
Depuis plus de 5 ans, les abonnĂ©s de la newsletter âUn pas dans lâinconnuâ reçoivent leur nouveau numĂ©ro le mardi Ă 9h.
Les plus fidĂšles ont dĂ» penser que pour la premiĂšre fois aujourdâhui jâavais ratĂ© ce rendez-vous.
Pas du tout. Câest un choix calculĂ© liĂ© au sujet de cet article.
Ce jour Ă 11h, je donne un webinaire intitulĂ© âChanger de modĂšle Ă©conomique pour changer la donneâ.
En le prĂ©parant, jâai pensĂ© que je pouvais en faire une version Ă©crite, puisque câest un thĂšme que je nâai pas encore abordĂ© sous cet angle.
Pour ne pas dĂ©florer le sujet pour les participants au webinaire, jâai donc dĂ©calĂ© la sortie de ce numĂ©ro 154 Ă 12h. JâespĂšre que vous ne mâen voudrez pas pour ces trois heures dâattente supplĂ©mentaires !
Quâest-ce quâun modĂšle Ă©conomique ?
Dans UPI#102, jâai dĂ©jĂ expliquĂ© la notion de modĂšle et sa signification appliquĂ©e au cas des affaires.
Pour faire simple, le modĂšle Ă©conomique est la façon dont une entreprise gagne de lâargent.
En 2008, Alexandre Osterwalder a créé le Business Model Canvas, un outil qui a grandement contribuĂ© Ă populariser la notion de modĂšle dâaffaires et sa comprĂ©hension.
La matrice BMC comporte 9 cases qui reprĂ©sentent les 9 ingrĂ©dients du modĂšle dâaffaire. DĂ©crire son modĂšle dâaffaires revient Ă remplir prĂ©cisĂ©ment chacune des cases.
Une fois le tableau complĂ©tĂ©, on se trouve avec un modĂšle assez prĂ©cis du fonctionnement de lâentreprise qui permet dâanalyser son Ă©quation Ă©conomique et dâen dĂ©duire sa rentabilitĂ© potentielle.
Passons en revue rapidement les neuf cases :
la proposition de valeur est lâoffre de lâentreprise. Que propose-t-elle Ă ses clients ? un ou plusieurs services, un ou plusieurs produits ?
les segments clients sont les diffĂ©rentes typologies de clients adressĂ©s par lâentreprise : les particuliers (Ăąge, niveau de vie, zone gĂ©ographique, etc..), les entreprises (secteur, taille, zone gĂ©ographique), les administrations, les associations, âŠ. A chaque segment peut correspondre une proposition de valeur diffĂ©rente.
les canaux de commercialisation sont les diffĂ©rents moyens utilisĂ©s pour atteindre le client : dĂ©marchage direct, e-commerce, rĂ©seau de boutiques (en propre ou en franchise), distributeurs, apporteurs dâaffaires, âŠ
la relation client dĂ©crit les moyens mis en Ćuvre pour maintenir un contact avec le client : conseiller personnalisĂ©, newsletter, carte de fidĂ©litĂ©, questionnaire de satisfaction, sĂ©minaire clients, communautĂ©, âŠ
les activitĂ©s clĂ©s sont les activitĂ©s nĂ©cessaires Ă la rĂ©alisation des missions de lâentreprise : R&D, fabrication, marketing, communication, finance, logistique, commerce, SAV, âŠ. Elles sont soit rĂ©alisĂ©es en interne, soit sous-traitĂ©es Ă un partenaire clĂ©.
