Cette semaine, je dois intervenir sur l’intrapreneuriat devant une assemblée de chefs d’entreprises. J’ai pensé que ce sujet pourrait intéresser la plupart d’entre vous.
Un désir d’entreprendre et une fascination pour les startups soufflent sur les entreprises françaises, faisant monter la “fièvre de l’intrapreunariat”, comme l’intitule un article des Echos de 2019. Même l’État s’y est mis avec la création de startups d’état.
Alors l’intrapreneuriat, est-ce seulement une mode, ou une évolution durable de la façon de manager une entreprise ?
Quels sont les conditions pour mettre en place une politique d’intrapreneuriat dans une entreprise et quels bénéfices peut-elle en tirer ?
Avant de commencer
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L’intrapreneur désigne celui qui agit comme un entrepreneur à l’intérieur d’une entreprise. Ce mot-valise fabriqué pour exprimer cette réalité paradoxale date de la fin des années 70, même si cette pratique a bien sûr commencé avant que le mot existe.
Depuis quelques années, l’intrapreneuriat a pris un essor particulier et intéresse de plus en plus les entreprises. Celles-ci développent des programmes d’intrapreneuriat, créent des incubateurs et des accélérateurs, investissent dans des startups.
Pourquoi une telle fièvre ?
Qu’est-ce qui peut expliquer cet intérêt important et récent pour l’intrapreneuriat ? Quelles sont les conditions qui rendent favorables et peut-être nécessaires cette approche différente de la création de valeur ?
depuis la fin des années 90, internet et les technologies de la communication ont formidablement accéléré les cycles d’innovation. En favorisant la circulation de l’information et la globalisation, internet change les dynamiques de marché, élargit la zone de chalandise et favorise les entreprises agiles.
à l’inverse, la structuration, l’organisation hiérarchique et les processus de décision hérités de leur histoire pénalisent les entreprises dans leur capacité à se réinventer et donc à s’adapter aux évolutions rapides.
la génération Y et plus encore la génération Z ont besoin de sens et d’autonomie. Pour garder ces talents qui sont nécessaires à construire leur avenir, les entreprises doivent adapter leur management.
le succès phénoménal des startups qui trustent la hiérarchie mondiale des entreprises les plus riches fait des envieux, et démontre qu’une approche plus entrepreneuriale du business est très efficace. Les startups inculquent cet esprit entrepreneurial à leurs salariés qui lancent à leur tour de nouvelles startups, créant ainsi ce que certains appellent des “mafias entrepreneuriales”.
Ces conditions caractérisent “l’Age Entrepreneurial”, comme certains appellent la période actuelle. Elle favorise l’émergence de la posture entrepreneuriale au sein des entreprises mais aussi en dehors comme en témoigne les chiffres de création d’entreprises qui battent chaque année des records.
Mais au fait de quoi parle-t-on ?
L’intrapreneuriat en entreprise recouvre des réalités de pratique assez variées. Une brève revue des principales formes en vigueur permet de mieux comprendre de quoi il est question. Le tableau ci-dessous en résume quelques caractéristiques.
L’essaimage : dans les années ‘80, les grandes entreprises ont mis en place des cellules d’essaimage pour accompagner les initiatives individuelles de leurs salariés. Cette approche ressemble cependant plus à une politique sociale qu’à un véritable intérêt pour l’intrapreneuriat. Les plus généreuses offraient jusqu’à un an de salaire pour travailler à plein temps sur son projet de création.
La boite à idées : inventée dès la fin du XIXème siècle dans le monde politique, la boite à idées d’abord physique puis numérique a gagné un grand nombre d’entreprises, y compris les plus petites. Destinée à recueillir les idées d’amélioration ou d’innovation, cette méthode simple peut révéler l’esprit d’entreprise et d’innovation chez des salariés qu’on ne soupçonnait pas. Ces idées sont ensuite triées et les meilleures sont mises en œuvre, sans nécessairement y associer leur auteur, tout en lui attribuant une récompense souvent symbolique au regard des gains potentiels générés.
Les appels à projets : cette approche plus formalisée que la simple boîte à idées vise à identifier des projets innovants en lien avec les activités de l’entreprise et/ou ses compétences clés. En lançant de tels appels régulièrement, l’entreprise donne l’occasion aux plus créatifs de ses salariés de contribuer à son avenir. Les meilleurs projets sont alors encouragés et l’entreprise alloue du temps et un peu de moyens pour que le salarié puisse développer son idée. Cette approche est souvent celles des entreprises qui veulent explorer l’intrapreneuriat et se lance pour voir ce que cela peut donner.
