#27 Atteindre le client
7 leçons pour réussir la pénétration d'une innovation sur son marché
La semaine dernière, j’ai partagé avec vous 7 leçons sur l’innovation apprises lors de mes 15 premières années de carrière en tant qu’ingénieur de recherche dans deux grands organismes français. Comme promis, je vais poursuivre sur ce thème et partager 7 nouvelles leçons apprises au cours des 15 années suivantes, que j’ai passées dans un contexte complètement différent.
En 2001, après 15 ans de recherche, je décide de faire un pas dans l’inconnu et de changer de métier du jour au lendemain. Je quitte mon laboratoire pour me retrouver à la délégation régionale de l’ANVAR (qui est ensuite devenue Oseo, puis bpifrance) en Pays de la Loire, avec une double mission: instruire des demandes de financement de PME pour leurs projets innovants, et valoriser les résultats des recherches des laboratoires du CEA auprès des PME ligériennes.
Cette position idéale pour observer et comprendre le tissu industriel régional m’a permis de détecter une opportunité stratégique pour la région de se positionner sur la filière hydrogène. C’était en 2004. Avec 3 autres compères, nous avons créé la Mission Hydrogène des Pays de la Loire.
Peu après mon arrivée à Laval Mayenne Technopole en 2005, 1200 salariés de Laval se retrouvent sans emploi suite à plusieurs plans sociaux concomitants. Cette situation hors normes conduit les autorités locales et l’État à proposer un plan de restructuration. Dans ce contexte, je propose Idenergie, un programme d’accompagnement de porteurs de projets innovants qui se révèlera plus tard, le premier accélérateur de startups français.
En 2013, dans le cadre d’un projet européen, nous lançons une initiative surprenante et audacieuse. Neoshop a pour ambition de donner aux startups qui créent des produits innovants une occasion de les tester directement auprès des consommateurs, au travers d’un réseau de boutiques et d’un site marchand.
De ces initiatives très diverses, j’ai tiré 7 autres leçons sur la dynamique d’innovation.
#1 Le temps est long et le timing est clé
En 1839, Christian Friedrich Schönbein découvre le principe de la pile à combustible. En 1874, Jules Verne dans l’Ile Mystérieuse prédit qu’un jour l’hydrogène sera utilisée comme source d’énergie.
En 2004, il est encore peu question d’énergie hydrogène dans les médias, et pratiquement aucune activité n’existe en Pays de la Loire sur ce sujet. Suite à un évènement organisé le 6 mai 2004, pour présenter les technologies du CEA aux industriels des filières nautiques et navales, il est apparu opportun de tenter de développer la filière hydrogène en Pays de la Loire, et spécialement ses applications navales et nautiques. S’en suivra la création de la Mission Hydrogène des Pays de la Loire, première initiative de ce type à l’échelle d’une région française.
En 2016, les Pays de la Loire sont labellisés Territoire Hydrogène et en 2019, la première navette fluviale à hydrogène de France est mise en service sur l’Erdre à Nantes. Depuis 2004, de nombreuses initiatives se sont développées en région, dont la dernière en date concernant la production d’hydrogène verte en Vendée. L’hydrogène est aujourd’hui partie intégrante de la stratégie énergie de la Région des Pays de la Loire.
En matière d’innovation radicale, le temps est long. Même les technologies qui semblent apparaitre du jour au lendemain, ont mis des dizaines d’années à émerger. Internet qui s’est massivement déployé à partir du milieu des années 90, voit ses prémices remonter à la fin des années 60 avec le réseau ARPANET.
Pourquoi est-ce si long? Tout d’abord, les idées et les concepts sont toujours en avance sur les réelles capacités techniques. Ensuite, les idées nouvelles mettent du temps à pénétrer les esprits et convaincre les décideurs. Les mêmes arguments que je prêchais dans le désert en 2004 en faveur de l’hydrogène, sont aujourd’hui repris par les décideurs comme s’ils étaient nouveaux !