les ressources clĂ©s sont les ressources indispensables pour rĂ©aliser la mission : moyens de productions, moyens dâessais, brevets et autres titres de propriĂ©tĂ© intellectuelle, ressources humaines, ressources financiĂšres, âŠ
les partenaires clĂ©s sont les partenaires sans qui lâactivitĂ© ne peut exister : fournisseurs, sous-traitants, Ă©cosystĂšme de recherche, prestataires, organismes publics, âŠ
la structure de coĂ»t liste les diffĂ©rents types de coĂ»t qui interviennent dans la gestion du business : coĂ»ts fixes (loyers, charges, salaires, ..), coĂ»ts variables liĂ©s aux ventes (matiĂšres, fabrication, commissions, âŠ), coĂ»ts dâopĂ©ration (R&D, informatique, communication, support client, âŠ), coĂ»ts dâacquisition client (marketing, publicitĂ©, frais commerciaux, dĂ©monstrations, salons, âŠ), stocks, garantie et SAV, âŠ
la structure de revenu liste toutes les sources de revenus de lâentreprise : vente de produits, vente de services, revenus issus de projets, revenus rĂ©currents (abonnements, royalties, licences, publicitĂ©, âŠ)
La structure de revenu est parfois considĂ©rĂ©e comme le modĂšle Ă©conomique Ă proprement parler. Cependant cette vision est rĂ©ductrice, car elle ne permet pas de comprendre tout le fonctionnement de lâentreprise et surtout ne donne pas de clĂ©s pour faire Ă©voluer le modĂšle Ă©conomique. Ces clĂ©s se trouvent en effet dans les autres cases. En changeant un ou plusieurs paramĂštres, on peut accĂ©der Ă de nouveaux revenus ou de nouvelles formes de revenus qui peuvent ĂȘtre plus profitables.
Quand changer la donne ?
Lorsquâune entreprise tourne, pourquoi changer son modĂšle Ă©conomique ?
Si lâentreprise nâest pas rĂ©cente, le modĂšle en place est le rĂ©sultat dâune longue optimisation incrĂ©mentale. Y toucher peut donc ĂȘtre dangereux, car on sait ce qui marche, mais on ne sait pas forcĂ©ment si cela marchera encore aprĂšs avoir changĂ© quelques paramĂštres.
Il y a cependant des situations propices au changement de modĂšle Ă©conomique, ou des situations qui lâimposent car il nây a plus de choix.
Voici 5 exemples de situations qui imposent de réfléchir au modÚle économique comme solution.
lâentreprise souhaite se dĂ©velopper et pourtant elle stagne.
Tout entrepreneur ne souhaite pas forcĂ©ment dĂ©velopper son entreprise. Mais pour ceux qui le souhaitent, la stratĂ©gie nâest pas Ă©vidente. Le cas le plus rĂ©pandu est celui de lâentreprise qui se donne des objectifs de croissance en ne changeant pas de stratĂ©gie : il sâagit seulement de mettre plus de moyens dans la stratĂ©gie actuelle et espĂ©rer que cela portera des fruits. On augmente alors le nombre de commerciaux et on gonfle le budget publicitĂ©. Lorsque les rĂ©sultats ne sont pas au rendez-vous et en tous cas pas en adĂ©quation avec les moyens supplĂ©mentaires qui ont Ă©tĂ© mis, la question de changer de modĂšle Ă©conomique se pose.
un facteur externe bouleverse le marché.
Que ce soit une rĂ©cession Ă©conomique, une catastrophe naturelle, lâapparition dâune technologie qui disrupte le marchĂ©, la fusion des plus gros concurrents qui crĂ©e un quasi monopole, ou autre chose, il faut rĂ©agir vite car le chiffre dâaffaires diminue rapidement et lâentreprise est sur une pente glissante. Une variante de cette situation est lâĂ©volution plus lente mais inexorable du marchĂ© suite Ă lâapparition dâune nouvelle technologie ou dâune nouvelle rĂšglementation qui remet fondamentalement en cause le fonctionnement historique du marchĂ©.
un facteur interne impacte la capacitĂ© de lâentreprise Ă agir
Que ce soit le dĂ©part dâun salariĂ© clĂ©, la faillite dâun fournisseur clĂ©, un incendie ou une attaque cyber, la perte du plus gros client, la difficultĂ© Ă recruter, lâentreprise est en danger, et lĂ aussi il faut rĂ©agir vite car cette situation particuliĂšre Ă lâentreprise ne touche pas ses concurrents.
un manque de rentabilité chronique
Il est des entreprises qui fonctionnent, qui ont une activitĂ© soutenue, mais qui sont toujours sur la corde raide financiĂšre. La rentabilitĂ© nâest pas suffisante pour opĂ©rer de façon plus sereine. A la longue cette situation est pesante et le dirigeant finit par jeter lâĂ©ponge, contraint ou forcĂ©. Pour amĂ©liorer la rentabilitĂ©, un changement de modĂšle Ă©conomique peut ĂȘtre salutaire.
une volonté de réduire son empreinte écologique
Le dĂ©fi du changement climatique impose de revoir certaines pratiques des entreprises. RĂ©duire son empreinte en diminuant ses Ă©missions carbone, en minimisant sa consommation de matiĂšre et dâeau, en amĂ©liorant la durabilitĂ© de ses produits nâest pas quâune affaire dâingĂ©niĂ©rie et de technique. Un nouveau modĂšle Ă©conomique peut avoir un gros impact.
