Message pour les abonnés: cet article est le dernier avant une petite pause estivale. Je vous retrouverai avec plaisir le mardi 25 août. Je vous souhaite d’excellentes vacances si ce n’est pas encore fait, et j’espère vous retrouver en pleine forme, prêts à faire “Un pas dans l’inconnu”.
Quand j’étais adolescent, j’aimais participer à des camps pendant les vacances. Je me souviens de mon premier. C’était un camp de ski pendant les vacances d’hiver, j’avais 15 ans. J’avais beaucoup aimé les activités, les moniteurs, les copains et les copines. A la fin de la semaine, nous nous étions donnés rendez-vous pour l’année suivante.
Un an après, j’avais hâte de retrouver tout le monde et de vivre une nouvelle semaine formidable. Arrivé sur place, j’ai découvert que beaucoup de copains et de copines n’étaient pas revenus, remplacés par de nouveaux participants. J’étais déçu. La semaine fut bonne, mais différente de celle que j’espérais.
J’en ai tiré une leçon importante: “la vie ne se vit qu’une fois”. Je j’ai régulièrement appliquée depuis, y compris dans l’univers professionnel. C’est cela que je veux partager, car me semble-t-il ce principe n’est pas toujours en vigueur dans l’entreprise.
Récurrent ne veut pas dire répétitif
Les saisons, les fêtes, les vacances, la vie est faite de moments récurrents. La vie professionnelle s’est aussi calquée sur cette récurrence. Les évènements professionnels, conventions, salons, séminaires, conférences, sont généralement récurrents et attendus d’une année à l’autre. Le confinement et les empêchements liés au coronavirus perturbent ce cycle et bon nombre d’organisateurs sont désorientés et ne savent plus comment se projeter et programmer leurs évènements.
La récurrence rythme la vie et rassure. Malheureusement, pour beaucoup de personnes et d’entreprises, la récurrence est synonyme de répétition. J’ai assisté à des centaines de conférences depuis le début de ma carrière, et pour certaines à de nombreuses éditions successives. Dans la plupart des cas, si ce n’est systématiquement, j’ai pu constater que la récurrence équivalait à la répétition.
Il y a 25 ans, je participais au comité d’organisation d’une grande conférence internationale de physique pilotée par le CERN. Chaque année l’organisateur était différent puisque la conférence avait lieu dans un autre pays. Il y avait un manuel d’une centaine de pages qui décrivait par le menu, ce qu’il fallait faire et comment il fallait organiser. Résultat: quel que soit le pays organisateur, la conférence avait le même format et était en tous points identique à celle de l’année précédente.
On pourrait penser qu’il s’agit d’un cas isolé. Je crains que ce ne soit très répandu. Il y a quelques années, je participais régulièrement à la conférence internationale des technopoles et parcs scientifiques. J’ai arrêté, car chaque année, le déroulement était absolument identique et n’apportait que très peu. C’est encore plus désespérant dans ce cas, puisqu’il s’agit d’un milieu qui devrait être capable d’innover !
En 2009, lorsque Laval Mayenne Technopole décide de coopérer avec La Roche-sur-Yon et Atlanpole pour organiser un évènement annuel autour de l’innovation, alternant entre Laval et La Roche-sur-Yon, la convention de partenariat mentionne la clause suivante:
Les trois parties s'attachent à définir un "esprit", une "identité" à la manifestation pour inscrire la "marque" de l'évènement dans l'espace territorial régional.
Des idées forces permettent de définir l'évènement :
- organisation de conférences et ateliers dynamiques
- animation, originalité, créativité indispensables dans l'organisation
- programme assuré par des intervenants professionnels, acteurs de la recherche et entreprises des différents départements de la Région
- valorisation des projets emblématiques nés en région (créations, projets collaboratifs, entreprises quelle que soit la taille et le secteur d'activité)
- possibilité pour chaque participant de trouver des réponses à ses questions au travers par exemple d'ateliers participatifs, de la présence d'un forum des compétences régionales, de rendez-vous individuels etc.
Cette formulation s’attache à définir l’esprit de l’évènement plus que sa forme afin de permettre un renouvellement important d’une année sur l’autre. Depuis, l’évènement baptisé Inov’dia a évolué chaque année, étant tour à tour une conférence, un salon, et cette année une bourse d’affaires. Chaque année, nous remettons tout sur le tapis, pour reconstruire un évènement nouveau en gardant les codes et l’esprit qui font l’âme de la manifestation.
