#144 Cultiver la responsabilité
un état d'esprit qui renforce l'entreprise dans les temps d'incertitude
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En 1991, la ministre Georgina Dufoix, à l’occasion de l’affaire du sang contaminé a prononcé une phrase qui est devenue une expression française fréquemment reprise pour se moquer des personnes en responsabilité : “responsable mais pas coupable”.
L’actualité nous montre tous les jours que la majorité des gens assimilent responsabilité et culpabilité. Cette confusion engendre une fuite des responsabilités pour se protéger de la culpabilité.
Les salariés des entreprises refusent de plus en plus d’assumer une responsabilité en face du client. Les chefs d’entreprises cherchent de plus en plus à échapper aux conséquences de leur responsabilité. Les responsables mettent en place des usines à gaz pour éviter d’être reconnus coupables tout en se donnant les moyens de désigner un coupable en toutes circonstances. Les média et plus encore les réseaux sociaux s’acharnent sur les responsables reconnus coupables de tous les maux.
Il est temps d’essayer de comprendre le vrai sens de la responsabilité en entreprise.
L’année 2024 se termine !
Une année étrange qui a conjugué des moments incroyables de fierté d’être français pendant un été olympique enchanté ou en ce moment avec la réouverture de Notre-Dame, et une désagréable et honteuse impression de notre incapacité collective à dialoguer et trouver des solutions pour faire face aux grandes questions de demain.
Je souhaite à chacune et chacun de vous de passer de belles fêtes de fin d’année apaisantes et enrichissantes.
Je vous retrouverai le 7 janvier pour entamer une année qui s’annonce pleine d’incertitude.
Ici l’incertitude, on connaît ! Cette newsletter ne s’appelle pas “Un pas dans l’inconnu” pour rien !
Entreprendre et innover sont de formidables antidotes au défaitisme, à la morosité et au pessimisme. Manager des humains de la bonne façon rend possible d’incroyables exploits qui donnent de la fierté à chacun !
Comprendre finement les ressorts qui animent ces dynamiques est une excellente façon de s’assurer une nouvelle année réussie !
Répondre de ses actes
Étymologiquement, la responsabilité est le devoir de répondre de ses actes, d’assumer ses promesses et de se porter garant de ceux dont on a la charge.
Ce terme est très fort et il a des conséquences.
La responsabilité inclut le devoir de réparer en cas de défaillance et éventuellement le fait de subir la sanction en cas de manquement à la règle.
Dans l’entreprise, la responsabilité est plus souvent comprise comme le pouvoir de prendre des décisions. Elle devient alors une espèce de privilège (“le privilège du chef”) au lieu d’être un engagement au service des autres.
La responsabilité réduite au pouvoir est dangereuse car elle n’assume pas les conséquences de ses décisions. Décider sans mesurer les conséquences revient à conduire un bandeau sur les yeux. C’est refuser de voir et d’accepter qu’une décision peut entraîner de graves dégâts. Une fois ceux-ci survenus, le responsable qui a ainsi exercé son pouvoir, se met en quête d’un coupable. Ayant décidé sans anticiper les risques, il n’envisage pas sa propre culpabilité.
Beaucoup de personnes aspirent à exercer un pouvoir sans mesurer les enjeux de la vraie responsabilité.
Beaucoup de personnes critiquent les responsables sans comprendre la difficulté d’exercer pleinement des responsabilités.
Assumer n’est pas seulement être d’accord avec soi-même
Assumer est un verbe indissociable de la responsabilité. Assumer ses responsabilités, c’est justement pleinement reconnaître qu’il faudra répondre de ses actes.
La plupart du temps lorsqu’un personnage politique dit “j’assume mes propos” ou “j’assume mes décisions”, il faut comprendre “j’ai bien dit cela” ou “c’est bien ce que j’ai décidé”, mais nullement “je mesure les implications concrètes de mes propos ou de mes décisions et je suis prêt à être tenu pour responsable de leurs conséquences”.
