Après avoir mis en relation une jeune entreprise que j’accompagnais avec une entreprise multinationale de distribution, le dirigeant de celle-ci s’est montré très intéressé. Quand il a découvert que les produits de la jeune entreprise étaient déjà distribués par son plus important concurrent, il a mis fin à la discussion.
Il y a bien longtemps, la première fois que j’ai découvert que tous les marchands de meubles de Paris étaient situés rue du Faubourg Saint-Honoré, j’ai trouvé cela surprenant. N’auraient-ils pas moins de concurrence s’ils étaient dispersés dans Paris ? (Si vous voulez connaître la réponse, regardez cette vidéo).
La concurrence est une obsession de l’entrepreneur qui entretient avec ce sujet une relation souvent épidermique, parfois paradoxale et jamais indifférente.
Mais au fond, quelles sont les pratiques à adopter pour faire de la concurrence un facteur positif et non un caillou dans la chaussure ?
J’ai lu pour vous
Je vous propose chaque semaine 3 contenus que j’ai appréciés (articles, vidéos, podcasts) sans liens avec le contenu de l’article. N’hésitez pas à réagir et me dire ce que vous en pensez.
Une nouvelle technologie pour accéder à une énergie géothermique ultra-profonde quasi illimitée, Laurie Henry, Trust My Science (28/2/2022) : la quête d’énergie verte devient de plus en plus cruciale. A en croire certains, la bataille serait même perdue et il faudrait donc aller vers la décroissance. Cet article présente une innovation développée par une startup issue du MIT qui conduirait à une énergie verte quasi infinie et également présente dans tous les pays du monde. Il s’agit de la géothermie profonde (20 km), accessible grâce à une nouvelle technologie de forage par micro-ondes. Le pire n’est jamais certain !
Idée de startup : où faire sa veille ?, Maddyness (6/8/2021) : La veille est une des armes de l’entrepreneur (voir UPI#58). Cet article fournit une très belle liste de sources pour faire sa veille.
C’est curieux chez les managers ce besoin de faire des phrases… Et si on arrêtait le verbiage ? Philippe Silberzahn (1/11/2021) : un bel article sur la nécessité d’utiliser des mots ayant un sens précis et non des concepts vagues ou à la mode.
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La concurrence existe
Il est un fait indéniable, la concurrence existe même pour les entreprises innovantes. Et pourtant, une des phrases les plus souvent prononcées par les entrepreneurs qui se lancent, c’est : “je n’ai pas vraiment de concurrents”.
Est-ce par ignorance ou par manque de curiosité ? Je pense plutôt que chaque entrepreneur a une tendance naturelle à trouver son idée originale, et même si elle se rapproche de quelque chose d’existant, il ne retient que ce qui le distingue de cet existant, même si c’est mineur. C’est sans doute aussi une façon de se protéger et d’éviter de se décourager.
Il est quasiment impossible d’avoir une idée originale et vous pouvez donc être quasi certain que ce que vous avez imaginé existe. Il est essentiel de s’y intéresser.
Le fait que la concurrence existe n’empêche pas de réussir, même dans le cas d’une entreprise innovante. Quand Google s’est lancé, il y avait déjà plusieurs moteurs de recherche, quand Facebook a démarré, les réseaux sociaux existaient.
Le fait que la concurrence existe est une confirmation de la pertinence de l’idée de business et une confirmation de l’existence d’un marché. Le cas plus rare où la concurrence n’existe pas est paradoxalement plus inquiétant, car en réalité cela peut signifier qu’il n’y a pas de marché, ou que la solution imaginée n’est en fait pas faisable.
La concurrence existe. L’ignorer, la méconnaitre voire la minimiser est une grave erreur.
Connaître la concurrence
De façon générale les jeunes entrepreneurs que je rencontre connaissent mal leur concurrence. Ils se contentent souvent de mentionner un ou deux noms sur leur pitch deck, de faire une carte stratégique de positionnement concurrentiel, où bien sûr leur marque apparaît dans un espace bien distinct des autres acteurs du marché.
Connaître ses concurrents, ce n’est pas seulement savoir qu’ils existent, connaître leur nom et leur produit phare.
