Le 9 septembre 2021, l’Université des Entrepreneurs Mayennais a rassemblé plus de 1000 personnes sur le thème “No limit”.
Stéphanie Gicquel, coureuse de longue distance, Maxime Sorel et Yves Le Blevec, navigateurs, Vladimir Vinchon (cavalier paralympique) et Marc Lièvremont, rugbyman, ainsi que plusieurs entrepreneurs à succès ont délivré leurs témoignages inspirants en invitant l’audience à se dépasser.
Pour terminer la mini-série inspirée par les sportifs (voir UPI#68 et UPI#69), je vais donc reprendre les valeurs du management issues du rugby prônées par Marc Lièvremont.
Avant de commencer
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Le 23 octobre 2011 à Auckland, la France perd de justesse sa troisième finale de coupe du monde de rugby, après un match serré où l’arbitrage a pesé sur le résultat.
Cette épopée qui restera une des plus belles de l’équipe de France avait pourtant commencé dans la douleur avec une lourde défaite contre la Nouvelle-Zélande et une humiliation face aux Tonga.
Les relations avec la presse compliquées de Marc Lièvremont, le sélectionneur, sa sortie avant la finale où il traite son équipe de “sales gosses” après un écart suite à la victoire en demi-finale, ont parfois fait douter de ses talents de manager.
A entendre cet homme de cœur, passionné, au langage direct, on comprend pourtant ses capacités de meneur d’hommes. Les parallèles qu’il dresse entre rugby et entreprise sont parlants et mettent en valeur les composantes de base de la vie d’équipe.
La ligne de front
Le rugby est un sport paradoxal. L’objectif est d’avancer pour mettre le ballon au delà de la ligne d’en-but adverse, mais en s’astreignant à faire des passes vers l’arrière. Cette règle conduit à un placement particulier des joueurs sur le terrain en attaque comme en défense.
Les défenseurs forment ce que Marc Lièvremont appelle une ligne de front, contre laquelle viennent se fracasser les attaquants. Le joueur en possession de la balle doit essayer de progresser et de franchir cette ligne de front.
“La ligne de front représente l’ensemble des difficultés qu’on doit affronter : ça génère trois conditions fondamentales : courage, confiance et collaboration”1. Pour Marc Lièvremont, c’est donc l’adversité qui détermine les qualités fondamentales que doit posséder une équipe.
Le courage entraine les autres
Dès qu’un joueur est en possession de la balle, les adversaires veulent lui “faire la peau”. La première qualité qu’il doit exprimer est le courage : avancer malgré le mur de puissance qui se dresse devant lui, aller au contact malgré une différence de poids en sa défaveur, affronter la douleur à venir au moment de l’impact.
Au moment de défendre, les rôles s’inversent, mais le courage est encore de mise : oser s’interposer devant un colosse lancé à pleine allure, plaquer en se jetant dans les jambes de l’adversaire au risque de se faire piétiner, s’arcbouter en mêlée devant la poussée de l’adversaire.
Le courage n’est pas une valeur spécialement mise en avant en entreprise. Il y a pourtant de nombreuses circonstances qui le nécessite : courage de prendre des décisions difficiles, courage de s’élever contre une position dominante erronée, courage de défendre une injustice, courage d’innover, courage de faire quelque chose pour la première fois, courage d’entreprendre, …
Jeune ingénieur au CNRS, j’assistais à un comité de pilotage, quand le responsable du projet, un chercheur très renommé dans notre discipline s’en est pris très violemment à mon chef, qui était pourtant lui aussi quelqu’un de respecté dans le milieu. Aucune des personnes présentes à la réunion n’a osé s’élever contre ce comportement inacceptable. Je m’en veux toujours de n’avoir pas eu ce courage.
Le très charismatique Bruno Bouygues, patron de Gys, une entreprise en très forte croissance, explique comment dès le début 2020, il comprend que la COVID19 va bouleverser les échanges de marchandises et comment il décide d’augmenter considérablement ses stocks. Alors que quelques semaines plus tard, le confinement va bloquer le fonctionnement du pays, il prend la décision contre-intuitive d’acheter du stock. Ce courage lui permettra dans les mois qui suivront de gagner des parts de marché considérables.
Quand en 2010, Vincent Brault et Guillaume Beucher rachètent une ancienne carrière abandonnée pour en faire un parc écologique, ils font preuve d’un immense courage tant la tâche est infinie et hors de portée. Deux ans plus tard, le site ouvre pourtant au public, car les deux hommes ont transformé leur courage en une énergie communicative et ont réussi à embarquer des centaines de personnes dans leur aventure.
Le courage ne se manifeste qu’au travers de l’action. Les circonstances trient entre les courageux qui agissent et ceux qui restent sur le côté. Les courageux entrainent les autres dans leur sillage et le courage est donc une formidable expression du leadership.
La confiance soude l’équipe
Lorsque le joueur en possession du ballon fonce dans la ligne de front adverse pour provoquer un “ruck” (une mêlée spontanée), il fait preuve de courage mais aussi de confiance.
Il a confiance que ses partenaires vont le suivre pour récupérer le ballon et continuer la progression vers l’en-but adversaire. Il accepte de se sacrifier pour l’équipe, car il croit à la possibilité qu’auront ses partenaires d’exploiter à leur avantage cette situation.
La confiance est une qualité essentielle pour un bon travail collectif.
