#86 A quel âge entreprendre ?
peu importe, mais çà vaut certainement le coup de commencer tôt !
Le métier d’entrepreneur est assurément un des métiers les plus difficiles. Rien ne prépare vraiment à l'entrepreneuriat. Les écoles de commerce, les masters entrepreneuriat donnent certes des bases utiles dans différents domaines : marketing, commercial, financier, conduite de projets, mais où apprend-t-on à prendre des décisions rapides, à arbitrer entre des options tout aussi mauvaises les unes que les autres, à élaborer une stratégie visionnaire, à recruter les meilleurs talents, à vendre un powerpoint à des investisseurs, …
Cette semaine, j’ai eu plusieurs occasions de voir des mineurs, collégiens et lycéens engagés dans des démarches entrepreneuriales.
J’ai assisté à la présentation du projet de deux entrepreneurs de 16 ans que nous accompagnons depuis quelques mois et j’ai visité le Salon des mini-entreprises organisé par Entreprendre pour Apprendre Pays de la Loire. Ce salon est le point d’orgue d’une année consacrée par des collégiens et des lycéens à la création d’une mini-entreprise dans une logique d’apprentissage concret.
Ces expériences rafraichissantes m’ont incité à vous partager quelques réflexions sur l’entrepreneuriat qui ne sont pas si répandues.
J’ai lu pour vous
Je partage ici 3 articles que j’ai lu depuis le dernier numéro de cette Newsletter. N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez. Vous pouvez aussi me suggérer des articles que vous avez aimés.
Innovation : soyez « l’oiseau », pas le « dinosaure », Hamilton Mann, Harvard Business Review (25/04/2022) : cet article rappelle avec force et limpidité quelques vérités sur l’innovation : elle résout un problème essentiel, bien souvent perçu comme étant impossible à résoudre, elle ne répond pas à un raisonnement linéaire, mais suit plutôt une logique circulaire, en s’exposant à des paradoxes. L’innovation nécessite un environnement d’expérimentation et une vitesse d’exécution. Elle demande de savoir s’adapter à l’inconfort, de transgresser l’ordre établi et ne pas rechercher la perfection.
Les odeurs numériques bientôt développées ?, Jean-Guillaume Bayard, Pourquoi docteur (23/11/2020) : cet article présente une avancée qui pourrait bien être majeure. Des chercheurs sont parvenus à “numériser” les odeurs ouvrant ainsi la voie à la prédiction de l’odeur d’une molécule et la synthèse d’une odeur à partir d’un mélange.
Devenez un "why manager", Ludovic Girodon, Dream Team, (3/05/2022) : ce court article fait écho au dernier numéro de UPI#85. Ludovic Girodon, dont je recommande l’excellente newsletter sur le management réexplique la nécessité d’expliquer le pourquoi des projets, des réunions, des demandes à son équipe.
L’entrepreneuriat ne s’apprend pas
Entreprendre n’est pas une science qui s’apprend dans les livres.
Les briques de savoir nécessaires à la conduite d’une entreprise (gestion, démarche commerciale, marketing, toutes les techniques utiles à la création des produits, le juridique, le management, …) peuvent s’apprendre à l’université, dans les écoles supérieures, dans les livres ou sur les plateformes de e-learning.
Comme les briques sur une palette ne constituent pas une maison, les savoirs de base ne suffisent pas à maîtriser l’entrepreneuriat. Ils sont bien sûr infiniment utiles et plus on en maîtrise, mieux c’est.
Entreprendre, c’est créer un chemin à partir d’une page blanche (UPI#59), affronter les aléas et les problèmes en tout genre (UPI#37), se lancer dans une aventure dont on ne maîtrise pas tous les ingrédients au départ (UPI#39).
Contrairement à l’ingénieur ou à l’avocat, l’entrepreneur ne peut seulement empiler les raisonnements et les formules, ou consulter les jurisprudences pour inspirer sa décision.
L’entrepreneur doit voir ce que les autres ne soupçonnent pas, décider sans avoir toutes les clés, agir vite et sans trembler, vivre en avance de phase, séduire pour être suivi.
Tous ces talents ne s’apprennent pas dans les livres. Ils se construisent au travers de l’expérience.
Entreprendre est la seule façon de devenir entrepreneur.
La répétition fait progresser
Le pianiste répète inlassablement ses gammes, la patineuse enchaine les triples boucles, le pâtissier peaufine sa recette en la reproduisant inlassablement.
La répétition est la seule méthode vraiment efficace pour progresser.
Répéter inscrit petit à petit dans notre cerveau les gestes jusqu’au point où ils deviennent des réflexes.
Répéter en étant attentif à chaque détail permet de comprendre plus finement une démarche, de détecter une faille qui peut être corrigée pour améliorer la performance globale.
Répéter permet de dépasser l’échec et de se reconstruire.
Répéter construit la confiance, et l’enchainement des réussites normalise celles-ci.
Entreprendre est si difficile que c’est souvent vu comme un exploit que l’on fait une seule fois dans sa vie.
Pourtant, nombreux sont celles et ceux qui créent plusieurs entreprises, même s’il est assez difficile de trouver des chiffres globaux.