Connaître ses concurrents, tout au moins les deux ou trois principaux, c’est connaître :
leurs dirigeants et leur personnalité
leur histoire, pourquoi et comment ils se sont lancés,
leur vision et leurs valeurs, pour comprendre ce qui les animent
leurs produits dans les moindres détails
leur modèle économique
leurs fournisseurs et leurs partenaires
leurs clients et ce que disent les clients de leurs produits
leurs newsletters et leurs réseaux sociaux.
Tout cela est facile car l’information est disponible. Mais il faut aller plus loin et chercher à connaître :
leurs données financières
leurs projets en cours
leur stratégie commerciale
leurs actionnaires.
La veille concurrentielle doit être organisée, systématique et permanente (voir UPI#58). C’est un des facteurs de succès de l’entrepreneur.
Le grand général chinois Sun-Tzu résume ainsi l’importance de la connaissance de l’adversaire : « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. »
Connaître la concurrence est une véritable opération d’intelligence économique et doit être pris au sérieux.
S’inspirer de la concurrence
Connaître la concurrence ne sert à rien si on n’utilise pas l’information recueillie pour s’améliorer.
Même si votre concurrent performe mieux que vous, le connaître ne signifie pas forcément le copier. C’est même assez souvent une mauvaise stratégie.
Par contre, en connaissant bien votre concurrent, ses produits, son marketing, sa stratégie, vous comprendrez mieux ce qu’il cherche à faire, à qui il s’adresse et comment il capte ses clients et les fidélise. Cette meilleure compréhension vous permettra de mieux travailler votre différentiation, de mieux comprendre comment le contrer pour lui prendre des clients.
Analyser la stratégie d’un concurrent leader, connaître ses métriques, décortiquer ses campagnes marketing, vous poussera à faire mieux, à aller plus loin, à trouver de nouvelles idées, à améliorer votre stratégie, à mettre en place de nouveaux indicateurs (UPI#32), à éclaircir votre vision (UPI#10).
Ne pas avoir peur de la concurrence
Les entrepreneurs innovants ont souvent très peur d’être copiés et certains en deviennent même paranoïaques.
La question n’est pourtant pas de savoir si vous serez copiés, mais quand cela adviendra-t-il.
A moins d’être sur une innovation radicale protégée par un brevet, toute innovation qui marche sera copiée. C’est même à cela qu’on reconnait son succès. Si votre innovation n’est pas copiée, c’est probablement qu’elle n’a pas réellement trouvé un marché !
Le vrai risque lorsque vous innovez n’est pas d’être copié, mais d’être doublé. La priorité de l’entrepreneur qui a sorti un produit innovant devrait être de le déployer le plus rapidement possible pour prendre une position importante sur le marché avant que la concurrence ait le temps de réagir.
En étant parti en premier, vous avez de l’avance au niveau du temps de conception, de l’expérience accumulée dans les différentes itérations, des retours des utilisateurs. Si vous allez vite, vous pouvez donc intégrer cette avance dans des améliorations du produit. Le jour où vos concurrents vous copient, vous serez déjà passé à la version 2 de votre produit, bien plus intéressante pour le consommateur.
Il est toutefois honnête de dire que pour nombre d’innovations très répandues, ce n’est pas le premier à s’être lancé qui a récolté les fruits de son travail. En effet, le premier est souvent en avance sur le marché, épuise ses ressources dans le développement du produit et l’évangélisation des consommateurs, et quand le moment où ça décolle est arrivé, il se retrouve sans énergie et sans moyens, et se fait facilement doubler par un concurrent parti plus tard.
Lorsque la concurrence arrive, plusieurs stratégies s’offrent à vous :
innover encore et garder un temps d’avance,
monter en gamme et prendre la part la plus rentable du marché,
jouer sur la marque originale, synonyme de qualité et d’authenticité
La concurrence doit stimuler l’envie d’avancer vite, d’innover encore et de garder un temps d’avance.
La concurrence n’est pas là où on l’attend
La concurrence se résume pour beaucoup d’entrepreneurs à la marque qui fournit un produit ou service équivalent au leur. C’est ce qu’on appelle la concurrence directe.
