Je me souviens avec une certaine nostalgie des longues heures passées dans la bibliothèque de mon laboratoire au tout début de ma carrière. C’était avant internet et l’information était une denrée rare. Elle était précieuse !
Il était courant de passer une après-midi entière à naviguer dans les rayons, chercher dans les index, feuilleter les énormes volumes des publications récentes ou anciennes, pour enfin trouver l’information recherchée. Et il n’était pas rare de repartir bredouille. C’était une autre époque, le temps s’écoulait à une autre vitesse.
En rendant l’information surabondante, internet l’a banalisée et a dégradé sa valeur ! En mettant sur un pied d’égalité l’information issue d’un expert et la fake news, internet a introduit la confusion.
L’information de qualité, l’information précise, disponible au bon moment et sous une forme synthétique est pourtant un passage incontournable et un outil indispensable pour la réussite d’un projet d’innovation.
Quel moyens consacrer à l’information ? A quoi sert-elle ? Comment extraire la bonne information et comment en tirer profit ?
Avant de commencer
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Tout au long de la vie d’un projet, l’information est cruciale. Son rôle évolue selon l’état d’avancement du projet. Au stade de l’idée, l’information permet de mieux cerner le sujet, au cours du développement du projet, elle permet d’affiner sa réalisation et en phase de lancement, elle est utile pour ajuster sa communication.
Sans être exhaustif sur ce vaste sujet, je vous propose quelques réflexions issues d’une longue pratique.
Tout existe
Il n’est pas rare de rencontrer des porteurs de projets, et même des entrepreneurs qui ne connaissent pas l’environnement en lien avec leur sujet.
Très souvent, à la question de la concurrence, ces inventeurs prétendent qu’il n’y en a pas. J’éprouve alors un malin plaisir (oui, je sais, ce n’est pas très bien !) à faire une recherche sur Google. En quelques minutes, si ce n’est en quelques secondes, je trouve généralement de la concurrence.
Je n’ai pas grand mérite à cela, car à 99,99% il est impossible d’avoir une idée vraiment nouvelle.
Hier par exemple, il me vient une idée : imprimer des masques hygiéniques avec la photo du bas de son visage, pour avoir un look un peu plus conforme à la réalité. Je n’en ai jamais vu, et je me dis que ce pourrait être une bonne idée de business. En écrivant cet article et pour démontrer mon propos, je vient de “googler” cette idée : comme attendu, il y a pléthore d’offres.
Tous ceux qui prétendent qu’il n’y a pas de concurrence, soit ne savent pas chercher, soit ne sont pas curieux, soit sont menteurs.
Mais alors impossible d’innover ? Non, car 99,99% ce n’est pas 100% ! Il reste 1 chance sur 10 000 ! Et surtout, parce qu’innover, ce n’est pas inventer quelque chose d’absolument nouveau, c’est remplacer une façon répandue de faire, par une nouvelle façon. Le jour où les masques chirugicaux seront remplacés par des masques avec la photo du visage chez 20 ou 30% des gens, on pourra dire que l’entreprise qui aura ainsi réussi à pénétrer le marché aura innové avec succès.
Comprendre que presque tout existe, savoir analyser la concurrence pour éventuellement en comprendre les lacunes, est la base de tout projet d’innovation.
Observer pour innover
Il n’est pas possible d’innover sérieusement sans être curieux.
Pour innover, il faut d’abord comprendre les problèmes rencontrés par les gens. Que ce soit dans l’univers de la vie de tous les jours, ou dans le cadre très spécifique d’un univers professionnel particulier, comprendre les souffrances (“pains” en anglais) est le point de départ de la recherche d’une idée.
Toutes les sources d’informations sont bonnes, réseaux sociaux, influenceurs, salons et revues professionnelles, mais aussi immersions et observations in situ.
Le secret d’une innovation se trouve souvent dans la compréhension d’un détail qui fait toute la différence. Cette observation attentive est la base de la méthode design ou “design thinking”, une approche de l’innovation maintenant largement répandue. Même l’état la recommande dans sa démarche de modernisation de ses services.
