Ça y est ! Le premier gros plan social en France en lien avec l’introduction d’une IA générative vient de se produire, moins d’un an après le coming-out de ChatGPT.
Onclusive une entreprise de veille informationnelle a licencié 217 salariés pour les remplacer par une IA1.
Il est intéressant de lire les réactions outrées, choquées, fatalistes des uns et des autres en fonction de leur sensibilité et de leur degré de connaissance des logiques d’innovation.
Qu’est-ce que cette actualité nous apprend sur l’innovation, le sens du travail, et l’attitude à adopter au regard du futur ?
Alors que la technologie de l’IA ne fait qu’apparaître et reste encore limitée bien que déjà très impressionnante, et que d’autres avancées majeures se préparent (voir par exemple les résultats obtenus récemment à Los Alamos), il est urgent de réfléchir et d’adopter les bonnes attitudes.
A lire et relire
Dans cette nouvelle rubrique, je vous propose de relire quelques articles anciens que je regroupe par thème.
Le sport offre de formidables leçons d’innovation, d’entrepreneuriat ou de management. En voici quelques-unes :
#8 Faites comme Zidane : travailler ses forces pour en faire des armes fatales
#12 Et si Thierry Henry avait raison ? : une belle leçon sur l’usage du temps
#68 Sculpteur d'eau : les leçons de management de Laurent Tillie
#69 Simplicité et indépendance : les leçons d’innovation de Dick Fosbury
La destruction créatrice
Joseph Schumpeter a très bien théorisé le rôle de l’innovation dans l’économie. En offrant des moyens différents de créer rapidement de la valeur, l’innovation permet de rebattre les cartes du partage de la richesse, entrainant le plus souvent la destruction de pans entiers de l’activité soudain devenus obsolètes.
Il montre aussi que l’innovation se présente en grappes : une première rupture souvent technologique permet toute une série d’autres innovations moins importantes, mais génératrices de nombreuses applications modifiant en profondeur les usages dans presque tous les secteurs d’activité.
La disparation rapide de métiers traditionnels à l’apparition d’une technologie innovante n’a rien de nouveau et constitue l’histoire du progrès humain depuis la nuit des temps.
Le concert des gens effarouchés qui s’offusquent de cette réalité qu’ils croyaient réservée aux autres n’est donc qu’une énième manifestation de la défense d’intérêts particuliers.
Même sans connaître Schumpeter, chacun devrait comprendre que le cycle de la vie comprend la mort et que rien sur cette terre n’est éternel. Une entreprise, pas plus qu’une technologie ne sont faites pour subsister ad vitam æternam. Tout est appelé à se démoder, décliner, disparaître, et finalement mourir pour être remplacé par autre chose. Les entreprises centenaires entretiennent l’illusion que puisque c’est possible de faire durer une entreprise, ce devrait être la norme. La statistique est tout autre.
Perdre son travail brutalement est certes dramatique à l’échelle individuelle, mais dans le cas présent de l’exemple cité en introduction, il était très hautement prévisible, vu la nature de l’activité, que la fin était proche. Les interviews de personnes du secteur disant qu’elles ne se doutaient de rien prouvent si besoin en était que l’homme choisit le plus souvent la stratégie de l’autruche pour éviter de se remettre en question.
La concession que l’on peut éventuellement faire à ceux qui stigmatisent la technologie et plus largement le capitalisme à l’origine de tous les maux sociaux, est que la vitesse de pénétration de l’innovation s’étant considérablement accélérée, les transformations sont beaucoup plus rapides et mettent ainsi sur les individus une pression qui n’est pas supportable de la même façon par tous.
Une fois qu’il est acquis que l’innovation est là et que son impact destructeur se fera sentir tôt ou tard, la question n’est plus de savoir qu’elle est la meilleure méthode pour mener un combat d’arrière-garde perdu d’avance, mais la question est, tant à l’échelle de l’individu que de l’entreprise ou même de la nation, “quelle attitude adopter pour sortir vainqueur du chamboulement ?”.
Sortir la tête du sable
Je questionne régulièrement les gens que je rencontre (entrepreneurs, responsables associatifs, cadres de la fonction publique) sur leur usage de ChatGPT.
