Les PME sont souvent paradoxales: nombres d’enquêtes montrent que leurs dirigeants disent que l’innovation est une priorité (voir par exemple l’infographie du CIC) et en même temps d’autres études soulignent qu’un des freins principaux à l’innovation est le manque de temps (voir par exemple l’étude de la CCI de Paris).
Ne pas avoir le temps de se consacrer à une activité prioritaire dénote un dysfonctionnement majeur. Les causes sont certainement multiples et propres à chaque entreprise.
La méthode “lean” pour les projets d’innovation, popularisée par les startups, et l’innovation ouverte utilisée surtout par les grandes entreprises, apportent certainement une solution pour réconcilier la priorité de l’innovation et la gestion serrée des calendriers.
Je propose ici quelques conseils pour appliquer ces méthodes à l’innovation dans les PME qui sont encore encore peu familiarisées avec celles-ci.
Avant de commencer
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Les 3 temps de l’innovation
La première chose à comprendre lorsqu’on veut innover est l’importance des 3 phases du processus:
l’idéation: tout innovation démarre avec une idée, qui elle-même est issue de l’observation d’un problème.
la validation: avant de lancer quoi que ce soit, il est essentiel de valider que le problème identifié est réel et que la solution imaginée provoque l’engagement des clients potentiels.
l’exécution: une fois l’idée validée, les risques sont réduits et il est temps de se lancer dans la mise en œuvre du projet.
Ces 3 étapes sont indispensables pour réussir dans un temps court et un budget serré.
Trop d’entreprises passent de l’idée à l’exécution et se retrouvent avec un produit qui n’intéresse pas leur cible. Beaucoup de temps a été passé, un budget important a été dépensé et pourtant le projet n’est pas fini: au mieux, on peut encore faire des modifications au prix d’un surcoût significatif, au pire, il faut tout jeter.
L’idéation en continu
Je rencontre souvent des entreprises qui m’expliquent qu’elles ne peuvent s’intéresser à tel sujet d’innovation, car elles sont occupées par un gros projet en cours. Ce sont ces mêmes entreprises qui sortent une innovation tous les 10 ans et qui traversent entretemps des périodes difficiles.
Pour être efficace et donner un avantage durable à une entreprise, l’innovation doit être continue. Elle ne peut fonctionner en “stop and go”, sous peine de perdre les bons réflexes et de rater le coche d’un revirement du marché.
La phase d’idéation prend peu de temps, quasiment zéro budget et peut donc facilement être un état permanent de l’entreprise.
Elle comporte trois actions. Notez, pour vous en souvenir, qu’elles commencent toutes par “I” comme Innovation.
Identifier un problème: observer, écouter, noter sont les mots clés qui doivent devenir une seconde nature dans une entreprise innovante. Ces attitudes ne prennent aucun temps, car elles se font en tâche de fond au quotidien. Chaque situation en interne ou avec les clients est propice à révéler un problème. Le cahier des problèmes à résoudre, plus que le cahier des idées, porte l’avenir de l’entreprise. Chaque collaborateur doit être incité à adopter la posture “observer, écouter, noter”.
Interroger la cible: une fois un problème identifié, il faut questionner largement différentes personnes concernées. Ce questionnement doit être fait sans a priori. Il peut facilement se glisser même dans un calendrier chargé. Il faut profiter de chaque interaction avec un client, un collaborateur, un partenaire, un confrère pour poser des questions permettant de confirmer la “douleur” observée et de mesurer son intensité. Plus vous interrogez de personnes, plus le problème prend du relief.
Imaginer une solution: une fois le problème bien cerné, et validé par un grand nombre de personnes, vient le temps d’imaginer une solution. Celle-ci n’est généralement pas évidente à l’énoncé du problème. Sinon, d’autres l’auraient déjà réalisée. Une idée vient généralement d’une inspiration. Il est donc essentiel à ce stade de sortir de son bureau: participer à des salons et des conférences de son métier, mais surtout en dehors de son métier, échanger avec des personnes hors de son champ habituel d’interaction, faire de la veille (newsletters, Twitter, magazines professionnels).