A force de les entendre, il apparaît que le verbe assumer a perdu de son sens et de sa force. Cela me fait penser au chinois qui répond “oui, oui” lorsqu’on lui dit quelque chose. Cela ne veut nullement dire qu’il est d’accord, mais seulement qu’il a écouté. Ceci est très trompeur pour un occidental, et il faut donc être très prudent. Il convient aujourd’hui d’avoir cette même prudence vis-à-vis du verbe assumer, car très souvent celui qui l’utilise, n’assume en réalité rien du tout.
De la même façon qu’il faut réfléchir à deux fois avant d’endosser des responsabilités, il vaut mieux tourner sept fois sa langue avant d’employer le verbe assumer dans tout son sens.
La responsabilité est un état d’esprit
Dans l’entreprise, l’exercice de la responsabilité pleine et entière ne peut se résumer à la lettre de mission de chaque manager qui définirait aussi précisément que possible ses attributions, ses délégations et le périmètre de ses pouvoirs.
Dès lors que ce ne serait pas écrit, sa responsabilité disparaîtrait et il serait dédouané des conséquences de ses agissements.
Une telle approche présente au cœur du fonctionnement de toute administration publique ou privée est délétère et explique en grande partie l’inefficacité et l’irresponsabilité de ces organisations sur-administrées. J’y reviendrai plus bas.
La responsabilité pour fonctionner à pleine capacité de son potentiel doit être vécue comme une valeur qui se traduit en un état d’esprit.
Une entreprise pleinement responsable de ses actes est celle où le dirigeant a su insuffler à tous les niveaux un état d’esprit responsable. Chacun agit alors en pleine conscience des conséquences de ses actes et en pleine compréhension de la mission de l’entreprise.
Cette vision de l’entreprise responsable est malheureusement en lutte avec un droit du travail qui s’épaissit de jour en jour pour baliser avec une extrême précision chaque situation du quotidien, et un état d’esprit de démission silencieuse (“quiet quitting”) qui s’installe subrepticement depuis la période Covid.
Lorsque la mission est clairement définie (voir UPI#16), chacun sait ce qu’il a à faire quelle que soit la circonstance. Ce n’est plus la règle, le process ou la circulaire qui définit le comportement à adopter mais la mission globale incarnée comme une règle de vie.
Le comportement des téléopérateurs de Zappos, célèbre e-commerçant de chaussures illustre parfaitement cette importance de la mission génératrice de responsabilité. Recevant un appel pour commander une pizza, un téléopérateur prend le temps de trouver le téléphone d’une pizzeria car la mission chez Zappos est focalisée sur le service client. Tony Hsieh le fondateur de Zappos avait réussi à instaurer une telle culture du service client, qu’une téléopératrice est un jour restée 9h37 en ligne avec une cliente !
Cet esprit de responsabilité diffusé à tous les niveaux de l’entreprise n’est possible que si l’organisation est pensée autour de la subsidiarité. Chacun quel que soit son niveau dans la hiérarchie n’agit que sur les tâches qui ne peuvent être effectuées par le niveau inférieur, et ne prend les décisions que si elles ne peuvent pas être prises par l’équipe sous sa responsabilité.
Cette organisation fondée sur la subsidiarité est la plus efficace. Elle ne peut fonctionner sans confiance et sans responsabilité. Chacun à son niveau agit sur ce qu’il peut et sait faire, assumant sa responsabilité sachant qu’on lui fait confiance.
L’administration tue la responsabilité
Les administrations publiques et certaines grandes sociétés tendent à structurer leur fonctionnement sur deux principes très impactants : une hiérarchie pyramidale importante et très stricte et un process de fonctionnement et de décision très codifié et documenté.
Ce mode de fonctionnement est destiné à gérer des milliers de personnes qui ne se connaissent pas et ne se choisissent pas. Il est aussi principalement déployé dans des organisations qui n’ont pas de vision clairement établie et qui ne savent pas réduire leur mission à une formulation simple compréhensible par tous.