Je suis frappé du faible taux de celles et ceux qui ont même seulement essayé. Pourtant, s’il est une innovation qui ne présente strictement aucun des freins classiques à l’usage (coût, complexité, temps d’apprentissage), c’est bien celle-là. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, il est possible de commencer à utiliser cet outil pour découvrir ce qu’on peut faire avec.
“100% des gagnants du loto ont acheté un ticket”. Pour paraphraser cet adage, il est aussi évident que “100% des gens qui échapperont aux ravages de l’IA dans leur domaine, sont ceux qui auront essayé pour comprendre comment s’en servir”.
Le premier effort à faire (un bien grand mot, car comme dit plus haut l’effort est quasi nul) pour se préparer et s’adapter aux évolutions est d’arrêter de faire l’autruche et se mettre tout de suite en besogne. Tout entrepreneur, manager ou responsable qui ne sort pas aujourd’hui la tête du sable se met en position délicate pour l’avenir.
Développer la créativité et l’émotion plutôt que le process
Pour le moment les IA sont encore assez bêtes et ne sont performantes que pour des tâches relativement bien définies. En les enchaînant pour effectuer un cycle de tâches, elles peuvent donc remplacer l’homme dans des process structurés.
Les métiers les plus menacés par l’IA dans un délai assez court sont donc les métiers où le process est prépondérant. Ils sont nombreux : les métiers du chiffre (reporting, analyses simples, production de rapports financiers), les métiers juridiques (génération de contrats, analyse de jurisprudence, traitement de cas relativement répétitifs), les métiers administratifs (traitement de dossiers, contrôle), les métiers du conseil (analyse d’une situation à partir de documents, production de synthèse, benchmark), les médias (veille, rédaction d’articles, exploitation des news d’agence de presse), le web marketing (production de contenu pour le SEO, rédaction de posts), le développement logiciel, … La liste est très longue, ce qui provoque sans doute cette angoisse montante, presque généralisée, des salariés du tertiaire.
Pourtant à bien y réfléchir, nombre de ces métiers sont répétitifs, relativement ennuyeux, et nécessitent des compétences limitées. La Covid en renforçant la perte de sens de certains de ces métiers aussi qualifiés de “bullshit jobs” a provoqué une prise de conscience qui semble perdurer.
Je suis souvent frappé en visitant les usines les plus modernes, du niveau de technicité des opérateurs qui s’éloignent de plus en plus de l’image d’Épinal des ouvriers effectuant des tâches répétitives. Quasiment l’intégralité de ces tâches répétitives ont été automatisées, et l’opérateur est là pour gérer la machine, traiter les cas complexes, arbitrer, analyser le flux de données, superviser.
L’heure est venue de faire cette même transformation dans les bureaux. Depuis les années 1980 et l’arrivée de l’informatique dans les métiers de service, le travail de bureau s’est coloré d’un certain prestige au détriment du travail manuel. Travailler sans se salir et sans employer la force physique, semblait tellement plus valorisant que d’être toute la journée dans la saleté et le bruit. Les parents et les enseignants ont donc orienté des générations de jeunes vers le “nirvana” qui consistait à passer sa vie assis sur un fauteuil devant un ordinateur. L’employé de bureau est pourtant devenu l’OS (ouvrier spécialisé) du 21ème siècle.
L’IA va supprimer la plupart de ces emplois et comme à l’usine ne laisser que des postes de supervision, contrôle, arbitrage et créativité.
Toutes les entreprises de service et les organisations administratives qui s’appuient massivement sur le process doivent donc enclencher au plus vite une réflexion articulée autour de deux axes : repenser le process pour l’automatiser grâce à l’IA et imaginer de nouveaux métiers pour les humains en lien avec l’amélioration de la relation client, la personnalisation extrême du service, la RSE, l’innovation et la créativité pour renouveler en permanence les modèles.
Au lieu de chercher à former les employés à respecter des process et à intégrer une façon de faire standardisée, il va falloir désormais développer chez eux la créativité et l’intelligence émotionnelle.
Finalement, l’IA arrive au bon moment pour remplacer toutes celles et ceux que la COVID a fait réfléchir et qui se sont réorientés. Restent toutes celles et ceux qui n’ont pas osé le faire et pour qui l’arrivée de IA pourrait fournir une opportunité d’évolution à condition bien sûr que les entreprises soient responsables et proposent ces évolutions vers des métiers plus créatifs. Les services RH vont devoir changer !
