#37 Entreprendre sans dessaler
8 conseils pour traverser les hauts et les bas de la création d'une entreprise
La vie de l’entrepreneur n’est pas un long fleuve tranquille! Cette réalité est presque un pléonasme. Dans les premières années, elle s’apparente plus à une descente en eau vive qu’à une traversée du lac en pédalo. Il y a aussi et fort heureusement des accalmies!
En tant que cévenol, je me souviens de ces moments où en quelques heures une rivière insignifiante devient un torrent impétueux. Il en est parfois de même dans la vie de l’entrepreneur, une période plutôt calme devient soudainement très agitée.
Au cours des 15 dernières années, j’ai vécu au côté de plus de 150 entrepreneures et entrepreneurs, les hauts et les bas des premières années de leurs aventures.
J’ai observé des séquences similaires, des évènements reproductibles, des comportements identiques et j’en ai tiré quelques leçons.
Comprendre pourquoi le parcours est si agité, conscientiser que c’est normal, identifier les grandes étapes et les moments critiques, décrypter l’ascenseur émotionnel, doit permettre de naviguer sans dessaler et de voyager plus loin.
Avant de commencer
Merci à tous ceux qui ont répondu au questionnaire lancé il y a trois semaines.
Près de 70% de ceux qui ont répondu sont favorables à la publication d’un livre regroupant les articles publiés dans “Un pas dans l’inconnu”. Merci de votre confiance!
Je vais me mettre au travail!
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Tout commence par une étincelle
Au départ de toute aventure entrepreneuriale, il y a un désir. Comment nait-il? Quels sont les déterminants qui créent l’étincelle?
Il faut distinguer les circonstances des motivations.
Les circonstances sont assez faciles à identifier et font souvent partie du storytelling et plus tard du mythe fondateur de l’entreprise.
L’histoire d’Alice et Alexandre, fondateurs de Serenitrip, une assurance indépendante pour les gens qui louent un véhicule, est emblématique des circonstances qui poussent à entreprendre: un problème, une idée de solution qui semble nouvelle (au moins sur un territoire ou un domaine donné) et l’intuition d’une opportunité de marché.
C’est alors que la motivation entre en jeu. Comme Alice et Alexandre, beaucoup peuvent rencontrer des circonstances favorables, mais combien vont retenir l’idée, y revenir et finalement la mettre en œuvre? Seuls celles et ceux qui auront la motivation suffisante.
Nous sommes tellement différents qu’il est difficile de modéliser et de classifier la motivation d’entreprendre. Désir de liberté, désir de revanche, envie de réussir, volonté de devenir riche, envie de changer le monde, besoin de se réaliser, besoin de prouver quelque chose, boulimie créatrice, passion dévorante pour un sujet, il y a des milliers de motivations pour entreprendre.
Conseil n°1: n’abandonnez pas trop vite une idée, surtout si elle paraît étrange, car selon Oussamma Ammar, le fondateur de The Family, “les bonnes idées sont celles qui ont l’air d’être des mauvaises mais qui sont en fait des bonnes idées.”
La lune de miel
Une fois l’étincelle allumée, vient le temps de la lune de miel avec son idée. Plus on y réfléchit, plus elle semble attrayante. Comme on ne connaît encore quasi rien de l’environnement réel dans lequel doit se placer cette idée, comme on n’imagine pas la somme de travail qu’il va falloir produire pour la rendre concrète, ni toutes les difficultés qui ne manqueront pas de se présenter, tout semble assez simple.
L’esprit a cette capacité incroyable de se projeter, de passer des étapes à toute allure, de réduire des mois à une fraction de seconde. C’est formidable, mais c’est aussi extrêmement trompeur, et il n’y a pas de panneau “attention danger”.
Pendant quelques heures, quelques jours, voire quelques semaines, cette idée qui est apparue instantanément, murit. Telle une amibe qui se reproduit par mitose, l’idée s’enrichit, s’embellit, se ramifie. se densifie. Des idées connexes apparaissent et le projet prend corps.
Tel un nourrisson adulé, l’idée est si belle que son concepteur en tombe amoureux.
Conseil n°2: l’idée n’a pas de valeur en soi. Seule sa mise en oeuvre compte. Ne restez pas trop longtemps à peaufiner votre idée dans votre tête. Passez vite à la confrontation avec le terrain.
Le temps des rabats-joies
Jusque-là confinée en son fort intérieur, l’idée est maintenant si belle que vient le temps de la partager avec l’entourage d’abord, puis bientôt avec des gens qui devraient pouvoir apporter quelque chose.