La justification d’une telle organisation est souvent celle de la sécurité. En laissant le moins possible d’initiatives individuelles et en fragmentant au maximum les tâches pour que tout résultat soit forcément le fruit du travail de nombreuses personnes, ces grandes organisations pensent limiter la fraude et sécuriser le fonctionnement en rendant les individus interchangeables. Tout cela s’effectue bien sûr au détriment de l’efficacité et à un coût très élevé.
En niant l’apport individuel, l’organisation administrative tend à broyer les personnes, créer de la démotivation, favoriser les burn-out et décourager les meilleurs talents de la rejoindre.
Ce mode d’organisation adore le contrôle. Le formalisme prenant le dessus sur le résultat, le contrôle porte sur le respect de la forme plus que sur l’impact. Poussé à l’extrême, le contrôle produit un travail dénué de sens, extrêmement coûteux et très largement inefficace. Vu que le contrôle porte sur la forme au détriment du fond, ceux qui veulent frauder et détourner de l’argent s’appliquent à respecter la forme à la lettre et passent ainsi aisément au travers des contrôles.
La sur-administration conduit à la déresponsabilisation des individus. Qui n’a pas un jour eu affaire à des agents de l’administration niant toute responsabilité face à un dysfonctionnement pourtant manifeste. Je lisais récemment l’histoire d’un monsieur bien vivant qui avait été déclaré mort par la sécurité sociale suite à une erreur d’enregistrement au décès de son épouse. Il a passé une énergie importante et un temps long pour récupérer ses droits et son médecin a dû lui faire un certificat de vie!!
Personne n’étant capable d’assumer une erreur, la machine administrative s’emballe et prise dans une situation non prévue est incapable de trouver une solution, car personne ne prend ses responsabilités.
La responsabilité combat l’incertitude
En temps de crise, lorsque l’incertitude monte, un état d’esprit de responsabilité est un bouclier solide.
Dans mon dernier article (UPI#143), je vous ai partagé une situation de crise et la nécessaire transparence avec laquelle je l’ai gérée.
La transparence qui expose devant les équipiers la réalité des difficultés n’est que le prélude à l’appel à la responsabilité de chacun face à la situation.
En effet, combattre une crise nécessite la mobilisation de chacune des forces vives de l’entreprise quel que soit son rôle. Ce n’est que par la conduite responsable de chacun que la chance de réussir à traverser la crise est possible. Si certains n’assument pas leur responsabilité par peur de mal faire, par tétanie face à l’enjeu ou par lâcheté, le risque d’échouer s’accroit fortement puisque la solution repose maintenant sur les derniers ayant le courage d’affronter la situation.
Face à l’incertitude et au danger générés par une crise, la prise de responsabilité de chacun constitue donc une attitude salvatrice.
La non-responsabilité fait fuir le client
Quel que soit l’engagement de chaque employé et la qualité de l’organisation d’une entreprise, les erreurs surviennent. L’enjeu pour l’image d’une entreprise n’est pas tant d’éviter les dysfonctionnements que de les traiter de façon satisfaisante.
En tant que client, rien ne m’énerve plus qu’un employé n’assumant pas l’erreur de son entreprise. Face à un dysfonctionnement qui lèse le client, nombre de salariés du support client adopte une attitude d’évitement. Au lieu de tenter de comprendre le problème, ils répondent de façon mécanique, se défaussent en accusant le système informatique, renvoient sur des formulaires à remplir et en tous cas essayent de décourager le client de poursuivre sa démarche de recherche de réparation.
Le client est pourtant capable de comprendre un dysfonctionnement. Il attend seulement une reconnaissance de celui-ci, une empathie par rapport aux conséquences et une forme de réparation.