Un renversement de la hiérarchie des métiers
Les métiers de bureau associés au process disparaissant avec l’introduction de l’IA, quels seront les métiers de demain ?
L’IA seule ne fera pas tout, et nous l’avons vu plus haut, de nouveaux métiers plus créatifs et plus orientés sur la relation humaine apparaîtront dans ces mêmes entreprises de process administratif pour humaniser et dérigidifier les choses. Qui n’a jamais rêvé que son dossier administratif standard soit traité sans erreur dans les meilleurs délais par une machine, mais que par contre pour prendre en compte son cas particulier, un humain empathique, créatif et doté d’un certain pouvoir, puisse trouver une solution adaptée ? Ce nouveau métier de “solutionneur de cas particuliers” qui n’existe pratiquement pas serait pourtant plus épanouissant pour l’employé, à plus forte valeur ajoutée et générateur d’une image bien plus positive pour l’entreprise.
Il apparaît cependant évident que tous les employés de bureau remplacés par une IA ne pourront être réemployés par la même entreprise dans les métiers décrits dans le paragraphe précédent.
Que vont-ils donc devenir ? Il est toujours compliqué de prédire avec assurance ce qui peut exactement se passer dans les périodes de transition profonde. Je vous donne ici seulement mon pari, mais qui est aussi mon souhait.
Les métiers manuels et de service direct (un humain en face d’un humain) seront pour moi les futurs nouveaux métiers attractifs. On retrouve ici les caractéristiques mentionnées plus haut, créativité et relations humaines.
J’étais hier dans un EPHAD où j’ai vu toute l’après-midi un personnel extraordinaire, dévoué, gentil, souriant, bienveillant, créatif et on peut le dire heureux de travailler au service des résidents dans un esprit de famille évident. Bien qu’ils soient durs, ces métiers ont beaucoup de sens et enrichissent certainement celles et ceux qui les pratiquent avec dévouement.
Mon fil Instagram est rempli de “reels” montrant les réalisations incroyables d’ébénistes créatifs, ou de paysagistes bâtisseurs. Il est évident que de tels métiers procurent beaucoup de fierté et une grande satisfaction du travail bien fait.
Je crois et je souhaite que la disparition des métiers administratifs facilement remplacés par une IA permette le développement des métiers manuels et des métiers de la relation humaine. Pour cela, il y a 4 défis majeurs à relever :
Que les parents, le système éducatif, et les médias comprennent enfin la vraie valeur de ces métiers et véhiculent un message positif à leur sujet auprès des jeunes et moins jeunes en quête de sens. Que par une sorte de vases communicants du prestige des carrières, la disparition en masse des métiers de bureau revalorise les métiers manuels et ceux de la relation humaine.
Que la formation initiale et la formation professionnelle évoluent en profondeur pour s’adapter aux attentes de ces métiers bien différentes de celles des métiers du process administratif. Une solution est sans doute d’accélérer aussi l’innovation dans ce grand secteur de la formation qui malheureusement tarde à se réinventer.
Que l’innovation pénètre aussi ces secteurs traditionnels pour alléger la difficulté physique et psychologique des métiers.
Que de nouveaux modèles économiques soient trouvés, et c’est sans aucun doute le plus grand défi à résoudre probablement à l’échelle européenne. En effet, le remplacement des humains par l’IA déplacera la valeur vers les prestataires opérateurs de ces IA. Tel que nous sommes partis, le risque qu’elle soit accaparée par les grandes sociétés technologiques américaines et chinoises est plus qu’avéré. L’Europe doit donc à la fois développer sa propre technologie et réguler intelligemment le marché pour capter une partie de la valeur créée par les IA et la redistribuer dans les autres secteurs de l’économie plus traditionnelle, ce qui permettra d’augmenter les salaires et rendra ainsi ces métiers beaucoup plus attractifs.
Agir avant de subir
La technologie n’est ni bonne ni mauvaise en soi. C’est l’usage qui en est fait qui produit des conséquences bonnes ou mauvaises. Mais là aussi, bonne ou mauvaise dépend souvent du point de vue. Le salarié licencié pour être remplacé par une IA la jugera mauvaise. Le client qui bénéficiera d’un service plus fiable, plus rapide et moins cher la trouvera bonne.
