La semaine passée, j’ai encore assisté à 2 jurys de startups. Depuis 20 ans que je suis dans le métier, cela doit faire plus de 1000 pitchs entendus!
Je peux témoigner que la forme de ces pitchs est bien meilleure qu’elle ne l’était il y a quelques années. A force de faire des “pitchs-training”, de répéter les fondamentaux de cet exercice, de voir quelques-unes des centaines de vidéos sur Youtube expliquant comment il faut faire, les entrepreneurs sont plus aguerris. On voit de moins en moins des pitchs de 7 minutes qui en font 20, où des Powerpoint illisibles.
Cela ne veut pas pour autant dire, que tous les pitchs sont bons et que tous les entrepreneurs sont convaincants.
Trop souvent centrés sur la forme, les entrepreneurs (et parfois les coachs qui les entrainent) oublient que le fond est déterminant pour convaincre les interlocuteurs.
Quelles sont donc les erreurs à ne pas commettre et les fondamentaux à respecter pour réaliser un pitch convaincant?
Je prends ici le pitch de startup comme exemple, car c’est dans cet univers que cette pratique est la plus répandue. Cependant, les conseils que je donne sont généraux et sont valables pour tout exposé public en milieu professionnel, en interne d’une entreprise ou pour la représenter à l’extérieur.
Avant de commencer: Merci de répondre au questionnaire
Pour Noël, j’envisage de sortir un livre en reprenant une bonne partie des articles publiés au cours de l’année. Que pensez-vous d’une telle initiative? Seriez-vous intéressé.e? Pour vous? Pour offrir?
Afin de m’aider dans ce projet, je suis très friand de vos avis. Merci de prendre 30 secondes pour répondre à ce questionnaire. Si le livre sort, un code promo sera donné à ceux qui le complètent.
Délivrer un message précis et adapté
Une présentation en 5, 7, 10 ou 15 minutes a toujours un objectif précis. La première chose à faire est de bien identifier les attentes liées au contexte particulier du pitch.
S’agit-il d’un jury de concours? Quel est le thème du concours? Qui sont les sponsors? Qu’attendent-ils du lauréat qu’ils choisiront?
Est-ce un pitch devant des investisseurs pour lever des fonds? Découvrent-ils le projet? Est-ce la présentation finale devant les associés?
Est-ce une présentation pour être accepté dans un incubateur ou un accélérateur? Quels sont les critères pour être sélectionné?
S’agit-il d’une présentation commerciale devant un client? La démonstration du produit est-elle fonctionnelle? Les exemples choisis sont-ils du domaine du client?
Chaque présentation doit être préparée spécifiquement. On voit encore trop souvent des présentations génériques où l’orateur s’est contenté d’adapter la diapositive de démarrage au contexte du jour. Cette négligence ou cette fainéantise peut coûter cher.
J’entends encore régulièrement des entrepreneurs qui s’adressent à des investisseurs en parlant principalement de leur produit et en occultant, parfois même intégralement, les aspects financiers. Ce comportement est quasiment éliminatoire.
De même qu’il est essentiel de regarder son auditoire lorsqu’on fait une présentation orale, il est indispensable de s’adresser spécifiquement à son audience, en délivrant un message précis et adapté.
Se mettre à la place de son auditoire
La posture la plus importante de celui ou celle qui délivre une présentation orale est celle de l’empathie. C’est vous qui êtes stressé, mais c’est pourtant à vous de vous mettre à la place de votre audience.
Imaginez un jury de concours de startups: celui-ci dure souvent la journée entière, les membres du jury sont la plupart du temps d’univers différents, et donc pas forcément familiers avec votre domaine, ils vont devoir écouter entre 10 et 20 pitchs et évaluer votre prestation en quelques minutes. Pour la plupart, ils n’auront que survolé très rapidement les documents que vous aurez fournis en amont, et parfois, ils n’auront rien vu du tout. Il y a une bonne chance qu’au moins une fois pendant le cours de votre exposé, ils consultent leurs emails ou leur Instagram s’ils s’ennuient.
Vous comprenez en vous mettant à leur place, que vous n’êtes pas dans les meilleures conditions d'écoute et d’attention. Si donc vous délivrez un message monocorde, rempli de jargon, sans expliquer le contexte de votre projet et ses tenants et aboutissants principaux, soyez certains que votre pitch ne laissera qu’un impact infime au moment du verdict.
L’empathie pour l’auditoire est la préparation la plus importante d’une présentation.
