Chaque fois que j’entends parler de “marque employeur”, j’ai l’impression qu’il s’agit d’un cache-misère destiné à tromper le futur employé. Pour être attractive, une marque devrait se parer d’un certain nombre d’atours visibles et communiquer là-dessus. Les DRH devraient suivre des séminaires “marque employeur” pour apprendre les ficelles de cette tromperie. Quelle misère!
C’est la culture réelle d’une entreprise qui la rend attractive et non un package plus ou moins artificiel d’avantages et de postures mises dans une jolie boite par les ressources humaines.
Mais qu’est-ce que la culture d’entreprise? D’où vient-elle? Qui la porte? A quoi sert-elle? Comment se transmet-elle?
Avant de commencer
J’ai reçu 118 réponses au questionnaire lancé il y a un mois, à propos de la publication d’un livre reprenant les articles d’“Un pas dans l’inconnu”. Merci à tous ceux qui ont répondu. Merci à ceux et celles qui ont partagé des idées et qui ont suggéré des enrichissements au livre. Je partage généralement vos avis.
Au vu des réponses très largement favorables à la parution du livre, je vais donc m’attaquer à ce travail.
Plusieurs d’entre vous se sont inquiétés du manque de fil conducteur d’un tel livre. J’ai déjà regardé ce point et j’ai assez facilement trouvé un chapitrage cohérent. A défaut d’exhaustivité, il y aura un fil conducteur au livre.
N’étant pas à plein temps sur “Un pas dans l’inconnu”, puisque c’est juste un hobby auquel je consacre une dizaine d’heures par semaine, il me sera impossible d’ici la fin de l’année, de rajouter du contenu tel que certains l’ont suggéré: serious-game, exercices applicatifs, auto-formation, témoignages, … J’envisage de développer ce type de contenu, mais il faudra un peu plus de temps.
Chaque semaine, j’apprécie vos réactions et vos messages. Cette semaine, la barre des 400 messages reçus depuis le lancement de la Newsletter a été franchie. Merci.
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A Taiwan, j’ai compris ce qu’était la culture
Pour tous ceux et celles qui ont vécu assez longtemps dans un pays étranger, et particulièrement dans un pays à la culture très éloignée de la nôtre, la notion de culture a pris un sens très concret.
Avant de vivre plus d’un an à Taiwan, je pensais que la culture française se résumait à quelques clichés. Ce n’est qu’en étant immergé pendant une longue période dans un autre culture, que j’ai compris par l’expérience, ce qui relevait de la culture française dans ma façon de penser, mes habitudes, mes goûts et mes attitudes.
La culture, c’est le liant d’une communauté, ce qui façonne la pensée et les habitudes. Intégrée au plus profond de nous-mêmes, la culture rejoint notre inconscient, ce qui rend si difficile la cohabitation avec d’autres cultures très différentes.
Par analogie avec la culture d’un pays, la culture d’entreprise est l’ensemble des codes, histoires, croyances, pratiques et valeurs qui la caractérisent.
Bien plus que la marque employeur, la culture est l’ADN de l’entreprise. La culture d’entreprise n’est pas un assemblage de quelques gadgets destinés à unir les gens. C’est un liant profond qui sous-tend la réflexion et les actes au quotidien.
La culture ne s’improvise pas
La plupart des entreprises n’ont pas véritablement de culture d’entreprise. Bien sûr toutes les entreprises quelle que soit leur taille et leur secteur d’activité, ont des habitudes et des pratiques récurrentes. Ceci ne constitue toutefois pas une culture d’entreprise.
Cette absence de culture formalisée et explicite, consciente et voulue, explique sans doute le succès des apôtres de la marque employeur. Les entreprises qui n’arrivent pas à recruter ou à garder leurs collaborateurs, pensent alors qu’il suffit de plaquer à une entreprise sans culture, une série de marqueurs sensés être attractifs. Il peut s’agir d’avantages concrets pour les salariés (les fameux “percks” inspirés par des pionniers comme Google qui offrait la nourriture à volonté à ses employés), ou de simples signes extérieurs de culture comme le désormais galvaudé baby-foot.
Soyons clairs: refaire le papier peint n’a jamais permis d’assainir le mur vérolé par le salpêtre. Installer un baby-foot n’attirera dans l’entreprise que des tocards qui veulent s’amuser, si la culture de l’entreprise n’est pas par ailleurs solide et enthousiasmante.
La culture d’entreprise est une construction choisie, déterminée, qui demande un effort et des moyens dans la durée. Elle ne s’improvise pas avec quelques artifices pour faire face à une difficulté de recrutement. Si votre entreprise n’a pas encore de culture d’entreprise, il est temps de s’y mettre!