Il est très rare que l’enthousiasme général soit à la hauteur de l’excitation du porteur de l’idée. Il y aura toujours quelques fans pour trouver cela super mais beaucoup plus d’indifférents que se contenteront d’écouter sans voir le point. Le plus dur reste à venir: les sceptiques, les contradicteurs, les défaitistes, les experts du sujet, les pessimistes, les mauvaises langues, les jaloux vont matraquer l’idée, la passer au peigne fin et la réduire en miette.
Plus encore que les concasseurs d’idées, l’entrepreneur doit redouter ceux qui vont saper sa confiance, en doutant non pas de l’idée, mais de sa capacité à la mettre en œuvre.
Bien peu d’idées et d’entrepreneurs vont résister à cette lame de fond. Même ceux qui réussissent à passer au travers, y auront laissé des plumes, auront douté et l’enthousiasme en aura pris un coup.
Conseil n°3: confronter son idée, recevoir des critiques et des objections doit la rendre plus robuste. Il n’y a pas de réussite sans opposition.
Le long chemin de l’exploration
Pour les quelques rescapés de cette première vague de la confrontation avec l’entourage, commence alors une période de travail systématique pour creuser le sujet. Il faut généralement entre 3 et 9 mois pour passer de l’idée à ce qu’on appelle un business-plan.
Tel un chercheur d’or qui creuse inlassablement sa concession, le futur entrepreneur doit creuser toutes les questions qui s’ouvrent à lui. Comprendre les besoins de la cible, imaginer la solution la plus opérationnelle et les moyens pour y parvenir, bâtir une stratégie de conquête commerciale, élaborer un prévisionnel financier sont autant de travaux de fonds qui demandent ouverture, abnégation et persévérance. Cette phase est essentielle car ce sont les fondations de la future entreprise.
Les émotions qui accompagnent cette phase sont mélangées, contradictoires et font le yoyo: envie que çà se termine pour pouvoir enfin se lancer à fond et lâcher son activité principale, découragement devant l’immensité de la tâche, joie quand la cible répond comme on espère, déception quand les solutions sont plus compliquées que prévues, confusion devant la multiplicité des choix, et détermination à rester sur le chemin initial.
Conseil n°4: la phase ante-création est déterminante. Plus vous serez sérieux et précis, plus vous testerez plutôt que de supposer, plus vous confronterez votre approche avec d‘autres points de vue, plus vous saurez vous entourer, meilleures seront vos chances de réussir.
La dernière hésitation avant de plonger
Après de longs mois de préparation, il faut plonger. Démissionner si on est toujours en poste, créer l’entreprise, ouvrir un compte, y verser ses économies, engager les dépenses, …
Malgré le gros travail de préparation effectué, malgré les signaux positifs recueillis, le doute peut s’installer au moment de basculer définitivement, de faire ce fameux “pas dans l’inconnu”.
Il est légitime d’hésiter, car rien n’est certain. Lorsque j’échange avec des entrepreneurs dans cette phase, je leur confirme le risque, car le nier serait une tromperie, mais je leur rappelle qu’ils se sont préparés de la meilleure façon, qu’ils ont fait ce qu’il fallait, et qu’il n’y a plus d’autres moyens de savoir si çà marche que d’y aller.
Conseil n°5: au moment de basculer dans votre nouvelle vie d’entrepreneur, il est important de décider consciemment de ne plus regarder en arrière. Chaque fois que vous aurez des doutes, que vous regretterez d’avoir fait ce choix, ou que vous serez nostalgique du confort de votre position salariée, repensez à votre décision et reconcentrer votre énergie sur le présent.
L’immunité du début
Si vous vous êtes bien préparé, quand vous vous lancez, vous avez au moins 18 mois de visibilité, et si possible 24 mois. Vous avez asssuré vos revenus personnels minimum, vous avez rassemblé les fonds pour réaliser les investissements nécessaires au lancement.
Les entreprises innovantes qui ont bien travaillé en amont de leur création et qui sont bien accompagnées n’échouent pratiquement jamais dans les 18 premiers mois. C’est la période d’immunité!
Ces 18 mois sont décisifs pour la suite de l’aventure. C’est pendant cette période, qu’il faut développer sa proposition de valeur, créer sa communauté, trouver ses premiers clients, réussir à finaliser la rentrée des fonds (prêt d’honneur, prêt bancaire, aide bpifrance, etc…), valider le fameux product/market fit!
Conseil n°6: il ne faut pas tergiverser. Il faut dérouler son plan tant qu’aucun obstacle majeur ne se profile à l’horizon. La capacité d’exécution est essentielle dans cette période.
