Plusieurs prix pour nos startups au concours La Mayenne Innove et à Laval Virtual, la préparation d’un film à l’occasion des 25 ans de la technopole que je dirige, le pot de départ d’un collaborateur, un nième jury de startups, la rencontre d’un étudiant qui veut lancer sa boîte et d’un entrepreneur extraordinaire qui révolutionne l’industrie …
Ces éléments d’une semaine presque ordinaire m’ont inspiré le sujet de ce dernier épisode avant la trêve estivale. J’ai choisi de vous partager l’ingrédient principal du métier d’accompagnateur d’entrepreneurs : l’art de questionner.
Ne partez pas tout de suite ! Accompagner les entrepreneurs n’est pas votre métier mais l’art de questionner est utile dans tous les métiers !
J’ai écrit cet article en pensant à vous. Qu’est-ce qui dans l’approche quotidienne de mon métier peut être utile pour vous, qu’est-ce qui est transférable et qui peut vous aider, quelles leçons ai-je appris que je peux partager avec vous ?
Avant de commencer
Pierrick, un fidèle lecteur de cette Newsletter me partageait cette semaine comment il utilisait certains de mes articles avec ses clients.
Cela m’encourage beaucoup de savoir que ce que j’écris, non seulement vous plait, mais vous est utile dans votre travail.
Ce serait vraiment super pour ce dernier numéro avant les vacances, que vous puissiez partager une situation dans laquelle cette Newsletter vous a aidé, vous a fait réfléchir, a changé votre façon de voir les choses, vous a permis de franchir un cap.
Prenez une ou deux minutes pour partager cela avec les autres lecteurs, en mentionnant si vous vous en souvenez l’article en particulier qui a eu un impact.
Merci beaucoup pour votre partage.
Je vous souhaite un excellent été. Reposez-vous, ressourcez-vous et revenez en pleine forme !
Rendez-vous le 24 août pour le prochain numéro.
De nombreux métiers mettent l’art de questionner au centre de leur pratique. Le commissaire de police questionne pour résoudre un crime. Le médecin questionne pour diagnostiquer une maladie. Le journaliste questionne pour informer. Le chercheur questionne pour comprendre et expliquer la réalité. Le philosophe questionne le sens de la vie. Le psychologue questionne pour extirper le mal-être.
J’aborde ici le questionnement sous l’angle de l’accompagnement. Questionner pour aider quelqu’un à avancer, à progresser, à cheminer sur le parcours qui est le sien.
Accompagner
Ce verbe que j’utilise souvent pour définir mon métier auprès des entrepreneurs a une étymologie claire : être en proximité avec son compagnon, le compagnon étant celui avec qui on partage le pain. Tout est dit !
Accompagner, c’est donc partager un bout de chemin avec quelqu’un en ayant une certaine proximité. C’est simple mais c’est tout un programme.
Accompagner, ce n’est pas conduire. L’accompagnant marche à côté et non devant.
Accompagner, c’est être là dans la durée, partager les moments difficiles et les moments plus joyeux.
Accompagner, c’est être proche. Ceux qui restent distants pour se protéger ou par pudeur, ne peuvent réussir un bon accompagnement.
Accompagner n’est pas réservé aux accompagnateurs professionnels. Tous les métiers nécessitent des capacités d’accompagnateurs.
Chacun y reconnaîtra sa situation: accompagner un client dans la définition de son besoin et la prise en main de son produit, accompagner un collègue moins expérimenté à réussir son projet, accompagner un apprenti dans la découverte de son métier, accompagner un manager intermédiaire dans la prise en main de son équipe, accompagner un partenaire en retard sur un projet, …
L’accompagnement n’est pas réservé aux spécialistes, c’est le quotidien de chacune et chacun de nous. Apprendre à bien accompagner devrait être une priorité tout au long de notre carrière.
La capacité à accompagner les autres est une de ces fameuses “soft skills” que tous les recruteurs recherchent.
