“Faut-il s’associer ?”, “Comment choisir un.e associé.e ?”, voilà deux questions très souvent posées par les créateurs d’entreprises qui se lancent. Ce sont des questions cruciales, puisque la mésentente entre associés est une des toutes premières causes d’échec de l’entreprise.
Il y a beaucoup d’articles et beaucoup de témoignages d’entrepreneurs à ce sujet. Je ne serai donc pas exhaustif ici, mais je souhaite partager 5 questions qu’il faut se poser au moment de s’associer.
Préambule: faut-il vraiment s’associer ?
Il est presque unanimement admis dans le milieu des investisseurs, qu’il est préférable de lancer une entreprise avec une équipe de cofondateurs. Les équipes, si elles sont bien constituées semblent offrir aux investisseurs de moindres risques, et donc rendent le capital plus accessible aux entrepreneurs.
Paul Graham, le célèbre fondateur de Y-Combinator, le plus important accélérateur de startups du monde, classe même le fait de démarrer seul comme la première des 18 erreurs qui tuent les startups.
Il existe néanmoins de nombreux contre-exemples, à commencer par Amazon, la plus belle réussite entrepreneuriale de ces 30 dernières années. Dans les faits, de nombreux entrepreneurs se lancent seuls. En 2019, 60% des SAS créées en France, avaient un associé unique. Une étude américaine récente portant sur les entreprises ayant fait une campagne de crowdfunding sur Kickstarter, montre même que les entrepreneurs seuls ont des entreprises plus performantes que ceux qui sont associés.
Ces éléments indiquent qu’il n’y a pas de vérités absolues sur cette question.
Le choix de créer seul ou avec un ou plusieurs cofondateurs doit donc être fait par l’entrepreneur lui-même, en fonction de sa personnalité, de son projet et des circonstances.
Les clones ne créent pas de valeur
Il est courant de voir trois ou quatre étudiants, camarades de promotion en école d’ingénieur ou à HEC, travailler au lancement de leur startup. Quelle est la valeur ajoutée de chacun? Même âge, même cursus et donc même compétences, souvent même milieu social et très couramment aussi même sexe.
Hormis le côté sympathique d’une aventure entre copains, une association entre 3 ou 4 clones ne crée aucune valeur, je dirais même qu’elle en détruit. Comme il faut bien se répartir les rôles, chacun se positionne et on a souvent l’impression en écoutant les pitchs que c’était tiré au sort. Les cofondateurs semblent interchangeables et il est presque évident qu’à un moment, ils vont se faire concurrence. Au sein d’une équipe d’ingénieurs par exemple, chacun aura bien du mal à rester à l’écart des questions techniques, puisqu’ils maîtrisent tous ces aspects.
S’associer doit créer de la valeur. Des compétences, des expériences, des réseaux relationnels différents doivent s’ajouter et non se superposer. La contribution à haute valeur ajoutée de chaque membre de l’équipe doit être claire dès le pitch de 3 minutes.
S”associer divise mathématiquement la valeur future de l’entreprise entre les cofondateurs. Il faut donc être certain que chaque cofondateur a une contribution distincte et primordiale à la création de valeur, ce qui résulte alors en une valeur supérieure à la valeur qu’aurait pu créer chacun individuellement. Dans ce cas uniquement, le partage de la valeur entre les associés ne sera pas perdant. Dis autrement, prendre pour associé quelqu’un dont la contribution sera seulement égale au produit de son travail, revient à faire cadeau d’une partie significative de son entreprise, à quelqu’un qui aurait eu la même contribution en tant que salarié.
La première question à se poser avant de s’associer: quelle est la contribution essentielle et complémentaire que chacun ou chacune apporte et qui n’aurait pu être obtenue simplement avec un salarié ?
La crédibilité paye
Que diriez-vous d’un boulanger et d’un pâtissier qui s’associeraient pour créer une startup dans le spatial ? De même, que penser de deux ingénieurs aéronautiques qui voudraient lancer une chaine de boulangeries bio ?
