
Toutes celles et ceux qui suivent régulièrement cette newsletter savent que nous venons d’organiser la septième édition du West Data Festival, le plus grand évènement de l’Ouest sur l’intelligence artificielle et la data.
Organiser un tel évènement comprend une innombrable série d’actions et de micro-actions sur plusieurs mois, dont une bonne proportion est critique dans le succès de l’opération.
Il y a 2 ans, j’avais écrit à la suite de l’évènement, un article sur le flow (UPI#107), tant le déroulé s’était bien passé. J’avais bien expliqué que le flow est un état exceptionnel.
Même si l’évènement de cette année est une belle réussite, il m’inspire aujourd’hui d’écrire sur une thématique que j’ai encore rarement abordée, la gestion de l’erreur.
Qu’est-ce qu’une erreur ? Pourquoi survient-elle ? Comment y réagir ? Comment en tirer des leçons ? Comment ne pas les reproduire ?
La perfection n’existe pas
L’erreur est humaine. Cette expression populaire répétée chaque fois qu’une erreur irrattrapable est commise, nous rappelle notre condition d’humains imparfaits.
Les perfectionnistes ne supportent pas l’erreur et déploient une énergie et un temps infinis pour l’éviter. Quant elle survient malgré tout, ils sont frustrés et s’en veulent longtemps.
Les “je-m’en-foutistes” à l’opposé n’accordent presque aucune importance à l’erreur. Elle les affecte peu, car ils vivent dans une forme de détachement de la réalité et n’assument pas les conséquences de leurs actes.
Entre les deux, il y a toutes celles et ceux qui se contentent de l’à peu près. En chinois ce mot se dit “mama huhu” ou cheval-tigre en référence à une légende, que je vous conte brièvement.
Un peintre avait reçu une commande pour un tableau représentant un cheval. Pour aller plus vite, ayant commencé une tête de tigre, il lui rajoute un corps de cheval et présente son tableau que le client refuse. Il affiche alors ce tableau dans sa maison. Lorsque son fils ainé rentre à la maison et s’enquiert de savoir qu’est-ce que représente ce tableau, il lui répond que c’est un tigre. Le cadet fait de même et il répond que c’est un cheval.
Quelque temps plus tard, le fils ainé parti chasser, abat un cheval qu’il a pris pour un tigre et doit alors indemniser le propriétaire. Le cadet rencontre un jour un tigre et essaye de le monter et se fait dévorer.
Le peintre inconsolable brûle son tableau et dit : « cheval-tigre, cheval-tigre, tu ressembles à la fois au cheval et au tigre. A cause de toi, mon fils aîné a tué un cheval de son arc, à cause de toi, mon fils cadet s'est fait dévorer par un tigre. Ce dessin d'un cheval-tigre a réduit en cendres ma maison. Puissent les honnêtes gens ne jamais m'imiter ! »
Le “cheval-tigre” en introduisant la confusion ouvre la porte aux erreurs. Cette approche du travail est dangereuse, car le “cheval-tigre” pense travailler correctement et a rarement conscience des risques que génère son travail.
Dans tous les cas, les erreurs existent, certes en plus ou moins grand nombre, mais rien de ce qui est humain n’en est exempt.
Il faut donc accepter que l’erreur existe, qu’elle va se produire. Il faut donc la prendre en compte dans tout processus au risque de commettre des erreurs irréparables.
La prise en compte des erreurs
Pour réussir un projet, il faut prendre en compte le risque d’erreur et mettre en place des processus pour en minimiser les conséquences. Je donne ici quelques exemples des processus les plus fréquemment utilisés.
Choisir des tolérances : dans tous les processus constructifs qui consistent à assembler des pièces pour fabriquer un objet, les concepteurs dessinent les pièces, et pour chaque dimension attribuent une tolérance. La tolérance est l’erreur maximale qu’il est possible de faire sur la côte de la pièce lors de sa fabrication, et qui permettra quand même d’assembler l’objet. L’erreur n’est pas interdite, elle est encadrée. La perfection n’est pas utile, mais le “je m’en-foutisme” est interdit et le “cheval-tigre” est encadré.
