L’inspiration vient souvent quand on ne l’attend pas (voir UPI#87). Au départ, je pensais aborder le sujet de la création de valeur (ce n’est que partie remise), puis en peignant les portes de mon abri de jardin ce week-end, j’ai eu envie d’écrire sur la question du perfectionnisme.
J’ai depuis que je suis petit une tendance au perfectionnisme, mais je me soigne ! J’écris donc plutôt en prenant ce point de vue et cet article parlera peut-être plus à celles et ceux qui partagent cette tendance. Cependant celles et ceux qui sont moins préoccupés par la qualité, voire celles et ceux qui sont plutôt du style “j’ai un job, mais je m’en fous”, bénéficieraient aussi à se poser les questions abordées dans cet article ! Donc au final, il est pour tout le monde !
Jusqu’où doit-on aller pour bien faire ? Qu’est-ce qui est satisfaisant ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quel est le coût du perfectionnisme ? Apporte-t-il une valeur supplémentaire ? Comment le tenir sous contrôle ?
Autant de questions que l’on peut légitimement se poser quand on entreprend un projet ? En tous cas, il serait bon de le faire.
Avant de commencer
Il y a deux semaines, je vous reparlais de mon livre en préparation sur les sujets de cette Newsletter.
Cette semaine, je vous écris à propos d’un autre livre auquel je contribue. Ce livre fait le parallèle entre le travail créatif des artistes et la démarche des innovateurs. Il comprendra des reproductions d’une quinzaine d’œuvres d’art et d’une quinzaine d’innovations, des interviews de dialogues entre artistes et innovateurs évoquant leur démarche créatrices et des reproductions de schémas et croquis préparatoires à la réalisation des œuvres.
J’ai beaucoup aimé participer à la réalisation de ce livre qui s’est appuyé sur mon texte sur l’innovation (UPI#55). La rencontre et les échanges avec les artistes ont été passionnants.
Vous êtes intéressés par le processus de création, par l’art, par l’innovation et la rencontre de ces deux mondes, ce livre est pour vous. Vous pouvez aussi l’offrir car sa réalisation est soignée et il fera un très beau cadeau.
Le livre sortira le 29 septembre. Il est en pré-commande jusqu’au 30 juin sur Helloasso.
J’ai lu pour vous
Retour cette semaine de la rubrique “J’ai lu pour vous”, où je vous partage 3 articles ou vidéos lus ou vues récemment que j’ai trouvé intéressant.
Gaël Giraud : « une partie des élites est atteinte du syndrome du Titanic », Alexia Soyeux, Socialter (15/06/2022) : dans cette interview, Gaël Giraud, économiste, partage son point de vue sur la crise climatique et aborde plusieurs angles de vue intéressants : un regard sur une grande catastrophe des siècles passés, les scénarios d’effondrement, l’inaction des élites qui pensent se sauver seules, la bombe démographique, et la partie la plus intéressante de mon point de vue, sur la non-prise en compte par les économistes des lois de la thermodynamique.
Bientôt les Champs-Elysées repeints en bleu pour rafraîchir Paris?, Loop Sider,. Cette courte vidéo présente une innovation de la société bretonne Cool Roof , qui repeint les toits et les routes en blanc ou bleu pour faire baisser la température.
Interview de Christine Lagarde, College Tour (22/05/2022): cette émission de la TV néerlandaise invite des personnalités qui répondent à des questions d’étudiants. Dans cet épisode avec Christine Lagarde, elle aborde de façon très personnelle et assez directe de nombreux sujets. Ce qui a le plus retenu mon attention est son conseil d’investir dans l’amour, quelle explique ensuite en développant les fruits de l’amour et en particulier la confiance en soi.
La perfection n’existe pas
Sur un chantier, les bricoleurs peu aguerris se réservent la peinture, pensant que c’est à leur portée. Les bricoleurs chevronnés savent au contraire que la peinture est l’un des domaines du bricolage les plus difficiles. Pourquoi une telle différence de perception ?
Peindre est apparemment simple ! Il suffit de tremper le pinceau ou le rouleau dans le pot et de l’appliquer avec un geste répétitif. Sauf qu’il est peu probable que le rendu obtenu ainsi soit satisfaisant. Trace de pinceau, manque, coulure, aspérités ou trous visibles, variation de couleur et de rendu suivant la nature du support, etc… Les imperfections sont innombrables.
