L’arrivée de Lionel Messi à Paris a généré de nombreux débats sur les réseaux sociaux et mis en lumière une frontière imperméable entre celles et ceux qui aiment le football et celles et ceux qui ont horreur de cela et ne comprennent pas la passion qu’il suscite.
Le football et le sport en général peuvent être clivants !
Les Jeux Olympiques sont tous les quatre ans une formidable occasion de vivre deux semaines d’histoires extraordinaires de sportives et sportifs qui parce qu’elles transcendent la pure compétition, peuvent rassembler les amoureux du sport et celles et ceux qui détestent cela.
Le sport est une des rares métaphores de la vie en général, et de la vie professionnelle en particulier, et peut donc transmettre un message universel.
Le sport est à la fois une école de la vie, une opportunité d’émancipation, un vecteur d’apprentissage et un tremplin pour d’autres situations.
Suite à cet été riche en moments sportifs, je vais consacrer une petite série à quelques leçons que j’ai pu identifier dans des histoires marquantes de sportives et sportifs.
Même si vous n’êtes pas fan de sport, j’espère ne pas vous perdre !
Avant de commencer
Heureux de vous retrouver après cette trêve estivale, qui je l’espère a été bénéfique pour chacune et chacun de vous.
Je souhaite continuer de partager avec vous, tous les quinze jours des réflexions sur les trois thèmes de cette Newsletter, entrepreneuriat, innovation, et management.
J’espère aussi que cette Newsletter soit l’occasion de développer une communauté intéressée par ces sujets et désireuse d’échanger. Pour cela, je vous invite donc à :
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Bonne rentrée.
Une image a marqué les esprits et fait le buzz sur les réseaux sociaux au cours des Jeux Olympiques de Tokyo : le plongeon de Laurent Tillie, le sélectionneur de l’équipe de France de volley-ball, pendant le quart de finale victorieux contre la Pologne.
Ce geste incroyable, et une médaille d’or extraordinaire m’ont donné envie de creuser un peu son histoire. Il y a forcément quelques leçons de management à apprendre d’un homme ayant une telle personnalité et de tels résultats. J’en ai sélectionné cinq parmi la multitude possible.
Bien démarrer en fixant le cap
Lorsqu’il est nommé à la tête de l’équipe de France en juin 2012, Laurent Tillie arrive avec la légitimé d’un ancien joueur, habitué de l’équipe de France (le troisième joueur le plus capé à ce moment là).
La France vient de connaître une bonne période sous la houlette de Philippe Blain, mais les résultats restent encore modestes : une médaille de bronze mondiale et deux médailles d’argent européennes.
Tillie le sait, on attend de lui des résultats plus ambitieux : “Il y a à la fois l’inquiétude de ne pas décevoir et la conscience du devoir à accomplir. Il y a beaucoup d’attente et si je suis fier d’être nommé, je serai satisfait si on obtient des résultats.”1
Comment démarrer sa mission ? Chacun sait que les 100 premiers jours de la prise de fonction d’un manager sont cruciaux pour la réussite de son mandat.
La première séance d’entrainement de l’ère Tillie aura lieu le jour d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres pour lesquels les français ne se sont pas qualifiés.
En choisissant cette date symbolique, Laurent Tillie passe un message sur l’objectif à atteindre. En titillant la frustration des joueurs de ne pas être présents à Londres, il aiguise tout de suite leur motivation. En les convoquant ce jour-là pour un entrainement, il signifie que la seule façon d’atteindre l’objectif, c’est le travail.
Comme en témoigne Antonin Rouzier, un des joueurs, l’objectif n’a jamais varié : “Sa priorité, ça a toujours été les Jeux. Il y a eu des compétitions qui ont permis de construire l'équipe, des titres et des podiums. Mais les JO ont toujours été l'objectif numéro un."2
Pour être compris, assimilé et poursuivi par son équipe, l’objectif assigné par le manager doit être clair et fixe, jusqu’à ce qu’il soit atteint.
Comme pour boucler la boucle, Laurent Tillie, lors de sa première interview juste après la médaille d’or olympique rappelle ce premier entrainement fondateur : “C’est un beau compte de fée. J’espère qu’ils [les joueurs] se souviennent du premier entraînement, où on disait “on rêve de Jeux Olympiques”, et pour rêver de Jeux Olympiques, on doit y penser tous les jours. C’est vrai que cette idée, ce chemin de toujours penser à ça, ça a compté à la fin.”3
Fixer des objectifs clairs et ambitieux, actionner les ressorts de la motivation, donner du sens en faisant attention aux symboles, trois qualités essentielles de tout bon manager.
