Diagramme de PERT, diagramme de GANTT, chemin critique, organigramme des tâches, WBS, jalon : si vous connaissez ce jargon, c’est sans doute que vous êtes familier avec la gestion de projet.
La vie professionnelle dans de nombreux secteurs consiste à gérer des projets.
Le terme de projet est toutefois très large et recouvre des réalités aussi différentes que construire un pont, créer une campagne de publicité, organiser l’anniversaire de l’entreprise, développer la version 0 d’une application, installer un CRM, réaliser un film, …
Mais y-a-t-il plusieurs types de projets ? Tous les projets doivent-ils être gérés de la même façon ? Existe-t-il des outils plus adaptés pour un type de projet donné ? Y-a-t-il des projets qui correspondent mieux à certaines personnalités que d’autres ?
Merci à Anthony et Stéphane qui ont inspiré cet article.
J’ai lu pour vous
Je vous propose chaque semaine 3 contenus que j’ai appréciés (articles, vidéos, podcasts) sans liens avec le contenu de l’article. N’hésitez pas à réagir et me dire ce que vous en pensez.
Phénomène météo extraordinaire : le skypunch, Karine Durand, Futura Planète (25/03/2022) : la nature et la physique réservent des spectacles qui peuvent être fascinants : la forme et les évolutions des nuages en font partie.
Ces nouveaux panneaux solaires qui se nettoient sans eau pourraient en économiser des milliards de litres chaque année, Alexandre Carré, Sciences et Avenir (28/03/2022) : au moment où les problèmes d’énergie propre sont de plus en plus cruciaux, cette innovation du MIT apporte une solution relativement simple à un problème banal, celui de l’encrassement des panneaux solaires qui diminue leur rendement.
Hubert de Boisredon, un grand patron qui a choisi de suivre l’Esprit saint, Agnès Pinard Legry, Aleteia, (9/9/2021) : que l’on soit croyant ou non, le témoignage d’Hubert de Boisredon, le patron d’Armor et sa vision du management ne peuvent laisser indifférent.
Au début de ma carrière, j’ai géré un gros projet de construction d’une machine de physique, au cours duquel j’ai pu apprendre et pratiquer les outils de gestion de projet. Aujourd’hui, je continue à lancer des projets de nature différentes et j’utilise encore les notions principales de la gestion de projet, même si pour des projets plus petits, ces outils sont simplifiés.
A force de gérer des projets et d’accompagner des entrepreneurs qui en gèrent, j’ai affiné ma compréhension de cette science. Je vous partage aujourd’hui une façon de voir ce sujet qui j’espère vous aidera si vous n’avez pas encore découvert la distinction que je propose.
Ingénieur ou artiste ?
Essayez de parler de GANTT ou de chemin critique à un artiste. Il est probable qu’il vous regarde bizarrement. L’artiste conduit pourtant des projets, mais il ne les gère pas comme un ingénieur.
En fait, je crois qu’il y a fondamentalement deux types de projets :
ceux dont le résultat est connu et les conditions parfaitement définies. Le budget, le planning, les étapes principales, les performances à atteindre sont connus avant le démarrage du projet. Il est alors possible de structurer le développement du projet et de le piloter grâce aux outils de gestion de projet. C’est ce que j’appelle les projets d’ingénieur.
ceux qui sont un chemin exploratoire vers une destination rêvée. Dans ces projets, la vision est première. C’est elle qui commande l’action qui permet d’avancer pas à pas sans connaître la route. Les outils traditionnels de gestion de projets ne sont pas vraiment applicables. Ce sont les projets d’artistes.
Bien sûr, le monde n’est pas binaire et les frontières peuvent être floues. Un projet d’artiste peut devenir un projet d’ingénieur et plus rarement un projet d’ingénieur peut devenir un projet d’artiste. Mais j’y reviendrai.
Le résultat vs. le chemin
Lorsqu’on fait quelque chose, il est essentiel de comprendre où est la valeur.
