Je puise souvent le sujet des articles de cette Newsletter dans les conversations de ma semaine. Un thème est apparu à plusieurs reprises ces jours-ci, celui du choix.
Comment choisir ? Que choisir ? Pourquoi choisir ?
Dans la vie en général, dans les projets d’entreprise en particulier, la liberté est totale avant le choix. Elle est très réduite après. Est-ce cela qui rend le choix si difficile ?
Avant de commencer
C’est plus de 700 commentaires et remarques positives que vous avez partagés sur les réseaux sociaux ou par e-mail depuis le lancement de cette Newsletter ! En voici quelques-unes récentes :
“Vos textes et vos valeurs sont d'une grande inspiration pour moi.”
“J’aime beaucoup beaucoup !!!!!! Magnifique cette semaine, cela me parle tellement et tu as su mettre les mots pour le dire !”
“Merci pour cette belle lecture. Une fois de plus en plein dans le mille.”
“Je bois (comme d'habitude) du petit lait en lisant votre article.”
“Toujours aussi passionnant !”
“Cet article est incroyablement bien écrit et révèle toute la profondeur de la simplicité si difficile à obtenir. J'adore votre texte et je le garde précieusement comme référence.”
Merci pour toutes vos remarques positives qui sont autant d’encouragements pour moi. Tant que je sentirais que j’apporte quelque chose, je continuerai.
Merci aussi de vos partages et de vos commentaires sur les réseaux sociaux. Cela permettra à d’autres de découvrir et peut-être d’apprécier aussi ce contenu.
Le choix, la liberté de choix et les facteurs conditionnant nos choix sont des sujets philosophiques qui demanderaient des livres pour être traités, et j’en serais d’ailleurs bien incapable.
Je veux seulement partager ici les cinq façons principales d’opérer des choix et voir ensuite comment elles impactent les cinq grands choix que toute entrepreneure et tout entrepreneur doit faire.
Le “choix-passion” respecte ce que nous sommes
Un ami, lecteur de cette Newsletter, m’a demandé de conseiller son fils, étudiant en première année d’école de commerce, sur le choix de son premier stage.
Après quelques questions, l’étudiant m’a partagé qu’il aimait créer à partir de zéro. Afin de l’aider tout en maintenant sa liberté, je lui ai donné une clé pour choisir son stage.
Il existe en caricaturant deux types d’entreprises: celles qui font principalement appel à la créativité (par exemple les agences de communication) et celles qui suivent principalement des processus (par exemple la banque).
Pour un créatif, la chance d’apprécier un stage dans une entreprise créative est infiniment plus grande que dans une entreprise de processus, même si bien sûr il peut y avoir des surprises partout !
Nos goûts et nos passions ne sont au fond que la traduction émotionnelle et visible de notre personnalité. Suivre notre personnalité est souvent le premier mode de choix. C’est en tous cas celui qui nous est le plus naturel et le plus spontané, celui que nous cherchons à actionner en premier.
Pour rendre ce mode plus efficient, il faut bien se connaître et dans pas mal de situation, il faut s’en remettre au raisonnement et non à l’instinct.
Dans le cas de notre stagiaire, il se peut qu’une proposition d’une entreprise de processus soit financièrement bien meilleure que celle d’une entreprise de communication. Il faudra alors raisonner pour choisir malgré tout l’entreprise créative avec pour objectif de maximiser l’alignement à sa personnalité et non le gain immédiat.
Nombre de choix de vie malheureux viennent du fait qu’un paramètre au final secondaire contredit le choix naturel qui s’aligne avec notre personnalité. Il est extrèmement rare qu’un tel choix contre intuitif donne satisfaction dans le temps.
Le critère fondamental d’un choix réussi est qu’il soit aligné avec ce que nous sommes au plus profond.
Le “choix-peur” ne peut être qu’un ultime recours
Peu de personnes oseront affirmer qu’elles ont fait un choix par peur. Pourtant si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, reconnaissons que bien souvent entre deux options, nous privilégions celle qui nous fait le moins peur.