S’engager avec les tripes
Plus encore que dans le monde de l’entreprise, le manager sportif pourrait apparaître comme un spectateur de l’action de son équipe. Il reste au bord du terrain, n’a pas le droit d’y pénétrer et ne peut bien sûr pas toucher le ballon.
Le plongeon de Laurent Tillie lors du quart de finale contre la Pologne, un des favoris du tournoi, démontre avec une force visuelle incroyable son engagement total dans ce match.
Loin d’être spectateur, il vit le match intensément, au point de plonger pour tenter un sauvetage désespéré. Se faisant, il passe à son équipe un formidable message : “je suis derrière vous avec toutes mes tripes, je crois à l’impossible et je suis prêt à tout pour vous aider.”
Cet acte engageant et coûteux (il dira à la fin du match que cela a ruiné son coude, son épaule et son dos) vaut mieux que mille mots.
Laurent Tillie donne ici une leçon d’engagement derrière son équipe qui ne se résume pas à quelques mots d’encouragement. Il paye de sa personne, joint l’acte à la parole.
Le côté réflexe de ce plongeon est aussi une preuve que l’engagement n’est pas feint. Il est bien réel et dépasse l’intellect pour atteindre les tripes.
L’exemple de Tillie permet d’identifier trois bonnes questions à se poser en tant que manager pour valider son propre engagement qui conditionne en grande partie l’engagement de son équipe :
est-ce que je crois au projet, non seulement avec ma tête mais aussi avec mes tripes ?
est-ce que je suis prêt à tout pour aider mon équipe à atteindre l’objectif commun ?
est-ce que mes paroles d’encouragement à mon équipe sont alignées avec mes actes ?
Libérer les énergies
Une caractéristique du style managérial de Laurent Tillie est la liberté.
Les joueurs de l’équipe de France sont les meilleurs de leur génération. Ce sont des surdoués ayant déjà consacré de nombreuses années à répéter les bases de leur sport. Ils connaissent leur métier.
Même si toutes les équipes dans l’entreprise ne sont pas constituées que de champions, elles sont toutes des équipes de professionnels connaissant leur métier.
Le manager n’est pas là pour asphyxier son équipe en imposant un cadre strict.
Laurent Tillie décrypte : “J’essaie de mettre un cadre élastique (sourire). Il faut qu’il y ait des concessions des deux côtés. Il faut surtout tout expliquer, ne pas laisser de zones d’ombre. […] Il ne faut pas instaurer des règles étouffantes, qui amènent de “l’excessivité”. Pareil pour les consignes. Il faut leur donner quelques clés, mais sans les ensevelir car le jeu, cela reste de l’instantanéité, avec une prise de responsabilités directe. Donc on ne peut pas toujours être derrière eux.”4
Le manager n’est pas là pour encadrer mais pour transcender. Dans la même interview, Laurent Tillie développe : “Pour moi, une équipe, ce sont d’abord des flux d’énergie car tactiquement, techniquement, physiquement, tous les joueurs sont prêts. En revanche, de savoir comment se transmettent ces flux d’énergie positive ou négative au sein d’un groupe, là réside la vraie difficulté. De réussir à impulser l’espérance, la conviction que l’on va gagner, toutes ces ondes positives qui vous permettent de vous surpasser et de gagner ce petit set qui va faire la différence au final, c’est cela qui est compliqué à gérer.”
Tillie nous propose un bon résumé de l’essentiel du management d’équipe : expliquer pour donner le sens, laisser s’exprimer la compétence et la créativité dans un cadre souple, gérer les flux d’énergie et impulser l’espérance et la confiance. Un très beau programme.
Assurer un “niveau moyen d’excellence”
Lorsque les projets s’enchaînent, les performances fluctuent, les réussites sont plus ou moins éclatantes, les difficultés plus ou moins bien surmontées.
Il est impossible de décrocher tous les appels d’offres, de battre tous les jours des records de vente, d’améliorer en permanence le rendement machine ou l’EBITDA.
Comment donc maintenir dans la durée la performance d’une équipe ?
En juillet 2015 et pour la première fois de l’histoire, l’équipe de France remporte la Ligue mondiale après 18 matches dont une seule défaite, en ayant élevé son jeu à un niveau exceptionnel.