Même un évènement extrêmement réussi s’il est reproduit l’année suivante peut s’avérer décevant. L’alchimie de la réussite tient souvent à quelques détails et ceux-ci peuvent ne pas se renouveler. La nouveauté crée une forme de magie, mais n’agit qu’une fois. Le sentiment de “déjà-vu” apparait dans les éditions suivantes et enlève du charme.
La facilité, la recherche d’économie, la peur de rater conduisent les organisateurs à reproduire ce qui a marché. Je crois qu’il s’agit d’un très mauvais calcul. Cette approche lasse les participants les plus dynamiques et innovants, démobilise les équipes organisatrices et au final n’économise pas grand chose.
En prenant le risque de se renouveler et de laisser place à la créativité, vous donnez une chance à la vie de se manifester, de procurer des émotions nouvelles et d’imprimer des souvenirs impérissables. Le défi devient alors motivation, puisqu’il faut chaque année se réinventer. L’analyse d’une réussite conduit non pas à des détails à reproduire, mais à des principes à transposer. Le retour d’expérience n’est plus seulement un apprentissage par la répétition, mais une compréhension profonde des mécanismes de la réussite. En refusant de revivre votre vie, vous décidez de grandir.
Vivre en avance
Il faut absolument refuser de revivre un évènement, mais il faut par contre absolument le vivre par anticipation.
En refusant de reproduire ce qui a marché, l’organisateur d’évènement s’enlève une tranquillité d’esprit. Là où les détails ont déjà été validés par la réussite passée, il faut tout remettre en jeu en imaginant de nouveaux protocoles. C’est souvent cette peur et cette hésitation devant l’effort qui empêchent de se renouveler.
Pour pallier cela, la visualisation et la répétition mentale sont d’un grand secours. Quand il n’est pas possible de répéter grandeur nature une séquence de l’évènement, il suffit de la répéter mentalement. Cette approche revient à visualiser image par image comment les choses vont se passer. Il est alors assez simple de voir les couacs.
Chaque fois que je vais à un évènement et que les personnes à l’accueil sont débordées, que la queue s’allonge et que le démarrage de la conférence doit être retardé, je comprends qu’aucun exercice de visualisation n’a été pratiqué. En effet, l’accueil est l’archétype des situations où il est facile de prévoir les couacs. Il en est de même avec le conférencier qui arrive avec 60 slides pour 15 minutes de présentation et qui fait exploser le planning. La répétition permet facilement d’éviter cette situation embarrassante.
L’an dernier, nous avons conçu un nouvel évènement pour rassembler les chercheurs du campus de Laval et leur permettre de mieux se connaître. Nous aurions pu imaginer une après-midi de présentation des différents laboratoires suivie d’un cocktail et tout le monde aurait trouvé cela normal. Nous avons plutôt choisi un format beaucoup plus audacieux. Nous avons imaginé un grand jeu de piste sur le campus, où chaque équipe de chercheurs devait réaliser une expérience dans chaque laboratoire. Chemin faisant, les chercheurs devaient élaborer un projet collaboratif de recherche. L’après-midi s’est bien sûr terminée autour d’un verre en dégustant le tout nouveau gâteau M de la Mayenne.
En imaginant cet évènement peu banal, nous avions toutes les chances d’échouer: comment ajuster la difficulté des énigmes, combien de temps aller durer les expériences, quelle serait la durée totale du jeu ? autant de questions qui conditionnaient la réussite de l’après-midi.
En imaginant tout ce qui pouvait se passer, en visualisant le déroulé, en répétant les expériences avant le jour J et en questionnant inlassablement tous les risques de dérapage, nous étions sereins. Tout s’est parfaitement déroulé et les participants étaient satisfaits.
Répéter mentalement, questionner tout ce qui peut mal se passer, vivre l’évènement plusieurs fois avant le jour officiel, sont autant de façons puissantes de préparer une organisation nouvelle tout en étant serein. Cela permet d’oser se lancer, d’oser prendre des risques et ne pas se tenir aux approches convenues.
Les clones n’existent pas
Dans Un pas dans l’inconnu #28, j’ai déjà évoqué la vanité de vouloir remplacer un salarié parti, par un autre en tout point équivalent. Je reviens sur ce point car il relève aussi du thème du jour.
Lorsqu’il arrive (j’espère le plus souvent) qu’un ou une salarié.e fasse un travail exceptionnel, le manager ou le patron peut alors penser qu’il ou elle est indispensable et souhaiter qu’il ou elle reste à vie. Au-delà de l’erreur évidente de management qui consiste à vouloir maintenir quelqu’un à vie dans son poste, sous prétexte qu’il fait bien son travail, cette attitude crée généralement un drame au moment où cette personne décide de partir. Et oui, cela arrive, même à ceux qui sont parfaits !