Quand les premiers chocs arrivent
Les 18 premiers mois sont en principe moins risqués, mais cela ne signifie pas qu’il ne peut rien se passer. Au contraire, bien des évènements peuvent venir perturber le déroulé prévu.
Quelques exemples vécus pour illustrer ces retournements de situation qui peuvent être violents:
un associé qui prend le code qu’il a développé en otage, un mois avant le lancement,
une lettre d’avocat d’une grande entreprise qui conteste la marque alors que toute la communication est lancée,
un des GAFA qui sort un produit concurrent un mois avant le lancement,
la découverte d’un concurrent frontal qu’on n’avait pas identifié au moment de la création,
le refus d’un prêt promis,
un prospect engagé de longue date qui finalement renonce,
un prestataire qui ne réussit pas à faire le développement et qui oblige à tout recommencer avec un autre,
un associé qui veut tout arrêter et réclame sa mise,
un lancement commercial qui ne prend pas et qui nécessite un pivot,
un recrutement clé raté qui fait perdre 6 mois et pas mal d’argent,
etc…
Quand ces évènements brusques et inattendus surviennent, les émotions sont chamboulées: sidération, incrédulité, colère, déception, abattement, …
Passé le choc, il faut se ressaisir et réévaluer la situation pour prendre les mesures correctives. Par exemple, lorsque son associé technique a refusé la mise en ligne du code un mois avant le lancement, l’entrepreneur a dû trouver dans son entourage un autre développeur qui a recodé tout l’algorithme, et le site a pu être lancé avec seulement un ou deux mois de retard.
Conseil n°7: les chocs arrivent quand on ne s’y attend pas. L’important est de ne pas se laisser emporter par ses émotions. Inutile de ressasser la situation, de chercher à se venger, ou de se battre pour revenir en arrière, il faut mettre ses forces au service du plan B.
Traverser le goufre
Quand enfin le produit est prêt et que le lancement est fait, les premiers clients procurent une excitation particulière. Il n’est pas rare, que ce soit assez facile de signer ces premiers clients, si l’on a bien travaillé dans les phases préparatoires.
En matière d’innovation, il faut savoir qu’il y a toujours des clients très particuliers pour acheter tout ce qui sort. Même si ce n’est pas parfait, ils veulent être les premiers à tester un nouveau produit. Ils sont assez tolérants et prêts à contribuer pour améliorer le produit.
Ces clients férus d’innovation ne représentent que 2,5 % du marché. Ils ne sont donc pas représentatifs. Il est essentiel de ne pas s’enthousiasmer et se croire arrivé, quand ce type de client achète.
La frange suivante des clients qui se décident est celle des “early adopters” (les primo-adoptants), ceux qui se laissent facilement convaincre dès lors qu’un produit a un peu de visibilité. Ils représentent seulement 13,5% du marché.
Pour réussir durablement, il faut convaincre la majorité précoce des gens pragmatiques. Le hic, c’est qu’il y a un gros écart de comportement entre les early adopters et la majorité pragmatique. Les arguments utilisés pour convaincre les “geeks” ne fonctionnent plus. La majorité ne prend pas de risques et veut des références. Elle achète au leader.
Après un début de commercialisation encourageant, il est donc classique de voir les ventes stagner, voire régresser. C’est le fameux gouffre (“chasm” pour Geoffrey Moore qui a expliqué ce phénomène). Cette phase est particulièrement difficile pour les entrepreneurs qui se croyaient sur la bonne voie.
Conseil n°8: se préparer à traverser le gouffre en surveillant sa trésorerie, et en focalisant sa prospection sur le secteur de ses premiers succès. Contre-intuitivement, le salut se trouve dans le focus et non la prospection tous azimuts.
Et ainsi de suite
Je vous ai décrit en accéléré, les hauts et les bas du lancement d’une startup!
On pourrait continuer, ou bien zoomer sur des périodes plus précises. Dans tous les cas, on retrouverait cette succession de moments forts positifs et négatifs. C’est le destin de l’entrepreneur.
Le métier d’entrepreneur consiste à gérer les hauts et les bas en maîtisant ses émotions, à saisir les opportunités, à savoir rebondir, à trouver en soi-même les ressources pour réussir l’impossible, tout en sachant s’entourer des bonnes personnes.
Passionnant, mais il faut beaucoup d’énergie!
Pour aller plus loin
« Crossing the Chasm » ou Pourquoi les gens n’achètent pas votre produit révolutionnaire, un article de Philippe Silberzahn
Don’t Start With an MVP, un article de Ash Maurya qui raconte parfaitement une situation de choc et une solution.