#52 Le contexte supérieur au texte
pour bien communiquer, bien réagir, bien manager, bien vendre
Ce matin, j’ai rencontré quelqu’un qui avait demandé à me voir début décembre via Linkedin. Sa démarche m’étant apparue assez générale et non urgente, je lui avais donné une date de rencontre assez éloignée, en prévision d’un agenda chargé dans les semaines qui suivaient sa demande.
J’ai découvert en l’écoutant que sa demande était précise, dans le cadre d’un projet très proche. Cette situation m’a inspiré pour parler du sujet de la contextualisation !
Comment le contexte influe-t-il sur le résultat d’une démarche ? En quoi le contexte peut-il être plus important que le texte pour obtenir quelque chose ? Pourquoi ne pas donner le contexte n’est pas la bonne façon d’interagir ? Qu’y a-t-il à perdre à occulter le contexte ?
Avant de commencer
Une lectrice d’Un pas dans l’inconnu m’a écrit la semaine passée: “J'ai relu vos articles, écouté votre conférence, et retenu les valeurs qui vous habitent : la vérité, la loyauté, la bienveillance, l’empathie, la confiance en l’avenir, la foi que tout est possible, le partage, mais aussi la simplicité, la rigueur, l’exigence, la recherche de l’excellence et la curiosité.”
Au delà de l’expérience accumulée dans le domaine de l’innovation, du management et de l’entrepreneuriat, cette Newsletter essaye en effet de transmettre des valeurs et des principes plus généraux pour construire une approche positive de sa vie professionnelle et peut-être parfois de la vie en général.
En phase avec cette approche, cette lectrice me propose d’écrire un article pour un blog qu’elle anime. Si vous aussi pensez que cela serait intéressant à diffuser dans votre cercle d’influence par le biais d’un blog, d’une newsletter, n’hésitez pas à m’en parler.
Vous qui appréciez ces articles, merci de les partager avec votre entourage et sur les réseaux sociaux. Je suis aussi à l’écoute de vos suggestions pour des nouveaux thèmes à aborder.
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Une des choses qui m’énervent passablement est de recevoir une demande sans explications: un e-mail demandant une précision qu’on ne peut relier à aucun projet en cours, un message téléphonique d’un inconnu demandant de le rappeler sans préciser aucunement le pourquoi, une invitation à une réunion sans ordre du jour.
En quoi et pourquoi devrais-je répondre ? Quelle intention porte mon interlocuteur en se comportant de la sorte ?
Effacer le contexte porte un message
Que ce soit en toute connaissance de cause, intentionnellement ou sans s’en rendre compte, celui ou celle qui formule une requête dénuée de contexte véhicule un ou plusieurs messages parmi ceux-ci:
tu es mon subordonné, et je n’ai pas à t’expliquer ma démarche. J’attends de toi une exécution servile.
je suis trop occupé pour perdre du temps à t’expliquer le contexte de cette demande
tu n’es pas assez intelligent pour comprendre les enjeux liés à cette requête
je suis important et donc au courant de choses qui ne te regardent pas
je ne veux pas t’embêter avec des détails qui ne t’intéressent pas
je ne suis pas moi-même au courant du contexte
je ne peux t’avouer le contexte car il est gênant
je suis en train d’agir hors contexte officiel
je travaille sur des missions secrètes.
…
Dès que je me trouve face à un interlocuteur qui me parle hors contexte, je dois choisir par moi-même ce qui l’anime, parmi ces options ou encore bien d’autres qu’il est possible d’imaginer.
Effacer le contexte communique un message assez fort et généralement négatif. Ce n’est pas la meilleure façon d’entrer en relation ou de maintenir une relation saine.
Effacer le contexte brouille la communication
La bonne communication impose quelques règles simples entre l’émetteur et le récepteur du message.
L’une de ces règles consiste à minimiser les non-dits, les zones obscures laissant libre cours à l’imagination et l’interprétation personnelle.
Dès lors que vous laissez à votre interlocuteur, le choix de deviner le contexte, vous ouvrez une brèche énorme dans la communication.
Si la demande n’est pas triviale, vous l’obligez à supposer tout un tas de données nécessaires à l’exécution de la bonne tâche et donc vous maximisez les chances de réceptionner un travail inadapté, à côté de la plaque, incomplet ou au contraire surdimensionné.