Le manager doit faire confiance en son équipe. Marc Lièvremont explique comment en tant qu’entraineur sa mission est de fournir aux joueurs un cadre technique, tactique et stratégique en fonction des qualités de l’adversaire. Il précise cependant que ce cadre ne peut être strict et doit autoriser les joueurs à s’adapter à la réalité pratique du terrain qui peut différer de la vision théorique d’avant-match.
Le manager qui fait confiance en son équipe lui laissera la liberté d’agir en fonction des circonstances particulières rencontrées sur le terrain.
Les équipiers doivent aussi se faire confiance entre eux. Celui qui court avec le ballon sans regarder derrière lui, sait pourtant que quand il ne pourra plus avancer, il trouvera un partenaire bien placé pour faire une passe en arrière.
Faire confiance à son partenaire s’exprime de multiples façons : reconnaitre sa compétence, croire en sa parole, lui demander de l’aide quand c’est nécessaire, s’attendre à un bon travail de sa part,…
Marc Lièvremont a une belle expression : “faire une passe, c’est transmettre la responsabilité du jeu”. En effet, le joueur qui a le ballon oriente le jeu, ses partenaires ne peuvent que le regarder et agir en fonction de lui. Quand il n’a plus d’option individuelle, il fait la passe à son partenaire qui se retrouve alors en responsabilité d’organiser le jeu.
Cette vision de l’équipe est très peu utilisée en entreprise où la responsabilité du projet reste au chef de projet. Elle est pourtant applicable, car à tout moment d’un projet, il y a toujours une personne (ou un petit groupe) qui a une tâche plus critique. C’est cette personne qui tient à cet instant le projet dans ses mains et en a donc la responsabilité. Sa défaillance peut remettre en question l’issue du projet, et cela indépendamment de la qualité du chef de projet.
Le rôle du manager est de conscientiser cette responsabilité tournante et de savoir à tout moment qui a la balle pour se tenir prêt à lui venir en soutien.
La confiance du manager en son équipe permet à celle-ci de s’exprimer en toute liberté. La confiance entre les équipiers permet à chacun d’assumer ses responsabilités.
La collaboration génère la performance
Les volleyeurs et les basketteurs sont tous grands. Les handballeurs sont tous très costauds. Les footballeurs sont de tailles différentes mais aucun n’est gros.
Le rugby est le seul sport d’équipe qui rassemble tous types de morphologie. Marc Lièvremont compare une équipe de rugby à une entreprise : “Ceux qu’on appelle affectueusement les gros (les avants), c’est l’atelier, l’usine d’une équipe de rugby, ceux qui vont fabriquer la matière première, il y a les chefs de projets (les demis) qui vont exploiter le jeu, faire des choix, il y a des supers commerciaux qui vont franchir, concrétiser les actions (les ailiers).”
Chaque membre de l’équipe a ses compétences qui sont différentes de celles de ses partenaires. Marquer l’essai, réussir le projet nécessite une coopération sans faille des différents équipiers qui ont chacun leurs rôles.
Marc Lièvremont souligne que le sentiment d’appartenance se développe lorsque chacun est reconnu pour ses propres qualités et apprécié pour ses différences.
Lorsque j’ai pris mes fonctions de directeur de la technopole, j’ai rapidement eu à embaucher une nouvelle personne. J’ai alors finement analysé les compétences et les qualités de l’équipe en place pour définir le profil complémentaire qu’il manquait. Lors du recrutement, les tests ont cherché à détecter chez les candidats ces qualités dont nous avions besoin.
Même s’il est souvent plus confortable de travailler avec des gens qui nous ressemblent, il est plus efficace de mélanger des talents et des personnalités pour que la coopération couvre le plus de situations possibles.
Avec une équipe diversifiée et complémentaire, mais donc susceptible de générer des conflits ou des incompréhensions, le rôle du manager est encore plus important.
Marc Lièvremont rappelle que c’est l’équipe qui doit gagner et que le manager doit faire les choix qu’il faut pour qu’il en soit ainsi. Il doit veiller à fédérer son équipe et cela passe par faire attention à ce que chacun ait de la satisfaction.
Avec une équipe très compétente, talentueuse et professionnelle, le manager n’est pas là pour tout contrôler. Son rôle principal après avoir fixé les objectifs, est d’être attentif à l’équilibre de l’équipe, à la répartition des rôles, à la qualité des relations. Il doit aussi observer chacune et chacun, détecter les baisses de régime et les frustrations, agir en intermédiaire pour désamorcer les conflits, comprendre comment assembler les équipiers pour optimiser la performance.
En conclusion, qu’est-ce qu’un manager ?
Marc Lièvremont est devenu entraineur très jeune et il a dû apprendre vite. Ecoutons-le définir sa vision du manager :
“Penser pour dix, vingt, trente, quarante, se projeter à court, moyen, long terme, être habité en permanence, […], il faut faire autorité et non faire preuve d’autorité, avoir un objectif et embarquer tout le monde avec soi, se rendre compte aussi que la vraie richesse c’est celle des autres, être en éveil, être en observation, se dire comment faire mieux jouer son équipe, comment faire mieux vivre ses gars, qu’ils soient bien ensemble, générer de la confiance et en même temps mettre un climat de remise en question permanente”.
Pour aller plus loin
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
En 2021, Laval Mayenne Technopole fête ses 25 ans et à cette occasion crée une exposition d’artistes et d’innovations, un livre et un film.
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