Quel est le métier de l’entrepreneur ou de l’entrepreneure ?
Dans les médias, dans le langage commun et pour les profanes, le métier le plus visible est celui de “gérer l’entreprise”. Personnellement, je n’aime pas cette expression lorsqu’elle est prise pour un raccourci de la fonction de chef d’entreprise. Gérer une entreprise, suivant la définition du Larousse, c’est “l’administrer conformément aux intérêts de celui qui la possède”.
L’entreprise ne serait donc qu’une entité à administrer ?
En utilisant cette expression qui est pourtant fréquente, nous voilà donc allègrement passé de l’entrepreneuriat à l’administration ! Quelle approche réductrice !!
Une entrepreneure ou un entrepreneur n’est pas qu’un gestionnaire. Son rôle, sa mission, son métier sont bien plus riches et complexes que la simple gestion. Mais quels sont les métiers les plus importants de l’entrepreneur ?
Avant de commencer
Bienvenue aux 6 nouveaux abonnés depuis la semaine passée. Merci de votre confiance.
Si vous n’êtes pas encore abonné, alors c’est le moment de le faire pour recevoir gratuitement “Un pas dans l’inconnu” chaque mardi à 9h.
Vous appréciez “Un pas dans l’inconnu”, vous en retirez quelque chose de positif pour votre quotidien professionnel, merci de la partager avec vos connaissances.
Si vous aimez un article, merci de “liker” en cliquant sur le cœur !
Vous souhaitez réagir, partager votre expérience sur le sujet, poser une question, laissez un commentaire directement sur la plateforme. Je vous répondrai s’il y a lieu et ceci permettra d’engager le dialogue avec les autres lecteurs.
Comme annoncé la semaine dernière, je lance la version anglaise de la Newsletter à partir du 10 septembre. Elle paraîtra deux fois par mois le jeudi et reprendra les meilleurs articles d’Un pas dans l’inconnu. J’ai pris un peu de retard sur la mise en place technique, donc je ne peux pas encore partager le lien d’inscription, mais cela ne saurait tarder ! Suivez mes annonces sur les réseaux sociaux !
La fondation n’est pas la maison
Levons tout de suite un malentendu. Mon introduction ne signifie pas que la gestion n’est pas importante pour le chef d’entreprise.
La gestion, entendue comme l’évaluation préalable, la recherche, le bon emploi, et le suivi précis et permanent des moyens nécessaires à la réalisation de la Mission de l’entreprise et à l’atteinte de ses Ambitions, est un des fondements du développement de l’entreprise.
De même que sans fondations solides, il ne peut y avoir de maison, sans gestion solide, il ne peut y avoir d’entreprise durable. C’est sans doute la raison de la mise en avant de la gestion comme métier ou compétence principale du chef d’entreprise.
Avez-vous déjà dormi dans les fondations ? Non, bien sûr ! Tout comme les fondations ne constituent pas la maison (et loin s’en faut), la gestion n’est pas tout le métier de l’entrepreneur. Savoir gérer ne suffit pas à conduire son entreprise au succès.
Courir est plus facile qu’être footballeur
Avant de se lancer, les porteurs de projet de création d’entreprise que nous accompagnons, évoquent spontanément leurs peurs. Ils citent alors volontiers la comptabilité ou l’administration de l’entreprise. Ils pensent que ces sujets sont difficiles, et pensent souvent ne pas être assez compétents pour bien les traiter.
En lisant des “post-mortem” écrits par des entrepreneurs qui ont échoué, vous verrez pourtant que ce n’est jamais à cause de leur incompétence en comptabilité ou en administration. En tous cas, ceux pour qui c’est le cas, et ils sont rares, n’écrivent pas de post-mortem !
Rassurons tout de suite ceux qui veulent se lancer, la gestion est loin d’être la tâche la plus difficile de l’entrepreneur. Je dirai même que c’est la plus simple, en tous cas, celle qui s’acquiert le mieux. Et pour la rendre encore plus simple, on trouve facilement des conseillers compétents. Il est bien plus facile de trouver un bon expert-comptable qu’un bon consultant en stratégie commerciale, ou un excellent prestataire en développement logiciel.
La gestion est à l’entrepreneur ce que la course est au footballeur. La course est facile, le dribble, le contrôle ou la frappe brossée sont difficiles. La course est indispensable au footballeur, mais la course seule est inutile pour marquer des buts.
La gestion ne constitue pas l’essentiel du métier de chef d’entreprise, elle est la plus simple des compétences qu’il lui faut et ne représente qu’une faible proportion de son temps (pas plus de 20% en tous cas). Il n’y a donc aucune bonne raison de penser qu’être entrepreneur c’est principalement “gérer une entreprise”.
Sélectionneur plutôt que recruteur
Un entrepreneur aussi fort soit-il ne peut rien faire seul. Son premier métier est donc celui de sélectionneur. Pourquoi n’ai-je pas écrit plus prosaïquement, recruteur ?