Comme en innovation le temps est long, le timing est essentiel. Pour se lancer dans une aventure entrepreneuriale d’innovation de rupture (on dit aujourd’hui deeptech), il est essentiel de bien appréhender le timing. Il faudra adapter, à chaque étape, la stratégie et le modèle économique, si l’on veut être encore vivant quand le décollage arrivera enfin.
#2 Tout commence par constituer une communauté
Réussir une innovation, c’est avant tout convaincre de la pertinence d’une idée nouvelle. En 2004, lorsque cette idée iconoclaste de faire de la Région des Pays de la Loire un territoire majeur de l’énergie hydrogène en France, elle n’est pas le fruit d’un consensus large, mais résulte de discussions informelles de quelques personnes passionnées.
Pour que l’idée prenne, nous comprenons tout de suite, qu’il faut qu’elle soit plus largement partagée. Pendant 6 mois, avec Henri Mora, Gilles Coffin et Christian Emeriau, les trois premières personnes qui ont cru en cette idée, nous démarchons plus d’une centaine de décideurs régionaux, industriels, institutionnels, académiques et politiques. Nous répétons inlassablement les arguments en faveur de cette idée, que nous affinons au gré des contre-arguments qui nous sont opposés.
C’est parmi toutes ces personnes rencontrées, que nous trouverons les premiers soutiens qui permettront, courant 2005, de créer l’association Mission Hydrogène et d’obtenir les premiers financements.
Je vois trop souvent des innovateurs lancer leur entreprise sans aucune communauté sur les réseaux sociaux, et avec un tout petit nombre de gens convaincus par leur idée. Ils ont passé des mois, voire des années à travailler seuls à développer leur projet, pensant qu’une fois sorti, le produit tellement génial se vendrait comme des petits pains. Cela ne se passe jamais comme cela.
La première mission d’un innovateur est d’identifier une communauté support de personnes prêtes à le suivre. Il ne sert à rien de convaincre, de prouver qu’on a raison, il faut seulement identifier ceux qui y croient et sont prêts à suivre et à soutenir. Il existe aujourd’hui de formidables outils pour cela: créer une “landing page” présentant le concept afin d’obtenir des pré-inscrits, mener une campagne de financement participatif, créer une communauté de passionnés sur Facebook ou Instagram.
#3 Le storytelling est essentiel
En 2007, quand nous lançons le concours de création d’entreprises innovantes Idenergie, le paysage de l’accompagnement de startups en France est radicalement différent de ce qu’il est aujourd’hui. Les accélérateurs et incubateurs privés n’existent pas, la French Tech et Station F non plus. Seuls existent les anciens incubateurs publics. La Cantine à Paris sera créée en 2008.
Pour attirer les porteurs de projets, les régions se battent à coup de concours. Nous nous joignons à ce concert en créant notre concours. Au lieu de seulement offrir un prix après un pitch, nous innovons en proposant un accompagnement dans la durée (8 mois) au sein d’une cohorte de 8 entrepreneurs.
Lorsqu’à partir de 2010, se créent un peu partout des programmes d’accompagnement de quelques mois pour des cohortes d’entrepreneurs, tout le monde s’émerveille de cette innovation appelée Accélérateur à la suite du programme américain Y Combinator. Je réalise alors que depuis des années, notre programme est en fait un accélérateur.
En 2013, un article intitulé Startups, quel accélérateur choisir ? paraît en comparant 10 accélérateurs français. Idenergie n’y figure pas. J’écris à l’auteur et finis par le convaincre d’ajouter Idenergie, qui apparait donc comme le premier accélérateur français, puisque tous les autres ont été créés après 2010. De même, je contacte Olivier Ezratty, qui publie chaque année le Guide des startups, une véritable référence dans l’écosystème. Suite à cela, Idenergie y figure depuis plusieurs années, au chapitre des accélérateurs, avant le NUMA et The Family. Il est maintenant un fait qu’Idenergie est le premier accélérateur de startups français.