Car l’application de la couche finale n’est que la partie cachée de l’iceberg. La plupart du travail et donc du temps à passer en peinture est la préparation fastidieuse des supports : décapage, lessivage, rebouchage, enduisage, ponçage, enduisage de finition, nouveau ponçage, protection, masquage, sous-couche, pour les étapes les plus classiques dans les cas simples. Ces étapes itératives sont nettement plus difficiles et lassantes que l’application de la couche finale. Elles sont pourtant essentielles pour obtenir un rendu de qualité.
Mais là est toute la question. Qu’est-ce qu’un rendu de qualité ? De ce que je vois en me rendant ici ou là , c’est que nous n’avons pas tous les mêmes exigences.
Pour ma part, depuis 50 ans que je bricole, je n’ai jamais été satisfait d’un travail de peinture, mais il m’est arrivé d’être très satisfait d’un travail de maçonnerie, d’électricité, de plomberie ou de menuiserie. Ceci m’amène à penser comme mentionné plus haut, que la peinture est le plus difficile des sujets du bricolage.
En lumière rasante, un mur lisse ressemble à des montagnes russes ! La qualité absolue n’existe pas. La qualité n’est qu’une comparaison avec un étalon de référence, une valeur objective mesurée suivant une méthode précise.
Cet exemple de la peinture permet de mettre en lumière le premier piège du perfectionnisme. Sans définition de la perfection (le standard de qualité recherché), la poursuite de celle-ci est vaine, car elle n’existe pas.
Le malheur des perfectionnistes, c’est qu’ils oublient de définir le standard recherché et se fie à leur “feeling”. Est parfait, ce qu’ils considèrent parfait une fois terminé. Comme leur niveau d’exigence est élevé, plus ils se rapprochent de la perfection, plus elle s’éloigne et la tâche devient interminable.
La qualité industrielle, c’est un processus
La production de puces électroniques ou de médicaments, l’anesthésie au bloc opératoire, le décollage d’une fusée, la laque japonaise, l’assaut d’une brigade de forces spéciales nécessitent un très haut niveau de qualité.
Les résultats obtenus ne sont pas le fruit d’un perfectionnisme individuel, ni même de l’addition de perfectionnismes individuels qui ferait un perfectionnisme collectif. Ils sont le fruit de la mise en œuvre stricte de procédures précises résultant d’un cahier des charges objectif et fruit d’années de raffinement.
La “perfection” industrielle n’est possible qu’en respectant à la lettre la procédure et en supprimant autant qu’il est possible la part d’initiative liée à l’individu. Seule cette approche stricte, quasi militaire permet de garantir dans la durée la qualité parfaite. Le rôle du management n’est pas de pousser chacun au perfectionnisme, mais de veiller au respect strict des procédures.
Dans cet article, je ne traite pas du sujet du perfectionnisme industriel qui ne tolère aucun écart, mais bien du perfectionnisme individuel qui s’applique à toute action tant personnelle que professionnelle pour celles et ceux qui en sont atteint.
Je n’aborderai pas non plus le perfectionnisme pathologique qui demande un traitement psychologique. Je traite simplement de la tendance perfectionniste de celles et ceux qui veulent toujours faire mieux, qui accordent aux détails une importance souvent démesurée, qui ont du mal à être satisfaits de leurs réalisations.
D’où vient le perfectionnisme ?
Sans rentrer dans une étude scientifique précise, il est intéressant d’essayer de comprendre d’où peut venir notre tendance perfectionniste.
Il y a sans doute une part génétique (en tous cas personnellement, mon père et ma mère sont perfectionnistes), mais c’est surement notre éducation qui modèle en nous cette exigence.
Nos parents, nos professeurs nous ont-ils donnés cette conviction, que nous n’avons de valeur qu’au travers de ce que nous réalisons ?
Nos éducateurs sportifs nous ont-ils inculqué que seule la victoire compte, et quand il y a victoire, que seul le record est satisfaisant ?
Nos premiers chefs nous ont-ils poussés à toujours faire mieux ?
Notre désir de perfection est-il simplement lié à notre égo qui ne supporte pas la critique, ou la honte de rendre un travail imparfait ?
Chacune et chacun peut donc s’introspecter pour essayer de comprendre quels sont les facteurs qui ont forgé cette tendance perfectionniste. A l’heure de la combattre, cela peut donner des pistes utiles pour s’en affranchir.