Pour celles et ceux qui veulent creuser ce point, Charlotte Duval développe dans son article “Passez en mode observation”, 9 méthodes concrètes d’observation.
Observer demande du temps et de la patience. C’est le prix à payer pour comprendre les usages et innover avec succès.
Devenir un expert
Conquérir de nouveaux clients, piloter le développement, négocier les achats, préparer la prochaine levée de fonds, les tâches ne manquent pas pour les entrepreneures et les entrepreneurs.
Tout cela ne peut excuser le manque de temps pour s’informer.
L’entrepreneur qui veut réussir dans la durée, doit devenir un expert incollable de son sujet. Je n’hésite pas à dire qu’il doit tout connaître de son secteur : les acteurs clés, les concurrents, les produits, les technologies, et bien sûrs les clients.
Pour reprendre l’exemple donné dans mon dernier article, le boulanger ambitieux doit tout connaître des différentes farines, suivre les comptes Instagram des stars de la profession, mais aussi des concurrents de sa ville, être abonné à la revue professionnelle du secteur (et la lire), mais aussi suivre les comptes Facebook de ses clients, être à l’écoute des évolutions de leurs goûts, lire la presse locale pour repérer le nouvel agriculteur qui se lance dans la confiture bio, être abonné à la presse culinaire et féminine grand public pour détecter des tendances, aller sur les salons professionnels, ….
Cette exigence nécessite de développer une passion pour son activité. En étant passionné, le temps consacré à s’informer, deviendra un loisir et non du travail. C’est la seule façon de parvenir à consacrer suffisamment de temps à cette veille permanente.
Si vous ne trouvez pas un plaisir suffisant à vous informer sur votre domaine d’activité, si cette tâche devient une corvée, si vous n’y voyez pas l’intérêt, il faut très sérieusement vous poser la question de savoir si vous ne devez pas faire autre chose. Entreprendre sans passion ne génére que des frustrations.
Regarder ailleurs pour s’inspirer
Chacun comprend à ce stade l’importance de la quête permanente d’informations sur son domaine d’activité. Au final cela paraît assez logique. Mais ce n’est pas suffisant.
En ne faisant que lire des articles de votre domaine, regarder les vidéos youtube de vos concurrents ou participer à des salons professionnels, vous serez en phase avec l’évolution de votre secteur et vous pourrez réagir en cas d’évolution, mais vous ne pourrez pas réellement prendre de l’avance.
Ce ne sont pas les taxis qui ont inventé Uber, ce n’est pas Kodack qui a lancé l’appareil photo numérique et ce n’est pas Renault qui a industrialisé la voiture électrique.
L’innovation vient essentiellement d’ailleurs, et souvent de là où on ne l’attend pas.
La curiosité ouvre la porte vers d’autres sujets.
Allez voir les avancées de la recherche, visitez des salons d’un autre domaine, échangez avec des entrepreneurs d’un autre secteur, abonnez-vous aux comptes twitter d’experts de l’innovation, du numérique ou d’autres sujets, ...
Il ne faut pas hésiter à s’éloigner beaucoup de votre domaine: Julien Derimer explique par exemple comment s’inspirer de l’armée pour fidéliser ses employés !
Etre curieux, s’éloigner de son champ d’intérêt habituel est une formidable source d’inspiration. En plus, cela permet de se ressourcer, de se cultiver et de se divertir !
Se comparer pour progresser
Pendant des millénaires, les entrepreneurs ont bénéficié de marchés captifs ou presque. La difficulté à se déplacer et à communiquer imposait à chacun de s’adresser à l’entrepreneur voisin, sans chercher à savoir s’il y avait mieux ailleurs.
Internet nous a conduit à l’extrême opposé pour un grand nombre de métiers, puisque le concurrent peut être à l’autre bout de la planète.
Il est donc de plus en plus important de savoir se comparer à ses concurrents, afin de comprendre quels sont leurs avantages concurrentiels ou inversement ce qui vous différencie, afin de pouvoir agir (mettre en avant vos points forts) et réagir (corriger vos points faibles, ou a minima trouver des contre-arguments).
