“Les oranges” de Fernand Raynaud est un des tout premiers sketches que j’ai écouté étant enfant. En y réfléchissant, je crois qu’il m’a marqué.
«Ici on vend de belles oranges pas chères». Mmm mmm... Vous avez bien fait de marquer «ici», des fois qu’on pense que ce soit ailleurs... Vous ne voyez pas que c’est inutile le mot «ici» ?
— C’est vrai, j’ai mis «ici»... (il crache sur l’ardoise) Ptfu ! j’efface «ici».
— «On vend de belles oranges pas chères» Ils auront bien le temps de le voir, que c’est pas cher... Pourquoi vous avez écrit «pas chères» ?”
Au fil des répliques, les mots apparaissent successivement inutiles, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus !
La communication réussie et percutante consiste souvent à rechercher la fameuse “punchline” minimaliste.
Pourquoi la simplicité est-elle perçue comme une qualité ? Et pourquoi est-elle si difficile à obtenir ?
De façon générale, la simplicité est un enjeu majeur dans l’entreprise et pas seulement dans la communication.
Avant de commencer
Voici donc le cinquantième article de cette Newsletter !
D’après le classement fourni par Substack, le podium des articles que vous avez préférés est celui-ci:
Quand vous aimez un article, merci de “liker” en cliquant sur le coeur et de partager sur les réseaux sociaux. C’est grâce à cela, qu’Un pas dans l’inconnu peut se faire connaître et développer son lectorat.
Merci de votre aide.
Le thermostat de commande de mon chauffage au sol comporte 17 icônes et 11 digits sur un écran de 5 cm². Depuis 3 ans que je l’ai, je n’ai toujours pas saisi à quoi tout cela correspond.
Mon lave-vaisselle propose une dizaine de programmes. A ce jour, je n’en ai utilisé qu’un et il me donne pleine satisfaction.
Le manuel de ma tronçonneuse fait 200 pages, alors que les instructions en français qui m’intéressent tiennent en 10 pages.
L’interface web de mon opérateur téléphonique (non, ce n’est pas à cause de lui que j’ai choisi la photo qui illustre cet article !!) comporte tellement d’onglets, de rubriques et de liens que je ne peux trouver la seule chose que je cherche: la page pour se désabonner des options multimédias hors forfait, qu’entre parenthèses je n’ai jamais achetées (mais ça c’est un autre sujet !).
Je pourrais multiplier les exemples de ces complexités du quotidien.
Malheureusement ce n’est pas mieux dans l’univers professionnel. Combien de fois êtes-vous restés pantois devant les explications alambiquées d’un “user guide” d’un logiciel, les pages bourrées de phrases n’ayant aucun sens d’un site web d’un consultant en stratégie, les clauses incompréhensibles d’un contrat ou la prose au style si particulier de l’administration ?
Devant chacune de ses situations, je me pose une question ironique, “pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?"
Less is More
Cette formule auto descriptive véhicule un courant de pensée puissant qui a traversé au cours du XXème siècle plusieurs disciplines artistiques et créatives. Elle est due à Ludwig Mies van der Rohe, un architecte de la célèbre école allemande du Bauhaus.
Elle est encore plus condensée que la version de Léonard de Vinci qui disait quatre cent ans plus tôt: « La simplicité est la sophistication ultime ».
La finalité de cette pensée nous est fournie par Antoine de Saint-Exupéry: « Il semble que la perfection ne soit pas atteinte quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à enlever. »
La démarche entrepreneuriale aboutie est une forme de recherche de la perfection: concevoir et produire le meilleur produit pour répondre au mieux au besoin du client est un désir légitime de tout entrepreneur ou tout chef de projet.
La pensée minimaliste fournit donc une clé pour s’approcher de cet objectif.
“Less is more”, une règle intangible de tout entrepreneur qui veut réussir ? En tous cas l’appliquer à divers domaines clés de votre entreprise entrainera certainement des résultats concrets.
Le MVP pour commencer
Le “Minimum Viable Product” ou produit minimum viable en français est un concept né au début des années 2000 et popularisé par Eric Ries et sa méthode dite du “Lean Startup”.
L’idée derrière ce concept est simple: quand vous lancez un produit (ou un service) nouveau sur le marché, il est préférable de valider celui-ci en proposant d’abord la ou les quelques fonctionnalités qui en font l’essence même, au lieu de chercher tout de suite à réaliser un produit complet embarquant toutes les idées que vous avez imaginées pour celui-ci.
Quand Twitter (alors appelé Twttr) s’est lancé en 2006, c’était seulement un site qui affichait les SMS envoyés au numéro 40404.
Quand Zappos a démarré en 1999, c’était une simple page web avec des photos de chaussures proposées à la vente. Quand un client commandait, le fondateur Nick Swinmurn courrait acheter la paire au supermarché d’en face et l’expédiait au client. Au lancement de l’entreprise, il s’agissait de comprendre si le fait d’acheter des chaussures par internet pouvait intéresser les gens ; inutile pour cela de bâtir un vrai site e-commerce, d’avoir des stocks, ….
