On me demande souvent d’où vient l’inspiration dans l’écriture de cette Newsletter. Une lectrice m’a partagé cette semaine son attente du mardi pour découvrir le nouveau sujet abordé, en soulignant le fait que souvent cela tombait juste.
J’écrirais peut-être un jour sur le processus de fabrication de cette Newsletter, mais sachez déjà que le sujet d’un article n’est défini en général que le jeudi ou vendredi précédant la parution.
Il arrive de temps en temps qu’aucun sujet n’apparaisse comme une évidence. Aujourd’hui (vendredi fin d’après-midi) c’était le cas. Plutôt que de rentrer chez moi et entamer le week-end avec la pression de devoir trouver un sujet, j’en parle à Ludovica qui travaille avec moi. C’est une passionnée du contenu en ligne et je me dis qu’elle aura peut-être une idée. Elle me partage alors une situation qu’elle vit. Je ne vois pas tout de suite le sujet, puis quand j’ai compris, je trouve cela très intéressant. J’ai déjà un peu abordé la question dans UPI#29, mais je peux y revenir et approfondir.
Malheureusement, la maturation d’un sujet demande habituellement du temps. Avant de démarrer l’article, j’ai besoin d’y penser en tâche de fonds. Je devrais donc attendre une prochaine fois pour traiter de ce bon sujet.
Cependant, en quelques heures, j’ai vu des portes s’ouvrir et je me lance donc. Cet article traitera de l’adaptation à la nouvelle normalité suite à un changement. Merci Ludovica.
J’ai lu pour vous
Cette semaine, je partage 3 conseils pratiques dans différents domaines:
Un fil Twitter de Jimmy Mackey qui présente 5 exercices pour corriger les effets négatifs des mauvaises postures face à un ordinateur, qui créent tellement de douleurs et de mal-être.
Excelformulabot.com : une intelligence artificielle pour générer une formule Excel à partir d’une demande en langage naturel.
Une infographie qui présente un bon résumé des principaux conseils pour améliorer la visibilité de ses posts sur Linkedin.
Une prison dorée
Lorsqu’une usine de quelques centaines de salariés ferme, les journalistes se débrouillent toujours pour retrouver deux employés en couple ayant travaillé plus de trente ans dans l’entreprise.
Leur interview fait l’ouverture du journal télévisé, leurs larmes et leur colère de gens désemparés émeuvent la population et excitent les syndicalistes. Le patron apparait alors comme une ordure.
Le scandale dans une telle situation n’est pourtant pas là où tout le monde pense qu’il est.
Fermer une usine n’est après tout qu’une étape de la vie d’une entreprise. L’innovation détruit les anciens métiers, les besoins évoluent et la mort succède à la vie. Tout cela est l’ordre naturel des choses. Rien n’est éternel.
Le scandale est plutôt que quelqu’un puisse rester trente ans au même poste dans une même usine, par choix ou par contrainte.
Le salarié confortable dans sa normalité quotidienne, ne fait aucun effort pour progresser, évoluer, se régénérer en se mettant en danger dans une nouvelle situation.
Le patron bien content de cette main d’œuvre docile et efficace, ne voit pas d’intérêt à faire évoluer le personnel, à innover, à prendre des risques pour rompre avec la normalité. Ces opportunités offriraient pourtant à ses employés le viatique nécessaire à affronter tout chamboulement, à savoir la capacité d’adaptation, qui s’apprend progressivement dans la rencontre de ruptures successives.
Le patron et le salarié sont co-responsables (dans des proportions qui peuvent certes varier suivant les situations) du drame réel qui se joue à la fermeture de l’usine. Ce jour ne fait pourtant que révéler une situation ancienne, malsaine et porteuse de mort.
La normalité comprise comme l’habitude répétée de faire la même chose est une prison dorée. Tôt ou tard, la disruption apparait et la chute est vertigineuse.
Le cycle du changement
Les nuits succèdent aux jours, l’hiver précède le printemps, les femmes sont menstruées, le beau temps succède à l’orage, l’inspiration précède l’expiration, le cœur bat. La nature est fondamentalement cyclique.
La nature a horreur de l’état statique. La normalité naturelle est le changement d’état, la transition, la variation, l’évolution. Lorsque cet ordre naturel disparaît, que la pluie ne tombe plus, que l’hiver n’est plus froid, tout se détraque.
Pourquoi alors l’homme échapperait-il à cette loi naturelle et rechercherait-il une normalité statique ?
Dans une entreprise saine, le changement est fréquent. Les projets démarrent et se terminent, les employés changent de fonction, les équipes sont remaniées, les recrutements et les démissions se succèdent, la stratégie évolue, les technologies apparaissent et disparaissent, les outils et les méthodes progressent, l’environnement change très vite.
Le changement, récurrent ou exceptionnel, est un ingrédient fondamental de la vie d’une entreprise saine, et doit être sa normalité. Sans changement, il n’y a pas de vie.
Le changement fait peur
Puisque le changement est la normalité, pourquoi sommes-nous régulièrement perturbés, gênés, effrayés par le changement ?