Dans un projet d’ingénieur, la valeur est clairement dans le résultat. Pour l”ingénieur de chez Eiffage, la valeur de son projet est dans le pont qui sera livré au client. C’est le produit final qui est facturé au client. Tout le travail fourni au cours de la construction ne sert qu’à produire le résultat. Une fois le résultat obtenu, peu importe les étapes qui ont conduit à sa réalisation.
Si tous les compte-rendus de réunions, les diagrammes de GANTT et autres documents de projets sont perdus ou détruits, la valeur du pont n’en sera pratiquement pas amoindrie. (Les esprits chagrins me rétorqueront qu’en cas d’accident, ces documents peuvent constituer une source d’informations et présentent donc une valeur. C’est vrai !) La fierté de l’équipe qui a travaillé sur le projet sera liée au résultat obtenu en respect du budget et du planning plus qu’aux innombrables réunions et compte-rendus qui ont permis d’y parvenir.
Dans un projet d’artiste, la valeur réside aussi dans le chemin suivi pour parvenir au résultat.
Lorsque Philippe Croizon, amputé des quatre membres, s’est lancé dans le projet de traverser la Manche à la nage, la valeur réside certainement autant dans le chemin pour y parvenir que dans le résultat. Ce n’est pas l’instant où il est parvenu sur l’autre rive qui a changé sa vie, mais bien toutes les leçons apprises durant cette aventure extraordinaire. Quatorze ans séparent l’idée de cette traversée du début de sa réalisation, qui commence par un entraînement de deux ans. Le chemin a été long et parsemé d’embûches.
Il est évident que dans ce projet le résultat n’était pas acquis. Seule la vision couplée au courage et à une volonté farouche, ont permis à Philippe Croizon de parvenir à un résultat. La valeur de ce projet réside bien dans le chemin qui a permis de façonner sa personnalité et de devenir par la suite conférencier motivationnel.
Ce qu’il faut vs. Ce qu’on a
Un projet d’ingénieur bien mené s’appuie sur des techniques et des savoir-faire connus et maîtrisés. A aucun moment, il n’est possible d’improviser une solution, de remplacer un composant par un autre ou de s’aventurer dans le test d’un nouveau matériau.
Un projet d’ingénieur obéit à des règles strictes, ce qu’il faut faire, ce qu’il faut utiliser, l’ordre qu’il faut respecter. La qualité première d’un chef de projet d’ingénieur est la maîtrise des procédés. La qualité globale du résultat en dépend.
En prenant l’avion, en empruntant un pont, en passant près d’une centrale nucléaire, nous sommes tous contents que ces projets d’ingénieurs aient été menés en respectant les normes et que les chefs de projets n’aient pas pris trop de libertés créatives.
Le projet d’artiste fonctionne suivant une autre logique. L’artiste construit avec ce qu’il a sous la main. Il s’inspire de ce qui l’entoure, cherche des solutions nouvelles lorsqu’il est confronté à une difficulté, fait appel à son imagination pour faire ce qu’il n’a encore jamais fait.
Le public apprécie que l’artiste sorte des chemins battus. Il attend d’être surpris, voire dérouté par l’œuvre de l’artiste.
Trois autres différences
Projet d’ingénieur vs. projet d’artiste, voici encore trois différences à noter :
Le cerveau vs. l’émotion : l’ingénieur s’appuie sur ses capacités intellectuelles pour conduire son projet. La logique lui permet d’arbitrer les situations délicates. Même s’il réfléchit, c’est toujours en dialoguant avec ses émotions que l’artiste travaille.
Le stress vs. la sérénité : l’obligation de réussir peut générer chez l’ingénieur un certain stress. Bien que le chemin soit connu, les aléas peuvent sérieusement entraver la bonne conduite d’un projet d’ingénieur, dont l’objectif principal est le respect du budget et des délais. L’artiste maîtrise les aléas car sa créativité et sa liberté lui permettent de sortir par une pirouette d’une situation difficile. La créativité lui donne une forme de confiance en soi qui entraîne une certaine sérénité dans la conduite de ses projets.
la systémique vs. la sérendipité : l’ingénieur trouve des solutions dans les anthologies de sa spécialité et dans ses logiciels de simulation. L’artiste rencontre la réponse à ses questions au détour d’une conversation à la terrasse d’un café ou en regardant un film.