A la veille de la compétition suivante, le Championnat d’Europe, Laurent Tillie répond à la question de la performance dans la durée : “Pendant toute la compétition [de la Ligue Mondiale], nous avons joué à la perfection. Maintenant, on sait qu’il s’agissait d’un état de grâce et qu’il faut désormais accepter de redescendre à un niveau moyen d’excellence. On doit désormais gérer la frustration qui consisterait à dire : «A la Ligue Mondiale, nous arrivions à faire ça et là, nous n’y arrivons plus.» Il faut que l’on apprenne à revenir à un niveau moyen, puis de ce niveau moyen, on pourra de nouveau se mettre en quête d’un exploit, comme le fut la victoire en Ligue Mondiale. Mais tout partira de là, en sachant aussi que nous ne pourrons pas faire d’exploit à chaque fois.”5
La perfection ne peut être maintenue dans la durée. Lorsqu’elle survient par l’accumulation du talent et du travail, il faut la prendre pour ce qu’elle est : un état de grâce passager, les sportifs disent “le flow”, qui permet de remporter ses plus belles victoires, de réaliser ses plus beaux projets, et de battre ses plus beaux records.
Croire que cet état de grâce doit être la norme, se forcer à le maintenir en permanence est une erreur managériale grave qui va conduire à la frustration d’abord, puis au burnout et enfin à l’éclatement de l’équipe.
Laurent Tillie qui est resté 9 ans à la tête de l’équipe de France en enchaînant des dizaines de compétitions utilise un oxymore pour définir l’état à rechercher : le “niveau moyen d’excellence”. Que veut-il dire ?
Le “niveau moyen” ordinaire est un renoncement, une acceptation fataliste de ses limites. Il entraîne vers la médiocrité et élimine tout espoir de réussite. Se contenter du “niveau moyen” en attendant l’état de grâce est la meilleure façon de ne jamais y parvenir.
Le “niveau moyen d’excellence” est à l’inverse la recherche permanente du meilleur de ce qu’on peut faire dans l’instant avec les ressources disponibles, la fatigue de l’équipe, la charge mentale, l’état de la trésorerie, les compétences présentes, …
Le “niveau moyen d’excellence” ce n’est pas l’Excellence sur une échelle absolue, c’est simplement faire mieux que soi-même, faire tout ce qui est possible collectivement avec l’engagement maximum, en optimisant ce que l’on a, et en s’assurant qu’on ne regrettera rien.
Redescendre à un “niveau moyen d’excellence” permet de réapprendre certaines situations, de se ré-entrainer à la difficulté en répétant ses gammes, de former de nouveaux équipiers, d’essayer de nouvelles techniques, de tester une nouvelle stratégie. Ce travail de l’ombre prépare de nouveaux exploits.
Sculpter l’eau
“J’aime bien comparer le métier de coach à celui de sculpteur d’eau (sourire). Vous pouvez donner un cadre à l’eau, mais celle-ci, comme un groupe, peut partir dans tous les sens à tout moment et vous ne savez pas pourquoi. Cela peut être pour un mot de travers, pour une réaction de travers… C’est très compliqué d’obtenir du solide et c’est pour cela que c’est d’autant plus gratifiant quand on y parvient.”6
Manager c’est avant tout travailler avec des personnes vivantes qu’il faut fédérer vers un objectif commun. Cependant, comme dit Laurent Tillie, tout peut déraper à tout moment, sans qu’on ne sache pourquoi.
Le manager doit donc façonner cette matière vivante, évolutive et parfois explosive.
Composer avec les personnalités, détecter les évolutions, être à l’écoute des signaux faibles, regarder le non-verbal, anticiper les tensions, apaiser au lieu d’attiser, composer avec les complémentarités, renforcer la variété, accompagner les aspirations sont autant d’outils du manager sculpteur d’eau, nécessaires à la réalisation d’une œuvre unique à base d’une matière aussi vivante !
Laurent Tillie, nouveau sélectionneur des Bleus, arrive en terrain connu, William Bree, Sport365
JO 2021 - Volley : Laurent Tillie, une médaille d'or pour couronner près de dix ans de mandat, Denis Menetrier, France Info
Interview de Laurent Tillie, France TV
La méthode Laurent Tillie décryptée par… lui-même, Cédric Callier, Le Figaro
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J'avoue n'avoir pas trop suivi cette édition des JO, à tort à la lecture de ton billet ;-)
Le manager sculpteur d'eau n'est-il pas un manager-leader...adepte des principes de gestion du changement et capable d'adapter en permanence son organisation (team incluse) pour aborder chaque compétition, comme un nouveau challenge...Trop de management tue le leadership...doit-on différencier les deux ?