Le hackathon : autre mot valise, le hackathon est un évènement sur une très courte période (2 ou 3 jours) qui rassemblent des personnes internes et/ou externes à l’entreprise pour proposer des idées sur un thème donné. Cet exercice est plus utile pour inculquer une culture de la créativité agile, que pour réellement générer des projets d’innovation solides et pérennes.
Les incubateurs : au-delà du simple appel à projets, l’entreprise plus engagée dans l’intrapreneuriat et ayant choisi d’y consacrer des moyens, va créer une petite cellule spécialisée pour accompagner ces projets. Cela passe souvent aussi par la création d’un lieu aménagé façon startup, avec éventuellement un fablab. L’attente de résultats est importante et la qualité de l’accompagnement et de la sélection est cruciale.
Les incubateurs “corporate” : quand les initiatives internes ne suffisent pas, les entreprises créent des incubateurs dit “corporate” qui fonctionnent comme n’importe quel incubateur indépendant et sélectionnent des porteurs de projets venant de tous horizons. Ces incubateurs sont la plupart du temps alignés avec les métiers de l’entreprise et sa stratégie moyen-long terme. Les salariés de l’entreprise peuvent alors être associés au développement des projets sous forme d’apport en expertise, pour monter des POC (preuves de concept) ou devenir bêta-testeurs. Outre les partenariats stratégiques et commerciaux, l’entreprise espère aussi des gains financiers via l’investissement qu’elle propose à travers son fond de “corporate-venture”.
Les startup-studios : encore peu développés, les startup-studios sont des incubateurs à idées. Au lieu d’accueillir des porteurs de projets internes ou externes, le studio incube des idées intéressantes avec une équipe de salariés experte du processus de validation rapide d’idées. Un entonnoir décisionnel drastique permet alors d’identifier une ou deux bonnes idées pour une centaine étudiées. Une fois l’idée validée, le studio cherche à identifier la personne parmi les salariés ou à l’extérieur de l’entreprise qui va pouvoir la développer rapidement. (A noter que certaines entreprises appellent studio de simples incubateurs corporate).
Ces différentes formes d’intrapreneuriat ont été adaptées, mélangées, remixées pour créer dans chaque entreprise pratiquante une approche personnalisée. C’est cette adaptation permanente, cette constante recherche de la “bonne façon” de faire qui révèle l’immaturité de la pratique intrapreneuriale dans les entreprises françaises.
10 conditions de la réussite
Quelles sont les conditions de la réussite d’une démarche intrapreneuriale dans une entreprise qui se lance, et ce quelque soit l’outil qu’elle choisit de mettre en place ? J’en ai identifié dix, que j’expose rapidement ici. Chacune de ces conditions mériterait bien sûr un développement plus important et des exemples pour en comprendre toute l’importance.
Un engagement total et visible de la direction : comme d’autres thématiques (qualité totale, responsabilité sociétale et environnementale, …), l’intrapreneuriat nécessite un engagement et un soutien total de la direction. Si ce n’est pas perçu par les salariés comme de la plus haute importance, cela sera rapidement compris comme un gadget.
Un état d’esprit plutôt qu’une méthode : même si la mise en place d’un programme d’intrapreneuriat requiert une méthodologie, c’est avant tout un état d’esprit. Si l’entreprise ne change rien à sa pratique par ailleurs, et si l’intrapreneuriat n’est qu’une nouvelle méthode de gestion de projet, cela sera perçu comme une tromperie pour profiter de l’engagement supplémentaire des salariés.
Une confiance a priori : faire appel à la capacité entrepreneuriale des salariés est incompatible avec l’envie de contrôler. L’exercice de l’autonomie demande la confiance. Ce point peut être rédhibitoire pour nombre d’entreprises. Relire UPI #11 pour mieux comprendre ce que signifie la confiance.
Une acceptation du risque : il n’y a pas de démarche entrepreneuriale sans risques. Les entreprises anciennes et établies ont tendance à l’oublier et veulent sécuriser leurs décisions et leurs investissements. Pour une démarche intrapreneuriale réussie, il faut être prêt à perdre de l’argent et surtout les meilleurs éléments de l’entreprise, qui après avoir goûté à l’exercice voudront peut-être réellement voler de leurs propres ailes. La démarche intrapreneuriale étant attractive pour les jeunes générations, la perte de talents peut être compensée par l’attraction de nouveaux talents.
Des décisions rapides : le mode “startup” ne souffre pas la lenteur. La décision du comité de sélection des projets, l’allocation des budgets aux projets retenus, les suites à donner à un POC, ne devront pas attendre des mois, sous peine de décourager les porteurs de projets. Les processus décisionnels devront donc avoir été adaptés avant de commencer.
