mais certainement pas quand personne ne sait d’où viendra le salut.
"Il vaut mieux avoir tort en 48h que raison en 2 semaines"
Cette morale aurait pu être celle d’une Fable. Elle est l’œuvre d’un homme dont le sens de la formule s’inscrit dans la veine de La Fontaine. Oussama Ammar s’exprimait ainsi dans une interview récente, pour insister sur l’impérieuse nécessité de décider très vite en temps de crise.
Quand la situation change d’un jour à l’autre, quand personne ne peut prévoir ce que sera l’avenir, il n’est plus l’heure de faire des plans, et encore moins des business-plans. Décider vite, agir immédiatement, sont des postures de vainqueur. Tergiverser est toujours une option perdante.
En situation stable, décider est déjà difficile, mais il existe des processus qui permettent de parvenir à une décision.
Lorsqu’il n’y a plus de certitudes, décider nécessite d’autres qualités: l’intuition remplace la réflexion, la synthèse remplace l’analyse, l’audace remplace la logique, la singularité remplace le conformisme, le leadership remplace le consensus, l’expérience remplace le savoir, la sensibilité remplace la froideur.
“Est-il besoin d’exécuter, l’on ne rencontre plus personne”
La capacité à exécuter, c’est-à-dire faire efficacement, et non seulement réfléchir et chercher la bonne stratégie, est une des qualités recherchées par les investisseurs. Et si cette qualité est si utile en temps normal, elle devient prépondérante en temps de crise. Les réunions où rien ne se décide, à l’image du Conseil des Rats sont à bannir.
Lorsque la crise raccourcit le temps, l’action efficace et rapide s’impose. Trouver des solutions astucieuses pour mettre en œuvre rapidement une nouvelle offre, ajuster son modèle économique, mettre en place un nouveau partenariat, est une nécessité vitale.
En temps de crise, un business-plan, une réflexion stratégique approfondie ne servent à rien et sont même des activités létales, car elles font perdre du temps. Expérimenter rapidement et obtenir une validation du terrain peut permettre de trouver la bouée de sauvetage avant de mourir. Dans ma lettre #17, j’avais donné un exemple d’une telle réactivité.
La capacité à exécuter nécessite du courage car il faut se lancer sans être certain, de l’agilité pour trouver rapidement les bonnes solutions, et du pragmatisme pour faire simple. Ces qualités peuvent sauver votre entreprise. Les salariés qui en sont dotés seront clés.
“Il ne faut point agir chacun de même sorte”
Au moment de traverser la rivière (la crise), l’âne chargé de sel s’enfonce dans l’eau, le sel fond et il trouve aisément refuge sur l’autre rive. L’âne chargé d’éponge, voyant là une solution inespérée, lui emboite le pas et périt en quelques secondes.
Dans la grande crise de la bulle internet des années 2000, la plupart des investisseurs qui ont perdu des millions voire des milliards, ont agi par mimétisme. Mal leur en a pris.
La crise révèle les personnalités. Les suiveurs, les copieurs, les prédateurs de l’idée d’autrui, ne remarqueront pas que leur situation est particulière. En voulant faire comme les autres, soit ils s’enferreront dans le tsunami commun, soit ils ne comprendront pas la sauce secrète qui fait la réussite de l’autre et sombreront pitoyablement.
Considérer son environnement, évaluer ses ressources, ses forces et ses faiblesses, imaginer à partir de là des solutions adaptées, faire preuve de créativité, d’innovation, d’originalité sont autant d’actions propices à ouvrir des perspectives attrayantes pour le client, et créer ainsi une accroche supplémentaire quand celui-ci va chercher avant tout à réduire ses coûts.
“A l'œuvre on connaît l'artisan”
Tel un révélateur photographique, la crise a le pouvoir de révéler ceux qui sauront réinventer leur métier, mettre à l’œuvre les qualités ici présentées comme autant d’outils bien aiguisés, pour accomplir leur mission au milieu de la tempête.
Surmonter la peur, bannir la crainte, agir en souplesse, écouter humblement, décider sans attendre, exécuter hardiment, assumer sa différence seront à n’en point douter les qualités de ceux qui réussiront à traverser la crise.
A l’heure de faire “Un (énorme) pas dans l’inconnu”, nul besoin de lire l’avenir dans une boule de cristal, mieux vaut relire les classiques qui révèlent les valeurs intemporelles, seules certitudes sur lesquelles il est bon de s’appuyer.
Bon déconfinement.
Pour aller plus loin
L’entreprise à l’heure du reset: un article du Harvard Business Review
Tout déchirer en période de crise: Interview de Oussama Ammar par David Laroche
J’ai besoin de votre aide
J’ai lancé “Un pas dans l’inconnu” sur Product Hunt. Merci d’aller faire un tour et de voter. Si vous ne connaissez pas Product Hunt, c’est l’occasion de découvrir ce site qui met en avant les nouveaux produits et services. Très utile pour découvrir des innovations.
La minute d’informations
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