Tout est possible, et il existe bien des témoignages incroyables d’entrepreneurs ou d’entrepreneures ayant réussi dans un domaine éloigné de leur compétence d’origine. Cependant, en creusant bien, il y a toujours une bonne raison: une passion personnelle, une circonstance de vie, un background familial qui crédibilise la démarche.
Rien ne prédisposait Mélanie Péron, jeune bibliothécaire sans connaissances médicales ou technologiques particulières à lancer une startup technologique pour soulager les patients atteints de longues maladies. Sa crédibilité vient d’ailleurs. Une expérience personnelle forte et douloureuse lui a permis de comprendre intensément la souffrance des patients et de leur entourage. Dès le premier jour, on devine en l’écoutant que ce moteur sera si fort qu’il lui permettra de réussir. Aujourd’hui Bliss est un dispositif dont l’efficacité est avérée et qui a fait ses preuves sur le marché.
La crédibilité d’une équipe et de chacun de ses membres est essentielle à la réussite d’une entreprise. C’est pratiquement le seul élément qui permettra de décrocher les premiers contrats et surtout les premiers fonds.
Je vois souvent des créateurs incroyables qui ne savent pas asseoir leur crédibilité, alors qu’elle existe. Ils n’osent pas, ou ne comprennent pas l’importance de se mettre en scène. Le storytelling est l’art de matérialiser de façon concrète, compréhensible et attractive, la crédibilité des entrepreneurs. Il faut absolument le maîtriser.
La deuxième question à se poser avant de s’associer: quelle est la crédibilité qu’apporte chacun ou chacune des associé.e.s au projet ? La crédibilité de chacun.e doit renforcer la crédibilité globale.
L’équipe ne remplace pas le leadership
Le leadership est un charisme nécessaire dans l’entrepreneuriat. Le leadership entraîne, donne confiance, donne envie de suivre. Le leadership est incarné dans une personne.
Le leadership distribué, où chaque cofondateur en serait doté d’une part égale et serait donc interchangeable avec un autre, est un mythe. Au début d’un projet, je rencontre souvent des équipes de cofondateurs qui font très attention à rester sur un pied d’égalité parfaite, au point où cela en devient souvent artificiel. Ce sont généralement les équipes qui explosent en vol un peu plus tard.
Le leadership doit être sainement assumé par le leader et ses associés. C’est la situation la plus crédible, la plus confortable et celle qui a le plus de chance de conduire au succès. Le leadership général ainsi défini, cela n’empêche pas un cofondateur d’avoir un leadership sur un champ de compétences plus restreint, comme la technique par exemple.
L’absence de leadership dans une équipe de cofondateurs, tout comme la lutte permanente pour le leadership sont deux situations également porteuses des germes de l’échec.
La troisième question à se poser avant de s’associer: qui sera le leader ? sommes-nous confortables avec le fait que X. soit le leader ? Parler ouvertement de cela n’est pas simple mais évitera bien des ennuis par la suite.
Sur la même longueur d’onde
Il y a 1000 bonnes raisons de vouloir créer une entreprise: être libre, devenir riche, changer le monde, se nourrir, assouvir sa passion, aider les autres, devenir célèbre, ne pas avoir d’autres solutions, … Tout cela est légitime et louable.
Malheureusement, toutes les raisons ne sont pas compatibles.
Les statuts et/ou le pacte d’actionnaires qui scellent la coopération entre les cofondateurs sont comme un joug qui lient deux bœufs à la même charrue. Ceux-ci sont obligés d’avancer dans la même direction et à la même allure.
Lorsque l’un veut gagner sa vie et l’autre veut devenir milliardaire, lorsque l’un veut changer le monde et l’autre seulement assouvir sa passion, lorsque l’un veut conquérir le monde et l’autre veut être le champion de son quartier, l’échec n’est pas loin.