Répéter le geste : au théâtre, dans le sport, à l’usine pour les gestes complexes, la répétition du geste délicat est faite autant de fois qu’il faut, jusqu’à ce qu’il devienne naturel et reproductible.
Visualiser : une alternative à la répétition physique est la visualisation mentale. Cette technique particulièrement utilisée dans le sport, permet de répéter des situations impossibles à vivre en réalité plusieurs fois. Courir la finale olympique ne peut-être répétée physiquement. L’athlète peut par contre la courir mille fois avant le jour J, inscrivant ainsi dans sa mémoire avec précision la succession des gestes parfaits.
Simuler : dans de nombreux domaines, la simulation qu’elle soit mathématique, numérique ou physique permet de préfigurer la réalité et ainsi anticiper les erreurs. L’industrie, le bâtiment, la médecine, et bien d’autres domaines utilisent aujourd’hui le jumeau numérique, un modèle numérique fidèle de la réalité qui permet de modifier à l’infini la conception jusqu’à ce que l’erreur disparaisse.
Anticiper : lorsqu’il apparaît que la probabilité de l’erreur est élevée, il faut en anticiper les conséquences et préparer les alternatives. Dans le nucléaire ou l’aviation, les systèmes critiques sont redondés. Si une pompe tombe en panne l’autre démarre et compense la défaillance. Dans le bâtiment, les poutres sont surdimensionnées pour anticiper les défauts de construction, les imprécisions des calculs de structure ou les défauts des matériaux.
Vérifier : c’est la méthode la plus simple et la plus utilisée. Refaire les calculs, faire relire son texte, utiliser une autre méthode pour vérifier le résultat, faire travailler deux équipes sur le même sujet, il existe des centaines de méthodes pour vérifier de façon plus ou moins précise suivant l’enjeu.
Apprécier le coût de l’erreur, et en fonction de cela déterminer la bonne stratégie à adopter pour minimiser la probabilité qu’elle survienne, constitue le savoir-faire le plus important d’un bon chef de projet.
L’erreur provoque des émotions
Malgré les précautions et les méthodes pour anticiper celles-ci, les erreurs finissent pas survenir.
Au delà des conséquences matérielles ou pécuniaires ou de conséquences plus graves encore qui dépendent des projets et des domaines d’activités, toutes les erreurs provoquent les mêmes émotions.
Celles-ci sont nombreuses et dépendent des personnalités en jeu.
La honte envahit les esprits consciencieux et désireux de bien-faire. La peur ronge ceux qui craignent le chef. La frustration habite les perfectionnistes qui font une erreur malgré leur vigilance. Le remord travaille celles et ceux qui ont commis l’erreur irréparable aux conséquences graves. La perte de confiance en soi peut s’instaurer en cas d’erreurs répétées. Le stress est immense si l’erreur est commise sur une situation répétitive.
Les émotions ne sont pas que pour celui qui a commis l’erreur. Celles-ci atteignent aussi ceux qui subissent les erreurs.
La colère n’est jamais loin lorsque l’erreur de quelqu’un affecte profondément les intérêts de quelqu’un d’autre. La rancune peut aussi s’installer dans le long terme si l’erreur avait des conséquences durables. Le jugement est immédiat sans chercher à comprendre ou à analyser les circonstances.
Le premier enjeu de la gestion des erreurs en entreprise est celui de la gestion des émotions. Malheureusement cette discipline n’est pas enseignée dans les écoles et peu travaillée dans l’entreprise.
Reconnaître son erreur
C’est moi qui ai fait la plus grosse erreur de notre festival. La dernière intervenante de la dernière keynote entre en scène après avoir été présentée par notre animateur. Elle attend quelque secondes que sa présentation soit projetée.
Je réalise alors que j’ai oublié de transmettre son powerpoint à la régie. Courageusement elle commence quand même sa présentation. La pression est immense sur moi. Je m’y prends à 3 fois pour rentrer mon mot de passe et je tâtonne quelques dizaines de secondes pour trouver la présentation.
Finalement quelqu’un vient à ma rescousse et la présentation est enfin à l’écran.
Je ne cherche pas à incriminer quelqu’un d’autre. J’assume. Je m’excuse auprès de l’intervenante. Mais surtout, je communique clairement à l’équipe que c’est ma faute et que c’est la plus grosse erreur de tout le festival.
