Les gorges de Taroko à Taïwan offrent un extraordinaire spectacle naturel qui contribue à la réputation de l’île, justement baptisée Formose (la Belle) par les Portugais.
Je visitais un jour cet endroit si inspirant, et je séjournais en pension complète dans un petit hôtel. Le repas était frugal : un œuf cuit dans la sauce soja, une cuisse de poulet, du radis piquant, une omelette et une salade d’algues kombu, le tout accompagné d’un bol de riz et d’une tasse de thé. Le lendemain, même menu le midi et le soir et ainsi de suite jusqu’à mon départ.
Trente-cinq ans plus tard, je ressens encore l'ennui gustatif provoqué par ce séjour, en contraste total avec la beauté des paysages. Au delà de l’assiette, les décors, les gestes des serveurs, leurs visages tristes à mourir, tout respirait la monotonie éternelle et finalement la mort. (Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Taïwan, je vous rassure, cet endroit était sans doute le seul en son genre de toute l’île, tant au contraire la gastronomie taïwanaise est d’une richesse inouïe).
Sans créativité, la vie est d’un ennui mortel.
La créativité est sans aucun doute la marque de fabrique de l’homme et un des éléments déterminants de sa différentiation du monde animal.
L’entreprise n’est pourtant pas toujours un lieu d’expression de la créativité, et les schémas conventionnels, répétitifs et ennuyeux ont encore tendance à prospérer.
Que gagnerait-on à être plus créatif dans notre quotidien au travail ? Quelles sont les conditions de l’expression de notre créativité ? Que pourrions-nous attendre d’une créativité libérée ?
Ces questions me passionnent et je me prends à rêver de ce que donnerait la libération de la puissance créatrice en entreprise. Au travers de quelques exemples, j’essaye de décrypter les mécanismes susceptibles de faire éclore des projets créatifs.
J’ai écouté pour vous
Cette semaine, je vous propose 3 numéros du podcast “Génération do it your self” de Matthieu Stefani. Cet entrepreneur du Web reçoit pour des entretiens très longs d’autres entrepreneurs, des artistes, des sportifs qui racontent leurs parcours. Récemment, j’ai écouté trois excellents numéros que je recommande vivement :
#243 Eric Larchevêque (Ledger) : Le club secret des crypto millionnaires : bitcoin, transmission, savoir et slowlife : Eric Larchevêque dont j’ai déjà parlé dans les numéros précédents de cette Newsletter du fait de sa participation à l’émission “Qui veut être mon associé ?” est un serial entrepreneur assez extraordinaire : créateur d’un hôtel en Lettonie, joueur de poker de niveau international, co-fondateur de la licorne Ledger et plus récemment fondateur de l’école de développeurs Algosup.
#228 Nicolas Julia (Sorare) Le tsunami français du WEB 3.0 : créer, posséder et échanger du virtuel : Sorare est la plus grosse levée de fonds de la tech française (580 M€). Sorare est un jeu de fantasy football basé sur la blockchain Ethereum. Je dois avouer qu’avant d’écouter ce podcast, je ne comprenais pas pourquoi les investisseurs avaient mis autant d’argent dans cette entreprise. Si vous êtes comme moi, écoutez ce podcast et vous le comprendrez !
#148 Jean-David Chamboredon (isai) Tout comprendre sur les fonds d’investissements : pour tous les entrepreneurs qui veulent comprendre la mécanique des levées de fonds et ce qu’il se passe dans la tête des investisseurs, ce podcast est une excellente masterclass.
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Merci d’avance !
La créativité peut changer la vie
Début 2020, Khaby Lame, ouvrier immigré sénégalais travaille dans une usine du sud de l’Italie. Comme beaucoup d’autres personnes, il perd son emploi du fait de la pandémie, se retrouve confiné et s’ennuie. Le 15 mars 2020, il publie sa première vidéo sur TikTok. Dix-huit mois plus tard, il est le deuxième TikToker le plus suivi avec 130+ millions d’abonnés. Il est invité par Mark Zuckerberg pour tourner avec lui une publicité pour le métaverse. Kylian MBappé lui offre son maillot. Il lance son site e-commerce d’objets promotionnels à son effigie et devient l’égérie de la marque Hugo Boss.