Toutefois, une grande partie du marché vous échappe non pas à cause de la concurrence directe, mais à cause de la concurrence indirecte.
Aujourd’hui la concurrence d’une petite voiture de marque A, n’est plus seulement la voiture de marque B, mais le vélo électrique ou mieux le tricycle ou quadricycle électrique. Dans les grandes métropoles, la concurrence indirecte c’est aussi Uber.
Un produit ou un service répond à un besoin. La concurrence indirecte est donc tout ce qui peut d’une manière ou d’une autre répondre au besoin.
Les inventeurs proposent souvent des produits astucieux pour résoudre une tâche du quotidien. Ils croient ainsi avoir trouvé la poule aux œufs d’or, car tout le monde ayant ce besoin, le marché est immense. La plupart du temps, ces innovations que j’appelle “gadget”, font un flop. C’est probablement ce qui se passerait si quelqu’un inventait une machine à faire les lacets de chaussure. La concurrence indirecte qui consiste à se passer du produit est plus forte. La chaussure à laçage automatique pourra par contre peut-être séduire les plus paresseux !
La concurrence indirecte est subtile car elle se niche partout, tant la capacité des gens à supporter un problème qui a toujours existé est grande.
Réagir à la concurrence
Lorsque la concurrence empiète sur vos plates-bandes, vient vous titiller dans votre pré-carré, comment réagissez-vous ?
Etes-vous en colère, frustré, revanchard, indifférent, sûr de votre force, …. ?
Si le concurrent triche ou se comporte déloyalement, la colère peut être légitime. Mais si le jeu est fair-play, elle ne se justifie pas.
Il faut plutôt voir dans chaque attaque de la concurrence, une opportunité de progresser.
En Californie en 2014, Audi placarde un immense panneau publicitaire avec une photo de sa nouvelle A4 et le message suivant : “une partie d’échecs. Non merci, je préfère conduire”. Quelques jours plus tard, Audi remplace l’affiche par une autre identique mais avec un message plus offensif : “BMW, à toi de jouer”.
Piquée au vif, BMW loue le panneau publicitaire voisin et y place une affiche au look identique avec une photo de sa dernière berline et un message très bref : “Echec et mat”.
Audi pris à son propre jeu, fait construire un panneau provisoire supplémentaire et y placarde l’affiche de sa voiture la plus sportive avec le message : “Votre pion n’est pas de taille pour notre roi”.
Dans un élan de surenchère, BMW accroche un immense ballon gonflable au dessus du dernier panneau d’Audi et un imprime une formule 1 avec le message “Game over”.
Outre le génie des publicitaires, le sens de l’humour des deux marques et leur esprit combatif, la morale de l’histoire c’est que les deux marques ont formidablement bénéficié de ce coup de projecteur, non seulement en Californie mais dans le monde entier par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Audi a même mis à contribution les internautes pour trouver de nouvelles répliques dans l’escalade !1
En tant que jeune société ou PME, vous n’aurez pas les moyens de ces grandes marques pour vous payer d’aussi excellentes agences de pub, mais il sera toujours possible face à un client, ou sur internet de réagir intelligemment, avec humour et sagacité à une attaque d’un concurrent. Si c’est bien fait, cela pourrait s’avérer très positif.
Travailler avec son concurrent
Coopérer avec son concurrent ! En voilà une idée saugrenue si ce n’est scandaleuse.
Et pourtant, en y réfléchissant, cette approche théorisée sous le terme de coopétition à la fin des années 1990 par deux professeurs d’économie américains, présente de nombreux avantages.
Hormis dans les grands marchés très complexes qui finissent pas être des duopoles ou des oligopoles, ou dans les niches minuscules qui survivent avec quelques acteurs, le marché comporte en général des dizaines ou plus souvent des centaines d’acteurs.
L’enjeu pour une PME n’est donc pas de se battre contre un seul concurrent, mais de faire progresser sa part dans un marché assez émietté.