Ces situations sont les principales mais bien sĂ»r il peut y en avoir dâautres et il peut aussi ĂȘtre pertinent de changer de modĂšle Ă©conomique pour dâautres raisons, comme par exemple lâarrivĂ©e dâun nouveau dirigeant ou lâanticipation de risques futurs.
A partir dâexemples rĂ©els ou fictifs, nous allons maintenant voir comment concrĂštement changer de modĂšle Ă©conomique et sur quelles cases de la matrice BMC agir.
Le storytelling comme pilier du modÚle économique
En 2020, Wrexham FC est un modeste club de football gallois opĂ©rant en cinquiĂšme division anglaise. Plus vieux club gallois de football, il a connu ses heures de gloire au milieu des annĂ©es 70 en atteignant les quarts de finale de la dĂ©funte Coupe dâEurope des vainqueurs de Coupe, mais est depuis retombĂ© dans lâanonymat le plus total.
Le modĂšle Ă©conomique dâun club semi-professionnel de ce type est simple. Le club offre un spectacle sportif Ă des clients (les fans) qui achĂštent leur billet et quelques produits de merchandising, et offre de la visibilitĂ© Ă des entreprises locales qui affichent leur nom sur les maillots et dans le stade. Sâajoutent Ă cela quelques revenus annexes comme les ventes de la buvette. Ce modĂšle qui est universel pour les clubs de ce niveau est difficilement rentable et ne permet surement pas de faire fortune.
Quelle ne fut pas la surprise des fans, lorsque le club qui cherchait un repreneur vit arriver deux acteurs amĂ©ricains tout droit sortis dâHollywood, Ryan Reynolds et Rob McElhenney. Ryan Reynolds au delĂ de sa carriĂšre dâacteur sâest aussi distinguĂ© dans les affaires avec des succĂšs dans des domaines aussi variĂ©s que les boissons alcoolisĂ©es, la tĂ©lĂ©phonie mobile ou plus rĂ©cemment la Formule 1.
Comme souvent, un changement de dirigeants est une opportunitĂ© pour changer de modĂšle Ă©conomique. Ici en plus, la faible rentabilitĂ© lâimpose.
Reynolds et McElhenney vont mettre leur talent dâacteur et leur connaissance du cinĂ©ma Ă profit pour inventer un nouveau modĂšle Ă©conomique. Ils vont crĂ©er un docu-sĂ©rie diffusĂ© sur les plateformes de streaming pour raconter lâĂ©popĂ©e quâils espĂšrent vivre avec le club.
Cette sĂ©rie est bien plus quâun reportage fade sur un petit club de football anonyme. Ils en font lâhistoire dâune citĂ© ouvriĂšre fiĂšre dâelle-mĂȘme et de son passĂ©. TrĂšs vite le succĂšs sportif accompagne le succĂšs de la sĂ©rie. Le club est promu trois annĂ©es de suite (ce qui nâĂ©tait jamais arrivĂ© en ligue anglaise) et atteint en avril 2025 le Championship, deuxiĂšme division anglaise. Qui sait jusquâoĂč iront ils ?
Sur quoi les deux acteurs businessmen ont-ils joué ?
Tout dâabord, ils ont ajoutĂ© une nouvelle proposition de valeur connexe Ă la proposition initiale de spectacle sportif, Ă savoir un spectacle cinĂ©matographique, soit une nouvelle activitĂ© clĂ©, nĂ©cessitant de nouvelles ressources clĂ©.
Cela a permis de toucher une nouvelle audience internationale et non plus seulement locale et dâĂ©tendre ainsi son marchĂ© initial de merchandising. Ce nouveau spectacle a créé une source de revenu BtoB avec la vente des saisons de la sĂ©rie aux diffĂ©rents diffuseurs.