Une innovation n’existe en tant que telle que si elle est accompagnée d’un bon storytelling. Les médias, les auteurs de livres et d’articles de référence s’appuyent beaucoup sur le discours des entrepreneurs. En mettant en scène son innovation avec une histoire attractive, l’entrepreneur augmente beaucoup ses chances de voir les médias s’y intéresser et reprendre ses mots. Il est aussi important pour l’entrepreneur de vérifier ce qui se dit sur son entreprise et d’apporter les corrections nécessaires. Les articles publiés en ligne sont souvent corrigés par les journalistes lorsqu’on leur signale des erreurs.
#4 Travailler ses relations presse
En 2013, nous lançons une innovation majeure dans le monde des startups. Une plateforme commerciale mutualisée pour tester l’appétance des clients et assurer le lancement commercial des produits innovants. Neoshop consiste en une boutique physique, bientôt suivi d’une seconde à Montréal et un site marchand. Cette initiative a évidemment une portée nationale et même internationale. Pour fonctionner, Neoshop doit apporter ses services à de nombreuses startups, et il est donc essentiel de faire rapidement connaître ce concept aux startups, mais aussi bien sûr au grand public.
Les journalistes dans les grands médias nationaux sont submergés de communiqués de presse. Ce simple outil souvent utilisé par les entrepreneurs lors de leur lancement est insuffisant. Au delà d’un bon storytelling, la visibilité dans les médias au niveau national et de façon continue, nécessite de faire appel aux services d’une agence de relations presse. Une bonne agence établit dans la durée des relations de qualité avec les journalistes qui lui font confiance. Neoshop a ainsi été présent au moins une fois sur la quasi-intégralité des médias français nationaux, TV, radio, magazines, quotidiens et web, dont vous pouvez encore aisément trouver les traces sur internet. Le coût de l’agence de relations presse est ainsi largement rentabilisé.
Les relations presse sont essentielles à la visibilité d’une innovation qui a de l’ambition. Pour être efficace, il faut choisir une agence performante, mais aussi agir dans la durée. Il ne sert quasiment à rien de prendre une agence pour un mois afin de réaliser un coup. De plus, en travaillant avec une bonne agence, vous apprendrez comment parler aux journalistes et comment réaliser un dossier de presse convaincant.
#5 Les clients ne comprennent pas
Neoshop avait pour objectif de valider les produits en les présentant sans filtre aux clients qui franchissaient le seuil de la boutique. Nous avons donc pu observer la réaction de dizaines de milliers de personnes exposées à des centaines d’innovations aussi diverses que surprenantes.
La leçon principale que nous avons retenue de cette expérience unique est le fait que les clients ne comprenaient pas spontanément la plupart des produits. Il fallait quasiment toujours faire avec eux le tour de la boutique et leur expliquer un à un à quoi servait chaque produit. Leurs questions étonnées, leurs commentaires circonspects, nous permettaient de faire des retours précis aux créateurs. Nombre d’entre eux ont été amenés à revoir leur packaging pour clarifier le message, et pour certains à revoir le produit pour mieux répondre aux attentes.
Le créateur ou la créatrice d’un produit innovant a tendance à penser qu’immédiatement le consommateur va comprendre (et bien sûr aimer) le produit. Il n’y a rien de moins vrai. Par construction, un produit innovant présente une fonctionnalité inconnue, et doit donc être appris.
La clarté des explications et des messages, la précision des visuels, la mise en scène au travers de video explicites, le choix de mots percutants sont autant de moyens pour capter l’intérêt d’un client, et lui permettre de comprendre la proposition de valeur d’un produit innovant. Il est essentiel de passer beaucoup de temps à peaufiner et tester ces éléments avant le lancement commercial.