En randonnée, je vais choisir une route plus longue mais qui a l’air moins dangereuse. Au travail, je vais aborder un projet en utilisant la méthode que je connais, car j’ai peur d’échouer si je teste une nouvelle approche. Dans une conférence, je choisis de me taire, même si une question me brûle la langue, car j’ai peur d’être ridicule.
Au quotidien, dans nombre de décisions, la peur nous guide vers le choix qui nous apparaît comme le plus sûr. Cela ne garantit en rien que ce soit le bon choix au regard d’autres objectifs que la sécurité.
Nous sommes fascinés par les aventuriers qui franchissent les mers, les entrepreneurs qui font des paris fous, les sportifs de l’extrême qui prennent des risques importants. Ces personnes ne sont pas plus que nous insensibles à la peur. Elles ont par contre su développer une faculté à dominer leurs peurs pour atteindre des objectifs immenses.
Le désir d’émotions intenses qu’elles espèrent ressentir en réalisant leurs rêves est supérieur à la peur d’affronter les situations risquées qui se présentent à elles.
Etre conscient de nos peurs, identifier les moments où nos décisions sont pilotées par la peur et travailler sur nous pour mettre ces peurs immédiates en balance des gains futurs est assurément une voie de progrès pour accomplir de grandes choses. Le “choix-peur” n’intervient alors qu’en ultime recours pour nous protéger.
Le “choix-résultat” demande une grande force mentale
Les entrepreneurs ont souvent une tendance boulimique. Ils veulent tout faire, vendre à tout le monde, participer à tous les concours, n’ignorer aucune opportunité.
Accompagner des entrepreneurs revient sans cesse à jouer les rabats-joies. Nous leur demandons en permanence de faire des choix, de renoncer, de prioriser, de se focaliser. Intellectuellement, ils le comprennent, mais aussitôt après avoir accepté, ils retombent dans leurs travers.
“Choisir c’est renoncer”. Cet adage populaire est profondément incomplet. Dis comme cela, il ne peut que frustrer les gens avides d’action. Le vrai dicton devrait être “Choisir, c’est renoncer pour le meilleur”.
Sur le moment, choisir prive de quelque chose. Ce choix n’a donc de sens que s’il conduit in fine à quelque chose de meilleur.
En choisissant de se focaliser sur une verticale thématique (les industries cosmétiques par exemple), un entrepreneur ayant développé un logiciel générique, perd l’opportunité de vendre à une entreprise de mécanique. A terme cependant son effort focalisé sur une seule activité va lui permettre d’en comprendre toutes les subtilités, et lui donner une chance de devenir le leader du marché. Le profit du leader de niche est souvent supérieur à celui du généraliste moyen partout.
Les grandes réussites sportives sont des illustrations parfaites de ce renoncement aux plaisirs immédiats pour le plaisir au centuple des victoires futures.
Effectuer des “choix-résultat” demande d’avoir d’abord posé des objectifs clairs et ambitieux et ensuite de faire preuve d’une grande force mentale pour tenir bon. La récompense est alors grande.
Le “choix-expérience” est le plus rassurant
Il est tellement plus simple et rassurant d’acheter sa deuxième ou troisième maison que la première.
Un choix à faire sur un chemin que l’on a déjà emprunté semble tellement plus facile : c’est la traduction simple de l’expérience.
L’expérience a un terrible inconvénient : elle ne s’achète pas au supermarché. Attendre d’avoir de l’expérience pour faire quelque chose, ressemble à l’attente du combat du lieutenant Drogo dans le Désert des Tartares de Dino Buzzati.
L’expérience ne s’acquiert qu’en faisant, en se trompant et ainsi en apprenant.
Heureusement, il est une façon de faire un “choix-expérience” sans avoir d’expérience. Il suffit de prendre le conseil de plusieurs personnes ayant de l’expérience et ayant eu à faire des choix similaires.