Dans la suite, je vous partage quelques pistes qui m’aident à combattre ma tendance perfectionniste et vivre sereinement avec, et quelques principes enseignés aux entrepreneurs qui se lancent.
Perfectionniste de l’essentiel
Le perfectionniste a tendance à ne pas hiérarchiser les choses. Il va accorder autant d’importance à la face cachée de son travail, qu’à la face visible.
Mon père avait cette phrase mythique chaque fois qu’il n’était pas satisfait d’un détail invisible et qu’il devait se résoudre à en rester là : “celui qui a perdu sa mère ne viendra pas la chercher là”. Cette phrase stupide m’est restée, et elle m’aide à lâcher l’affaire quand je n’arrive pas à atteindre le niveau recherché sur un détail que ne sera de toute façon pas franchement visible pour quelqu’un d’autre que moi.
Dans tout projet, il est essentiel de définir avant de commencer un objectif clair. En particulier, il est important de choisir quelle sera la performance la plus importante à atteindre, le point principal à l’aune duquel sera évaluée la réussite du projet, la proposition de valeur première qu’il faudra maintenir coûte que coûte.
En ayant dès le départ cette vision claire et partagée, il sera possible de consacrer le temps et les ressources à atteindre d’abord cet objectif, en délaissant tout un tas d’autres objectifs secondaires qui pourraient faire dévier de l’objectif principal.
J’assiste souvent à des évènements très bien organisés. Les hôtes et les hôtesses d’accueil sont très professionnels, la signalétique est très claire, la salle est grandiose, le timing est respecté, les petits-fours sont sublimes. Tout semble parfait. Sauf que les orateurs sont insipides, les tables-rondes convenues, les animateurs s’écoutent parler, et les discours sont soporifiques. Quelqu’un a oublié de s’intéresser à l’essentiel et a mis tout son effort sur les détails. Attention, les détails sont importants aussi, et je peux râler si les petits-fours sont mauvais. Mais je serai beaucoup plus tolérant si les intervenants ont été inspirants !
Si vous êtes perfectionniste, il faut être perfectionniste de l’essentiel et pas du secondaire. En focalisant votre tendance perfectionniste sur l’essentiel, vous éviterez de vous perdre dans le perfectionnisme de détail qui ne sera pas valorisé par le client.
Raccourcir les délais
La meilleure façon que j’ai trouvée de lutter contre ma tendance perfectionniste consiste à raccourcir les délais de réalisation d’un projet.
Lorsque j’ai une présentation à préparer, un article à écrire, un rapport à rendre ou plus généralement une tâche à réaliser, j’évalue avant de commencer le temps que je pense raisonnable à y consacrer.
Cette évaluation est un savant compromis entre l’importance de la tâche, la maîtrise du sujet, et bien sûr, l’expérience en la matière.
Je planifie ensuite la tâche pour qu’elle soit terminée juste avant la date limite, et donc je ne commence pas avant d’être arrivé à la date limite moins le temps que j’estime devoir y consacrer. Je me mets volontairement en situation contrainte. Je sais ainsi que je ne pourrai pas être trop perfectionniste si je veux rendre mon travail à temps.
Je ne commence jamais les articles de cette Newsletter avant le vendredi précédant le mardi de la parution. Ceci me vaut de temps en temps une dernière soirée un peu longue, mais évite systématiquement que je passe 30 heures là où 10 suffisent.
Je mets mon énergie et mon attention à produire un article de la meilleure qualité possible dans le temps imparti. Il est évident qu’en prenant plus de temps, je ferai un bien meilleur article en retravaillant chaque phrase, en détectant mieux les coquilles, en faisant plus de lectures pour approfondir le sujet, en recherchant de meilleures illustrations. J’avoue qu’en appuyant sur le bouton “Publication” le lundi soir, je ne suis pas toujours très satisfait de ce que j’ai pu produire. Mon perfectionnisme voudrait que je retravaille le sujet. Mon engagement de vous livrer à l’heure m’en empêche. Et paradoxalement, c’est souvent sur des articles que j’aurai voulu améliorer que j’ai les meilleurs retours !
Se contraindre à consacrer un temps défini en amont à une tâche donnée est un excellent moyen d’éviter la surqualité. Accessoirement, cela met un coup de stress qui pour certains est un multiplicateur de performance.