L’erreur est humaine. Même le chef fait des erreurs. La pire image qu’un leader puisse donner est de ne pas reconnaître ses erreurs, de chercher un coupable, de maquiller sa défaillance ou d’esquiver l’occasion de reconnaître que c’est de sa faute.
L’erreur non reconnue sape l’autorité d’un leader. L’erreur reconnue humanise le leader et paradoxalement renforce la confiance de l’équipe et améliore sa capacité à prendre des risques.
Réparer ce qui est possible
L’erreur provient souvent d’un facteur externe.
Un de nos conférenciers s’est levé tôt pour venir au festival. Il vient de loin et a un changement de train à faire. Malheureusement, la SNCF lui joue un tour et son premier train en retard ne lui permet pas de prendre la correspondance.
Après avoir envisagé ensemble plusieurs options, j’accepte de payer une location de véhicule pour qu’il puisse intervenir à l’heure prévue.
L’erreur a toujours un coût. Mais la capacité à décider vite et à trouver des solutions est ce qui rend une équipe performante.
Tout entrepreneur s’il veut réussir doit mettre en place une culture de gestion de l’erreur qui comprend les ingrédients suivants :
encourager la créativité pour que chacun en fasse preuve au moment de trouver des solutions.
favoriser la prise de risque pour sortir de situations délicates par des chemins étroits.
décider vite pour corriger rapidement les conséquences d’une erreur avant que celles-ci se répandent et causent des dommages irréversibles.
mettre en place un process efficace d’analyse des erreurs et de capitalisation d’expériences sur celles-ci.
Réparer rapidement les conséquences d’une erreur que ce soit en interne ou vis-à-vis du client est une caractéristique des entreprises efficaces et respectueuses de leurs clients. Ce sont celles qui ont le plus de chances de perdurer.
Débrieffer rapidement
Pour comprendre le pourquoi d’une erreur, capitaliser dessus pour qu’elle ne se reproduise pas et gérer les émotions, il est important de débriefer en équipe.
En tant que manager, inutile de crier sur l’équipier qui a fauté, cela ne changera pas le résultat, ne fera que créer des émotions négatives supplémentaires et ne le mettra pas en posture favorable pour la prochaine fois.
Il est par contre essentiel d’en parler, de comprendre le point de vue de l’équipier sur son erreur : la comprend-il, l’a t-il vécue comme une erreur, mesure-t-il la conséquence, a-t-il un plan pour l’éviter la prochaine fois ?
En échangeant avec son équipier, le manager va conscientiser certaines difficultés qu’il n’imaginait pas et qui expliquent en tout ou partie l’origine de l’erreur. Il pourra ainsi aider son équipier en proposant des pistes pour minimiser ou effacer ces difficultés.
C’est aussi dans le debrief d’une erreur, qu’il y a possibilité de former un jeune équipier en lui transférant de l’expérience. L’apprentissage est toujours plus efficace suite à une erreur qu’a priori. Le collaborateur consciencieux sera plus réceptif aux conseils après avoir fauté, car avant cela, tout conseil peut apparaître comme une théorie ou comme un rabachage inutile.
Pour un manager prendre le temps de débrieffer n’est pas perdre son temps. C’est au contraire gagner du temps en ancrant une prise de conscience de son équipier, en lui transférant de l’expérience et en découvrant parfois une nouvelle facette de sa personnalité.
Dédramatiser
La plupart des erreurs ont des conséquences limitées. Il convient alors de dédramatiser. Dans UPI#89, j’ai déjà partagé la formule1 un peu ridicule que mon père, un perfectionniste notoire utilisait pour “supporter” une erreur minime. Cette phrase m’a marqué et je l’utilise quand je suis dans la même situation et qu’après une erreur, il faut malgré tout avancer. Elle m’aide à ne pas rester bloqué sur une petite erreur et à poursuivre le travail.
Il faut bien être conscient que souvent une erreur est bien moins visible par le client, le spectateur, ou l’entourage que par l’auteur lui-même. Le perfectionniste qui se morfond sur son erreur doit réaliser que celle-ci est invisible aux yeux des autres.