Lâinvestissement de dĂ©part fait dans le club et la nouvelle visibilitĂ© mĂ©diatique ont attirĂ© de nouveaux joueurs plus talentueux, qui ont conduit Ă de meilleurs rĂ©sultats sportifs et un changement de statut du club passĂ© professionnel. Ces changements ont permis dâaccĂ©der Ă de nouveaux revenus (droits TV, plus gros sponsors, transferts de joueurs). Un vrai effet boule de neige a Ă©tĂ© enclenchĂ©.
Le plus intĂ©ressant dans cette histoire est que ce changement de modĂšle Ă©conomique a eu des consĂ©quences Ă©conomiques non seulement sur le club (de moins de 2 millions de livres en 2020, le chiffre dâaffaires a grimpĂ© Ă 27 millions en 2024) mais sur toute la ville, avec un boom du tourisme et la rĂ©ouverture de petits commerces.
Cette stratĂ©gie fait des Ă©mules. AprĂšs avoir rachetĂ© le FC Versailles 78, Alexandre Mulliez sort cette annĂ©e sur Canal+ une sĂ©rie en 6 Ă©pisodes. Il en parle ainsi sur son compte Linkedin âCette sĂ©rie doc va vous plonger dans les coulisses du FC Versailles comme jamais auparavant. Vous allez vivre notre quotidien, nos victoires, nos dĂ©faites, nos dĂ©fis. Sans filtre.â
Le storytelling comme modĂšle Ă©conomique se rencontre aussi dans dâautres domaines. Dick et Angel Strawbridge, eux aussi issus du milieu de la tĂ©lĂ©vision ont fait fortune en rĂ©novant un chĂąteau en Mayenne et en diffusant une sĂ©rie TV (voir plus de dĂ©tails dans UPI#92).
Simplifier son business model
Durant les annĂ©es 1990, LEGO a tentĂ© dâĂ©largir son univers pour sĂ©duire de nouveaux publics : vĂȘtements, parcs dâattractions, jeux vidĂ©o, montres, livres, robots programmables... Lâentreprise sâest diversifiĂ© tous azimuts, sans rĂ©elle cohĂ©rence, en espĂ©rant crĂ©er de nouvelles sources de revenus.
Mais cette stratĂ©gie a brouillĂ© lâidentitĂ© de la marque et alourdi la structure de coĂ»t. La rentabilitĂ© sâest effondrĂ©e, les ventes ont stagnĂ©, les stocks ont explosĂ©, les produits se sont multipliĂ©s sans se vendre. En 2003, LEGO a annoncĂ© une perte de 1,4 milliard de couronnes danoises. Il fallait rĂ©agir, sous peine de voir lâentreprise disparaĂźtre.
En 2004, le directeur gĂ©nĂ©ral est remplacĂ© par JĂžrgen Vig Knudstorp, un ancien consultant de McKinsey. Câest la premiĂšre fois quâun non-membre de la famille fondatrice prend la tĂȘte du groupe.
Knudstorp dĂ©cide de revoir le modĂšle Ă©conomique en profondeur. Il recentre lâactivitĂ© sur les produits cĆur de mĂ©tier, les briques de construction. Lâentreprise vend des activitĂ©s non stratĂ©giques, simplifie sa gamme (rĂ©duction de plus de 50âŻ% des rĂ©fĂ©rences), et met fin Ă certaines lignes peu rentables. La structure de coĂ»t est rationalisĂ©e, les processus de production sont recentrĂ©s sur lâEurope, et les cycles de conception raccourcis.
Mais surtout, LEGO sâouvre Ă de nouveaux partenariats stratĂ©giques : en sâassociant avec des franchises comme Star Wars, Harry Potter, Marvel, LEGO transforme sa proposition de valeur, attire de nouveaux segments (adultes et fans de pop culture) et relance sa dynamique commerciale. La crĂ©ation de The LEGO Movie (2014) ajoute une dimension narrative forte, gĂ©nĂ©rant Ă son tour de nouveaux produits et de nouvelles recettes.
Le cas LEGO montre quâun modĂšle Ă©conomique peut fonctionner⊠jusquâĂ ne plus fonctionner. En repensant ses segments, ses partenariats clĂ©s, ses ressources et sa gamme, et en simplifiant son offre, lâentreprise est redevenue rentable dĂšs 2006.
Aujourdâhui LEGO est le premier fabricant de jouets au monde et atteint 10 milliards dâeuros de chiffre dâaffaires, avec un bĂ©nĂ©fice de 1,8 milliard.