Au moment de lancer une nouvelle entreprise autour d’un produit innovant, ou de lancer un produit innovant dans une entreprise établie, il est essentiel de penser en terme de MVP.
Cette approche est contre-intuitive et très difficile à admettre pour les concepteurs. Presque systématiquement, chaque fois que nous donnons ce conseil à un entrepreneur, il ou elle contre-argumente: “Oui, mais, les gens n’achèteront pas si le produit n’est pas complet” ou bien “Cela donnera une mauvaise image de la marque”, ou encore “Mais la fonctionnalité “XX” est super intéressante, c’est dommage de s’en passer”.
Le renoncement aux fonctionnalités secondaires, la concentration de l’effort sur la fonctionnalité principale est le chemin le plus court et le moins cher vers la validation d’une innovation sur le marché.
Design et ergonomie: pensez client
La conception d’un produit, d’un site web, d’une application mobile ou d’un service est l’étape déterminante. C’est au stade de la conception que se décide la simplicité d’un produit, mais aussi que se détermine son coût.
Si la conception n’est pas réussie, il sera difficile et coûteux de rectifier le tir au stade de la réalisation.
Il est essentiel de ne pas laisser les techniciens, ingénieurs et développeurs aux commandes de la phase de conception. Lorsque c’est le cas, le produit a toutes les chances d’être complexe et l’interface non intuitive.
Le designer et l’ergonome doivent avoir le dernier mot. Chaque décision doit être prise en pensant à l’utilisateur et en lui simplifiant la vie.
Lorsque le budget en conception est limité, la première solution proposée par les ingénieurs est retenue. Mais comme l’indique Antoine de Saint-Exupéry, pour faire simple, il faut enlever et non rajouter. La simplicité demande donc plusieurs itérations, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus rien enlever. C’est donc plus coûteux et plus difficile.
Simplifier au maximum la vie de l’utilisateur signifie donc souvent complexifier celle du concepteur. Ce paradoxe explique pourquoi tant de produits complexes se retrouvent malgré tout sur le marché.
Dans une petite entreprise ou une startup, il n’y a pas forcément de designer ou d’ergonome. L’entrepreneur devra donc s’autoréguler et se forcer à prendre en compte le client.
Lors de la conception d’un site web, d’une application mobile ou d’un clavier de commande, il est très instructif de soumettre l’utilisateur à la maquette fonctionnelle (“wireframe”) avant d’avoir écrit une seule ligne de code. La conception est réussie quand l’utilisateur navigue facilement sans avoir besoin d’un manuel d’utilisation !
Faire un produit demande une réelle écoute du client et possiblement un grand nombre d’itérations. C’est le prix à payer pour qu’un produit devienne viral et se démarque de ses concurrents.
Pitié pour ceux qui écoutent
S’il est un domaine où la simplicité est souvent prise en défaut, c’est bien celui du pitch, ou plus largement de la présentation orale J’ai déjà abordé ce sujet en détail dans Un pas dans l’inconnu #35.
Si vous êtes comme moi, vous vous êtes peut-être énervé devant ces situations courantes:
l’intervenante ou l’intervenant se croit au milieu d’un parterre d’experts et étale sa science à grand coup de jargon.
l’orateur ou l’oratrice se croit obligé de dérouler les 45 slides de sa présentation sous prétexte qu’il ou elle les a préparés.
la conférencière ou le conférencier commence en remerciant l’intervenant précédent d’avoir très bien introduit le sujet, mais passe ensuite 20 minutes à refaire cette introduction.
les supports visuels sont tellement chargés qu’ils sont illisibles et ne supportent donc rien du tout !
les digressions et autres messages hors sujets perdent complètement l’auditoire.
les phrases s’enchaînent mais ne mènent nulle part. A la fin de l’intervention, l’auditeur est incapable de voir où l’intervenante ou l’intervenant voulait aller.
Toutes ces situations (et on en trouverait bien d’autres) n’ont qu’une seule et même cause. L’oratrice ou l’orateur n’ont pas déroulé les quatre questions simples suivantes au moment de préparer leur intervention :
à QUI je m’adresse ?
quel est l’objectif de mon intervention ? (POURQUOI)
quel est LE message que je veux faire passer ? (QUOI)
de quel temps est-ce que je dispose ? (COMBIEN)
En s’astreignant à sincèrement se poser ces questions, quiconque doit mécaniquement améliorer la qualité de ses interventions, même si cet exercice n’est pas son talent naturel.
Il s’agit bien d’une astreinte, car il est bien moins fatiguant de reprendre une vieille présentation, de réciter son discours habituel, de masquer son ignorance avec des buzzwords compliqués ou de dépasser le temps imparti pour éviter les questions embarrassantes.
Travailler sa communication pour la rendre simple, claire et précise permet pourtant de briller lors d’un concours, de se distinguer dans une grande conférence, d’être convaincant face à un prospect important.
