Un entrepreneur brillant défend son projet face à un jury auquel je participe. Le projet est bon, l’entrepreneur est expérimenté, le sujet est porteur et pourtant le jury décide de surseoir à la décision.
Après la fin de la séance, je vais voir cet entrepreneur et je lui demande : “quand vous allez au musée, vous regardez les tableaux à 10 cm de distance ?” Il est surpris. “Non, bien sûr !” - “Alors, pourquoi quand vous présentez votre projet, vous donnez des détails qui nous empêchent de voir son sens global ?”
La communication est un des outils les plus utiles de la vie professionnelle, mais aussi un des plus difficiles à maîtriser.
La communication est polymorphe : orale, écrite, graphique, sur les réseaux sociaux, dans les médias …
Ce sujet me passionne. Je partage avec vous quelques règles simples apprises au cours de diverses expériences.
Avant de commencer
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Je suis très friand aussi de vos questions ou suggestions de sujets à traiter. Je ne m’engage pas à y répondre obligatoirement, mais je le ferai avec joie si le sujet m’inspire et si j’ai quelque chose de personnel à dire.
Merci enfin de partager cet article afin de faire connaître au plus grand Un pas dans l’inconnu !
Maîtriser le fond
Le grand Boileau disait : “Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement.”
La pire expérience de présentation de ma vie remonte au temps où j’étais chercheur. J’avais été invité à donner un cours sur la supraconductivité à une école d’été européenne organisée par le CERN. Je ne maîtrisais pas en totalité ce sujet, mais c’était un des thèmes de mon laboratoire et cette école étant prestigieuse, il m’était difficile de refuser. J’ai beaucoup travaillé pour le préparer, mais une fois sur place, j’ai passé des minutes à transpirer à grosses gouttes sur les passages les plus délicats, d’autant qu’il y avait dans la salle des gens qui maîtrisaient bien mieux que moi le sujet. Ils étaient fort heureusement tolérants.
La confusion d’un discours ou d’une présentation révèlent plus souvent qu’on ne croit, le fait que les fondamentaux sous-jacents à ce qu’on avance n’ont pas été réellement compris.
Les mots sont alors articulés pour décrire approximativement les choses, mais les concepts ne sont pas maîtrisés. Cette position est à peu près aussi rassurante que celle du débutant sur les patins à glace. Le moindre faux pas, la moindre question, et c’est l’embardée.
Cela se voit fréquemment dans les grandes réunions qui rassemblent beaucoup de personnes issues d’organisations différentes ou de services différents dans une grande entreprise pour débattre d’une orientation à donner.
Du fait qu’elle a été invitée et qu’elle représente un groupe plus large, chaque personne se sent obligée de parler. C’est souvent assez cocasse. Les mots sont bien les mots clés du débat, les phrases sont grammaticalement correctes, et pourtant il n’y a pas vraiment de sens.
La communication n’est pas un exercice qui se suffit à lui-même : elle n’existe que s’il y a un vrai message à transmettre et si ce message est clairement compris par son émetteur. Dans tous les autres cas, il est préférable de s’abstenir.
Être en empathie
La communication sert à transférer un message d’une personne à une autre personne ou à un groupe de personnes.
Pour qu’une communication soit réussie, il faut s’assurer que le message émis soit non seulement reçu mais compris. Un message est compris correctement lorsque le sens déduit de son écoute est le plus proche possible du sens mis dans le message par l’émetteur.
La meilleure façon de s’assurer de cette bonne compréhension est de se placer du point de vue de l’auditeur. Mais comment faire ?
Se poser sincèrement la question de l’attente de l’auditeur : qu’a-t’il besoin de savoir ? pourquoi prend-il du temps pour m’écouter ? qu’est-ce qui est le plus important pour lui ?
Déconstruire sa propre connaissance : en travaillant sur un sujet, l’émetteur acquiert un savoir et se fabrique des convictions. Au moment de communiquer avec quelqu’un qui n’a pas ce niveau d’expertise, il doit savoir identifier les points clés qui ont forgé sa propre compréhension du sujet et les transmettre clairement, pour que l’auditeur puisse partager le raisonnement.