Simplifier son modĂšle Ă©conomique pour retrouver son ADN tout en bonifiant lâoffre via des partenariats clĂ©s et une communication clarifiĂ©e et plus attirante, permet de rĂ©engager sa communautĂ©, de lâĂ©largir en attirant de nouveaux clients et dâaugmenter les marges.
Changer de modĂšle pour accompagner la croissance
BlaBlaCar comme presque toutes les startups a changé plusieurs fois de modÚle économique. En langage de startups, on appelle ce changement un pivot.
Au dĂ©but, et sous le nom Covoiturage.fr, le service Ă©tait gratuit pour lâutilisateur qui payait en direct son conducteur. La plateforme se rĂ©munĂ©rait par la publicitĂ©, la vente de service de covoiturage aux entreprises et la vente aux conducteurs de mise en avant de leurs annonces.
Ce modĂšle insuffisamment rĂ©munĂ©rateur a permis de faire croĂźtre rapidement la communautĂ© et dâhabituer les gens Ă ce nouveau service.
Une fois la communauté assez importante pour supporter un changement de tarification, et face à la nécessité de présenter un modÚle économique pérenne aux investisseurs, BlaBlaCar a introduit une commission sur la transaction entre chauffeur et passager, tout en conditionnant la réservation au paiement en avance sur le site. Ce changement a eu pour effet secondaire important de réduire les no-shows qui portaient atteinte à la réputation du service.
Ce changement de modĂšle indispensable pour la survie et la croissance de lâentreprise ne fut pas indolore et beaucoup dâutilisateurs ont protestĂ©. La cible de clients a sans doute Ă©voluĂ© de ce fait. Mais lâopĂ©ration a permis Ă lâentreprise de rentrer dans une phase de croissance importante.
Le modÚle économique de BlaBlaCar reposait alors principalement sur les trajets longue distance en covoiturage entre particuliers, ce qui pouvait constituer une menace de fragilité à long terme.
TrĂšs tĂŽt les fondateurs ont compris quâil fallait diversifier les modes de transport et ont donc entrepris une nouvelle Ă©volution progressive du modĂšle Ă©conomique. Lâentreprise a investi dans les bus longue distance en rachetant Ouibus (filiale de la SNCF). Elle a dĂ©veloppĂ© aussi une application de covoiturage courte distance, BlaBlaLines (rebaptisĂ©e depuis BlaBlaCar Daily), pour adresser le marchĂ© des trajets domicile-travail. En mai 2020, BlaBlaCar sâest associĂ© avec la startup suĂ©doise Voi pour proposer un systĂšme de location de trottinettes, pour permettre aux usagers du covoiturage dâĂ©tendre leur capacitĂ© de dĂ©placement avant le dĂ©but de la course en voiture et aprĂšs la fin.
Ces changements touchent plusieurs cases du BMC : nouvelle offre, nouveaux segments clients, nouvelles ressources clĂ©s (rĂ©seau de bus, chauffeurs professionnels), nouveaux partenaires clĂ©s, nouvelle structure de coĂ»t (investissement et maintenance dâune flotte de vĂ©hicules), nouvelle structure de revenus (billetterie, revenus publicitaires, location de trottinette).
Pendant la crise du Covid qui stoppe net le business de BlaBlaCar puisque plus personne ne peut circuler, sa culture dâentreprise fondĂ©e sur des valeurs telles que le partage lui permet de rĂ©agir. En quelques jours, lâapplication BlaBlaHelp est dĂ©veloppĂ©e et permet aux utilisateurs de sâentraider pour faire les courses pendant le confinement.
MĂȘme si cette Ă©volution ne constitue pas un modĂšle Ă©conomique de substitution, elle dĂ©montre quâune entreprise agile et habituĂ©e Ă rĂ©flĂ©chir Ă son modĂšle Ă©conomique et Ă le faire Ă©voluer rĂ©guliĂšrement est capable en cas de crise grave de se rĂ©inventer rapidement. Les quelques mois de confinement ont Ă©tĂ© de formidables rĂ©vĂ©lateurs de cette capacitĂ© de certaines entreprises.