Le meilleur exemple d’une communication simple et extrêmement efficace est la conférence TED de Joe Smith, un avocat de l’Oregon qui explique en quatre minutes comment se sécher les mains avec une seule feuille de serviette en papier. Un seul message totalement inoubliable. Une simplicité d’une efficacité redoutable.
Au delà de donner confiance aux auditeurs, d’apparaître comme quelqu’un de compétent qui maîtrise son sujet, en étant simple, vous donnez à vos auditeurs une réelle chance de retenir votre message. N’est-ce pas le but de la communication ?
Droit au but
J’aime beaucoup la devise de l’Olympique de Marseille: “droit au but”. Pour une équipe de football, il n’y a pas meilleure définition de la raison d’être. Ce message extrêmement clair et concis est fédérateur et entraînant.
Quand il y a quelque chose à dire en réunion par exemple, la meilleure façon est toujours d’aller droit au but. Tourner autout du pot, parler par périphrases, sous-entendus ou borborygmes ne mènent nulle part.
Aller droit au but n’empêche pas d’être courtois et respectueux. Dire ce qu’on pense de la façon la plus précise et concise fait avancer le sujet, même si cela peut ne pas plaire à tout le monde.
Il est une autre situation qui empêche d’aller droit au but et elle est malheureusement très répandue. Quand on ne sait pas quoi dire, mais qu’on se sent obligé de parler parce qu’on fait de la représentation ou qu’on veut exister. Cela conduit alors à ces grands moments où la discussion part dans la troisième dimension. Tout le monde s’exprime mais plus personne ne comprend ce qu’il se dit.
Une règle simple à adopter en toutes circonstances: ne parler que si on a quelque chose de précis à dire. Meubler, occuper l’espace en faisant des phrases aussi génériques et incompréhensibles que possible pour cacher son ignorance n’est jamais une solution à quelques situations que ce soit. Dire honnêtement “je ne sais pas” ou “je n’ai pas d’opinion formée à ce stade” est beaucoup crédible dans la durée que de parler pour ne rien dire.
S’exprimer simplement commence par utiliser les bons mots. Je rappelle assez souvent à mes interlocuteurs que les mots ont un sens, et que pour se comprendre, il est préférable d’utiliser le mot correct.
Utiliser un mot pour un autre sous prétexte qu’ils ont un sens proche, se contenter de l’à peu près en espérant que l’auditeur décode, offre un boulevard à l’incompréhension et au fameux problème de communication.
Maîtriser le vocabulaire, utiliser le dictionnaire, apprendre des mots nouveaux, lire les classiques ne sont pas des savoirs rendus caduques avec l’avènement d’internet: ce sont les piliers de la communication réussie et les fondements de ce qui fait de nous des êtres évolués et raffinés.
« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.» (Nicolas Boileau)
Faire simple, c’est d’abord être simple
Concevoir un produit simple, communiquer un message épuré, s’exprimer efficacement sont autant de tâches difficiles.
Elles requièrent de choisir et donc de renoncer, de trier l’important de l’accessoire, d’itérer pour édulcorer, d’apprendre les mots précis, de maîtriser les concepts, de préparer son discours et d’avoir le courage de l’exprimer clairement.
Pourquoi les produits Apple sont-ils iconiques, les bols de laque japonais sont-ils si beaux alors qu’ils sont tout simples, les fables de La Fontaine sont-elles si percutantes, et les pyramides d’Egypte nous fascinent-elles encore ? Parce que chacun dans leur domaine, ces produits sont le fruit d’un effort intense de recherche de simplicité.
L’effort est toutefois souvent insuffisant. Il faut en plus être simple.
L’humilité de celui ou de celle qui aime les choses simples de la vie, la sincérité nécessaire à une relation vraie, la droiture de coeur des gens honnêtes, la candeur de celles et de ceux qui ne suspectent pas le mal, la capacité à se réjouir de peu et à s’émerveiller facilement, sont autant de routes vers la simplicité.
Matthieu Ricard formule admirablement cette réalité : “Une grande partie de nos tourments provient des complications inutiles et perturbatrices que nous ne cessons de fabriquer. Ces constructions mentales se surimposent à la réalité, la déforment, et conduisent à des états mentaux et des comportements qui minent notre paix intérieure et celles des autres. Combien d'entreprises humaines et de nobles causes ont-elles échoué à cause des ces complications inextricables !”
KISS: Keep it stupid simple !
Pour aller plus loin
Comment Steve Jobs négociait par email: un exemple de simplicité et de message droit au but
Simplicity sells: la conférence TED très divertissante de David Pogue, chroniqueur au New York Times
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Laval Mayenne Technopole organise la troisième édition du West Data Festival, un évènement entièrement consacré aux questions de gestion des données et d’intelligence artificielle.
Celui-ci se déroule principalement en ligne, du 2 au 4 février et comporte 5 thématiques: santé, business intelligence, les énergies dans le bâtiment, le marketing, au travers de conférences et de formations.