Le sentiment de perte face à l’annonce d’un tel départ est certain. Comment va-t-on pouvoir remplacer une telle compétence et une telle expérience ? La tentation première va être de tout faire pour retenir celui ou celle qui veut partir. Hormis quelques cas très particuliers, ce n’est jamais une bonne idée. La deuxième tentation, passée la phase de déni, puis d’acceptation dans la courbe du deuil, va être de tenter de remplacer la personne partante, par une personne équivalente, voire encore plus talentueuse, en mode, “finalement tu n’étais pas si extraordinaire que ça puisqu’on peut trouver mieux”.
Dès lors que le manager se met à chercher une personne ayant les mêmes compétences, les mêmes qualités et les mêmes façons de faire que la personne qui est partie, il entre dans l’erreur de vouloir revivre sa vie.
C’était génial d’avoir pu bénéficier de la compétence, de la créativité et de la bienveillance de Manon ou de Morgan pendant toutes ces années, mais il faut le prendre comme une grâce et une chance, une tranche de vie à garder au rang des bons souvenirs. Manon ou Morgan, comme toutes personnes sont uniques et chercher leurs clones est voué à l’échec. Le temps est venu de rentrer dans une nouvelle séquence de vie avec Laurine ou Steve, qui sera tout aussi géniale mais différente.
Vouloir revivre les bons moments passés avec un salarié parti, c’est vivre dans le passé et la nostalgie. Chercher à recruter un profil ayant les mêmes compétences et les mêmes qualités que le démissionnaire, c’est retarder son arrivée, être certain d’être déçu, et ne pas pouvoir poser un regard positif sur lui, et donc probablement créer les conditions d’un échec.
Vivre au lieu de revivre
Au travail, comme dans la vie en général, chaque moment, chaque action, chaque évènement est à vivre pleinement, sans essayer de retrouver des sensations fortes du passé, ou sans craindre que ne se reproduisent des mauvaises situations passées. Prendre chaque moment comme unique est le meilleur moyen de ne pas être déçu et de donner le meilleur de soi-même sans arrière-pensées.
Les situations décrites plus haut concernant l’organisation d’un évènement ou le recrutement d’un collaborateur ne sont que des exemples. La même approche de préparation mentale et d’abstraction du passé pour ne pas tenter de le reproduire, s’applique à beaucoup d’autres situations de la vie de l’entreprise, comme par exemple: la préparation de la réponse à un appel d’offres, une nouvelle campagne marketing, un nouveau projet de R&D, la préparation d’un nouveau budget, la négociation commerciale avec un gros client, etc…
Vivre chaque moment de sa vie en entreprise comme si c’était la première fois, requestionner sa façon de l’aborder pour laisser la place à la créativité et à l’émotion, évacuer le poids du passé pour se libérer de la pression, se préparer mentalement pour augmenter ses chances de réussir, sont autant de postures qu’il faut apprendre pour rendre son travail passionnant, enrichissant et motivant.
La multiplicité des expériences ainsi vécues en appliquant ces principes augmente significativement l’expérience acquise et raccourcit beaucoup le temps nécessaire à devenir un expert.
En faisant toujours la même chose, en utilisant toujours les mêmes recettes, la progression est par contre très lente, et plus le temps passe, moins l’envie et l’audace de faire différemment est présente.
La prochaine fois que vous aurez un projet à lancer ou un évènement à organiser, saisissez l’occasion de tenter quelque chose de nouveau, de faire un pas dans l’inconnu, tout en pensant attentivement à tout ce qui pourrait vous faire échouer. Au début, vous devrez sans doute vous investir un peu plus, mais ensuite la satisfaction d’avoir réussi, l’émotion nouvelle ainsi procurée et l’expérience gagnée, payeront très largement vos efforts supplémentaires. Quand vous l’aurez fait, écrivez-moi pour en témoigner.
Vous souhaitez que je traite un sujet, vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez pas à m’écrire en répondant à l’email que vous recevez. La réponse m’arrive directement. Si vous êtes un abonné, vous pouvez aussi laisser un commentaire sur le site. Merci d’avance.
Vous avez aimé cette Newsletter, partagez-la par email ou sur les réseaux sociaux. Pour cela, cliquez sur le bouton ci-dessous. Merci d’avance.
Quelqu’un vous a transféré cette newsletter et vous souhaitez vous abonner pour la recevoir directement dans votre boîte mail tous les mardi à 9h, cliquez sur le bouton ci-dessous. Merci d’avance.