Adopter un ordre logique : toutes les informations sont dans la tête de l’émetteur. Quelque soit l’ordre dans lequel il les délivre, l’exposé est pour lui compréhensible. Mais l’auditeur a besoin d’avoir les informations dans le bon ordre pour bien saisir le sens, car contrairement à l’émetteur, il ne connaît du sujet que les informations déjà partagées. Par exemple, une erreur classique des entrepreneurs est de parler de leur solution avant d’avoir expliqué le problème auquel elle répond.
Parler simplement : la pire barrière à la communication est le jargon. Parler avec des mots simples n’enlève rien à l’expertise et utiliser un jargon ne rend pas plus crédible.
Éviter les détails : il est très rare que les détails intéressent. Si c’est le cas, l’interlocuteur posera la question et il est donc inutile d’anticiper.
Se mettre en empathie avec son auditeur, signifie qu’il est hors de question d’avoir une présentation passe partout de son projet, qui marcherait aussi bien avec un investisseur qu’avec un banquier, avec un client BtoB comme avec un client BtoC.
Désolé, mais la communication réussie ne souffre pas la fainéantise !
La communication efficace nécessite de l’empathie. En prenant mentalement la place de votre auditeur, vous comprendrez bien mieux ce que vous devez lui dire, et comment vous devez le faire.
Mettre la forme
Qui n’a jamais eu un professeur brillantissime mais pourtant incompréhensible ?
Maîtriser le fond ne suffit pas à faire une bonne communication. Sans un effort sur la forme, le fond même parfaitement dominé demeure hermétique.
Il y a de nombreux ingrédients à une forme réussie de communication orale ou écrite :
le rythme et le niveau de la voix, l’articulation et l’intonation : parler vite saoule, parler d’un ton monocorde endort, parler sans articuler ressemble à du Zoom avec un mauvais débit ! Tous ces comportements rejettent l’effort sur les auditeurs qui doivent s’accrocher pour suivre. La plupart vont décrocher.
la taille de la police : il n’y a pas de conseils plus répandu que celui d’écrire suffisamment gros et par conséquent de ne mettre que peu de mots sur les slides de sa présentation. Pourtant, il n’y a pas de fautes plus répandues. D’où vient ce paradoxe ? Quelques raisons principales :
La tentation facile du copier-coller (le dernier paragraphe du rapport se retrouve magiquement transformé en diapositive numéro 5.
la non-maîtrise de l’exercice du résumé de texte. Cette technique niveau lycée est une des plus utiles qui soient pour bien communiquer.
la vieille illusion que la quantité est plus importante que la qualité. Est-ce un atavisme, une résurgence du temps où il fallait d’abord se nourrir avant de penser au goût ?
le manque de relief de la pensée, résultant d’une insuffisante prise de hauteur. Au fond, qu’est-ce qu’il est vraiment utile de retenir ?
la mise en page : je dois me faire violence pour suivre une présentation dont les supports sont de mauvais goût, avec des illustrations kitchs et des couleurs flashies. Toutes celles et tous ceux qui comme moi, sont sensibles à l’esthétique des choses, vont facilement perdre pied dans une présentation graphiquement négligée.
l’originalité : la presse se fait régulièrement l’écho de CV particulièrement créatifs qui attirent l’œil des recruteurs (voir un exemple ici). Pourquoi la communication devrait-elle être convenue, conforme à son milieu professionnel ? Il est certain en tous cas qu’une présentation originale va marquer les esprits, spécialement lorsqu’elle fait partie d’une longue série, et qu’à la fin, il faut en choisir une.
La forme est une facilitatrice d’une communication réussie. Elle permet de rendre accessible et compréhensible un message ardu, elle rend plaisant l’exposé et incline l’auditeur à prêter attention.
Dessiner, c’est gagné
Napoléon Bonaparte, grand stratège et bon communiquant disait : “Un bon croquis vaut mieux qu'un long discours”.
Pourquoi en est-il ainsi ? Pour trois raisons :
La quantité d’informations contenues dans un croquis est bien plus élevée que la quantité d’information qu’occuperait un texte de taille équivalente, même s’il est écrit bien serré. Un schéma résume souvent plusieurs slides de texte.
