En commentant l’article paru la semaine passée, “Débordé mais heureux”, un lecteur a écrit: “Prioriser signifie choisir un ordre d'importance. Mais alors, par rapport à quoi ? Les deux grandes possibilités sont d'une part le business (ce qui va alimenter les caisses de son entreprise), et la passion (c'est généralement le propre de l'entrepreneur que de vivre de sa passion). J'ai souvent du mal, encore, à arbitrer entre un sujet moins passionnant mais qui rapporte, et un sujet passionnant qui rapporte moins. Lorsque je parviens à choisir c'est que j'ai su répondre à la question : qu'est-ce qui va le plus me faire grandir ? (à chacun de mettre ce qu'il veut derrière "grandir" 😉)”.
En lisant ce commentaire, j’ai eu envie d’aborder le sujet de la passion au travail et plus particulièrement en lien avec l’entrepreneuriat. Mieux comprendre comment en faire un atout et non un handicap, comment la partager pour la vivre plus intensément, comment rendre passionnant ce qui ne l’est pas?
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Souffrance ou plaisir?
Hegel écrivait: “Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion”. La passion fascine car elle est à l’origine des plus belles créations artistiques, des histoires les plus puissantes, des inventions les plus importantes et des conquêtes les plus extraordinaires.
Étymologiquement la passion est une souffrance, une émotion qu’on subit passivement. La passion peut être dévorante, rendre fou, entraîner vers la perdition. La passion non maîtrisée peut isoler des siens et ruiner une vie.
Inversement, la passion est un puissant moteur de vie, une force créatrice, un pouvoir charismatique et un levier de réussite.
La passion peut aussi être simplement un pur plaisir, un moyen de s’évader du monde réel, un passe-temps envahissant qui rend toute autre activité fade.
La soif d’exercer sa passion, l’envie de s’y consacrer à temps plein et la recherche du plaisir que cela procure est un moteur qui permet à l’entrepreneur de se lancer. Au départ, le plaisir l’emporte sur la souffrance.
Une fois empêtrés dans les difficultés inévitables de l’aventure entrepreneuriale, j’ai vu des créateurs passionnés s’entêter en voulant à tout prix prouver qu’ils avaient raison, tout sacrifier pour essayer de réussir, ruiner leur santé, leur famille et leur équilibre pour aller au bout. Dans ces moments, la souffrance l’emporte sur le plaisir.
La passion est donc capable du meilleur comme du pire. Telle une formule 1 surpuissante, elle est difficile à maîtriser pour en tirer le meilleur: la création dans le plaisir et l’épanouissement.
La passion est un moteur et non une occupation
Celles et ceux qui entreprennent le font souvent par passion. En tous cas, le fait de faire de sa passion son travail permet de rendre les sacrifices de l’entrepreneure et de l’entrepreneur moins douloureux.
Être passionné donne une énergie considérable. Être passionné permet d’apprendre avidemment sans effort particulier. Être passionné entraîne les autres et permet de convaincre et d’engager une communauté autour de soi. Être passionné génère un optimisme supérieur à la moyenne qui autorise une prise de risque importante.
Cependant, si l’on veut réussir, être passionné ne signifie pas passer sa journée à exercer l’objet de sa passion. Si vous êtes passionné par la patisserie et que vous passez vos journées aux fourneaux, vous ne réussirez pas Michel et Augustin. Si vous êtes passionnée par le code et que vous passez vos journées derrière vos ordinateurs, vous ne réussirez pas Payfit ou Algolia.
La passion au service de l’entrepreneuriat ne peut être seulement une occupation. Entreprendre c’est engager sa passion au service d’une cause plus grande. Pour y parvenir, l’entrepreneure et l’entrepreneur doivent accepter de s’intéresser à autre chose que leur passion pour une technique ou un domaine d’activité.
Apprendre à vivre sa passion par procuration
Accomplir seul quelque chose de très significatif est rarement possible. C’est en conduisant une équipe de talents qu’il est possible de réussir à grande échelle.
L’entrepreneur passionné de programmation ou de mécanique des fluides devra très vite lâcher la technique pour se consacrer aux clients, à la recherche de fonds, puis au management et à la stratégie. Mais alors, n’est-ce pas très frustrant?