Lâhistoire des startups Ă forte croissance est jalonnĂ©e de changement de modĂšle Ă©conomique. La logique de ces changements est Ă©vidente. On se lance sur une niche en privilĂ©giant une acquisition rapide dâune certaine cible grĂące Ă une modĂšle attractif pour le client, puis on introduit un modĂšle Ă©conomique plus solide en Ă©largissant la cible et en enrichissant lâoffre.
Toute la difficultĂ© consiste Ă opĂ©rer ces changements au bon moment et Ă garder une cohĂ©rence pour Ă©viter de brouiller son message. BlaBlaCar est un magnifique exemple de cette Ă©volution cohĂ©rente puisque lâentreprise est passĂ©e avec succĂšs du covoiturage Ă la mobilitĂ© durable accessible Ă tous.
La changement de modĂšle, câest pour tout le monde
Les trois exemples précédents pourraient faire croire que seules les grandes entreprises ou les startups sont capables de changer de modÚle. Leurs histoires étant mieux documentées que celles des TPE artisanales, il est bien sûr plus facile de trouver des exemples de transformation de grandes entreprises.
Pour donner malgrĂ© tout des exemples pour des petites entreprises, jâai demandĂ© Ă ChatGPT de me fournir deux exemples fictifs mais plausibles. Le rĂ©sultat est plutĂŽt crĂ©dible.
ImplantĂ©e en Haute-SaĂŽne depuis trois gĂ©nĂ©rations, la Menuiserie Jeanroy est une entreprise artisanale spĂ©cialisĂ©e dans la dĂ©coupe de bois pour les charpentiers et les collectivitĂ©s locales. Son modĂšle Ă©conomique reposait principalement sur la transformation de bois massif (planches, poutres) vendues Ă des clients professionnels en BtoB. Mais Ă partir de 2015, le chiffre dâaffaires commence Ă sâĂ©roder : les petites entreprises du bĂątiment, clientes historiques, ferment ou se fournissent directement auprĂšs de grandes surfaces de bricolage. Les collectivitĂ©s rationalisent leurs marchĂ©s publics et achĂštent Ă des industriels.
Face Ă cette Ă©rosion lente mais structurelle de la demande, la famille Jeanroy comprend quâelle doit rĂ©inventer son activitĂ©. LâidĂ©e ne vient pas dâun consultant, mais dâun fils de la famille, formĂ© au design : pourquoi ne pas valoriser le savoir-faire et le bois local pour faire du mobilier sur-mesure ? En 2017, ils lancent une nouvelle gamme de tables, bancs, Ă©tagĂšres en circuits courts, avec un site e-commerce simple mais efficace et une prĂ©sence sur des plateformes comme Etsy.
Ce changement de modĂšle implique de nouveaux canaux (vente directe en ligne), une nouvelle proposition de valeur (esthĂ©tique, Ă©cologique, locale), de nouveaux segments (particuliers urbains en quĂȘte dâauthenticitĂ©), mais sâappuie sur les mĂȘmes ressources et partenaires (sciage, bois local, atelier).
Aujourdâhui, la menuiserie vend plus de 60 % de sa production en BtoC, rĂ©alise des collaborations avec des architectes dâintĂ©rieur, et a mĂȘme embauchĂ© un community manager.
Un exemple typique dâentreprise artisanale qui, face Ă un basculement lent du marchĂ©, a su pivoter sans perdre son Ăąme.SituĂ©e Ă Saint-Ătienne, la boulangerie Augrain est une petite affaire de quartier. Bien connue pour ses viennoiseries et ses tartes au citron, elle tournait bien jusquâen 2020. Puis est venu le confinement : plus de clients en boutique, chute des ventes de sandwiches et de boissons. Ă la rĂ©ouverture, la reprise est lente. Les clients ont changĂ© dâhabitude : plus de tĂ©lĂ©travail, plus de courses groupĂ©es, moins dâachats dâimpulsion. Le chiffre dâaffaires peine Ă revenir Ă son niveau dâavant crise.
Au lieu dâattendre, le couple de boulangers dĂ©cide de tester une idĂ©e simple : proposer un abonnement mensuel Ă leurs fidĂšles clients. Contre 15 ou 30 ⏠par mois, les clients reçoivent chaque semaine une formule prĂ©-rĂ©servĂ©e (pain, viennoiserie, goĂ»ter pour les enfants) quâils viennent chercher Ă un crĂ©neau fixe, avec un bonus mensuel (dessert maison, boisson chaude offerteâŠ).