En anglais, il est souvent question de “benchmarking” pour évoquer cette comparaison avec un concurrent. Ce terme est issu de l’univers des géomètres, puisqu’il désigne la façon de graver dans la roche des repères d’altitude. Il désigne donc un point de référence précis. Effectuer un “benchmarking” de son entreprise revient à en comparer les performances aux leaders du marché.
Nous sommes membres d’EBN, une association professionnelle européenne qui réunit les incubateurs. Chaque année celle-ci adresse à ses membres un questionnaire bourré d’indicateurs, ce qui permet de dresser un “benchmarking” des incubateurs européens. Il est alors aisé de se comparer aux meilleurs ou à la moyenne.
Cet exercice est très utile et évite de faire l’autruche sur ce qui va mal.
Il est un autre domaine où il est utile de s’étalonner. C’est celui de la connaissance scientifique ou technique.
Faire un “état de l’art” revient à faire un tour d’horizon complet de ce que la technique permet. Cette approche communément utilisée en recherche est valable pour tous les sujets où les sciences et les techniques entrent en jeu. Elle évite de se lancer dans des développements coûteux pour réinventer quelque chose de connu, ou pire de travailler à une solution déjà démontrée comme étant une impasse.
Faire un état de l’art peut s’avérer long, complexe et coûteux. Heureusement, il existe dans beaucoup de domaines, de très bons articles de revue (“revIew papers") qui synthétisent l’état de l’art à un instant donné. Ce sont souvent des bonnes entrées en matière pour attaquer un sujet. Pour ce qui est des sujets scientifiques, Google Scholar est un bon moyen de les identifier. Pour des sujets plus techniques, il faut généralement se référer aux magazines spécialisés du domaine concerné. Les Techniques de l’ingénieur sont aussi une excellente source.
Se comparer aux autres ou comparer sa technologie à l’état de l’art demande de l’humilité, de l’honnêteté mais comporte certainement des ferments de progrès.
Organiser sa veille
S’informer dans les différentes directions décrites ci-dessus s’appelle faire de la veille. Il existe de très nombreux articles, livres et tutos pour donner des outils et des méthodes pour faire cela au mieux.
Reste une question : combien de temps y passer ?
Chaque moment libre, chaque temps d’attente, doit servir à s’informer et continuer d’apprendre sur son univers. Idéalement, il est même nécessaire d’y allouer une plage fixe à un moment de la journée. Pour ma part, c’est souvent en fin de journée de travail ou en tout début de soirée.
Chacun doit décider pour lui même du temps nécessaire, suivant son domaine, sa connaissance initiale, sa capacité à absorber de l’information, sa maîtrise des outils de veille.
Si je dois me prononcer, je dirai qu’une heure par jour permet de garder un très bon niveau d’information en allant plus loin que le strict nécessaire. Je reconnais que c’est un investissement lourd, mais certainement payant à long terme.
La veille n’est utile que si elle fructifie. Engranger l’info et ne rien en faire est inutile. Une bonne façon de l’utiliser est d’en distribuer les résultats à son équipe, en temps réel. Ce sera non seulement éducatif pour chacun, mais pourra sans doute déclencher des idées et peut-être initier des projets. C’est aussi une excellente approche managériale qui permet de maintenir chacun en alerte sur les enjeux de l’entreprise.
Quand l’entreprise est plus grande, disons au delà de quelques dizaines de salariés, il devient plus efficace d’organiser la veille, avec des outils, une répartition des rôles, un partage de l’information organisé, et peut-être un poste dédié à ce travail.
Le sujet est vaste, infini même, et je n’ai fait que l’effleurer.
Pour terminer sur une note optimiste, une citation du grand Albert Einstein : “Je n’ai pas de talent particulier. Je suis seulement passionnément curieux”.
Puisse la curiosité vous mener aussi haut que lui !
Pour aller plus loin
Veiller en 1 heure: mission impossible ? : quelques conseils pratiques pour organiser sa veille.
Comment faire sa veille ? Simple et efficace ! : un tuto d’Alexis Pinneaud