La culture se construit et se protège
Algolia, une des plus belles startup française fondée par Nicolas Dessaigne et Julien Lemoine, est une entreprise encore jeune, mais dotée d’une culture très puissante. Nicolas la définit même comme une “culture-first company” qui n’existerait pas si ce n’était pour sa culture.
Avant même la création de l’entreprise, Nicolas et Julien ont passé beaucoup de temps à discuter de la culture qu’ils voulaient instaurer, à vérifier qu’ils étaient bien alignés.
Quand on lit les 5 piliers de la culture d’Algolia, et qu’on connait un peu la personnalité de Nicolas, on comprend que ces valeurs ne sont pas un discours marketing ou une approche “marque employeur” destinée à attirer des talents, mais une sincère expression du souhait des fondateurs.
Une fois ainsi posée, la culture doit être nourrie et préservée. Ceci passe en particulier par une attention particulière portée au recrutement. Dans Un pas dans l’inconnu #28, j’avais déjà abordé ce sujet. Dans une interview récente, Nicolas Dessaigne explique le processus de recrutement assez sophistiqué mis en place pour vérifier systématiquement que chaque nouvel employé coche bien les 5 valeurs de l’entreprise. Il précise d’ailleurs qu’ils n’hésitent pas à ne pas recruter un développeur exceptionnel s’il n’est pas suffisamment humble, puisque l’humilité est un des éléments de la culture d’Algolia.
Lorsqu’une entreprise est prête à se priver d’un talent exceptionnel parce qu’il serait toxique pour sa culture, on comprend que la culture est bien plus qu’une couche marketing superficielle. Une fois construite, il est essentiel de la préserver et de l’enrichir.
Il n’y a qu’une culture
La culture d’entreprise est un tout. Il n’y a pas d’un côté la culture pour les employés et de l’autre la culture pour les clients, ou bien la culture interne et la culture communiquée à l’extérieur.
Il est fondamental que l’entreprise soit alignée. Dans Un pas dans l’inconnu #9, j’ai déjà évoqué la nécessité de l’alignement personnel du dirigeant ou du manager et le grand bienfait que cela procure. Il en est de même au niveau de l’entreprise. Si les valeurs, les attitudes, les motivations sont les mêmes en interne et vis-à-vis des clients, s’il n’y a qu’une façon partagée de voir les choses, alors une belle harmonie se dégagera et chaque salarié saura exactement ce qu’il doit dire et faire.
Quand au contraire, le marketing invente un discours pour les clients qui n’est pas ancré dans la culture de l’entreprise, voire qui contredit certaines pratiques internes, les salariés vont être déstabilisés, incapables d’agir de façon cohérente avec ce nouveau discours et au final démotivés. Le désalignement entre un discours et une pratique est l’un des premiers vecteurs de perte de sens au travail.
L’obligation d’avoir un discours RSE pousse les entreprises à adopter des pratiques dites écologiques, sans en assumer complètement les conséquences. Ce désalignement est connu sous le nom de “green-washing”. L’entreprise suédoise H&M en a fait les frais avec sa collection dite éco-responsable “Conscious”. Ce genre de comportement ouvre la porte à de nombreuses jeunes entreprises qui se lancent sur le crédo des vêtements écologiques et responsables, à l’image de Leaflong, la marque créée par Mattéo Grippon, notre ancien alternant.
Sous peine de retour de bâton douloureux, il est essentiel que la culture d’entreprise soit une, authentique et transparente.
La culture a besoin de se voir
Trop d’entreprises ne prêtent pas assez attention aux codes graphiques. Pourtant les attributs de la marque, logo, baseline, charte graphique sont de formidables vecteurs de la culture d’entreprise.
En déclinant ces identifiants graphiques sur des vêtements, dans les locaux, sur les véhicules, l’entreprise communique sur sa marque, mais aussi sur sa culture.
Je suis toujours surpris en visitant certaines PME, de voir combien les locaux ont un air suranné. Le hall qui donne à tout visiteur sa première impression de l’entreprise, est réduit à un logo affiché en grand sur le mur principal au côté des certifications détenues par l’entreprise, une vitrine avec quelques produits poussiéreux, une table avec quelques brochures qui semblent tout droit sorties des archives et quelques revues professionnelles dans l’état des magazines de la salle d’attente d’un médecin.
Ce sont souvent ces entreprises qui se plaignent de ne pas réussir à trouver de jeunes employés et qui sont promptes à incriminer les jeunes qui n’auraient pas envie de travailler. Franchement, quel jeune en attente de son entretien d’embauche dans un tel hall, aurait envie de travailler dans une telle entreprise?
Dans ces entreprises, les locaux ne véhiculent aucun message positif sur la culture de l’entreprise, mais seulement le message très négatif que l’entreprise n’attache aucune importance à ce sujet de la culture d’entreprise.