En tant que manager, je suis exigeant avec mon équipe et je place souvent la barre très haut. Mes collaborateurs le savent et cherchent à corriger leurs erreurs pour staisfaire mes exigences. Il m’arrive souvent d’insister pour qu’ils renoncent à tout refaire si l’erreur est acceptable. Dans ce cas, j’utilise souvent l’expression “il n’y a pas mort d’homme”, tout aussi ridicule que celle de mon père, pour signifier qu’on peut très bien supporter l’erreur. Il est important de ne pas mettre une pression inutile sur les collaborateurs, afin que celle-ci soit efficace, le jour où elle est vraiment nécessaire.
En effet, lorsque l’erreur est acceptable, la corriger peut avoir un coût inacceptable. L’affiche de notre festival placardée dans toute la ville, comportait une faute d’orthographe. Nous l’avons vue à la livraison. Elle nous avait échappé à la relecture. De plus, l’imprimeur avait loupé la couleur. Au delà du délai qui était serré, le coût de réimprimer était conséquent. L’affiche imparfaite a été posée. C’était la première fois que nous mettions des affiches sur le mobilier urbain, et nous en avons tiré de belles leçons pour l’an prochain.
En toutes circonstances, savoir garder la mesure des réactions suite à une erreur est la marque de la maturité. Admettre une erreur évite de s’enorgueillir.
Être assertif
Lorsque l’erreur est détectée, que l’auteur est identifié, comment lui en parler ?
Une fois les émotions sous contrôle (cela peut prendre un certain temps en fonction du tempérament de chacun), il est temps d’engager la discussion avec le protagoniste. Pour que la discussion soit la plus efficace possible et maintienne la relation, il convient d’être assertif (dire ce qui est, être factuel), expliquer ce qui ne convient pas, être à l’écoute d’éventuelles circonstances qui pourraient expliquer au moins partiellement l’erreur, chercher ensemble une solution, ou négocier un compromis de réparation.
Un des prestataires du festival n’a pas atteint nos attentes. Passé le mécontentement, je vais chercher à échanger avec lui pour lui signifier cette situation dont il n’a peut-être pas conscience, écouter ses éventuelles explications et probablement demander une réparation sous forme d’une ristourne sur le tarif. Cela ne pourra rétablir le niveau de la prestation qui est terminée sans retour en arrière possible, mais cela préservera la qualité de notre relation, et la confiance mutuelle.
Je lui expliquerai que nous avons aussi une part de responsabilité. Nous travaillons souvent avec ce prestataire, et nous avons de ce fait négligé le cahier des charges de la prestation, sachant qu’on attendait la même chose que l’an passé. Nous n’avions pas imaginé qu’il enverrait un nouveau collaborateur qui ne nous connaissait pas. Le brief a sans douté été trop léger, voire inexistant, et nous n’avons pas suffisamment compensé cette absence de cadre. Le collaborateur a sans doute fait au mieux, mais dans une direction qui n’était pas celle attendue.
La mauvaise réaction serait de ne rien dire, et de chercher un autre fournisseur sans explications claires envers celui qui a fait défaut. Le courage d’exprimer clairement son insatisfaction suite au constat d’une erreur est une marque de respect.
En effet, s’exprimer avec respect, c’est présupposer que l’autre est assez mûr pour entendre le constat, assumer sa responsabilité et proposer une réparation. Ne rien dire au contraire, c’est supposer que la réaction sera infantile et que le coupable n’assumera pas. Il est très possible que ce soit le cas, mais nous devons laisser à l’autre la chance de montrer sa maturité.
L’échange assertif autour d’une erreur est un préalable à l’acceptation de celle-ci et à la reconnaissance de responsabilité qui doit ensuite conduire à la réparation lorsque la personne mise en cause est de bonne foi.
5127 prototypes
James Dyson est sans doute l’un des innovateurs les plus incroyables qui soient. Avant de trouver la solution et de lancer le premier aspirateur sans sac au monde, il a dû réaliser 5127 prototypes, c’est-à-dire faire au moins 5126 erreurs !
La persévérance suite à une erreur est bien évidemment la marque des gens qui vont réussir. C’est ce que je vous souhaite !
“celui qui a perdu sa mère ne viendra pas la chercher là”