Certains entrepreneurs (j’ai observé que c’était plus souvent le cas pour les hommes que pour les femmes) n’arrivent pas à s’extraire de leur passion pour prendre une posturale entrepreneuriale plus globale. L’entreprise devient alors hémiplégique, trop polarisée sur un seul aspect, ce qui finit par lui coûter la vie.
Pourtant, lorsqu’on comprend qu’on ne réalisera rien seul, la passion peut être assouvie par procuration.
En voyant ses équipes faire naître le projet dont il a révé, l’entrepreneur éprouvera beaucoup de plaisir. En employant des salariés plus forts que lui, l’entrepreneur continuera d’apprendre et de satisfaire sa passion. En transmettant son savoir à de jeunes employés, l’entrepreneur réactivera sa passion.
La passion cherche la perfection
La vraie passion ne se satisfait pas d’une pratique banale. La vraie passion est une quête éternelle vers la perfection.
Cette vérité est magnifiquement illustrée par les artisans traditionnels japonais, dont le maître sushi Jiro Ono est un parfait exemple (voir le documentaire Jiro dreams of sushis). Seul maître sushi, ayant 3 étoiles au guide Michelin, il cherche toujours à 85 ans à améliorer sa technique. Il considère que cela prend 10 ans de pratique pour être un chef sushi correct.
Mais la seule façon de viser la perfection, n’est pas la pratique solitaire. En conduisant une équipe au service d’une passion, il est possible de creuser diverses directions, en confiant à plusieurs personnes ou équipes, des missions précises et diversifiées.
En s’entretenant régulièrement avec ses clients, en échangeant avec ses équipes de R&D, ses équipes commerciales et marketing, l’entrepreneur passionné affinera sa compréhension et sa maîtrise du domaine qui le passionne, et ainsi entretiendra la flamme qui l’anime.
Si vous voulez creuser votre passion, et aller plus loin dans sa maîtrise, l’entrepreneuriat est une bonne façon d’y parvenir, en la partageant avec une équipe de personnes compétentes et elles-mêmes passionnées.
Le travail peut susciter une nouvelle passion
Il est parfois difficile de savoir d’où viennent nos passions, tant elles semblent ancrées en nous. Pourtant, nos passions ne sont pas toujours constantes. Elles naissent, se développent et peuvent aussi se tarir.
Le travail nécessaire pour atteindre un objectif difficile peut susciter une nouvelle passion, ou en tous cas nous permettre d’aimer et d’apprécier une activité pour laquelle nous n'avions aucune affinité.
L’an dernier, j’ai eu la chance de réaliser une rencontre dont je rêvais depuis longtemps, celle de Stéphane Diagana, champion du monde du 400 m haies 1997. Il m’a partagé une histoire qui illustre le propos de ce paragraphe.
Stéphane est un passionné d’athlétisme. Il était un excellent élément dans les compétitions de jeunes, mais il dit lui-même ne pas être un surdoué. Lorsque avec son entraîneur Fernand Heurtebize, ils envisagent d’atteindre le très haut niveau, ils savent qu’il va falloir travailler très dur. Stéphane doit travailler son physique pour gagner en puissance. Cela se fait en dehors de la piste, dans une salle de musculation.
Stéphane, le passionné de courses doit donc consacrer une grande partie de son temps à soulever de la fonte. Il n’aime pas cela et souffre. Comme ce travail est aligné avec son objectif d’atteindre le plus haut niveau, et que la progression est visible, il finit par apprécier et même aimer ces séances.
Il peut en être de même pour l’entrepreneur. Celui qui n’aime pas les chiffres peut finir par les apprécier en constatant que cela l’aide à réussir. Celui qui n’aime pas vendre peut y prendre du plaisir en apprenant à le faire et en appréciant l’adréline que procure la conclusion d’une affaire.
Le travail appliqué sur un sujet que nous n’aimons pas, peut dans la durée devenir plaisant quand il est au service d’une passion forte. Au départ, c’est la volonté qui doit agir, jusqu’à ce qu’une forme de plaisir prenne le relais.
La passion se transmet
Il y a des personnes inspirantes, qui peuvent par leur charisme, leur pédagogie, leur leadership nous entrainer vers de nouvelles passions.
A l’école primaire, je détestais le sport. Arrivé au collège, j’ai eu un professeur d’éducation physique extraordinaire. Après le premier trimestre de la 6ème, je commençais à aimer le sport. En 5ème, je pratiquais le sport en club. En 3ème, je voulais devenir professeur d’EPS.