Dès qu’une idée se fait jour, il faut en parler avec de nombreuses personnes pour recevoir des critiques et des enrichissements. Pour ceux que cela choque, sachez que la probabilité que votre client quitte son job pour monter une startup avec votre idée est très, très inférieure à la probabilité que quelqu’un d’autre ait la même idée que vous, de façon indépendante!
Être obsédé par un problème, être curieux de tout, avoir l’esprit ouvert sont les bases de la sérendipité, une méthode redoutablement efficace pour ceux qui n’ont pas de temps. En mettant en place la méthode des “3I” ci-dessus, vous emprunterez la voie qui mène à la sérendipité, à l’origine de tant d’innovations.
Comme il est impossible de savoir lequel des couples problème/idée sera un succès, il est très fortement recommandé de nourrir plusieurs couples en parallèle. Pour ma part, j’ai toujours une petite dizaine d’idées que j’enrichis en parallèle, en attendant une opportunité que me permettra pour l’une d’entre elles de passer en phase validation.
Valider rapidement
Le problème confirmé, l’idée en poche, il faut maintenant valider la faisabilité et le potentiel du projet. C’est généralement la phase difficile pour les PME, qui ont une propension à passer tout de suite à la phase exécution.
Les idées innovantes sont grisantes. Elles peuvent sembler si intéressantes, tellement géniales, qu’elles ont surement un énorme potentiel. Cet emballement classique chez les créateurs d’entreprises, est aussi très répandu dans les PME.
Pourtant rien n’est moins sûr que le succès d’une innovation. Valider le potentiel de l’idée avant d’engager du temps et de l’argent pour passer à l’exécution est primordial.
A cette étape aussi, trois actions principales:
Créer une “landing page”: vendre avant d’avoir le produit, tel est le principe d’une landing page. Mettre en place rapidement (quelques heures) une action qui permet d’engager le client. Celui-ci mord-il à l’hameçon de cette idée? Cela peut se faire avec une page web, mais aussi avec un mailing à son fichier client, ou une publicité dans un magazine professionnel. Bien sûr, si le concept est brevetable, il faudra avoir fait la demande de brevet avant.
Fabriquer une maquette: que ce soit avec du carton, une imprimante 3D, des circuits Arduino, un modèle en réalité virtuelle ou des outils no-code, il faut transformer son idée en quelque chose de visuel aussi réaliste que possible. Je suis toujours surpris de voir combien les gens ont du mal à comprendre les concepts innovants tant qu’ils ne sont pas matérialisés devant leur yeux (et même là, c’est encore difficile pour certains). Une maquette permet aussi de comprendre où seront les difficultés du projet et de commencer à penser à l’ergonomie du produit ou du service.
Tester la maquette avec les utilisateurs: en exposant une maquette à la cible, l’entreprise récolte énormément d’avis positifs et négatifs et de suggestions qui vont servir à améliorer la première version du produit. Organiser ces séances de tests demande de prendre du recul avec son idée. En effet, il faut être capable d’entendre sans réagir les pires critiques sur sa maquette, des idées farfelues d’usage, ou de constater un faible intérêt des clients potentiels.
La phase validation est redoutable, car elle risque d’éliminer 3 idées sur 4, voire 9 sur 10. Cela peut-être décourageant pour les équipes de l’entreprise, sauf si la démarche est bien comprise.
En réalité, cette phase qui engage très peu de moyens permet de minimiser assez significativement les risques d’échec, et surtout évite d’engager de gros moyens inutilement.
C’est aussi pendant la phase de validation, qu’il faut estimer le coût de son projet, définir le planning, choisir les partenaires, établir le budget et chercher les financements. Cette étude de faisabilité est la dernière étape de la validation: si le budget ne peut être bouclé, ou s’il n’est pas possible de convaincre les bons partenaires, le projet ne pourra se faire.