Il y a quelques mois, j’ai expérimenté cette situation avec un opérateur téléphonique. Ayant besoin de 2 lignes éphémères pour un mois, je me rends en boutique. L’employé très zélé et plutôt efficace s’étonne de notre abonnement et m’informe d’une autre formule qui me permettrait de gagner plusieurs centaines d’euros par an. J’accepte son offre et après une heure de labeur, notre flotte est migrée sur cette nouvelle offre et mes deux lignes éphémères sont ouvertes. Quelques jours plus tard, les dysfonctionnements apparaissent sur certaines lignes. Après un temps de diagnostic du problème, je comprends que cet employé m’a fait une offre qu’il n’avait pas le droit de me faire et qu’il n’aurait même pas dû pouvoir faire dans son interface logiciel. S’en suit plusieurs semaines de galères pour retrouver un fonctionnement normal et revenir à mon tarif d’origine. J’ai perdu énormément de temps et d’énergie, perdu le bénéfice d’une offre plus intéressante mais inaccessible, et n’ai reçu aucune reconnaissance de responsabilité ni réparation pour la gêne occasionnée. De multiples dysfonctionnements se sont ajoutés (faille du système informatique, non respect du process commercial, mauvaise coopération entre deux services) mais la culture de l’entreprise qui ne reconnait pas sa responsabilité et n’a rien prévu pour réparer les dommages affectant le client n’a pas permis de gérer correctement la situation. En réalité, ces grandes entreprises ont peu d’égards pour leurs clients car leur taille les porte à croire qu’un client ne représente rien.
Responsable ne signifie pas forcément coupable
Depuis plusieurs années, j’ai un problème d’infiltration d’eau de pluie suite à une malfaçon lors de la construction de ma maison. J’ai fait appel à l’assurance. L’expert avait pour seul objectif de faire payer l’entreprise ou son assurance. Manque de chance pour moi, l’entreprise avait été vendue entretemps. Le nouveau propriétaire au delà d’une incompétence technique (la couverture n’était pas son métier), avait pour seul objectif de ne pas payer. Il a accepté, contraint par l’expert, d’intervenir pour réparer les dégâts. Il a fait un travail minimal qui n’a bien sûr rien résolu. Ensuite il a donné instruction à son secrétariat de faire barrage. Malgré des dizaines d’appel, je n’ai jamais pu lui parler et le problème est resté non résolu. J’ai bien sûr fait appel à quelqu’un d’autre pour mon chantier suivant de couverture.
Cet entrepreneur n’a pas voulu assumer ses responsabilités se pensant à juste titre d’ailleurs non coupable. En rachetant l’entreprise, le devoir moral qui s’impose au repreneur est d’assumer tout ce qu’a fait son prédécesseur. Malheureusement, le fait de se sentir non coupable, empêche souvent cette reconnaissance de responsabilité.
Confondre culpabilité et responsabilité est une grave erreur qu’il faut éviter pour préserver l’image de son entreprise et garder son client.
En résumé, la responsabilité agit comme une force de cohésion
La culture de la responsabilité constitue une force pour l’entreprise qui lui permet d’affronter les pires situations d’incertitude.
La responsabilité partagée à tous les niveaux de l’entreprise est une force d’engagement et donc de motivation pour les salariés.
La responsabilité est une façon de garder ses clients et d’en conquérir d’autres qui seront séduits par cet engagement.
La responsabilité est une solution simple à l’organisation de l’entreprise qui peut être souple et donc agile, puisque la seule règle qui compte est que chacun soit responsable de ce qu’il fait sans besoin de recourir à un manuel rigide qui codifierait sa façon d’agir.
La responsabilité est une règle de bon sens qui permet de traverser les incertitudes de façon beaucoup plus efficace que la gestion bureaucratique.
La responsabilité est une valeur qui honore celles et ceux qui la pratiquent et les élèvent au-dessus de la mêlée.
La responsabilité n’est assurément pas une tendance du moment et la promouvoir demande une force morale pour défier les dérives actuelles qui tendent à infantiliser les individus, les dédouaner de leurs responsabilités en ajoutant de lourdes couches de règlements paralysants, et promouvoir un individualisme forcené qui n’a de cesse que de rejeter la faute sur les autres.
J’en appelle aux gens de bonne volonté pour s’élever en assumant leurs responsabilités.