Au global la balance peut pencher dans un sens ou dans l’autre. L’IA peut être une formidable opportunité de réduire le nombre de “bullshit job”, d’économiser des budgets colossaux pour les réaffecter à des actions ayant plus de sens, de libérer l’humain du carcan administratif pour redonner de la place à la relation, mais elle peut aussi bien conduire à un enrichissement démesuré de certains et jeter un grand nombre de personnes dans la pauvreté, elle peut aussi aliéner les libertés et servir les mauvaises intentions de quelques tyrans.
Ce qui est certain en tous cas, c’est que la passivité et l’attente pour voir ce qui arrivera est la mauvaise attitude à avoir.
Tant au niveau individuel qu’au niveau de l’entreprise, je vous invite à agir.
A chacun de s’emparer du sujet, de tester, de chercher à comprendre pour voir comment se libérer de tâches ingrates et consacrer plus de temps aux tâches épanouissantes, de profiter de l’IA pour devenir plus performant et donc moins vulnérable. Et si rien de cela n’est possible, il est sage de se former pour devenir plus créatif, de développer son aptitude à la relation et son ouverture aux émotions, pour préparer un changement de métier et rejoindre un secteur où l’IA ne sera pas une concurrente.
Au niveau de l’entreprise, le défi est passionnant : intégrer l’IA pour améliorer la performance, développer le service, dégager des ressources à consacrer à de nouveaux projets, à une meilleure rémunération des salariés, à une meilleure prise en compte de la RSE. En commençant tout de suite, une entreprise pourra s’adapter en douceur et prendre de l’avance sur ses concurrents. En attendant d’être acculée au changement quand la pression sera insupportable, l’entreprise se condamne à payer le prix fort, subir le mécontentement des clients et des salariés, et probablement se mettre en danger de disparaître.
Internet a été une révolution qui a bouleversé beaucoup de nos habitudes, mais principalement en ajoutant des opportunités et des services. Il était possible de vivre sans internet et de continuer à travailler comme avant ou presque.
L’IA est une révolution probablement encore plus bouleversante, car elle remplace l’existant. Internet a permis à un commerçant d’ajouter à sa boutique une activité de e-commerçant et développer ainsi son chiffre d’affaires. L’IA permet de fournir le même service mais plus vite, plus efficacement et moins cher. La différence entre l’entreprise qui l’adopte et celle qui ne l’adopte pas sera beaucoup importante que dans le cas d’internet. Les effets se feront sentir beaucoup plus rapidement aussi.
Pour une fois que le premier pas dans l’inconnu est simple à faire, je vous invite donc à agir sans tarder.
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Mardi 10 octobre 2023, de 8h à 10h
À la Maison de la Technopole, Laval
Quelle est la valeur que vous apportez à vos clients ?
Vous interagissez tous les jours avec eux, vous les rencontrez fréquemment, ils achètent vos produits et services, ils reviennent même vous voir de temps en temps, … Mais savez-vous vraiment ce que vos clients viennent chercher auprès de vous ? Quelle valeur viennent-ils trouver auprès de votre entreprise ?
Lors de cette matinée, nous vous proposons de (re)découvrir les outils du « Value Proposition Design » (conception de proposition de valeur) qui permettent de mettre vos clients au cœur de toute réflexion au sein de l’entreprise et de définir la valeur que vous leur apportez ou pouvez leur apporter.
Intervenante : Charlotte Duval, chargée d’accompagnement des entreprises, LMT.
Programme : Présentation introductive, et atelier d’expérimentation des outils de la méthode « Value Proposition Design ».
Et comme toujours, échanges et convivialité seront au rendez-vous !
Prêt·e à définir votre valeur ?
« Retenez. ONCLUSIVE. Le 1er plan de licenciements massifs en raison de l’IA ! », Charles Sannat, insolentiae, 20/9/2023.
Christian bonjour, c'est effectivement à la fois fascinant et inquiétant mais comme toute révolution liée à une innovation qui transforme les habitudes et bien plus.
La peur.... un autre sujet.
L'arrivée de l'électricité avant l'ère d'internet a marqué aussi son époque. Et aujourd'hui quel bonheur d'avoir une machine à laver par exemple :) ou un frigo !
Encore une fois merci pour cette lecture.