Comme presque tous les ingénieurs, au début de ma carrière, je méprisais le commerce et le marketing, parce que j’en avais une représentation fausse de disciplines qui ne suivaient aucune logique.
J’ai suivi quelques formations qui ont changé ma perception. Des formateurs pédagogues ont su me transmettre les fondamentaux très logiques qui sous-tendent ces démarches et les rendent accessibles, et même plaisantes pour un ingénieur. Plus tard en accompagnant des ingénieurs créateurs d’entreprises, j’ai pu voir ces mêmes déclics se produirent.
Quand vous n’aimez pas ou ne comprenez pas une discipline qui est pourtant importante dans la réussite de votre projet, cherchez un mentor passionné et pédagogue et passez du temps avec lui. Au bout d’un certain temps, la magie va opérer car la passion se transmet.
Quid de celles et ceux qui n’ont pas qu’une passion?
La culture commune présuppose qu’on ne peut avoir qu’une passion. On n’imagine pas spontanément une danseuse étoile passionnée de football, un passionné de rap épris d’aquaponie, ou un féru de voitures anciennes passionné d’art contemporain. Et pourtant ces personnes existent!
Dans la communauté des entrepreneurs, il n’est pas rare de rencontrer ces personnes multi-passionnées, capables se s’intéresser à des sujets multiples et extrêmement différents, l’archétype étant Elon Musk, capable de se passionner successivement et simultanément pour les systèmes de paiement, les voitures électriques, les fusées, le transport en tube sous vide, les implants cérébraux et quelques autres sujets plus exotiques.
Là où la pression familiale ou scolaire poussent les enfants à choisir une passion, l’entrepreneuriat peut être une formidable destinée pour les personnes multi-passionnées.
Dans son intervention TED vue plus de 7 millions de fois, Emilie Wapnick détaille les 3 super-pouvoirs conférés aux multi-potentialistes (c’est le terme qu’elle utilise pour les multi-passionnés):
la synthèse des idées issues de domaines différents, formidable source d’innovation
l'apprentissage rapide, qui résulte d’une curiosité exacerbée et d’une habitude à repartir de zéro dans un nouveau domaine.
l'adaptabilité qui permet de passer constamment d’un sujet à un autre et de vivre plusieurs vies simultanées.
Pour toutes celles et tous ceux qui sont nés multi-passionnés, l’entrepreneuriat est une formidable chance de tirer partie de ce qui peut par ailleurs être considéré comme de la dispersion.
Quid de celles et ceux qui n’ont pas de passion?
Parler de la passion, la mettre en valeur au travers de celles et ceux qui font des choses extraordinaires revient à véhiculer l’idée qu’il faut avoir une passion et que celles et ceux qui n’en ont pas seraient des personnes de second rang. Il faut donc se méfier de ce discours qui peut être stigmatisant.
Dans sa conférence TED sur le sujet, Nicolas Beretti partage son témoignage et sa recherche vaine d’une passion, qui peut vraiment pourrir la vie. Il en conclut une solution pour s’affranchir de cette pression à suivre sa passion, iconifiée par Steve Jobs et son célèbre “Follow your passion”.
Pour trouver la petite flamme qui nous fait vibrer, celle qui nous sort de l’ennui, Nicolas propose de laisser s’exprimer le petit enfant qui est en nous (le Mini-you) en oubliant la recherche du prestige des adultes qui nous conduit souvent vers des carrières lucratives mais ennuyeuses.
Un peu de sagesse pour finir
Le philosophe Emmanuel Kant a écrit: “La passion se donne le temps et, aussi puissante qu’elle soit, elle réfléchit pour atteindre son but”.
Ce conseil empreint de sagesse résume ce juste équilibre qu’il faut trouver entre une passion qui s’emballe et emporte tout sur son passage, et la raison qui lui permet de prendre les bons chemins pour atteindre l’objectif.
Je vous souhaite beaucoup de plaisir dans l’exercice maîtrisé de votre passion!
Pour aller plus loin
Pour tous ceux qui n’ont pas trouvé leur passion ou qui ne savent pas choisir entre plusieurs passions:
L'illusion de la passion : une conférence TED de Nicolas Beretti
Why some of us don’t have one true calling: une conférence TED d’Emilie Wapnick
Vous êtes passionnés vraiment?: un article de Stéphane Torregrosa
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