La pluralité des avis est nécessaire, car l’expérience a un biais important : elle tend à faire croire à celui qui en a, que ce qu’il a vécu et la façon dont il a traité la question est une vérité universelle.
Je dis souvent aux entrepreneurs que nous accompagnons que l’avantage d’être dans un incubateur réside en ce que les conseils que nous prodiguons ne sont pas le résultat d’une expérience particulière (la plupart d’entre nous n'avons pas créé d’entreprises) mais de la compilation de centaines d’expériences des entrepreneurs accompagnés précédemment.
Comme l’enfant qui a besoin de se brûler en touchant le four, nous avons tous besoin de faire nos propres expériences. Cependant l’éoute attentive et diversifiée aide à accélérer cet apprentissage et à faire de bons choix.
Le “choix-processus” s’impose quand les autres ne marchent pas
Nous sommes dans la démarche de nous doter d’un CRM. La personnalité n’a que peu à voir avec le sujet, l’enjeu n’est pas suffisant pour susciter la peur, l’attente d’un résultat n’oriente pas vraiment vers un choix évident, et l’expérience des autres est intéressante à écouter (nous l’avons fait) mais la diversité des organismes oblige quand même à se faire sa propre opinion. Nous avons donc suivi un long processus collectif d’analyse pour parvenir à choisir un outil qui nous convenait.
Quand les 4 premiers modes de choix sont inopérants, il reste toujours le ”choix-processus”. Celui-ci consiste à dérouler une méthode rationnelle pour poser les attentes, analyser les différentes possibilités au regard de ces attentes et comparer les pour et les contre, jusqu’à ce que se dégage une décision.
Au delà d’être le mode de choix en dernière instance, le grand avantage du “choix-processus” est son adéquation pour parvenir à un consensus ou tout au moins à une décision qui concerne un groupe, là où les 4 autres modes de choix sont peu adaptés.
Être entrepreneur, c’est choisir
Le parcours d’une entrepreneure et d’un entrepreneur est parsemé de choix cruciaux, qui pour la plupart auront une influence déterminante sur le succès de l’entreprise.
Parmi tous ces choix importants, j’en retiens cinq qui déterminent plus souvent que d’autres le succès ou l’échec de l’aventure.
le choix d’un ou d’une associé.e : ce choix est particulier, car ce n’est pas un choix parmi un multitude d’options, mais un choix oui/non à chaque opportunité qui se présente.
C’est sans doute un des choix les plus difficiles à faire. Quel mode privilégier ? Il n’y a pour ma part, pas de mode préférentiel et universel. La meilleure chose est sans doute de mélanger le “mode-processus” et le “mode-résultat”, avec une dose du “mode-expérience”. Le “mode-passion” paraît tentant a priori, mais il est à manipuler avec précaution : une association n’est pas un mariage, même si la comparaison est souvent faite. Comme j’en parle dans UPI #24, l’alignement avec l’autre est essentiel, mais cet alignement doit être validé rationnellement et n’est pas une affaire de goût et de couleur.
le choix d’un segment de marché: beaucoup d’entrepreneurs pensent qu’ils vont vendre à tout le monde car ils pensent que leur produit est universel et qu’il serait dommage de se priver de tel ou tel segment.
Et pourtant même dans un marché universel comme l’alimentaire, les clients de la supérette de quartier ouverte jusqu’à 23 h ne sont pas les mêmes que ceux du supermarché low cost ou ceux de l’hypermarché d’une grande galerie. Il vaut mieux être conscient que vendre à tout le monde est impossible et choisir le segment le plus pertinent, afin d’adapter une stratégie marketing et commerciale focalisée sur l’objectif.Le mode de choix à retenir prioritairement est le “choix-résultat”, souvent étayé par un “choix-process” assez simple.
le choix des fonctionnalités du produit: les innovateurs débordent d’idées. Ils veulent toujours rajouter des fonctionnalités à leur produit au point de les rendre moins intéressants comme le montre la célèbre courbe de Kathy Sierra.