Quand j’entends le mot recruteur, je vois l’image d’un enrôlement quasi militaire, consistant en une batterie de tests appliqués à une grande cohorte, pour identifier ceux qui correspondent à la matrice recherchée. Ce n’est pas l’idée que je me fais de la façon de constituer une équipe.
Je vois plutôt l’entrepreneur qui veut mettre en œuvre son projet, se comporter comme un sélectionneur d’une équipe nationale de sport collectif. Il cherche à repérer la meilleure combinaison des talents pour mettre en œuvre son projet de jeu.
"Je ne vais pas prendre les 23 meilleurs, mais les 23 les plus aptes à aller loin ensemble" [1], expliquait Didier Deschamps, le sélectionneur de l’équipe de France de football avant le Mondial 2014. Il doit en être de même pour l’entrepreneur: identifier les meilleurs talents, comprendre s’ils peuvent ou non travailler ensemble, et retenir la meilleure combinaison possible. Il ne sert à rien d’aligner les stars, si elles n’ont pas un jeu ou une personnalité compatible.
La compréhension fine de l’addition des compétences complémentaires, la capacité à repérer rapidement les compétences et les traits de caractère chez une personne, la perspicacité pour identifier les dysfonctionnements au sein d’une équipe, sont autant de qualités clés du sélectionneur-entrepreneur.
Guide et serviteur
Une fois son équipe constituée, l’entrepreneur doit la guider pour atteindre les objectifs qu'il s’est fixés.
Guider, ce n’est pas marcher devant en espérant que tout le monde suive. Guider, c’est avant tout expliquer, donner du sens à l’action, et formuler les objectifs et les valeurs de façon claire.
Les salariés qui comprennent leur mission, qui connaissent les objectifs, et ont intégré les valeurs de l’entreprise, sont plus à même de contribuer de façon autonome et efficace. Dans l’allégorie du tailleur de pierre, celui qui pense construire une cathédrale est plus minutieux que celui qui pense construire un mur et beaucoup plus appliqué que celui qui pense seulement tailler une pierre. Le sens et la compréhension du pourquoi on fait les choses sont intensément corrélés avec l’engagement et la motivation.
Mais le guide est aussi un berger. Il prend soin, il veille à ce que chacun ait les moyens d’accomplir sa mission, que ce soit les moyens matériels ou les compétences nécessaires. Il s’intéresse à chacun et chacune des personnes de son équipe, et exprime sa gratitude et ses encouragements.
Enfin le guide est aussi le serviteur. Il se met à la disposition de son équipe pour l’aider quand il le faut, pour la sortir d’une ornière si besoin, pour donner le coup d’accélérateur qui permet de réussir. En faisant cela, il permet à son équipe d’être fière d’avoir menée au bout une tâche difficile, ou d’avoir traversé une épreuve, et lui évite la honte de l’échec.
Philippe Royer, le patron du groupe Seenergi, une entreprise mayennaise, leader français du conseil en élevage s’exprime ainsi: “Je m’attache à être un leader, mais aussi un serviteur. Plus on prend de responsabilités, plus la notion de service est importante.” [2] Dans une conférence à l’adresse d’étudiants, futurs dirigeants, il leur donne le conseil suivant: “Devenez des leaders de leaders, mais soyez d’abord serviteur des serviteurs, et n’opposez pas ces deux termes (leader / serviteur), mettez les juste dans le bon ordre.”
Guide, berger, serviteur, voilà des images qui sembleront sans doute à certains bien éloignées de la vision du chef tout puissant. C’est pourtant cette posture d’humilité qui construit dans la durée le respect et l’admiration de ses troupes.
Animateur de vie
Au quotidien le chef d’entreprise est un animateur. Pas l’animateur de télévision qui ne fait que passer les plats, pas l’animateur du Club Med, qui ne fait que divertir les foules, pas l’animateur de colonie de vacances qui enchaîne les activités, mais l’animateur au sens étymologique du terme, celui qui insufle la vie.
Le gestionnaire s’applique à dérouler et respecter un process du mieux qu’il peut. Ses qualités principales sont la rigueur et la précision.
L’animateur crée les conditions de la réussite, en inventant le chemin qui correspond aux circonstances et aux contraintes rencontrées. Ses qualités principales sont la capacité d’analyse de la situation et la créativité.
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi deux organismes (entreprises, associations, structures publiques) similaires peuvent être à ce point différents dans leur style et leurs résultat. Avec les mêmes moyens et les mêmes contraintes, les différences sont pourtant parfois spectaculaires. La raison tient principalement dans leur animation. L’organisme dirigé par un gestionnaire sera beaucoup moins réactif, résilient, innovant et donc dynamique que celui dirigé par un animateur.
Insuffler la vie, rebooster son équipe, être créatif face aux imprévus, donner envie est le rôle principal du chef d’entreprise au quotidien. C’est souvent dans ce rôle qu’il consomme le principal de son énergie, sa récompense étant la motivation de son équipe qui vient au travail avec le sourire.