Ne pas oublier les messages principaux
Faire un pitch pour présenter son entreprise ou son projet n’est pas un discours politique ou un prêche devant des fidèles. Il répond à des attentes précises et doit toujours comporter les éléments indispensables suivant:
pourquoi vous êtes-vous lancé dans ce projet? Les auditeurs ont besoin de comprendre les circonstances, les forces et les motivations qui vont ont mis en route. Cela leur permettra d’évaluer la solidité de votre engagement et la justification de votre motivation.
qui êtes-vous et en quoi êtes-vous légitime pour ce projet? un projet, une idée n’est souvent ni bonne, ni mauvaise en elle-même. Ses chances de réussir dépendent la plupart du temps de qui s’en occupe. Il est donc essentiel de comprendre qui vous êtes pour porter ce projet, quelle est votre crédibilité? Dans “Un pas dans l’inconnu #24”, j’ai développé ce point.
à quel problème répondez-vous? toute innovation doit généralement répondre à un problème ou un besoin exprimé ou latent, et en tous cas, susciter un intérêt de votre cible. Ceci doit être clairement explicité. Dans les projets BtoB en particulier, il n’est pas rare que les entrepreneurs n’expliquent pas le problème qu’ils cherchent à résoudre, car ils pensent souvent que c’est une évidence. Et bien non!!
quelle solution apportez-vous et en quoi vous différenciez-vous de l’existant? Décrivez votre produit ou service de façon suffisamment simple pour qu’il soit compris sans en parler pendant 15 minutes. Souvenez-vous qu’un schéma parle plus que mille mots. N’oubliez pas de présenter la concurrence (si, si, il y en a!!) et d’expliquer en quoi vous apportez quelque chose de différent.
à qui vendez-vous, combien et comment? C’est la question centrale du pitch, son apogée. Bien qu’il soit évident que ce point est le plus important du pitch, il est toujours étonnant de constater que certains entrepreneurs le négligent, le massacrent, voire l’ignorent. Ils pensent que puisque le produit est bon, il est évident qu’il se vendra, ceci étant l’erreur la plus populaire parmi les entrepreneurs d’origine technique. La cible doit être précise, les prix et le modèle économique déterminés (même si cela peut changer ensuite) et les canaux commerciaux bien expliqués.
où en-êtes-vous et de quoi avez-vous besoin? c’est généralement la partie la plus mal traitée de tous les pitchs. Il est fréquent de sortir d’un pitch sans avoir compris si le produit existe, s’il y a des clients, et de quoi l’entrepreneur a besoin.
quelles sont vos perspectives? c’est dans cette partie, qu’on envisage ses hypothèses de croissance, et qu’on expose ses objectifs et ses ambitions. C’est aussi à ce moment-là, si on a été très convaincant auparavant qu’on peut faire rêver.
L’ordre et la longueur relative de ces différentes parties ne sont pas gravés dans le marbre et suivant votre projet, votre personnalité et l’auditoire, vous pouvez jouer sur les différents aspects pour construire une histoire passionnante. Quoi qu’il en soit, tout doit y être.
Avoir un argumentaire implacable
Lorsque vous faites une présentation, vous n’êtes pas un artiste en représentation. Votre performance n’est pas esthétique ou conceptuelle. Vous êtes plutôt un maçon qui construit une maison. Une fois le pitch fini, on doit clairement voir l’entrée, et les différentes pièces.
Un bon maçon utilise du ciment pour lier les parpaings. De même un bon “pitcheur” utilise des déductions logiques pour relier les différentes affirmations de son pitch.
Un pitch est une histoire, mais c’est avant tout une démonstration quasi mathématique. Chaque affirmation avancée, doit être étayée par une source, un argument d’autorité ou un chiffre. En principe, rien ne doit être affirmé sans justification.
Ainsi posée avec sa justification, chaque brique du raisonnement peut alors être reliée à la suivante, par une déduction logique.
N’oubliez pas qu’un pitch doit permettre à l’auditeur de comprendre, l’embarquer dans une histoire dont chaque élément renforce sa conviction, pour finalement lui enlever tout doute et emporter sa décision.
Eliminer le détail qui ne sert à rien
Un des écueils les plus répandus des entrepreneurs passionnés est de s’enferrer dans les détails. Croyant que chaque élément de détail apporte son lot de preuve, ils en rajoutent jusqu’à l’enivrement de l’auditoire.
Je me souviens d’un tel pitch, où l’entrepreneur visiblement brillant et en plus expérimenté (ce n’était pas sa première boîte) s’était embourbé dans les détails au point de perdre le jury et de se voir refuser l’aide qu’il recherchait. A la fin de l’échange, je suis allé le voir pour essayer de lui faire comprendre son erreur, avec un argument qui je crois a fait mouche.