Les mots sont une représentation codée de leur sens. Comprendre des mots nécessite de décoder pour retrouver le concept derrière le mot. Un dessin est une représentation directe de la réalité. S’il est bien fait, il ne nécessite pratiquement aucun décodage. L’accès à l’information est donc plus naturel et plus rapide.
60 % des personnes apprennent sur le canal visuel. Avec un schéma, vous êtes sûr d’embarquer plus de la moitié de votre auditoire et comme vous commenterez le schéma, même les auditifs s’y retrouveront !
Le schéma est particulièrement utile pour expliquer les interdépendances, les flux, les évolutions, c’est-à-dire les situations dynamiques. Quelques exemples de ces situations où un schéma parle mieux que du texte : les business-models complexes, le tunnel d’acquisition client, les avancées du projet, le planning des actions à venir.
Un croquis peut aussi mieux qu’une photo expliquer le principe de fonctionnement d’une invention (à condition que le brevet ait été déposé, si l’invention est brevetable), car le croquis peut mettre l’accent sur les parties critiques.
Un schéma pour être utile doit cependant être travaillé. Il est assez rare que la première version soit la bonne. Il est conseillé de le montrer à plusieurs personnes pour voir ce qu’elles comprennent et ainsi pouvoir l’améliorer. Tout comme un texte, un schéma ne doit pas être surchargé sous peine de devenir illisible.
Le croquis, le dessin, le schéma, les graphiques, sont des éléments essentiels de la communication efficace. Ils doivent donc être traités avec attention, et au besoin être confiés à des professionnels.
Faire une démonstration
Dans les années 40, Edgar Dale, un chercheur américain en éducation, a décrit l’apprentissage sous la forme d’un cône, une théorie mise en schéma attractif par la facilitatrice agile Cyrielle Eudeline. Comme un croquis parle mieux qu’un long discours, je ne commenterai pas cette théorie, que je vous laisse apprécier grâce au schéma, en application du conseil donné au paragraphe précédent.
Dès que possible, votre communication doit s’accompagner d’une démonstration. Comme celle-ci n’est pas toujours possible et que les démos en temps contraints ont la fâcheuse tendance de venir avec “l’effet démo”, il conviendra d’utiliser d’autres formes de la démonstration : vidéo d’un cas d’usage, enregistrement d’un parcours utilisateur pour un site ou une application, mise à disposition du produit sur l’estrade après l’exposé (attention, si vous le faites circuler, l’auditeur n’écoutera pas votre discours lorsqu’il aura l’objet en main).
Si l’exposé est plus long, si le sujet s’y prête, il est fortement souhaitable de mettre l’audience en position d’utiliser le produit. Ce sera la meilleure façon pour elle de mémoriser votre produit et d’en comprendre le fonctionnement.
La démo est un exercice particulièrement difficile lorsque le temps est court. Pour être honnête, j’en ai rarement vu de réussie. Par contre, il faut systématiquement les proposer à ceux que vous voulez convaincre comme les investisseurs ou les prospects.
Conclure avant de développer
Pour conclure ces conseils de communication, je vous en donne un que j’ai dû apprendre, car il était pour moi contre nature.
Avec la presse, il faut commencer par la conclusion, ou par la partie la plus importante de ce que vous voulez communiquer.
La presse n’est pas patiente et n’a pas le temps que vous ayez fait toute une démonstration logique du pourquoi vous en êtes arrivé à cette idée, du comment vous avez trouvé une solution et de ce que vous en tirez.
Lors d’une interview en direct, il ne faut pas répondre aux questions et se laisser guider et se guider par le ou la journaliste, mais replacer tout de suite ce que vous avez à dire. Ce réflexe difficile à acquérir, lorsqu’on a peu d’occasions de pratiquer, demande de s’être très bien préparé et de rester très concentré.
La communication avec la presse, et surtout avec la TV ou la radio, est une forme très particulière de communication, qui ne répond pas aux mêmes codes que les autres formes de communication. Si votre succès vous amène à être fréquemment interviewé, il faudra penser à prendre des cours de média-training même si vous êtes naturellement un bon communicant ou une bonne communicante.
Bonne communication !
Super article merci! Je l'ai partagé sur linkedin : https://www.linkedin.com/posts/herve-rincent-camilab_62-le-fond-et-la-forme-activity-6796752378080047105-UByV