Qui n’a jamais eu peur de commencer un nouveau projet ou de terminer un super projet ? Qui n’a jamais redouté le départ d’un collègue, ou l’arrivée d’une nouvelle cheffe ? Qui n’a jamais appréhendé un changement de logiciel, ou la prise en main d’une nouvelle machine ?
Comme le cheval de concours qui refuse l’obstacle, nous refusons souvent le changement de façon frontale, ou de façon plus subtile. Nous cherchons à recréer nos habitudes anciennes dans l’univers nouveau, nous refusons de voir le présent en vivant dans la nostalgie du passé, nous nous retranchons sur de petits périmètres plus sûrs et mieux connus.
Dans UPI#6, j’ai déjà abordé le sujet de la difficulté du changement dans les projets, en donnant quelques clés pour en sortir.
Dans les paragraphes suivants, je voudrais plutôt focaliser le propos sur la façon de bien vivre le changement, de s’adapter sereinement à sa nouvelle normalité.
Le changement nécessite une stabilité
Que le changement soit subi ou voulu, il perturbe notre normalité.
Le quotidien normal se déroule en s’appuyant sur une multitude de repères (spacio-temporels, culturels, relationnels, éducatifs, moraux, religieux, de santé, etc…) qui sont souvent enfouis dans notre inconscient ou banalisés tellement ils sont communs à notre environnement.
Le changement consiste à faire évoluer un ou plusieurs de ces repères fondamentaux de nos vies.
Déménager change nos repères spatiaux. Il faut se réhabituer à la place des objets, aux bruits de la rue et des voisins, aux trajets pour rentrer, et même à la direction des toilettes au beau milieu de la nuit.
Habiter à l’étranger change en plus nos repères culturels. C’est en vivant à Taïwan pendant plus d’un an que j’ai compris ce qui faisait l’identité culturelle française et ses croyances.
Avoir un accident nous fait prendre conscience de tout ce que la santé procure sans que nous n’y fassions attention.
L’ampleur d’un changement dans notre vie résulte du nombre de repères impactés mais aussi de l’importance que nous accordons à nos repères. Si nous sommes très liés à notre entourage familial et amical, un déménagement lointain nous impactera beaucoup car le repère relationnel sera brisé.
Les différents repères sur lesquels nous nous appuyons quotidiennement sont constitutifs de notre personne. Nous sommes en partie le produit de l’endroit où nous vivons, de nos relations, de notre éducation, de notre travail, de nos passions. C’est pourquoi le changement qui modifie voire supprime un de ces repères, peut nous affecter considérablement. Il modifie qui nous sommes et avant d’avoir intégré les nouveaux repères, nous sommes perdus.
Suivant notre force mentale, notre expérience du changement, notre connaissance intime de nous-mêmes, nous pouvons plus ou moins facilement traverser des changements profonds.
Certains préfèrent tout changer d’un coup : déménager, changer de travail et parfois de conjoint ! D’autres ne veulent changer qu’un paramètre à la fois.
Je crois que dans tous les cas, pour traverser de la meilleure façon un ou des changements profonds, nous avons besoin d’un élément de stabilité sur lequel s’appuyer. Cette stabilité intérieure profonde et solide permet de gérer des changements plus extérieurs et superficiels.
Quand j’ai débarqué à Taïwan à 25 ans, j’ai changé tous mes repères : j’ai déménagé, changé d’environnement culturel et de langue du quotidien, changé de statut (d’étudiant, je suis devenu salarié), d’environnement relationnel (je ne connaissais personne) et même de climat. Le premier dimanche, je suis allé à l’église et j’ai retrouvé l’ensemble des codes que je maîtrisais. Ce repère stable, m’a ensuite permis de reconstruire petit à petit une nouvelle normalité.
La stabilité-pivot qui agit comme un gouvernail pendant la tempête tourne souvent autour des valeurs, de la foi, des passions ou d’une relation intense. Identifier ce pivot de notre vie et s’y raccrocher au moment de changements importants permet de vivre celui-ci dans une relative sérénité, comme un enfant agrippé à son doudou.
Redéfinir la normalité
Le changement modifie les repères qu’on le veuille ou non. Lorsque le projet est fini, il n’y plus de réunions du comité de pilotage tous les lundis. Lorsqu’on se lance dans l’entrepreneuriat, le salaire ne tombe plus en fin de mois sans qu’on ait à y penser.
Même si le changement est choisi, la modification des repères est subie.
La normalité doit être réinitialisée puis redéfinie.
Quand je suis arrivé à Taïwan, j’ai très vite dû admettre qu’il était normal de manger avec des baguettes et non avec une fourchette. En le refusant, j’aurai maigri rapidement !
Quand il se lance dans l’entrepreneuriat, le cadre d’un grand groupe doit admettre qu’il est normal de caler soi-même ses rendez-vous, ou de remplir les formulaires administratifs. La normalité n’est plus d’avoir un assistant ou une assistante.
Quand le confinement a démarré, nous avons dû accepter qu’il était normal de travailler à la maison, et de prendre un café avec ses collègues via Zoom.