Les accompagnateurs fluidifient le fonctionnement d’une équipe, permettent que les savoir-faire se pérennisent, font progresser leurs collaborateurs, signent les clients de façon plus efficace. Ils sont indispensables à l’entreprise qui veut progresser.
L’accompagnement nécessite de nombreuses qualités, mais je me focalise ici sur la principale de toutes: l’art de questionner.
Questionner pour comprendre
En 1990, j’étais chercheur. Lors de ma première grande conférence internationale, dans un amphi de 600 personnes, je me souviens avoir posé une question au dernier orateur de la dernière session. Cela m’a valu quelques reproches de mes collègues qui attendaient impatiemment la fin. Peu importe les circonstances, je voulais comprendre.
Quand je participe à des jurys, je suis toujours surpris de constater que certaines personnes n’ont pas de questions.
La vocation primaire d’une question est de comprendre. Quel que soit le sujet, quelle que soit la situation exposée, il y a toujours des zones d’ombres et donc toujours des questions à poser.
Contrairement à l’expert qui sait, au consultant qui donne son avis, l’intention première de l’accompagnateur doit être de comprendre son interlocuteur.
Comprendre signifie tout à la fois:
comprendre le projet: en quoi consiste-t-il ? à qui s’adresse-t-il ? sur quelles hypothèses repose-t-il ? quel est son but ? quelle est son ambition ? …
comprendre le contexte du projet: pourquoi a-t-il été lancé ? quelles sont les parties prenantes ? quelles sont les contraintes ? dans quelle chaîne de valeur s’inscrit-il ? quel est le budget ? …
comprendre les problèmes: où sont les difficultés ? de quelle nature sont-elles ?qu’est-ce qui a déjà été tenté pour les résoudre ? quelles sont les conséquences ?…
comprendre l’avancement: qu’est-ce qui a déjà été fait ? quelles sont les prochaines étapes ? quel est le planning ? quelles sont les étapes clés ? …
comprendre la personne: qui est-elle ? quelle est son expérience ? quel est son caractère ? quelles sont ses peurs, ses rêves, ses émotions ? quel est son réseau ?quels sont ses défauts ? quelles sont ses qualités ? …
Au début d’une relation d’accompagnement, le questionnement sert principalement à l’accompagnant pour cerner la situation.
Cette phase peut être assez longue si le sujet est complexe, et il est généralement nécessaire de procéder en plusieurs passes successives, en allant de plus en plus en détail.
Lors de cette phase de prise en main du sujet, l’accompagnant travaille d’abord pour lui, pour se mettre à niveau. Cette approche est cependant utile pour l’accompagné surtout si celui-ci est encore au début de son projet. Elle l’aide à formaliser son propos, à vulgariser, elle le pousse à justifier ce qui lui semble évident, à structurer sa présentation, à identifier ses difficultés, à expliciter son problème.
Questionner pour comprendre demande beaucoup de curiosité. Cela demande un réel intérêt et un réel désir de comprendre. Lors du pot de départ de mon collaborateur cette semaine, je mettais en avant sa soif d’apprendre et de comprendre. C’est réellement une compétence indispensable pour bien accompagner les autres. Les blasés ou les passionnés d’un seul sujet font de mauvais accompagnateurs.
Questionner avec empathie
Questionner est bien sûr un exercice intellectuel, où le cerveau travaille intensément pour se représenter du mieux qu’il peut le message qu’on essaie de lui communiquer et y déceler les lacunes pour poser la bonne question.
Questionner revient à assembler un grand puzzle, rechercher les morceaux manquants et voir à quel endroit, ils doivent s’insérer. A la fin, si un nombre de morceaux suffisant ont pu être positionnés, une image assez claire apparaît.
Mais questionner est aussi un exercice d’empathie, qui met en branle nos émotions.
Questionner nécessite de rejoindre l’autre sur son terrain, d’aborder des sujets qui nous sont étrangers et donc d’entrer le plus possible dans l’univers de l’autre pour comprendre la problématique.