Voici des exemples de situations où il peut être intéressant et profitable de coopérer avec un concurrent bien choisi.
répondre à un appel d’offres trop gros pour chacune des entreprises. Que ce soit en raison de limites de capacité de production, de délais trop courts, de compétences manquantes, l’association avec un concurrent peut justement amener ce qui manque et permettre ainsi d’accéder à une part du marché inatteignable seul.
partager une ressource sous-utilisée : que se soit une machine, de la place dans un camion, des compétences disponibles, les partager peut permettre de diminuer ses charges et donc d’augmenter sa rentabilité. La région Pays de la Loire a d’ailleurs mis en place une plateforme afin d’organiser ces échanges.
partager un effort de R&D assez générique : la recherche sur des sujets génériques d’une industrie est trop lourde pour être portée par une seule entreprise. En partageant les coûts au sein d’une filière, les sujets qui empêchent toute la filière d’avancer vont ainsi être traités plus rapidement. Cette recherche est souvent conduite au sein de centres techniques d’une filière donnée. Des projets plus ciblés peuvent aussi être conduits par un petit groupe d’entreprises qui possèderont en sortie un socle commun de connaissances qui sera ensuite valorisées spécifiquement par chacune d’elles.
créer des services partagés : toutes les entreprises ne peuvent se doter en interne de toutes les compétences. En se regroupant, elles peuvent mutualiser un certain nombre de besoins et se doter ensemble des compétences nécessaires pour les traiter. L’entreprise Mecareso est ainsi née d’une alliance d’industriels de la mécanique.
Au lieu de rejeter a priori toute idée de “pacte avec l’ennemi”, il est intéressant de considérer la relation avec son concurrent sous un angle nouveau. Il en résulte souvent des innovations gagnant-gagnant.
Fusionner avec son concurrent
Les jeunes entreprises veulent presque toutes croître de façon organique en gagnant les parts de marché sur les concurrents à la force du poignet. Cette stratégie n’est pas toujours la meilleure.
Alors que les startups se créent en nombre de plus en plus élevé, et qu’elles sont souvent nombreuses à proposer des services équivalents ou très proches, bien peu envisagent assez tôt une stratégie de croissance par acquisition des concurrents. Il y a pourtant de très beaux exemples d’entreprises qui ont grandi essentiellement par croissance externe, à commencer par le géant Lactalis, mais plus récemment Eurofins, une des toutes premières startups de l’incubateur Atlanpole ou encore Webhelp.
De la même manière, trop peu de fondateurs de startups comprennent assez vite l’intérêt qu’ils auraient à vendre leur entreprise avant de s’épuiser ou de la perdre. Vendre une entreprise même modeste à une autre plus grosse qui aura plus d’atouts pour déployer le produit peut constituer une sortie très honorable qui permet de se lancer dans une nouvelle aventure de façon moins douloureuse qu’après un échec.
Il y a quelques années, nous avons accompagné Hugues Courcier qui a créé Addict Group, une société innovante dans le domaine des logiciels de caisse pour les commerçants. Après avoir développé le produit, conquis quelques centaines de clients, Hugues a préféré revendre sa société à Neosystems une PME plus ancienne spécialiste des terminaux de paiements. Celle-ci avait déjà le réseau de clients et la force commerciale pour donner un élan au logiciel d’Addict Group.
Savoir détecter des opportunités de rachats ou de revente est une posture à développer pour nombre d’entrepreneurs qui croîtraient plus vite ou recréraient d’autres entreprises avec plus d’expérience.
Décider de parler à ses concurrents
J’incite souvent les entrepreneurs que j’accompagne à parler à leurs concurrents. Je sens toujours à ce moment là une hésitation gênée.
Après l’avoir fait, ils sont souvent contents et ce premier pas participe à dédramatiser le sujet. Le concurrent est souvent comme vous, hésitant sur la conduite à tenir, pas si sûr de sa stratégie, partageant les mêmes problèmes et les mêmes peurs.
Il y a donc bien plus en commun qu’il n’y parait et bien plus de raisons d’échanger que de se regarder en chiens de faïence.
Faire un pas dans l’inconnu vers son concurrent pourrait se révéler bénéfique !
Pour aller plus loin
Content Marketing : Copier ou s’inspirer de ses concurrents ?, un article de Stéphane Torregrosa