Par exemple, si vous avez besoin des derniers chiffres commerciaux pour réfléchir à une nouvelle approche, mais que vous ne précisez rien, le collaborateur consciencieux va passer du temps à réaliser une présentation très propre, en supposant que vous avez besoin de faire une présentation au comité directeur. Vous aviez seulement besoin d’une impression sortie du CRM. Une minute de travail devient une heure ou deux.
L’économie de quelques phrases d’explication résulte dans un défaut de communication dont les conséquences ne peuvent être que négatives, même si elles ne sont pas forcément toujours graves.
Effacer le contexte démotive
Toute demande, qu’elle émane d’un supérieur, d’un client, d’un fournisseur, d’un partenaire, d’un actionnaire, d’un collègue doit déclencher une motivation chez celui ou celle qui la reçoit.
Bien entendu, le sens de la demande, supérieur vers employé, client vers fournisseur, actionnaire vers entrepreneur, est en soi un objet de légitimité de celle-ci.
Le supérieur considérant que son employé est là pour exécuter ses ordres, peut considérer que c’est un motif suffisant pour déclencher une action à la moindre demande. Le client considérant qu’il a payé s’estime légitime à effectuer une requête.
Un tel comportement assez fréquent dans les relations professionnelles oublie un des ressort principaux de la motivation nécessaire à toute mise en action: le sens.
Comprendre le pourquoi on doit faire quelque chose, engager un effort supplémentaire, laisser tomber une autre tâche, aide beaucoup à s’engager. C’est le propre de l’homme que d’aspirer à contribuer à quelque chose qui fait sens. Enlever le contexte, c’est évacuer le sens et transformer l’autre en robot exécutant.
Le contexte ne dépend pas des étages
Le contexte n’appartient à aucune classe en particulier.
Alors jeune ingénieur au CNRS en charge d’un projet de recherche complexe, je pilotais une équipe d’ingénieurs, techniciens et opérateurs. J’avais mis en place une newsletter du projet que je distribuais à chaque membre de l’équipe, quelle que soit sa position.
Nous devions réaliser des pièces en cuivre d’une précision extrême et d’un état de surface parfait, qui devaient ensuite être brasées pour atteindre une étanchéité permettant d’obtenir un vide intersidéral. J’ai passé des dizaines d’heures au bureau d’études avec le projeteur, puis à l’atelier avec le tourneur, pour expliquer pourquoi il était impératif de parvenir à une précision du micron. Avec son vieux tour, cela coûtait à l’opérateur une attention extrême. Il n’était pas mieux payé pour autant et étant fonctionnaire, son avancement et sa carrière n’en dépendait pas. Seule sa motivation et sa fierté permettait de réaliser quelque chose d’impossible.
J’ai beaucoup de mal avec les managers, les chefs, les patrons qui ne comprennent pas cette réalité : quel que soit le niveau de l’employé dans l’entreprise, il est en droit et en attente de savoir pourquoi il travaille.
Bien évidemment, le discours et les mots doivent être adaptés à la position, à l’éducation et à l’arrière-plan de chacun, mais en aucune manière, il n’est possible de faire l’impasse sur le sens.
En posant le principe que chaque personne dans l’entreprise a un droit égal au contexte, le dirigeant s’assure un socle de motivation et une digue anti-frustrations.
Le contexte éclaire la décision
Le contexte paraît sans doute superflu à ceux qui s’en affranchissent. Ils y voient sans doute un décor inutile à la conduite de l’action. Ceci est peut-être vrai dans les romans, mais dans les relations professionnelles, ce n’est pas le cas.
En anglais, contexte se dit “background”, composé de “back” (l’arrière-plan) et “ground” (le sol). Tout est dit ! Le contexte est à la fois la mise en perspective et le socle du propos principal.
Que ce soit pour convaincre un prospect, séduire un investisseur, décrocher un budget, la présentation du contexte est décisive.
Combien de fois, ai-je assisté à des pitchs où l’on ne commence à comprendre le sujet qu’au bout de la cinquième ou sixième slide.
Dans le marketing, il y a peu de vérités absolues. Les innovations n’en sont que relativement à un état de l’art. La différentiation ne s’exprime qu’en référence à la concurrence. Les solutions n’ont d’intérêt que si les problèmes existent. Les avantages sont toujours relatifs.
Chaque fois qu’un produit est présenté sans référence au problème, à la concurrence, à l’état de l’art, son intérêt est fortement amputé.