Valider avant de se lancer est le propre des entreprises innovantes qui réussissent!
Exécuter à plusieurs
Lorsque le projet est validé, la phase d’exécution doit être menée efficacement. Je vous propose ici trois approches encore assez peu répandues dans le monde des PME. Elles permettent pourtant de gagner de l’argent, du temps et de l’efficacité.
L’approche participative: un projet classique d’innovation est souvent mené par le service études, ou R&D. Une fois terminé, le marketing, la communication et le commercial s’en emparent pour trouver les arguments de vente et en faire la publicité. Dans l’approche participative, tous les services de l’entreprise sont mobilisés dès la phase idéation, et le restent tout au long du processus. Il faut donc constituer une équipe transverse en charge du projet. L’idéal si le projet est conséquent est de sortir les équipiers de leurs services et de les regrouper physiquement. Ainsi le marketing et le commercial associés depuis le début vont contribuer à rendre le produit plus facilement et naturellement vendable.
L’approche ouverte: très peu d’entreprises maîtrisent l’ensemble des compétences pour mener à bien un projet d’innovation. L’approche ouverte consiste à chercher ailleurs les compétences et les technologies manquantes et à coordonner leur intégration. Les sources de technologies et de compétences ne manquent pas: laboratoires universitaires, startups, consultants-experts, centres techniques, brockers en propriété intellectuelles, PME high-tech, plateformes open-source. Avant de se lancer dans le développement d’une solution technique, il est essentiel de vérifier qu’on ne peut se la procurer sur le marché. Cela fait gagner beaucoup de temps.
L’approche collaborative: pour les projets d’une certaine ampleur, l’approche ouverte peut être utilement remplacée par l’approche collaborative. Un consortium de compétences regroupant plusieurs entreprises et laboratoires est mis sur pied pour mener le projet. Contrairement à l’approche ouverte où l’entreprise coordonnait les différents intervenants et prenait en charge l’intégralité des coûts, l’approche collaborative permet de partager les coûts et une partie de la propriété intellectuelle, mais aussi de bénéficier de subventions, car c’est un mode privilégié par les financeurs publics pour soutenir l’innovation.
Une idée n’est rien sans une exécution réussie. La même idée exécutée par deux entreprises peut produire des résultats différents. Choisir la bonne façon d’exécuter son idée d’innovation est donc essentiel pour réussir.
Innover est un état d’esprit
Bien sûr conduire un projet d’innovation à la phase exécution demande l’allocation d’un budget et de moyens humains, donc du temps. L’innovation est un investissement pour la pérennité et la croissance de l’entreprise.
Mais être dans une posture permanente d’entreprise innovante ne prend pas de temps. Les phases idéation et validation bien menées demandent peu de ressources. Elles exigent par contre d’avoir instauré un état d’esprit dans l’entreprise.
Si chaque collaborateur est sensibilisé à l’identification de problèmes, est encouragé à proposer des idées, si l’approche du maquettage est devenue une seconde nature, si les parties prenantes (clients, fournisseurs, partenaires) sont mises dans la boucle, si la confiance est une valeur clé de l’entreprise, alors l’innovation deviendra naturelle et ne sera plus perçue comme le truc en plus qu’on n’arrive pas à caser dans son emploi du temps.
Pour devenir une entreprise innovante, il faut le décider et ne pas attendre d’avoir le temps!
Pour aller plus loin
Gérer son temps et ses priorités pour mener à bien ses projets: le webinaire que j’ai donné le 10 novembre 2020 et qui reprend les idées développées dans cet article et dans Un pas dans l’inconnu #41.
3 articles de Charlotte Duval, pour vous aider à comprendre le besoin de votre cible, et 1 article sur le design sprint, une méthode qui permet de conduire les phases ideation et validation en 5 jours :
Intentional Serendipity, une video de Corey Ford sur la sérenpidité (en anglais)