Lâobjectif ? SĂ©curiser une partie des revenus et lisser les pics de frĂ©quentation. Le test fonctionne : une cinquantaine de clients adhĂšrent dans les trois premiers mois, certains en offrent mĂȘme autour dâeux.
Ce pivot modifie la structure de revenus (introduction de revenu récurrent), la relation client (plus individualisée), les activités clés (préparation groupée des formules), et les canaux (prise de commande via une application locale de commerçants). La boulangerie attire une nouvelle clientÚle fidÚle, tout en stabilisant son trésorerie.
Un exemple inspirant de rĂ©action rapide Ă un choc externe, oĂč un commerce de proximitĂ© a su crĂ©er un modĂšle hybride entre artisanat et abonnement.
En voyant lâexemple de la menuiserie, jâai repensĂ© Ă une entreprise de charpentes que nous avons accompagnĂ©e il y a quelques annĂ©es, pour dĂ©velopper une gamme de locaux modulaires prĂ©fabriquĂ©s pour vendre non plus des charpentes invisibles mais des espaces de travail trĂšs accueillants.
Jâai fait cet exercice de demander Ă lâintelligence artificielle de mâaider, car elle constitue pour chaque entrepreneur un formidable outil dâinspiration, dâĂ©change et de crĂ©ativitĂ© pour lâaider Ă revoir son modĂšle Ă©conomique.
Une méthode pratique
Seul devant lâĂ©rosion de son marchĂ©, une crise dans son secteur ou la dĂ©faillance dâun partenaire clĂ©, lâentrepreneur ou lâentrepreneure se dit quâil faudrait changer son modĂšle. Mais comment faire ?
Mes conseils en quelques points trĂšs simples :
avoir en permanence sous le coude sa matrice BMC à jour et remplie de façon assez détaillée. Une demie-journée par an pour la réviser doit suffire pour la plupart des entreprises.
identifier le ou les maillons faibles du BMC : quelle case est la plus fragile ? oĂč est-ce que le risque de rupture est maximum ? un partenaire clĂ© fragile, une ressource clĂ© obsolĂšte, une relation client quasi inexistante, une offre trop pauvre ou au contraire illisible, une structure de coĂ»t non maĂźtrisĂ©e, une structure de revenu trop peu rĂ©currente, âŠ.
rĂ©flĂ©chir Ă partir du ou des deux maillons faibles Ă des modifications qui corrigeraient cette faiblesse : investir une nouvelle machine qui permettrait un gain dâun facteur 4 en coĂ»t de production, regrouper 3 Ă©tapes du process chez un seul partenaire pour diminuer le temps de cycle, organiser un sĂ©minaire annuel des clients avec un temps oĂč seraient aussi invitĂ©s les prospects, ⊠Câest lĂ que lâIA peut aider en proposant des idĂ©es.
aprĂšs avoir choisi une ou deux idĂ©es qui paraissent rĂ©alisables, regarder comment la mise en place de ces idĂ©es impactent les autres cases du BMC. Le gain en coĂ»t de production permet de baisser le prix de vente et dâatteindre des clients inaccessibles jusquâĂ prĂ©sent, la rĂ©duction de temps de cycle permet dâenvisager de façon rentable la production personnalisĂ©e, la crĂ©ation dâune nouvelle offre nĂ©cessite une nouvelle ressource clĂ©, âŠ
aprĂšs avoir actualisĂ© chaque case du BMC impactĂ©e par le changement originel, Ă©valuer le gain global apportĂ© (meilleure marge, plus de clients, nouveau marchĂ© plus porteur, âŠ) mais aussi le coĂ»t dâinvestissement Ă rĂ©aliser.
rĂ©itĂ©rer tout ou partie du process jusquâĂ identifier un ou deux scĂ©narios qui offrent un bon retour sur investissement.
tester lâidĂ©e auprĂšs de clients de confiance pour avoir un premier retour.
implémenter si possible à petite échelle pour réaliser une preuve de concept avant de déployer la solution à échelle plus large.
Toutes les cases ne sont pas aussi faciles Ă travailler suivant son profil. Un profil technicien ou gestionnaire sera plus Ă lâaise sur les cases de gauche et un profil marketing ou commercial sur les cases de droite. Il apparaĂźt donc intĂ©ressant de se faire accompagner dans la rĂ©flexion pour compenser ses faiblesses naturelles et apporter un regard plus extĂ©rieur.