Chaque fois qu’un entrepreneur perd un auditeur, en ne lui permettant pas de comprendre le raisonnement qui a conduit à l’innovation extraordinaire qu’il présente, il tire un pétard mouillé.
Il faut cependant bien comprendre où commence le contexte. Si vous pitchez un projet respectueux de l’environnement, il n’est pas nécessaire de passer 10% de votre temps à expliquer le réchauffement climatique et la nécessité de réduire la production de CO2.
Présenter le contexte, ce n’est pas partir de la lune et zoomer ensuite pour faire visiter votre jardin. Il s’agit d’identifier en fonction des auditeurs, les quelques éléments clés d’information et les étapes logiques du raisonnement qui rendent l’innovation présentée lumineuse.
Le contexte bien présenté est une fondation qui permet de construire un argumentaire solide qui éclaire la décision.
Le contexte apaise les émotions
Les réseaux sociaux sont le royaume absolu de la décontextualisation. Une phrase, un extrait vidéo sortis de leur contexte déchainent les passions. La colère, la haine, la rage s’expriment sans limites.
Après analyse du contexte, il est très rare que toutes ces émotions soient justifiées au niveau où elles ont été exprimées.
Il m’arrive malheureusement de réagir émotionnellement à un e-mail que je reçois, ou à une information que j’apprends un peu rapidement. Assez souvent, l’analyse a posteriori du contexte fait regretter l’intensité de la réaction.
Si les réactions émotionnelles hors contexte sont déjà gênantes, les décisions prises sans connaissance du contexte peuvent s’avérer catastrophiques.
J’ai déjà consacré 2 articles (UPI #48 et UPI #49) aux leçons apprises de Barack Obama. Son flegme apparent, son humeur plutôt enjouée, son calme pendant la tempête reflètent bien sûr sa personnalité, mais s’expliquent aussi par sa capacité à analyser le contexte qui lui permet de relativiser ses émotions et rationaliser ses décisions. Le spectacle de son successeur twittant frénétiquement en ayant visiblement pas étudié les rapports lui présentant le contexte, a montré a contrario les impacts délétères de ce comportement.
Étudier et prendre en compte le contexte augmente la sagesse, apaise les émotions et donne au leader une hauteur de vue nécessaire à sa mission.
Contextualiser aussi l’absence de contexte
J’entends d’ici ceux qui diront qu’il n’est pas toujours possible d’être aussi transparent et que souvent cela peut faire plus de mal que de bien.
Il y a certainement des exceptions: confidentialité avancée, gravité extrême, urgence absolue, complexité hors normes, ça existe bien sûr.
Cependant la règle s’applique: si vous ne pouvez expliquer le contexte, alors contextualiser la situation, expliquer qu’il est présentement difficile de donner le contexte. La personne à qui vous n’avez jamais menti, à qui vous donnez généralement le contexte et qui donc a confiance en vous, comprendra parfaitement que si vous ne lui expliquez rien cette fois-ci, c’est que vous ne le pouvez vraiment pas.
Au final, il y a toujours un contexte à donner.
Donner sans rien attendre mais en recevant beaucoup
La langue française est bien faite. L’expression consacrée est “donner le contexte”.
Peut-être est-ce une raison pour laquelle beaucoup de gens se refusent à “donner” du contexte.
Donner coûte, c’est le principe : dans le cas présent, essentiellement du temps, un effort de synthèse et d’adaptation à l’autre, une part de ce fameux pouvoir lié à l’information.
Mais donner est avant tout un pari sur l’avenir. Dans sa grande sagesse, l’Ecclésiaste disait: “Jette ton pain à la surface des eaux, car avec le temps tu le retrouveras.”
J’aime beaucoup cette citation, et je me la remémorre chaque fois que des choses positives reviennent, des fois bien longtemps après un acte de générosité.
Dans le cas du contexte, il ne faut pas attendre bien longtemps pour en voir les effets positifs sur la motivation, la qualité du travail, la confiance, le respect, la progression des collaborateurs ou des partenaires.
Une fois n’est pas coutume: ne laissez pas votre interlocutrice ou votre interlocuteur faire un pas dans l’inconnu, donnez-lui le contexte !
Sympa de te lire Christian. Je partage à mes homologues des autres régions.
Merci pour cette belle lecture. Une fois de plus en plein dans le mille. Donner et Dieu vous le rendra comme disait Enrico !