Avoir honte de son produit
Dans le monde des startups, il y a des citations qui sont devenues iconiques : “Si tu n’as pas honte de la première version de ton produit, c’est que tu as lancé trop tard.” Cette citation de Reid Hoffman, le fondateur de LinkedIn, en fait partie.
Que veut-il dire ?
Le fondateur d’une startup se lance car il a une idée assez précise de la contribution fondamentale qu’il veut faire au monde, qui se traduit par un produit ou un service qu’il juge révolutionnaire.
Il m’est arrivé des centaines de fois de faire cette rencontre initiale avec un entrepreneur au stade de l’idée capable de parler pendant plusieurs heures de son produit, en développant toutes les fonctionnalités qu’il veut intégrer. Avant même d’avoir commencé quoi que ce soit, il a déjà la vision de la version douze en tête.
Notre travail d’accompagnateur va alors être de déconstruire patiemment cette pyramide pour découvrir quelle est l’essence du produit, sa proposition de valeur irréductible qui fera vraiment la différence. C’est celle-là qui doit être développée en premier, le plus rapidement possible et faire l’objet de la version zéro du produit (souvent appelée, “produit minimum viable” ou MVP en anglais).
Lorsque l’entrepreneur accepte cette façon de démarrer (c’est pas toujours gagné !), il sort alors ce produit en ayant honte, car c’est tellement loin de tout ce qu’il imagine, et tellement pauvre et dégradé par rapport à son rêve. Souvent le client trouve déjà cela génial !
Je me souviens d’un entrepreneur qui après avoir sorti un premier produit assez abouti qui ne prenait pas vraiment, avait décidé de tout déconstruire et de proposer une fonctionnalité toute basique. Il avait compris qu’il devait observer comment les utilisateurs s’emparaient du produit, quels étaient leurs retours et leurs suggestions d’améliorations. Il intégrait ensuite au fur et à mesure les fonctionnalités les plus demandées.
Cette méthode qui prend en compte le désir réel du client dans la boucle de conception du produit est adoptée dans de nombreux projets d’innovation. Elle constitue une formidable canalisation du perfectionnisme en focalisant celui-ci sur un seul point à la fois.
Quelques conseils supplémentaires
Il y a encore d’autres façons de contrebalancer une tendance perfectionniste :
travailler en équipe, en faisant confiance aux autres et en acceptant qu’ils agissent à leur façon et en les encourageant à donner le meilleur d’eux-mêmes.
être dans l’action avant d’avoir complètement terminé la réflexion. A trop vouloir préparer, anticiper, peaufiner le plan d’action, étudier toutes les hypothèses, la perspective d’une réalisation s’éloigne. Et pourtant c’est le terrain qui apporte les réponses, c’est l’action qui permet de valider les hypothèses et donc d’obtenir des résultats.
écouter les réactions des clients ou des bénéficiaires de votre projet. Les perfectionnistes ont du mal à entendre et à croire les commentaires élogieux sur leur travail. Apprendre à le faire aide à conscientiser qu’il n’est pas nécessaire d’être beaucoup plus exigeant que ses clients.
La volonté de travailler pour un résultat optimum et une juste adéquation entre les moyens et les résultats est essentielle. L’obsession de la perfection peut paralyser et n’apporte pas la valeur en rapport avec l’effort consenti.
Sachons choisir l’attitude la plus propice à réaliser de grandes choses !
Article extrêmement instructif, Christian. J'ignorais que tu étais perfectionniste et, en toute franchise, je me sens rassuré après t'avoir lu. Je le suis moi-même, à dire vrai, notamment dans la rédaction. C'est utile dans le domaine des contrats, car même une virgule peut avoir son importance, mais cela peut s'avérer contraignant. Quant à l'écriture de romans, je m'étais mis en tête de ne réaliser qu'une seule trilogie, en y mettant le meilleur de moi-même avec l'espoir fou de réaliser un succès commercial à la Patrick Hernandez qui m'aurait ensuite permis de transformer mon nom en marque et de la mettre au service de causes sociales et solidaires. L'enjeu n'avait pas de prix ; j'ai donc pris un temps à sa mesure. Au final, ce n'est que samedi dernier que j'ai éprouvé le plaisir immense d'être parvenu à un roman achevé pour mon tome 1. Reste à voir ce que l'avenir réserve à l'ensemble... Bravo pour ton site !