Comment un inconnu de 20 ans est-il devenu une star mondiale en quelque mois ?
Khaby Lame a seulement laissé libre court à sa créativité 1. D’un naturel enjoué depuis son plus jeune âge, il aime divertir son entourage. Au lieu de s’apitoyer sur son sort, il choisit de partager son humour de façon créative sur TikTok. Il se moque en mimant d’autres influenceurs. Ses vidéos muettes se terminent systématiquement par un geste qui devient sa marque de fabrique et le signe de ralliement de sa communauté.
La créativité a changé la vie de Khaby Lame parce qu’il s’est autorisé à en faire usage. Il ne s’est pas laissé abattre par le coup du sort, il n’a pas eu peur du ridicule, il a persévéré à poster une vidéo après l’autre jusqu’à ce que le buzz prenne et il a osé franchir les étapes de son ascension sociale fulgurante.
La créativité peut infléchir une décision
En 2008, Huang Yung Fu est un retraité de 84 ans. Il est le dernier habitant d’un petit village près de Taichung à Taïwan (si vous voulez comprendre pourquoi je parle souvent de Taïwan, relisez ma présentation !). Apprenant que les autorités ont décidé de raser son village pour y construire un ensemble d’immeubles, il ne porte pas plainte, ne fait pas une grève de la faim et ne meurt pas de chagrin, il achète de la peinture et des pinceaux.
Il entame alors un travail de titan : créer une œuvre qui recouvre l’intégralité des murs de toutes les maisons du village. Quatorze ans plus tard, le village est devenu une attraction touristique majeure de la région et accueille chaque année plus d’un million de visiteurs. Âgé maintenant de 98 ans, Huang Yung Fu reçoit toujours les visiteurs venus admirer son œuvre2.
En faisant preuve de créativité, ce retraité taïwanais a changé le sort de son village, et infléchi la décision des autorités. Ceci a été possible, car il a eu le courage de se lancer dans cette folle aventure par amour de son village. L’émotion forte ressentie à l’annonce des autorités s’est transformée en force créative. Cette mission l’a animé jusqu’à aujourd’hui et lui a peut-être permis de vivre plus longtemps.
La créativité peut résoudre simplement un problème
En 2015, la marque américaine de vélo électrique Vanmoof expédie ses produits dans une boite en carton. Ils arrivent souvent endommagés. L’approche classique de résolution des problèmes suggère de renforcer le packaging ou de changer de prestataire logistique.
En remarquant que les TV de grande taille arrivent en bon état, les fondateurs de Vanmoof ont l’idée d’imprimer l’image d’un téléviseur sur le carton du vélo. Instantanément, les problèmes ont été réduits de 70%.3
La créativité est utile partout et même là où on ne l’attend pas. Face à un problème, les entreprises se contentent très souvent d’étudier les deux ou trois pistes les plus évidentes pour les spécialistes. Ce n’est qu’en cherchant encore la quatrième, cinquième ou dixième idée, que la créativité peut s’exprimer et apporter des solutions vraiment disruptives.
La créativité peut sauver une entreprise
En pleine euphorie internet fin 1999, Frédéric Jousset et Olivier Duha cherchent à copier un business Nord-américain qui vient de lever des fonds. Ils identifient Webhelp.com une startup canadienne qui fait de la recherche web avec assistance humaine. Ils négocient la licence pour l’Europe, lèvent 8 M€ juste après l’éclatement de la bulle en juin 2000.
En octobre 2000, Google lance son moteur de recherche en français. Frédéric Jousset comprend instantanément que son business est mort. Au lieu de paniquer ou de chercher malgré tout à se maintenir en modifiant légèrement le service, il cherche un pivot radical, qui utilise le seul actif de l’entreprise, un centre d’appel en Roumanie. Les deux entrepreneurs vont voir les sites e-commerce qui se développent à cette époque et leur proposent d’externaliser leurs services support client. On sait ce qu’il est advenu ensuite. Webhelp est aujourd’hui le leader de cette industrie et emploie 80 000 salariés.