Chez Amazon, les bureaux sont des portes avec des pieds, car c’est moins cher qu’un vrai bureau. Cette pratique du début s’est perpétuée pour indiquer dès le premier jour à chaque salarié, que la frugalité est partie intégrante de la culture d’entreprise.
Toutes les interfaces de l’entreprise avec le client et le salarié doivent servir à montrer la culture. Quelle que soit sa taille, une entreprise doit investir des moyens dans ces éléments visibles pour diffuser sa culture.
La culture se raconte
Comme les français ont Vercingétorix, Louis XIV et Napoléon, toute entreprise a besoin de ses mythes fondateurs et de ses heures de gloire pour établir sa culture.
Les entreprises à forte culture ont une histoire et la mettent en scène. Le site de Michel & Augustin, la célèbre marque de biscuits est un modèle du genre. Outre la charte graphique très forte, la section Aventure du site est très développée, avec 5 sous-pages sur la mission, l’histoire, les passions, les secrets de fabrications et les rituels. De façon signifiante, l’équipe de Michel & Augustin s’appelle tribu. Oussama Ammar, le fondateur de The Family, un autre exemple d’entreprise à la culture très forte, indique d’ailleurs que les entreprises qui réussissent ressemblent à des sectes.
Quand je m’informe sur une entreprise, je regarde toujours s’il y a une section “A propos”, “Histoire” ou “Équipe” et je commence par là pour connaître l’entreprise. Très peu d’entreprises réussissent à faire passer quelque chose dans ces pages. Quand elles existent (ce n’est pas toujours le cas), elles sont souvent réduites à leur plus simple expression d’une banalité affligeante.
Raconter l’histoire d’une entreprise, ses mythes fondateurs est d’une importance capitale, en particulier pour les jeunes recrues. Quand le moment s’y prête, j’aime raconter des moments fondateurs de l’histoire de la Technopole aux collaborateurs récemment intégrés. Lors de mes 50 ans, l’équipe en place à ce moment, avait tourné en grand secret une vidéo assez longue me mettant en scène. Outre l’émotion intense que j’avais éprouvée en découvrant ce magnifique cadeau, cette vidéo portait énormément de signes de la culture de notre entité. Je la montre de temps en temps aux nouveaux salariés, car il est important de créer une continuité temporelle entre les équipes de différentes époques.
Le storytelling est un outil puissant de la culture d’entreprise, très sous-utilisé par les entreprises. Dans les entreprises dont le fondateur ou la fondatrice sont encore en poste, ils ont un rôle déterminant pour impulser ce storytelling. En dépassant leur pudeur, ou leur crainte de se mettre en scène, ils rendront une service utile à l’entreprise.
La culture c’est la vie
Il y a quelques jours, j’étais en visioconférence avec une organisation partenaire, accompagné par deux de mes salariées. En sortant de la réunion, nous étions tous trois un peu interloqués. Sans avoir échangé, nous pensions la même chose, tant la réunion nous avait parue surréaliste du fait du gouffre entre les cultures de nos deux organisations. La façon de mener le projet de nos interlocuteurs, par ailleurs très sympathiques, étaient pour nous un repoussoir absolu.
La culture c’est le sang de l’entreprise, ce qui fait sa vie, ce qui donne envie. Quand la culture est mortifère et subie, elle est une “chape de plomb”, une “prison”, et produit des dégâts considérables sur les personnes. Si les directeurs financiers mettaient autant d’ardeur à chiffrer le coût d’une culture délétère, qu’à optimiser les économies de bouts de chandelles, ils se rendraient compte que les gains à faire sont monstrueux.
Nicolas Dessaigne explique que la culture favorise la croissance. Investir de l’argent et du temps dans la culture, c’est peut-être se priver de quelques gains faciles à court terme, mais c’est à coup sûr bâtir le succès pour l’avenir.
Vous êtes en train de créer votre entreprise, penser déjà à la culture que vous voulez lui donner. Votre produit changera peut-être si vous devez pivoter, mais la culture restera.
Vous avez déjà une entreprise: quelle est sa culture? Serait-il nécessaire de la renforcer, de lui redonner un coup de boost?
Vous êtes manager dans une entreprise dont la culture n’est pas très prononcée. Peut-être pourriez-vous commencer dans votre service à insuffler une culture positive qui pourrait faire tache d’huile?
Vous êtes salarié dans une entreprise à la culture toxique! Fuyez avant qu’elle ne vous ronge de l’intérieur.
Dans tous les cas, sachez que vous n’échapperez pas à la culture d’entreprise. Autant faire en sorte qu’elle donne envie!
Pour aller plus loin
Comment construire la culture de sa startup?: un cours d’Oussama Ammar avec de nombreux exemples.