Notre incubateur n’est pas thématique et nous accompagnons des porteurs de projets évoluant dans tous les secteurs. Il est beaucoup de secteurs pour lesquels je n’ai aucune connaissance particulière, aucune affinité et dont je me sens très éloigné. L’exercice d’empathie est d’autant plus important. Il m’est souvent arrivé de dire à certains entrepreneurs, combien après une intense séance de travail, je finissais par éprouver un intérêt pour leur sujet qui m’était pourtant étranger au départ. A chaque fois, cette évolution a passé par les émotions plus que par le cerveau.
Cette démarche d’empathie est particulièrement importante dans l’accompagnement commercial d’un client. Je supporte très mal les commerciaux qui déroulent leur présentation type. Dès qu’ils se lancent, je sais que nous n’irons pas plus loin.
L’empathie nécessite de se décentrer, d’abandonner son univers pour rentrer dans celui de l’autre. Il est donc impossible d’arriver avec des schémas tout prêts et des présentations génériques bien léchées.
Il y a très longtemps quand je débutais dans le métier d’accompagnant, j’avais assisté à une formation qui m’a fait prendre conscience de l’empathie mimétique.
Entrer en empathie avec son interlocuteur passe par le mimétisme des postures, des intonations, de la gestuelle, des expressions, du ton, du langage. Enfant, on me comparait parfois à un caméléon. C’est sans doute pourquoi, je suis assez à l’aise avec l’empathie mimétique.
Au-delà de nous permettre de mieux comprendre un sujet, l’empathie met en confiance l’interlocuteur qui va donc se livrer plus facilement, ce qui va renforcer notre possibilité de le comprendre et entamer ainsi une boucle vertueuse, qui rend l’accompagnement possible.
Questionner pour faire réfléchir
Les jeunes qui démarrent dans le métier d’accompagnateur expriment systématiquement le syndrome de l’imposteur. “Qui suis-je pour conseiller un entrepreneur ?”, me disent-ils souvent. Ils ont raison car leur expérience est insuffisante pour conseiller.
Je leur explique alors qu’accompagner des personnes autonomes, c’est avant tout les questionner pour les faire réfléchir et non les conseiller.
En posant une question, on force l’interlocuteur à suivre un chemin de pensée qui n’est pas forcément le sien, ce qui va l’aider à considérer une autre facette de la réalité, et peut-être lui faire prendre conscience d’une évolution à envisager.
Comme je dis souvent, la bonne question est celle qui appuie là où cela fait mal. La bonne question soulève le tapis pour révéler la poussière qu’on a voulu cacher.
Même les personnes les plus brillantes ont tendance à négliger les sujets qu’elles maîtrisent moins, à évacuer les arguments qui ne vont pas dans le sens qui les arrangent, à minimiser les atouts des choix concurrents. En posant des questions sur ces sujets enfouis, l’accompagnateur déconstruit le discours préfabriqué, pour dévoiler les fondations et vérifier si celles-ci sont suffisamment solides.
La question agit comme un révélateur de la vérité, et permet à celui qui est honnête d’admettre qu’il lui faut retravailler tel ou tel point, que sa solution présente des lacunes, que sa maîtrise du sujet est imparfaite.
Inévitablement et systématiquement, la question permet à l’interlocuteur volontaire de progresser en retravaillant son sujet.
La question naïve est souvent bonne, car elle permet de revenir à l’essentiel. La question précise agit comme un couteau tranchant pour atteindre le point critique. La question logique démonte l’argument tordu. La question non complaisante révèle les incohérences.
Questionner pour connecter
Comment aller plus loin pour aider celui ou celle que l’on veut accompagner ?
Une fois le sujet compris, une fois les questions dérangeantes posées en espérant qu’elles vont être opérantes, il reste une ultime étape, celle de la connexion.
La meilleure façon d’aider quelqu’un est souvent de le connecter à quelqu’un d’autre ou à une information qu’il n’a pas.