Je lui ai dit: “est-ce que pour mieux apprécier la Joconde, vous cherchez à vous rapprocher de si près que vous verrez les traits de pinceau ? Ou bien, tentez-vous de trouver la bonne distance pour avoir une vue globale du tableau et en apprécier sa construction?”
Il en est de même avec un pitch. Il ne sert à rien de donner le numéro de série du composant clé de votre carte électronique, même si vous avez mis 2 ans à l’identifier et qu’il est absolument essentiel aux performances exceptionnelles de votre appareil.
Il est donc important de réfréner votre passion pour votre produit, qui vous fait croire que le moindre détail a une importance déterminante dans la réussite de votre entreprise. Il faut prendre du recul, de la hauteur de vue et comprendre que les déterminants de la réussite sont tout autres. C’est le tableau entier qui intéresse vos interlocuteurs et pas les quelques pixels qui vous ont coûté le plus de travail.
Répondre aux questions sans noyer le poisson
Le pitch est en deux temps. L’exposé où vous êtes généralement à la manoeuvre et la séquence de questions-réponses menée par le jury ou l’auditoire.
Il est assez rare que les entrepreneurs soient très bons dans la phase de questions-réponses. C’est dommage, parce que c’est aussi un moment très important et souvent déterminant pour lever un doute, confirmer ou infirmer une impression, voir réellement ce que l’entrepreneur a dans le ventre au-delà de l’exercice préparé du pitch.
L’erreur la plus répandue et la plus énervante est la réponse de 5 minutes, qui en plus tourne autour de la question. Quand un investisseur pose la question, “quel est votre chiffre d’affaires?”, il attend une réponse faite d’un seul chiffre, et pas une périphrase de 5 minutes pour expliquer au final que vous n’avez eu qu’un client, qui en plus est un ami. Quand quelqu’un pose la question pour avoir le nom de la grosse entreprise qui s’intéresse à votre produit et à laquelle vous avez fait allusion plusieurs fois, il attend un nom et pas une explication des circonstances dans lesquelles vous l’avez démarchée.
Répondre “je ne sais pas” est bien plus apprécié qu’une réponse de 10 phrases n’ayant aucun contenu pertinent.
Répondre directement à la question posée est la preuve que vous maîtrisez votre sujet, que vous n’avez rien à cacher, que vous êtes honnêtes, que vous êtes sûrs de vous, tout autant de qualités extrêmement appréciées. Au contraire, noyer le poisson, instigue le doute, laisse penser que quelque chose n’est pas net, et sape votre crédibilité.
Quelques questions pour préparer votre pitch
Au moment de préparer son pitch pour une échéance importante, voici quelques questions importantes qui vous permettront de maximiser vos chances de réussir.
Avant de commencer, je rappelle qu’il est important de se mettre à la place du jury ou des investisseurs qui vous écouteront, et de revoir chaque “slide” avec leurs yeux. Cet exercice d’abstraction mentale demande d’oublier ce que vous savez et de ne pas considérer comme évident tout ce que vous avez déjà appris depuis que vous avez démarré votre projet.
Voici quelques questions qui vous serviront de filtre pour examiner chaque slide:
a-t-elle un seul message clair à délivrer différent de celui de toutes les autres ?
comporte-elle au moins un point très fort, un argument massu qui ne suscitera aucune contestation?
comprend-elle des vocabulaires, des sigles, des concepts abscons pour l’auditoire? Sont-ils absolument nécessaires? Si oui, comment puis-je les expliquer simplement?
est-elle au bon niveau de détail? Ni trop, ni trop peu? Chaque détail présent est-il utile, amène-t-il une preuve?
est-elle utile? S’inscrit-elle dans l’enchaînement logique de la slide précédente?
y-a-t-il un schéma qui pourrait être ajouté ou remplacer du texte pour clarifier le message?
ai-je bien abordé tous les points sur lesquels je suis attendu?
ai-je bien mis en avant tous les points forts de mon projet?
Au moment de vous lancer dans l’inconnu d’un pitch qui peut significativement changer votre vie, soyez sûr d’être prêt et d’avoir mis tous les atouts de votre côté!
PS: j’aborderai une autre fois, la forme du pitch qui est bien sûr aussi très importante, même si elle ne remplace pas le fond.
Pour aller plus loin
Pitcher pour les capitaux-risqueurs: les conseils de Davis Rose (conférence TED)
"Les 12 points qu'il faut avoir dans son pitch" par Jean de la Rochebrochard
Pitchdeckhunt est un site qui regroupe les pitchdecks (présentations) de toutes les startups qui sont ensuite devenues très connues. Intéressant de voir comment elles ont commencé.
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