Les désirs, les raisons profondes qui poussent à entreprendre sont pour parties inconscientes et irrationnelles. Croire qu’elles pourront s’adapter dans le temps et s’aligner progressivement avec celles de son cofondateur est le plus gros mensonge qu’on peut se faire à soi-même. Face à la première difficulté, les motivations profondes vont ressortir de façon irrésoluble et précipiter les cofondateurs dans le conflit.
La Vision (Un pas dans l’inconnu #10), mais surtout l’Ambition (Un pas dans l’inconnu #20) des cofondateurs doivent être alignées (Un pas dans l’inconnu #9).
La quatrième question à se poser avant de s’associer: sommes-nous alignés sur la Vision et l’Ambition à donner à notre projet ? Avons-nous des motivations d’entreprendre compatibles dans la durée ?
Le conflit se règle avant l’heure
Entre 2008 et 2017, nous avons incubés 88 projets d’entreprises innovantes. 15% d’entre eux ont connu des conflits d’associés. Tous n’ont pas été fatals heureusement, mais ce chiffre est suffisamment significatif pour que la question du conflit entre associés soit mise sur la table très tôt. Cette statistique ne prend pas en compte tous les projets qui ne sont pas arrivés jusqu’à la phase incubation, car ils ont capoté avant du fait d’un conflit entre futurs associés.
Hormis les questions de désalignement sur les objectifs et les motivations, il y a de nombreuses autres raisons de conflits: frustrations dans la reconnaissance des contributions réciproques, mauvaise répartition des parts, efforts très différents entre associés, défaut d’un associé insupportable pour l’autre, comportements pervers et manipulatoires, jalousie, non reconnaissance du leadership de l’autre, incompétence de l’un qui met en danger l’entreprise, problèmes de communication, gestion de l’argent, divergences stratégiques, …
Parler de conflit quand tout va bien semble toujours inapproprié. C’est pourtant salutaire. Il est toujours préférable d’envisager des solutions quand on arrive à se parler calmement plutôt que quand le dialogue est rompu. L’aide d’une tierce personne, un avocat par exemple, est souvent utile et permet de prédéfinir des solutions de sortie de crise.
Une des raisons de conflits futurs réside dans la prise de décisions importantes. Si celle-ci sont faites trop rapidement, ou sans processus formalisé, sous la pression de l’un des associés, ou en catimini, le conflit peut survenir si la décision engendre une mauvaise passe pour l’entreprise. Les reproches tels que “je te l’avais bien dit”, “c’était ton idée”, “tu as décidé tout seul”, vont alors rapidement fuser. Se prémunir de cela en ayant un processus décisionnel clair est essentiel.
La cinquième question à se poser avant de s’associer est double: quels mécanismes de prise des décisions importantes mettons-nous en place ? comment sortirons-nous des conflits potentiels qui surviendront ?
Alors, faut-il s’associer ?
Au delà de ces 5 questions importantes à se poser, il y a bien d’autres aspects à considérer avant de s’associer: sommes-nous capables de travailler ensemble ? (essayer avant de s’associer permet de répondre à cette question), avons-nous du plaisir à échanger ? avons-nous des personnalités compatibles ? communiquons-nous facilement ? partageons-nous les mêmes valeurs ?
L’alchimie de l’association est belle, comme celle de toute relation humaine réussie: génératrice de valeur, porteuse d’aventures mémorables et de bons souvenirs, source d’enrichissement mutuel, créatrices d’émotions fortes. S’associer c’est être plus fort dans l’adversité comme le soulignait en son temps l’auteur de l’Ecclésiaste: “Là où un homme seul est renversé, deux résistent, et la corde à trois brins ne rompt pas facilement.” (Ecclésiaste 4.12).
S’associer est un pas dans l’inconnu, comme au début de chaque relation humaine, mais en prenant quelques précautions, il y a matière à éviter les principaux pièges.
Pour aller plus loin
Comment fonder une équipe pour sa startup ? par Oussama Ammar
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