Lorsque j’accompagne quelqu’un, tout en lui posant des questions pour comprendre son projet, sa difficulté, son besoin, je scanne mentalement l’ensemble de mon réseau, j’essaye de me souvenir de mes lectures pour tenter des rapprochements.
Comme un radar qui balaie l’horizon, mes questions servent alors à valider telle ou telle idée de connexion que j’ai eue. Je cherche à vérifier que mon intuition est la bonne, car il en va de ma crédibilité. Une mise en relation à côté de la plaque, rendra la suivante plus compliquée car mon contact se souviendra que je lui ai fait perdre son temps.
L’erreur à ne pas commettre est de limiter les connexions aux sujets faisant l’objet de demandes explicites. “Est-ce que tu connaitrais quelqu’un qui …?” Si vous pouvez répondre c’est super, mais c’est loin d’être systématique.
Les meilleures “mises en relation” que j’ai pu faire ne correspondaient pas toujours à une demande.
J’ai assisté il y a quelques semaines à la présentation d’Aurélien Babarit, un chercheur, co-fondateur de la startup Farwind Energy dans le domaine de l’énergie renouvelable. Après celle-ci, j’ai déjeuné avec lui, et je lui ai posé de nombreuses questions. A un moment, j’ai pu faire le lien avec un autre entrepreneur avec qui j’avais échangé deux ou trois semaines plus tôt. Il se lançait dans la production d’un nouveau type de batteries qui me paraissaient intéressantes pour Aurélien. Celui-ci m’a expliqué que c’était justement ce qu’il cherchait, et il a appelé mon contact dès le lendemain. J’ai aussi pu lui parler d’un autre entrepreneur que nous avions accompagné. Aurélien m’a indiqué avoir cherché à le contacter sans succès quelques mois auparavant ! Il est reparti avec deux contacts très utiles. Il ne m’avait pourtant rien demandé !
Connecter les personnes, rapprocher les informations vues ou entendues demande une certaine agilité d’esprit qu’il est nécessaire d’entraîner. Pour cela, il est essentiel de s’informer en permanence sur des sujets variés (voir UPI#58), de discuter avec des gens différents. Même s’il est mieux d’avoir une bonne mémoire et/ou une façon structurée de ranger l’information, faire avec ce qui vient est souvent déjà très utile.
Connecter c’est aussi prendre une info, une expérience, un savoir-faire entendu chez quelqu’un et le partager avec quelqu’un d’autre, en discernant bien sûr ce qui relève de la confidentialité. Un bon commercial se nourrit de l’expérience acquise auprès de tous ses clients, et il peut en faire profiter tout le monde.
Connecter, c’est être généreux, partager ce qu’on ne nous a pas demandé, faire circuler l’information de façon ouverte pour le simple plaisir de voir l’autre avancer, progresser et atteindre plus vite ses objectifs.
Se questionner pour mieux questionner
Chaque question est un moyen de faire “un pas dans l’inconnu”.
Pendant toute mon enfance, je me suis posé la question suivante tous les soirs en me brossant les dents: comment le tube est-il fabriqué pour que les rayures rouges ou bleues soient toujours aussi parfaites une fois le dentifrice appliqué sur la brosse ? Je me suis souvent endormi en imaginant une solution !1
Plus tard, je me suis demandé comment casser les noix de façon industrielle en sortant les cerneaux entiers ? A ce jour, je n’ai pas la réponse !
Ne pas prendre la réalité qui nous entoure pour argent comptant, ne pas accepter que les choses sont comme elles sont sans comprendre pourquoi, garder l’esprit de l’enfant qui ne cesse de poser des questions, sont autant d’attitudes qu’il faut développer pour progresser dans l’art de poser des questions. Elles nous permettront de mieux aider les autres.
Bonnes questions !
Pour aller plus loin
The Art of Asking Questions, une conférence TEDx par Dan Moulthrop
7 clés pour mener à bien une enquête centrée usager, un article de Charlotte Duval qui donne des conseils très concrets sur la façon de mieux questionner ses clients pour bien les comprendre