Dans le domaine des startups, les récidivistes sont nombreux. 41% des entrepreneurs dans le portefeuille du fonds Idinvest sont des “serial-entrepreneurs”, 4% en étant même à leur quatrième startup.1
En lisant leurs témoignages, on constate que presque tous les entrepreneurs à succès ont créé plusieurs entreprises, soit avant de réussir, soit après leur première réussite.
Même si certaines études montrent que la corrélation entre réussite et nombre d’entreprises créées n’est pas évidente ou systématique2, les avantages de l’entrepreneur qui récidive sont pourtant nombreux :
connaissance des principales étapes : le chemin est mieux balisé !
apprentissage: les erreurs faites la première fois ont plus de chance d’être évitées, même si d’autres peuvent toujours être commises
réseau plus développé dans le monde entrepreneurial
crédibilité accrue en cas de premier succès
moyens financiers plus importants en cas de revente d’une première entreprise.
Il faut en général au moins 7 ans pour amener une entreprise innovante à une certaine stabilité. Une étude récente indique que l’âge médian d’une startup rachetée est de 8 ans.3 Avec une telle durée de cycle, on comprend aisément qu’il est préférable de commencer tôt, si l’on veut avoir la possibilité de créer plusieurs entreprises.
Commencer jeune
Gautier Decroix a créé son entreprise Yourparty à 16 ans et est devenu le plus jeune lauréat de Réseau Entreprendre.
Alina Morse a créé à 9 ans, Zolli Candy, une entreprise proposant des sucettes sans sucre. En 2018, alors qu’elle n’a que 13 ans, son entreprise fait déjà 6 M$ de chiffre d’affaires.
Ben Pasternak a créé à 13 ans sa première application téléchargée des millions de fois. A 15 ans, un fonds de capital-risque investit dans sa première startup. A 17 ans, il co-fonde Monkey, une deuxième startup qui propose une application de video-chat, qui lève rapidement 2 M$. En 18 mois, celle-ci atteint 20 millions d’utilisateurs et est vendue à Holla. A 19 ans, il crée Simulate, une startup qui propose des nuggets végétariennes, et qui est aujourd’hui valorisée 250 M$.
Inventeur à 13 ans, le nantais Guillaume Rolland crée sa première startup à 18 ans pour commercialiser le Sensor Wake, un réveil olfactif. Il obtient le Prix de l’innovation du CES, crée deux nouvelles versions du produit qui sont aussi des succès et revend son entreprise quatre ans après sa création.
Eliott Meunier a lancé son premier business à 12 ans suite à l’achat d’une imprimante 3D. Après avoir testé beaucoup de modèles d’affaires, il crée à 17 ans une entreprise qui vend des formations à la prise de notes. Il réalise 200 000 € de CA dès la première année.
En 1636, Corneille faisait dire à Rodrigue dans le Cid : “Je suis jeune, il est vrai; mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années”. Cette phrase prend tout son relief dans le monde de l’entrepreneuriat d’aujourd’hui. De plus en plus de jeunes talents se lancent et réussissent.
Les initiatives pour inciter les jeunes à l’entrepreneuriat et les accompagner se multiplient.
Dans l’introduction, j’évoquais “Entreprendre pour Apprendre” qui donne une chance aux collégiens et lycéens de lancer un vrai business durant leur année scolaire. Lemonade Day est un programme américain qui permet aux enfants d’apprendre les rudiments du business en confectionnant et vendant de la limonade.
Mighty est une plateforme qui permet aux enfants de créer simplement un business de e-commerce tout en rendant l’expérience ludique. Les jeunes entrepreneurs ont leurs programmes d’accompagnement en ligne (EntreKidsPreneurs ou Volt Entrepreneurs par exemple), leur salon annuel (Startup for kids) et leur concours (Startup toi même).
Pourquoi aujourd’hui ?
Quand j’étais au collège, au lycée et même à l’université, personne ne parlait d’entreprendre. Pourquoi est-il devenu possible aujourd’hui d’entreprendre aussi jeune ? Les raisons sont nombreuses et assez simples :
le savoir est disponible gratuitement depuis sa chambre : tout peut s’apprendre grâce à des cours en ligne, depuis les savoirs fondamentaux jusqu’aux astuces spécifiques pour réaliser quelque chose.
l’information est immédiatement disponible : les données de marché, la concurrence, les tendances.
les outils essentiels pour créer un business sont accessibles gratuitement ou presque : création de site web ou d’applications, outils graphiques, système de paiement de comptabilité, de banque en ligne, plateformes d’outsourcing de toutes sortes de compétences, imprimantes 3D, …
les forums communautaires permettent d’échanger avec d’autres pour avoir des réponses à ses questions sur n’importe quel sujet.
les clients sont accessibles par les réseaux sociaux partout dans le monde.
les entrepreneurs à succès sont constamment mis en avant et deviennent à l’instar des chanteurs ou des sportifs des icônes à imiter.
l’image de l’entrepreneur évolue positivement.
Internet et les nouveaux outils de communication ont créé les conditions favorables pour entreprendre. Il serait dommage de ne pas s’en saisir.
