En ce moment nous cherchons à recruter un accompagnateur de startups pour notre incubateur (d’ailleurs si cela vous intéresse ou si vous connaissez quelqu’un, envoyez-moi un message) et les candidatures reçues m’ont inspirées le thème de cet article.
Tout le monde peut-il faire certains métiers ? Peut-on réellement changer de métier ? Les compétences sont-elles plus importantes que les qualités personnelles ou bien est-ce le contraire ? Au fond qu’est-ce qui est vraiment important dans un recrutement ?
Recruter est l’activité la plus importante d’une entreprise, en tous cas celle qui est porteuse du devenir de l’entreprise. J’ai déjà écrit sur ce sujet dans UPI#28 mais j’aborde ici d’autres facettes de cette activité difficile, qui aideront celles et ceux qui doivent recruter, mais aussi celles et ceux qui souhaitent changer de métier.
Avant de commencer
J’ai encore rencontré cette semaine plusieurs lectrices et lecteurs qui m’ont partagé leur appréciation. Merci. Si vous aussi vous appréciez Un pas dans l’inconnu, si cette Newsletter vous aide, merci de la partager.
Cette semaine, plusieurs lecteurs m’ont aussi suggéré des sujets à traiter. Ceci est super important et je les remercie. N’hésitez pas à me proposer des questions, des sujets à aborder, cela m’aidera à coller au mieux à vos attentes et m’évitera de perdre trop de temps à chercher sur quoi écrire.
Il n’existe pas de métier facile
Entre 2013 et 2018, nous avons tenu un commerce qui vendait des produits de startups. Je raconte cette histoire dans UPI#27. Ce fut une aventure très éducative à plusieurs titres.
Je confesse humblement que je ne connaissais rien au commerce de centre-ville quand j’ai lancé cette idée. Depuis des décennies, je fais comme vous régulièrement mes courses, et peut-être comme vous, j’avais l’impression de comprendre ce métier.
Jamais en montant dans un avion, je penserais être capable d’être pilote. Jamais en allant à l’hôpital, je penserais pouvoir remplacer le chirurgien. Et pourtant, parce que j’étais souvent entré dans une boutique, je pensais pouvoir devenir commerçant.
Je m’excuse auprès des commerçants d’avoir imaginé que leur métier était facile. J’ai compris en l’exerçant et grâce à des conseils que j’ai reçus, que le métier de commerçant est difficile, demande des compétences multiples et précises, et des qualités personnelles importantes. Aujourd’hui, quand je rentre dans un commerce, j’ai un tout autre regard.
Cette expérience m’a enseigné que tout métier ayant l’air simple comprend son lot de difficultés, tout métier ayant l’air simple nécessite une compétence spécifique, et aucun métier ne s’appréhende du jour au lendemain.
Recruter pour un poste ayant l’air simple n’est pas simple
Mais c’est quoi un métier ayant l’air simple ? C’est un métier dont la face visible est lisible pour quasiment tout le monde, car elle fait apparemment appel aux capacités communes : parler, communiquer, faire des gestes simples. Ces métiers sont nombreux : les métiers de l’enseignement primaire, de la communication, de l’accueil, du commerce, de la propreté, du service en restauration, de l’administration, …
Les métiers dont tout le monde pense qu’ils sont complexes sont ceux pour lesquels la dominante première est extrêmement technique et apparait abscons car très éloignée de la vie ordinaire : le développement informatique, la médecine, la justice, la recherche, … ou ceux qui nécessitent un talent dont tout le monde admet aisément qu’il n’en est pas doté : les métiers d’art, les sports professionnels, la cuisine gastronomique, …
Le processus de recrutement d’un métier ayant l’air simple et d’un métier ayant l’air complexe peut être assez différent.
Il ne viendra à l’idée d’aucune infirmière de candidater pour un poste de pilote de ligne. Candidater pour un métier ayant l’air complexe revient donc à passer au travers de filtres étroits, et toute personne sensée va s’autoréguler. Le travail du recruteur s’en trouve facilité. Les candidatures reçues sont quasiment toutes admissibles. Le choix se fait sur les détails, sur des traits de personnalités, sur des niveaux d’expériences.
Nous cherchons donc à recruter un accompagnateur de startups, qui au vu des candidatures reçues tombe dans la catégorie des métiers qui paraissent simples. Comme en plus, nombre de métiers paraissant simples paraissent aussi intéressants, les candidatures exotiques arrivent. Le choix devient alors moins évident, et la pédagogie pour écarter tous ceux qui se sont fourvoyés, s’impose.
La performance d’un candidat à un métier ayant l’air simple réside le plus souvent dans les fameuses “soft skills” si difficiles à évaluer au cours d’un entretien, et dans une multitude de détails plus techniques qu’il peut être laborieux de vérifier.
Recruter pour un métier ayant l’air simple nécessite donc pour l’employeur d’avoir très bien cerné les principales qualités personnelles indispensables au poste à tenir et imaginé une méthode pour les évaluer. Cela implique aussi d’avoir listé les compétences de détail nécessaires, pour évaluer l’écart qui sépare le candidat de celles-ci et estimer le temps qu’il faudra pour acquérir celles qui lui manquent. Ces éléments doivent d’ailleurs servir à alimenter la rédaction de l’offre d’emploi.
Autant un poste de pilote ne peut être pourvu que par un pilote, autant une hôtesse de l’air peut devenir une excellente vendeuse. Mais toute hôtesse ne peut pas systématiquement devenir vendeuse. Les bonnes surprises potentielles sont immenses, mais les désillusions sont tout aussi importantes.