#6 Le business model est clé
Lorsque nous avons imaginé Neoshop, nous l’avons conçu comme un service pour les startups. Celles-ci ayant des ressources limitées, j’imaginais qu’après une phase de lancement, le modèle économique pourrait s’appuyer pour partie sur les revenus tirés des ventes de produits, mais principalement sur des revenus tirés de grands comptes, qui dans ces années-là cherchaient à tout prix à mieux connaître les startups et à être visibles dans l’écosystème.
Après trois ans de fonctionnement, ce modèle s’est avéré une impasse. Les ventes étaient insuffisantes et les grandes entreprises ne réagissaient pas comme espéré. Nous avons donc sérieusement travaillé pour trouver un modèle économique soutenable. Après un an passé à interviewer les startups et les 40 principaux distributeurs français, à écouter attentivement l’expression de leurs besoins et de leurs difficultés, nous avons trouvé un modèle économique rentable, grâce à un positionnement que nous n’avions pas imaginé. Nous avons enfin pu écrire un business-plan attractif et commencer à parler avec des investisseurs.
Le modèle économique est clé dans le succès d’une innovation. Il est rarement celui imaginé au départ. Le modèle économique rentable ne se trouve souvent qu’en étant attentif à tous les acteurs de la chaîne de valeur du marché considéré (clients, fournisseurs, prescripteurs, intermédiaires, distributeurs, grossistes).
#7 La promesse n’est pas une certitude
Le business-plan en main, nous avons cherché un investisseur. Rapidement, nous avons été mis en contact avec un homme d’affaires expérimenté, ayant un long parcours dans le commerce et l’innovation “retail”, qui cherchait à monter un projet ayant de nombreuses synergies avec Neoshop.
Au bout d’une heure d’entretien, il était convaincu. L’après-midi, il demandait des documents supplémentaires. Pendant deux mois, il appelait trois fois par jour, envoyait des emails à toute heure, posait des questions qui demandaient plusieurs jours de travail, convoquait des réunions de plusieurs jours. Pour ceux qui n’auraient pas encore connu cette situation, cela s’appelle les “due diligences”.
Durant cette période, notre investisseur potentiel parlait comme si le deal était fait. Il avait fait travailler son avocat et la lettre d’intention (la fameuse L.O.I.) était prête. Et puis vinrent les conditions, certaines négociables, d’autres non. Après quelques semaines supplémentaires de discussions intenses, l’ultimatum est tombé. Les conditions qu’il exigeait n’étaient pas acceptables. L’aventure Neoshop se terminait là.
En matière d’investissement dans l’innovation, rien n’est jamais acquis jusqu’à ce que l’argent soit versé sur le compte. L’excitation et l’optimisme que procurent l’intérêt d’un investisseur potentiel sont trompeurs. Il faut rester froid et maintenir le contact avec tous les investisseurs potentiels, même si un d’eux semble plus intéressé et prêt à conclure. Il faut aussi se préparer à répondre à d’innombrables questions, passer beaucoup de temps et négocier chaque terme du contrat. La réussite d’un investissement est à ce prix.
Qu’en retenir ?
Ces exemples issus d’expériences en lien avec la mise sur le marché d’une innovation, enseignent deux grandes nécessités pour réussir:
atteindre le client : cet objectif essentiel passe d’abord par l’observation, la compréhension, et la connaissance du futur client pour bien en comprendre ses besoins, puis demande de savoir lui raconter une histoire, lui expliquer son innovation et donc de trouver les bons canaux pour le faire.
trouver l’argent nécessaire : le modèle économique d’une innovation est le pilier de sa réussite. Une fois trouvé, il est souvent nécessaire de lever des fonds pour le mettre en œuvre. Maîtriser ces deux étapes est une clé essentielle de la réussite entrepreneuriale.
Même en appliquant aussi bien que possible ces grands principes, il ne faut jamais oublier que l’innovation nécessite du temps pour s’installer. Patience et persévérance sont donc de mise !
Pour aller plus loin
Comment faire une campagne emailing ? : une video d’Oussama Ammar sur un moyen possible d’atteindre le client, qui n’est pas abordé dans cet article, mais qui est très important pour les startups.
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