J’ai très peu de lecteurs adolescents et je ne peux leur parler directement. Je m’adresse donc plutôt aux parents ou grands-parents que vous êtes peut-être. Au lieu de craindre je ne sais quel risque, encouragez vos adolescents à adopter une attitude entrepreneuriale. Vous pourriez être surpris de leurs talents cachés, mais aussi de la motivation qu’ils vont mettre dans ce projet plus passionnant qu’un jeu vidéo.
Marcin Kleczynski, qui a fondé son entreprise d’antivirus Malwarebytes à 18 ans invite les étudiants à explorer la possibilité de créer quelque chose : “Si tu es à l'université maintenant, au lieu de sortir et de te saouler avec tes amis, prends une soirée par semaine juste pour voir s'il y a quelque chose sur quoi tu veux travailler personnellement.” 4
Message aux jeunes primo-entrepreneurs
Le cas suivant est fréquent : un jeune entrepreneur se passionne pour un sujet, comprend un problème, imagine une solution et crée une entreprise pour vendre son innovation. L’idée est séduisante, mais l’exécution plus laborieuse. Sans expérience, sans réseau particulier, chaque étape s’avère plus difficile que prévue.
Le produit coûte trop cher à produire, les marges sont faibles, les clients ne se bousculent pas, et les investisseurs non plus d’ailleurs.
Grâce à la persévérance, à l’aide de l’entourage, à quelques corrections judicieusement apportées, parfois aussi grâce à un pivot opportun, les ventes frémissent dans la troisième ou quatrième année. Le “product / market fit” pointe enfin le bout son nez.
Cependant, les fonds propres sont très dégradés, la trésorerie n’est pas au mieux et l’énergie du fondateur ou de la fondatrice commence à manquer. Trois ans ou parfois quatre ou cinq, à bosser très dur, sans vraiment se payer, c’est long. (Attention au burn-out d’ailleurs).
Arrivé à ce stade, il est une option qui n’est pratiquement jamais envisagée et qui pourtant est sans doute la meilleure : vendre !
Vendre à une PME ou une autre startup dans le même métier, pour qui le produit sera un complément de gamme. Pour cet acheteur, l’effort commercial sera bien moindre puisqu’il a une base de clients déjà conséquente, l’effort de production sera aussi réduit, puisqu’il pourra s’appuyer sur ses équipes ou ses fournisseurs habituels et obtenir de meilleurs coûts de fabrication. Cet acheteur aura aussi les moyens financiers d’investir pour créer une V2 du produit et augmenter l’effort commercial.
Les avantages pour le vendeur sont nombreux :
le storytelling est positif pour la suite : “j’ai créé une startup et je l’ai revendue”.
l’aventure se poursuit avec une chance de succès plus importante.
le spectre du dépôt de bilan et ses conséquences néfastes disparaissent définitivement.
le burn-out qui pointait peut à nouveau s’éloigner.
l’argent récupéré (beaucoup moins qu’espéré, car à ce stade une entreprise vaut toujours beaucoup moins que ce que son fondateur croit) permettra soit de rembourser ses dettes, soit de constituer un petit capital pour la prochaine aventure.
l’expérience acquise est très importante. Il est alors conseillé de la consigner dans un article qu’on peut même publier pour aider d’autres.
Pourtant peu d’entrepreneurs arrivés au stade décrit ici décident de vendre. Pourquoi ?
l’attachement à leur startup (leur bébé) est trop fort, et ils s’identifient trop souvent à elle.
leur produit est plus important que leur profit.
ils pensent que leur devoir, voire leur destin est de conduire eux-mêmes leur idée au succès.
ils pensent récupérer trop peu d’argent pour l’effort fourni (c’est vrai, mais c’est toujours mieux que rien au moment du dépôt de bilan).
ils ont trop la tête dans le guidon pour réfléchir à une autre stratégie et chercher un repreneur.
ils ne voient pas ce qu’ils pourraient faire d’autre.
En revendant assez tôt, les jeunes entrepreneurs s’ouvrent pourtant la voie vers une deuxième startup qui bénéficiera de l’expérience acquise, et aura donc une meilleure chance de réussite.
Si vous êtes des entrepreneurs en devenir, considérez votre startup comme une étape et non comme une fin en soi. Soyez prêts à tout moment à la vendre (faites tout de même attention aux gens pas sérieux), pour ensuite après une période de régénération repartir en créant une nouvelle entreprise. Ceci est un vrai chemin vers la réussite entrepreneuriale.
Tout commence très tôt
Molly Wright a 7 ans et elle est pourtant un speaker TED à 7 millions de vues. Que nous dit-elle ?
En jouant et en passant du temps avec les enfants durant les 5 premières années de leur vie, nous leur donnons la meilleure chance de s’épanouir, de développer les capacités de leur cerveau, mais aussi leurs aptitudes relationnelles.
Et si les capacités entrepreneuriales se forgeaient dès la plus tendre enfance ?
Les serial entrepreneurs sont-ils meilleurs ? Hervé Lebret
Rachat des start-up : des racines françaises, des ailes étrangères, Julien Piet et Marc Revol,