Lorsqu’il faut réagir vite à une menace violente, la créativité est plus efficace que l’approche rationnelle qui cherche à améliorer ce qui existe plutôt que d’inventer autre chose. Cela demande une bonne dose de courage pour lâcher l’existant et faire un pas dans l’inconnu.
La créativité permet de revisiter ce qui a toujours été
Nous sommes entourés de choses qui ont toujours été comme elles sont, nous vivons des situations sans cesse reproduites. Ceci nous fait croire de façon pernicieuse que l’innovation est impossible sur ces sujets. Comment peut-on innover alors que rien n’a changé depuis des décennies ?
Les sièges dans les bus ont toujours été disposés les uns derrière les autres dans le sens de la marche. C’est parfait pour le transport de passagers. Pourtant ces véhicules sont aussi utilisés pour promener les touristes et leur faire visiter les grandes métropoles. Les passagers doivent alors se contorsionner pour essayer de voir quelque chose. La seule innovation dans ce secteur a consisté à supprimer le toit pour ouvrir la vue et augmenter le sentiment d’immersion.
En 2015, The Ride lance à New York une innovation radicale pourtant tellement évidente une fois que quelqu’un a osé le faire. Ils disposent les sièges perpendiculairement au sens de la marche, face aux vitres latérales. Le bus devient un mini-théâtre. Comme une innovation en permet souvent une autre, ils rajoutent des écrans, et des acteurs qui jouent des mini-spectacles à certains points du parcours. En quelques années, cette entreprise est devenu le leader des visites en bus à New-York.
Le créativité sert aussi à réinventer le quotidien en changeant ce qui a toujours été. C’est certainement l’expression la plus difficile de la créativité car il faut sortir des sillons profonds creusés par les modèles mentaux que nous imposent les objets que nous voyons depuis notre enfance et les situations qui se répètent depuis que nous sommes nés. Croire qu’il est aussi possible de changer cela est le pré-requis à une expression créative.
La créativité impacte aussi les détails
Qu’y a-t-il de plus banal que le nom d’un sandwich ?
Comment nommeriez-vous un sandwich à base de poulet, avocat et cornichon ? La plupart des boulangers nommerait celui-ci “poulet-avocat-cornichon”.
Un boulanger créatif nommerait celui-ci “Garde-à-vue” (vu sur internet) !
L’impact sur le chiffre d’affaires est sans doute faible ! Toutefois, l’humour offerte au client est un plus qui ajouté à d’autres détails peut faire la différence !
Sommes-nous prêts pour libérer la créativité ?
Je me souviens de ma première visite à Berlin-Est, un an après la chute du mur. La monotonie presque lugubre des immeubles identiques et sans ornements est une négation de l’esthétique et une injure à la créativité.
Trop souvent, les organisations des entreprises et des administrations, les processus en place, les réunions, les évènements ressemblent à ces rues de Berlin-Est. Nous y sommes tellement habitués que nous n’en voyons plus l’ennui.
Saurons-nous libérer la créativité ?
Il est difficile de la mettre en œuvre quand tout se déroule de façon linéaire. C’est lorsque survient un problème, une difficulté ou une rupture dans l’écoulement naturel des choses, que la créativité doit être libérée.
La perte d’un vieux client, le départ d’un collaborateur, le changement de la règlementation, de mauvais résultats financiers, l’apparition d’une nouvelle technologie, le lancement d’un nouveau produit chez un concurrent sont autant de situations propices à l’expression de la créativité.
Mais il faut oser, persévérer dans la recherche de la bonne idée, croire qu’une solution originale existe et laisser une place à ses émotions, pour connaître le succès et la fierté que procure une innovation réussie.
Pour vous encourager dans cette voie, réalisez que chaque chose extraordinaire ou géniale qui nous entoure, que ce soit la cathédrale gothique ou la mémoire d’un smartphone, est le résultat d’un processus créatif. Quelqu’un un jour, quelque part a osé faire autrement et créé une rupture qu’il nous a offert.
Nous ne serions rien sans la créativité. Rendons-lui hommage en ne la bridant pas trop !
Pour aller plus loin
une compilation de différentes conférences de Josh Linkner desquelles sont tirés certains exemples de cet article.
Merci Christian pour cet article je l'ai dévoré. :):):)