Celles et ceux qui vivent mal le changement, sont celles et ceux qui vivent avec la normalité de l’ancien repère. Le décalage entre la réalité et leur vécu intérieur est fort. Ils ont l’impression de vivre à côté de leur vie, d’appartenir à un monde parallèle, d’être inadapté à la situation. Ce malaise peut être grave et conduire à un mal-être profond.
En mathématiques, le changement de repère est une arme puissante qui permet souvent de simplifier les équations. De même, accepter la nouvelle normalité simplifie grandement la vie de celles et ceux qui vivent un changement.
Accepter la nouvelle normalité revient à faire le deuil de l’ancienne. Affronter ce deuil et le résoudre nécessite de parcourir les 5 étapes de la courbe de deuil.
Imaginons un entrepreneur qui apprend la démission soudaine d’un employé clé.
déni : il reçoit l’annonce comme un choc et refuse de l’accepter. Il crie dans les couloirs “c’est pas possible”, et tente par tous les moyens d’empêcher son employé de partir.
colère : quand il comprend qu’il ne pourra pas retenir ce collaborateur, il éprouve une grande colère. “Comment peut-il me faire cela après tout ce que j’ai fait pour lui ?” Cette colère est générée par la peur que suscite cette situation : “Mais comment va-t-on faire pour terminer ce projet clé, si X n’est plus là ?”
tristesse : une fois la colère retombée, s’installe la tristesse de perdre un collaborateur avec qui on a vécu tellement de choses depuis la création de l’entreprise.
acceptation : à force de penser à la situation, des solutions apparaissent. On pense à Y pour remplacer X, et pouvoir ainsi enfin embaucher une nouvelle personne avec un profil qui manquait dans l’entreprise. Le fait d’entrevoir des éléments positifs à cette situation permet de l’accepter.
sérénité : les solutions sont maintenant en place et la situation s’est même parfois améliorée. La sérénité peut revenir et le départ de X devient un évènement de l’histoire de l’entreprise et non plus seulement un drame.
Suivant la nature et la violence du changement, la courbe de deuil peut prendre de quelques minutes à quelques années. Certaines personnes n’arriveront peut-être pas à franchir une des étapes et resteront bloquées. Il conviendra alors de s’en rendre compte et de les accompagner à avancer.
La prise de conscience des étapes du deuil, l’accompagnement par une personne étant déjà passée par là et une vision optimiste des situations aident à redéfinir la nouvelle normalité et retrouver ainsi la sérénité.
La normalité banale
Les changements ne sont pas toujours extraordinaires ou dramatiques. Néanmoins, même de petits changements dans des domaines qui nous importent, peuvent être perturbants et agir comme des cailloux dans la chaussure. Quelques conseils qui peuvent aider dans ces cas-là :
vivre le présent : le passé appartient au monde des souvenirs. Le futur appartient au monde des rêves. Seul le présent appartient au monde des vivants. Vivre dans la nostalgie d’un passé idéalisé ou dans le rêve d’un avenir meilleur, empêche de vivre pleinement l’instant qui passe, et donc empêche d’agir sur sa vie. La passé est figé et le futur n’existe pas encore. Il est donc simplement possible d’agir dans le présent, à condition toutefois d’y être pleinement présent.
vivre la gratitude : la vie est donnée. Chaque instant nous appartient. Même dans la banalité, savoir s’émerveiller sur le moment qui passe donne du sens et remplit de sérénité. En prévision du printemps prochain, je fabrique en ce moment des jardinières avec la technique traditionnelle japonaise du bois brûlé dite Shou sugi ban. J’en ai plusieurs à faire et le process comporte plusieurs étapes répétitives : découpe des planches, brûlage, grattage, re-brûlage, enduction d’huile, assemblage, protection, remplissage. Cela pourrait paraître fastidieux. Je m’arrête parfois quelques secondes pour conscientiser l’instant et apprécier ce moment de simplicité en connexion avec la nature et avec la matière.
ne pas comparer : la comparaison avec autrui est source de frustration et d’envie. Même s’il est très difficile de ne pas faire de parallèle entre sa propre situation et celle de son collègue, de son ami et d’un inconnu dont on a vu l’histoire sur les réseaux sociaux, nous ne sommes pas obligés de faire une fixation sur cela. Évacuer rapidement la comparaison permet de se recentrer sur sa propre normalité. De même, se comparer à soi-même dans une autre période de sa vie, pour essayer de revivre une normalité qui fut agréable, ne peut qu’être frustrant car chaque situation est unique. J’ai développé cela dans UPI#29.
La vie n’est qu’une succession de changements subis ou choisis. Tout changement n’est qu’un pas dans l’inconnu à faire en changeant de repères pour vivre avec la bonne normalité. Vivre la normalité correspondante à la situation nouvelle permet de traverser la situation plus sereinement, plus efficacement et certainement plus joyeusement !
Pour aller plus loin
Embrassing change : conférence TEDx de Marco Marsans
How changing your mindset can help you embrace change : conférence TEDx de Manu Shahi
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Du 14 au 16 mars 2023, nous organisons la 5ème édition du West Data Festival, le plus grand évènement de l’Ouest consacré à la data et à l’intelligence artificielle.
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Formidable, comme d'habitude. Bravo !