MĂȘme pour quelquâun dâaguerri, les idĂ©es de changement Ă apporter Ă une case donnĂ©e ne sont pas toujours Ă©videntes Ă trouver. Câest lĂ que la veille, la curiositĂ© et lâintĂ©rĂȘt portĂ© au sujet du modĂšle Ă©conomique peuvent grandement aider. Il est facile dâĂȘtre inspirĂ© dĂšs lors que lâon sâintĂ©resse Ă dâautres sujets que celui de sa propre entreprise. La fertilisation inter-sectorielle est trĂšs efficace sur la question des modĂšles Ă©conomiques qui restent plus faciles Ă adapter dâun secteur Ă un autre que les procĂ©dĂ©s techniques.
Il existe aussi des ressources fournissant des exemples plus originaux de business model comme par exemple le recueil âThe St. Gallen Business Model Navigatorâ, qui dĂ©taille 55 business models diffĂ©rents avec pour chacun dâeux des exemples dâentreprises qui les utilisent. Cette Ă©quipe propose aussi une mĂ©thodologie sous forme dâun jeu sĂ©rieux pour rĂ©flĂ©chir en groupe Ă un nouveau modĂšle.
Un pas dans lâinconnu payant
Les entreprises sont pour la plupart dotĂ©es dâun service innovation ou service R&D. TrĂšs peu sont dotĂ©es dâun service ânouveau modĂšle Ă©conomiqueâ.
Pourtant les Ă©tudes montrent quâun service ânouveau BMâ est plus rentable quâun service âinnovation produit ou serviceâ.
Innover en changeant de business model peut ĂȘtre bien plus radical tout en Ă©tant plus accessible que dĂ©velopper une innovation technique.
Le manque de culture sur le sujet des modĂšles Ă©conomiques empĂȘche malheureusement de tirer parti de cet Ă©tat de fait.
Les audacieux qui sâaventureront dans le changement leur modĂšle Ă©conomique pourraient ĂȘtre trĂšs bien payĂ©s de retour.
Serez-vous de ces courageux qui tentent un pas dans lâinconnu ?
La minute dâinformations
Je me permets de partager ici des informations ou activitĂ©s sans liens avec le thĂšme de lâarticle, mais dans lesquelles je suis impliquĂ©.
Pour approfondir le sujet du modÚle économique, nous proposons un atelier pratique.
MatinĂ©e de l'Innovation : ArrĂȘtez d'innover ... changez de modĂšle.
3h pour sortir la tĂȘte du guidon, questionner votre modĂšle actuel et imaginer ensemble des alternatives plus adaptĂ©es et durables.
Mardi 10 juin 2025 08:45 - 12:00
Maison de la technopole
6 rue Léonard de Vinci 53000 Laval
Votre modÚle économique fonctionne ⊠mais est-il encore vraiment pertinent ?
Et si en quelques heures, vous pouviez prendre du recul, explorer de nouvelles pistes, et repartir avec une version repensée de votre modÚle ?
Le business model est souvent un impensĂ© : on le subit plus quâon ne le choisit. Pourtant, il est au cĆur de votre capacitĂ© Ă crĂ©er de la valeur, Ă vous adapter, Ă innover. Prendre le temps de le questionner, câest aussi se donner les moyens dâouvrir de nouvelles perspectives.
GrĂące Ă cet atelier collaboratif animĂ© par Christian Travier et Charlotte Duval, (re)dĂ©couvrez les fondamentaux du modĂšle Ă©conomique, identifiez les leviers de transformation de votre propre activitĂ© Ă lâaide du Business Model Canvas, et explorez de nouvelles idĂ©es grĂące Ă des outils dâidĂ©ation inspirants.
Vous pourrez contribuer aux rĂ©flexions dâautres participant·es, tester vos idĂ©es, puis formaliser une version renouvelĂ©e et plus robuste de votre modĂšle.
Programme :
à partir de 8h45 : accueil café et gourmandises
9h : début de l'atelier
Nombre de places limité, ne tardez pas à vous inscrire !
Intéressant.
Parmi les acteurs et actrices d'Hollywood, il y a aussi Reese Witherspoon, qui a changé le game des book clubs : https://www.capitalletter.com/p/reese-witherspoon