Conteur et metteur en scène
Vendre son produit à un gros client, trouver un investisseur, recruter une pointure, répondre à la presse, autant de situations qui nécessitent de savoir raconter une histoire.
Le storytelling ou l’art de mettre en scène une histoire pour toucher les émotions de son interlocuteur est devenu une compétence indispensable pour l’entrepreneur, et l’un de ses métiers. Que ce soit sur les réseaux sociaux, ou via une newsletter ou un blog, le chef d’entreprise se doit de communiquer, de scénariser son histoire et celle de son entreprise pour créer une relation émotionnelle avec les clients.
"Le storytelling, je ne savais même pas ce que c'était il y a un an. Aujourd'hui, je serais incapable de m'en passer!" [4], ainsi s’exprime Jean-Luc Zatorsky, fondateur-dirigeant de Zephir3D, le leader français d'objets souvenirs gravés dans le verre. En passant d’une communication centrée sur la technologie à un storytelling faisant appel aux émotions, ses ventes sur internet ont progressé de 150%.
Même si ce n’est pas toujours facile de se mettre en avant, aujourd’hui, l’entrepreneur doit incarner son entreprise, être visible et transparent, faire appel à ses émotions pour toucher les clients et développer une stratégie de “content marketing” et de “personnal branding”.
Chef de crise
La vie de l’entreprise, même si elle est très bien gérée, connait des soubresauts, des crises d’origine interne ou externe, soudaines ou prévisibles, brèves ou plus longues. Quelles qu’elles soient ces périodes sont toujours un temps particulier pour l’entrepreneur.
Un dirigeant pourtant très enclin à déléguer, à s’effacer au profit de ses collaborateurs, me disait récemment à propos de la crise de la COVID19 que nous traversons, qu’il avait repris les choses en main et qu’il était beaucoup plus visible dans son entreprise.
Le général Pierre de Villiers, ancien chef d’état major des armées, habitué s’il en est aux situations de crises, formule ainsi le rôle du chef en situation de crise: “Le chef est un absorbeur d’inquiétude et un diffuseur de confiance” [5]. Il rappelle aussi qu’il faut “décider juste en situation de crise”.
Les temps de crise révèlent plus que toute autre période la personnalité de l’entrepreneur: en assumant sa responsabilité, en affrontant avec calme et courage la situation, en décidant sans tergiverser, l’entrepreneur rassure ses équipes et leur permet de se mobiliser pour trouver des solutions.
L’entrepreneur, un gestionnaire très augmenté
Quel est le métier de l’entrepreneur ou de l’entrepreneure si on doit l’exprimer en combinant d’autres métiers plus monolitiques ?
J’aurais pu répondre classiquement qu’en plus d’être gestionnaire, il était à la fois commercial, technicien de son secteur d’activité, ou spécialiste du marketing. J’ai préféré une approche que vous jugerez peut-être poétique ou idéaliste, mais que je crois plus profondément juste.
L’entrepreneur n’est pas appelé à être un professionnel de toutes les compétences techniques requises pour faire vivre une entreprise. La gestion, le commerce, la technique spécifique du secteur d’activité, le marketing, l’administration, le juridique ne sont que des compétences techniques disponibles sur le marché de l’emploi. Il suffit alors pour l’entrepreneur de suivre le conseil de Théodore Roosevelt: "Le meilleur manager est celui qui sait trouver les talents pour faire les choses, et qui sait aussi réfréner son envie de s'en mêler pendant qu'ils les font".
Etre sélectionneur, guide, animateur, conteur et chef de crise va bien au delà des compétences techniques. Ces métiers font appel à des qualités humaines (les fameuses “soft skills”) difficilement trouvables sur étagère.
En puisant au fond d’eux-mêmes, en étant à l’écoute de ceux qui ont une grande expérience et en apprenant de leurs erreurs, l’entrepreneur et l’entrepreneure développeront les qualités nécessaires pour exercer pleinement le plus beau métier du monde.
Pour aller plus loin
[1] Didier Deschamps
[2] Philippe Royer
[3] Philippe Royer
Etre patron çà s’apprend: un article de L’Express avec beaucoup de citations de chefs d’entreprises
How an Accounting Firm Convinced Its Employees They Could Change the World: l’exemple du travail de KPMG sur le sens de leur action qui a conduit à un meilleur engagement des salariés.
François Nogrix m'a fait suivre ta newslettre que je viens de lire avec grand plaisir.
Tu as parfaitement défini le chef d'entreprise et je me suis modestement reconnu dans ton approche.Je crois que pour entreprendre il faut aussi avoir la passion des hommes et en permanence la proximité du groupe humain avec ce que j'appelle le vernis c'est à dire le minimum de connaissance sur chaque métier de l'entreprise, être en sorte un bon généraliste entouré des meilleurs spécialistes.
Bien cordialement
José Daoudal