Les personnes sont plus importantes que les idées : l’intrapreneuriat est avant tout une approche managériale. Privilégier les idées aux personnes est une erreur. Une idée moyenne portée par une personne capable d’entreprendre est bien plus intéressante qu’une idée géniale portée par une personne manifestant peu d’appétence entrepreneuriale.
Se faire accompagner : monter un programme d’intrapreneuriat ne s’improvise pas. Confier à la RH, à la Communication, au Marketing ou à l’Innovation cette tâche ne marchera pas. Détecter, accompagner et booster des porteurs de projets est un métier qui demande de longues années d’apprentissage. Se faire accompagner par des experts de ce métier limitera la longueur du cycle d’apprentissage et les erreurs impactant en premier le capital humain de l’entreprise.
Sortir les intrapreneurs : tant que la révolution entrepreneuriale de l’entreprise n’est pas faite, sa culture est la plupart du temps toxique pour les quelques intrapreneurs. Lorsque les projets ont été validés et passent en mode développement, il est bon de sortir les intrapreneurs de leur environnement. Cela peut se faire de différentes manières : les mettre dans un espace dédié ouvert sur le monde, les placer dans un incubateur avec d’autres entrepreneurs, les mettre dans des espaces de coworking, … Ils doivent apprendre du monde extérieur.
Ouvrir le capital : quand le projet décolle et qu’il a besoin de fonds, il est préférable d’ouvrir le capital que de tout vouloir autofinancer. Le regard extérieur d’investisseurs en capital-risque est très apprenant et peut éviter bien des erreurs. Il y aura toujours moyen, lorsque la startup aura performé de racheter leurs parts.
Récompenser l’intrapreneur : quel que soit le type d’intrapreneuriat mis en place, la récompense de celui qui s’engage doit être perçue comme juste. Un dîner au restaurant ne sera pas suffisant pour quelqu’un qui aura passé tous ses week-ends à coder une nouvelle application qui révolutionne l’approche client de l’entreprise. Quand la startup se crée, laisser la majorité au capital au porteur de projet qui aura permis d’arriver jusque-là peut être plus efficace pour la réussite globale que vouloir rester majoritaire sous prétexte que cela a été fait dans le cadre de son contrat salarié. Ce sujet est sans doute le plus difficile et doit être mûrement réfléchi. L’avis de ceux qui ont une longue expérience doit être recherché.
Pour quels bénéfices ?
En rédigeant les dix conditions de réussite ci-dessus, j’ai bien conscience que je mets la barre très haute et que la plupart des entreprises ne sont pas capables de transitionner simplement vers cet état d’esprit.
Il va donc falloir franchir des étapes et commencer modestement.
Plus que le résultat, c’est le chemin qui est important et qui apporte le plus.
Certes, la startup créée par un intrapreneur peut se révéler une nouvelle licorne et surpasser infiniment dans ces résultats l’entreprise qui l’a enfantée. Cela est cependant très, très rare. Les vraies licornes sont créées par des rebelles, pour qui l’intrapreneuriat est un cocon trop douillet.
Le bénéfice principal à attendre d’une démarche intrapreneuriale est plus modestement l’apprentissage d’une nouvelle culture d’entreprise.
Faire tomber les silots, gérer de façon agile les projets, prendre des risques, mettre sur le marché une innovation en quelques semaines, laisser un maximum d’autonomie, reconnaître et valoriser la prise d’initiative sont autant de leçons que l’entreprise qui se lance dans l’intrapreneuriat va apprendre.
Il en résultera une entreprise bien mieux préparée à affronter les défis d’aujourd’hui, bien plus attractive pour les jeunes générations, bien plus conviviale et réactive, en un mots, bien plus vivante.
L’intrapreneuriat, peut-être plus encore que l’entrepreneuriat est un “pas dans l’inconnu” difficile car il embarque un collectif plutôt qu’un individu. Il faudra donc la conviction et la détermination de quelques-unes et de quelques-uns, mais le jeu en vaut la chandelle, et le résultat en vaut le détour.
L’intrapreneuriat réussi, c’est marier l’agilité des startups avec la force des entreprises établies, et ainsi capitaliser sur le meilleur des deux mondes.
PS: J’avais prévu de parler de la posture à tenir pour l’intrapreneur-né dans une entreprise qui n’y est pas encore prête, mais cela fera l’objet d’un autre article.
Pour aller plus loin
Intrapreneuriat: Comment donner plus d’agilité à l’innovation ? : un livre blanc du Groupe Apicil