L’innovation, projet d’ingénieur ou projet d’artiste ?
“Qu’est-ce que l’innovation ?” me demande-t-on très souvent. La vision de l’innovation varie d’une entreprise à l’autre.
Pour certaines entreprises, l’innovation est une approche d’amélioration continue menée systématiquement. Dans ce cas, l’innovation est conduite par des ingénieurs. Les objectifs sont fixés en amont par la direction, et les commerciaux commencent à vendre la nouvelle version du produit avant que celui-ci ne soit sorti.
Cette forme d’innovation souvent appelée innovation incrémentale est prévisible ce qui en fait presque un oxymore.
Pour d’autres, l’innovation est une exploration risquée de territoires inconnus et non maîtrisés. Cette approche demande une certaine confiance et une acceptation de l’échec potentiel. Cette forme d’innovation qui peut conduire à une innovation de rupture constitue une philosophie pour les entreprises qui la pratique. Elle ne peut se décréter pour mener un seul projet. Elle demande de créer une culture sur le sujet, de recruter la bonne équipe et de laisser du temps.
Un projet d’innovation de ce type sera plutôt conduit par un artiste. Celui-ci plus que l’ingénieur sera à l’aise avec l’incertitude inhérente à ce type de projet.
Cependant, tout projet d’innovation mené par un artiste sera immanquablement suivie par une phase de rationalisation et de diffusion avant d’atteindre le succès. Cette deuxième phase sera plus facilement conduite par un ingénieur, car appliquer des process et méthodes connues permettra d’accélérer le déploiement et le succès de l’innovation.
Et les startups ?
Les créateurs de startups sont pour la grande majorité des artistes. Animés par une vision, débordants d’idées, souvent dotés de moyens limités, les startuppers avancent vers leur destinée, sans connaître le chemin et en profitant de toutes les opportunités qui se présentent.
Lorsque le produit rencontre le marché (le fameux ”product-market fit”), les ventes décollent souvent exponentiellement. Vient alors le temps de la structuration avec le recrutement de nombreux collaborateurs, la mise en place de process, le recours à des cadres expérimentés venant de grandes entreprises, et la recherche de la rationalisation dans la fabrication du produit ou la démarche commerciale.
C’est à ce point que souvent le fondateur artiste ressent un décalage entre ce qui le passionne et les nouvelles tâches qui lui incombent. Bien peu sont capables de passer d’une phase à l’autre avec la même efficacité et la même passion.
Les plus clairvoyants cèdent leur place de CEO au moment de la transition entre la phase de création et la phase de développement, comme Lary Page qui laisse sa place à la tête de Google à Eric Schmidt, trois ans après la création. Cette transition varie d’une startup à l’autre. Nicolas Dessaigne l’un des deux cofondateurs d’Algolia a cédé son poste à Bernadette Nixon en 2020, après 8 ans à la tête de l’entreprise, un an avant que celle-ci ne devienne une licorne1.
Alors, ingénieur ou artiste ?
Levons toute ambiguïté si celle-ci demeure.
Un ingénieur dans cet article ne signifie pas quelqu’un diplômé d’une école d’ingénieur. Une avocate qui conduit le projet d’écriture d’un énorme contrat, un conducteur de travaux qui pilote la construction d’une maison, un chef de projet évènementiel qui coordonne la préparation d’un salon, une agricultrice qui convertit son exploitation en bio sont des ingénieurs au sens de cet article.
De même, une chercheuse qui s’attaque à un nouveau sujet, un entrepreneur qui innove dans un domaine qui n’est pas le sien, un chef pâtissier qui prépare une nouvelle recette, un avocat qui défend un criminel hors normes, une journaliste qui mène une enquête sur un système de fraude à grande échelle, sont des artistes.
Vous voyez clairement la distinction ?