Là aussi, en faisant abtraction de toute émotion, le “choix-résultat” permettra de maximiser la réussite. Lorsque la hiérarchie des fonctionnalités n’est pas évidente, un “choix-process” permettra d’y voir plus clair. J’ai abordé longuement ce sujet dans UPI #50.
le choix des partenaires : nous sommes souvent interrogés par les entrepreneurs pour leur conseiller un banquier, un expert-comptable ou un avocat. Plus difficile encore est le choix lorsqu’il s’agit de confier à un prestataire le développement de l’application qui matérialise l’innovation. Cela revient à confier le sort de sa réussite à quelqu’un. Il est également délicat de choisir les premiers employés.
Le choix le plus efficace et le plus rapide dans ce cas est le “choix-expérience”. Le “choix-process” peut être tentant et est souvent utilisé par les entreprises plus établies, comme dans l’exemple du CRM mentionné plus haut. Pour une entreprise qui démarre, le “choix-expérience” est beaucoup plus facile, rapide et rassurant.
le choix du modèle économique : vendre une licence ou opérer en mode SAAS ? Monétiser son jeu par la publicité ou la vente d’accessoires ? Sur une plateforme, faire payer un abonnement ou seulement prendre un pourcentage sur les affaires réalisées ? Ces questions font l’objet de nombreux débats au moment de se lancer.
Un “choix-processus” est souvent facile à mettre en place dans cette situation. La méthode du test A/B par exemple permet de rapidement discerner ce qui fonctionne le mieux.
Le “choix-passion” est aussi à considérer. Il est bon de vérifier que le “choix-processus” n’est pas en opposition au “choix-passion”.
Dans le domaine du logiciel par exemple, un entrepreneur très technique préfèrera se concentrer sur la brique technologique et son modèle économique de prédilection sera donc de passer par des intégrateurs. L’entrepreneur féru de marketing préfèrera lui, un modèle de verticalisation des produits par segment client avec une approche commerciale directe.
Les deux modèles peuvent conduire à de très belles entreprises, même si la plupart du temps le “mode-processus” prouve que le choix du marketing vertical capte une plus grande partie de la valeur. Dans mes débuts d’accompagnateur, j’avais du mal à accepter pourquoi ce “choix-processus” n’était pas fait, jusqu’à ce que je comprenne que le “choix-passion” rendait dans ce cas les entrepreneurs plus heureux, même s’ils étaient moins riches.
Choisir, ou ne pas choisir
Choisir, quel que soit le mode de choix retenu, entame la liberté. Après le choix, il n’y a plus de choix. Le choix marque une rupture avec l’état de statu-quo qui le précède. Le choix se fait au présent, il permet de rompre avec le passé et d’orienter grandement l’avenir.
C’est ce basculement quasi-irréversible vers l’inconnu qui rend le choix si effrayant et qui peut nous paralyser. L’enfant gâté et l’adulte immature préfèrent ne pas choisir.
Malheureusement pour eux et pour nous tous, il n’existe pas de situation de non choix. Car comme disait Jean-Paul Sartre, “Ne pas choisir, c'est encore choisir.”
Nous sommes donc condamnés au choix.
Sachons donc choisir pour le meilleur en utilisant le bon mode.
Pour aller plus loin
Featuritis & Cognitive Overload : un article de Jesse Russell Morgan qui explique la courbe de Kathy Sierra
Le paradoxe du choix: une conférence TED de Barry Schwartz, qui explique en quoi trop de choix n’est pas synonyme de bonheur.
J'aurai bien ajouté, le choix-alignement, qui pourrait croiser passion, expérience et résultats ? En partant d'une plateforme de marque bien définie, les choix sont souvent assez simples...Le plus dur c'est de s'y tenir ;-)