Chacune et chacun de nous se sent sans doute plus spontanément du côté de l’artiste ou du côté de l’ingénieur. Notre personnalité, notre éducation, nos premières expériences professionnelles nous inclinent à agir plutôt comme un ingénieur ou plutôt comme un artiste. Si nous en avons le choix, nous pencherons vers des projets correspondant à notre inclination, et si nous n’avons pas le choix, nous risquons d’être frustré ou malheureux, si nous sommes assignés à un projet qui ne nous correspond pas.
Peut-être serez-vous aussi capable de passer d’un type de projet à l’autre. Pour ma part, j’ai longtemps cru que j’étais un ingénieur seulement capable de conduire des projets d’ingénieur. C’est ce que j’ai fait jusqu’à 40 ans. Pourtant au fond de moi, j’aspirais aussi à sortir de ce cadre, sans penser que ce fût possible.
Adolescent, je voulais être architecte. Je compris bien des décennies plus tard que cette aspiration à créer à partir d’une feuille blanche pouvait s’exprimer de bien des façons. Aujourd’hui, je passe aisément d’un type de projet à l’autre, même si je préfère au fond de moi les projets d’artiste.
Trois clés de succès
Quelle que soit votre inclinaison, la première clé du succès en tant que manager ou entrepreneur, est la capacité à identifier la nature d’un projet (ingénieur ou artiste) pour utiliser la bonne façon de le mener. Vous ne pourrez avoir de pires résultats qu’en conduisant un projet d’artiste comme un ingénieur ou un projet d’ingénieur comme un artiste.
Là où les choses peuvent être subtiles, c’est qu’un projet peut évoluer au cours de son développement pour passer d’un projet d’artiste à un projet d’ingénieur et plus rarement l’inverse. Savoir détecter à temps ces inflexions pour adapter sa conduite de projet, constitue une deuxième clé de succès.
La troisième clé de succès est la capacité à s’entourer d’une équipe d’artistes et d’ingénieurs et de mettre chacun à la bonne place en fonction des projets à conduire. Cette alchimie quasi magique est le plus grand bonheur du manager !
Je vous souhaite de beaux projets !
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Laval Mayenne Technopole présente l’exposition :
"Innover et Réussir" au Forum Métiers d'Art, à Jublains (53) du 2 au 17 avril.
Au programme : Peintures, sculptures, photographies, arts numériques.
Horaires d'ouverture :
Mardi - Jeudi - Vendredi : 14h - 18h
Mercredi - Samedi : 11h - 13h et 14h - 18h
Dimanche : 14h - 17h
Conférences Art & Entreprises
Dans le cadre de l'exposition Innover et Réussir, deux conférences à destination des entreprises et des artistes sont organisées afin de faire le lien entre l'Art et les entreprises.
Jeudi 7 avril - 18h
L’art de la cryptographie : de la caverne au métavers
La cryptographie est la science qui a permis l’essor d’une nouvelle classe d’actifs, les cryptomonnaies. Avec elles, de nombreux secteurs se voient bouleversés par l’avènement de l’unicité et de la propriété dans le monde digital. L’art n’y échappe pas. Témoin de l’évolution humaine depuis la nuit des temps, l’art rentre désormais dans un nouvel univers, celui du métavers.
Intervenant : Alexandre Lecru-Maugeais, ALM consulting
Je m'inscris à la conférence du 7 avril
Jeudi 14 avril - 18h
Les 4 boussoles : "Manager & Créactiver"
Les changements deviennent permanents et l’environnement des entreprises est de plus en plus complexe :
Comment engager et animer un collectif autrement pour dynamiser les projets et innover ?
Comment développer la CréActivité de chacun pour créer ensemble des solutions et passer à l’action ?
Intervenants : Corinne Landais, Facilitatrice et Kristof Morin, Artiste-Coach
Je m'inscris à la conférence du 14 avril
Livre “Innover et réussir, les chemins de la création”
Vous ne pouvez pas vous déplacer pour assister à cette exposition, mais vous êtes intéressés, pré-commandez le livre :