Recruter pour un métier ayant l’air simple offre des opportunités incroyables de révéler des personnes. Le flair du recruteur doit être bien ajusté pour imaginer la candidate ou le candidat dans son futur poste puisqu’il n’a que peu d’éléments de comparaison auquel se raccrocher.
Candidater à un poste ayant l’air simple
Vous pensez pouvoir candidater à un métier qui n’est pas le votre mais qui vous parait accessible. Il va falloir identifier tout ce qui dans votre personnalité et votre expérience passée est transposable dans le métier auquel vous postulez.
Une fois cet exercice fait, il faut vérifier que les éléments centraux pour le recruteur sont bien présents.
Vous avez créé une entreprise et vous pensez être légitime pour devenir accompagnateur de créateur d’entreprises. En fait cette expérience vous a permis d’acquérir quelques savoirs fondamentaux du métier de l’entrepreneur. Mais en réalité, elle ne dit rien de votre capacité à devenir un bon accompagnateur. Les qualités fondamentales de l’accompagnateur que sont l’écoute, la capacité à questionner, la curiosité, l’assertivité, la faculté à faire du lien ne sont pas nécessairement présentes chez un entrepreneur.
De même si vous êtes ingénieur et avait acquis une bonne maîtrise des technologies et des processus d’innovation dans une grande entreprise, vous avez une expérience qui vous sera utile pour accompagner un créateur de startup. Mais que savez-vous du marketing, de l’écoute client, du commerce qui sont bien plus importants que la technologie lorsqu’on accompagne une startup ? Après un passage dans une grande entreprise, saurez-vous adopter l’agilité nécessaire à l’univers des startups ?
Au travers de cet exemple en lien avec mon actualité, je veux vous faire prendre conscience de tous les biais qui vous font croire qu’une expérience en lien avec un métier et un goût pour celui-ci peuvent suffire à justifier une candidature.
Avant de s’illusionner et de s’empresser à candidater, il convient de valider une à une les qualités et les compétences transférables, en vérifiant qu’elles sont bien au centre des qualités et compétences nécessaires, et non seulement des “nice-to-have” périphériques.
Mais alors, peut-on changer de métier ?
Pendant des siècles, les hommes exerçaient le même métier durant toute leur vie.
Selon une étude récente, 49% des français ont déjà réalisé (17%), entamé (18%) ou seulement envisagé une reconversion professionnelle1. Le confinement a certainement encore accentué ce désir de changement.
Pour ma part, j’ai effectué une reconversion assez radicale il y a 20 ans. De chercheur en physique, je suis devenu accompagnateur d’entreprises qui veulent innover.
Changer de métier demande une forme de renoncement. Il faut accepter d’abandonner le confort de l’expertise de son métier précédent, pour se remettre dans la posture humble du débutant.
Changer de métier est un vrai pas dans l’inconnu, car il est très difficile de se projeter dans une activité que l’on connait mal.
Les raisons de quitter un métier sont nombreuses et dépendent de chaque individu. Une ou plusieurs raisons s’imposent et deviennent si fortes qu’un jour il y a passage à l’acte.
S’il est simple de savoir pourquoi on veut quitter un métier, il est plus difficile de comprendre quel métier nous satisfera plus.
Pour ma part, j’avais l’impression d’avoir fait le tour de mon premier métier, mais surtout, je savais qu’au fond de moi, j’aspirais à une autre dimension. Les calculs et les expériences de physique sont intellectuellement stimulants, mais ne font que peu de part à l’émotion et aux relations humaines. Je souhaitais exercer un métier où l’humain aurait une place centrale. Mais lequel ?
La perception d’un métier depuis l’extérieur est souvent fausse. Avant de se lancer dans une formation ou de candidater à un nouveau métier, il est essentiel de bien se renseigner en interrogeant des professionnels ou pourquoi pas, en faisant un stage de découverte comme le propose la startup Testunmétier.
10 000 heures pour l’excellence ?
Le psychologue suédois Anders Ericsson est un spécialiste de la performance. Dans les années 90, il a étudié le nombre d’heures nécessaires pour atteindre un haut niveau d’expertise. Après avoir analysé des violonistes, il a observé que les meilleurs avaient pratiqué au moins 10 000 heures pour être au sommet de leur art.
Même si ce chiffre rond n’a rien de magique et si cette théorie a été ensuite critiquée par Ericsson lui-même, il exprime la nécessité d’une pratique assez longue pour atteindre l’expertise.
Dans le domaine du travail, 10 000 heures représentent entre 5 et 7 ans de pratique. J’ai eu l’occasion de vérifier cela par trois fois dans ma carrière. Au bout de 5 ans dans le même poste, on commence en effet à avoir l’expertise et l’expérience qui permettent d’exercer son métier à un très bon niveau.
Lorsqu’on change de métier, il est donc indispensable de comprendre qu’il faut de la patience avant de retrouver le niveau de confort et de qualité que l’on avait dans son métier précédent.
L’expérience acquise dans un métier, sera toujours utile dans un autre quoique plus ou moins périphérique. Quelqu’un ayant déjà exercé un autre métier apportera toujours un plus par rapport à un débutant, car toute expérience enrichit tout métier et peut même donner une perspective nouvelle et régénérante.
Quand je suis passé de physicien à accompagnateur d’entrepreneur, mon expérience de conduite de projet et du management, ma longue pratique des technologies complexes, ma capacité à questionner le réel ont été des aides précieuses mais insuffisantes. J’ai dû apprendre la finance, la communication, le marketing, les bases de la psychologie, et le coaching.
Changer de métier demande du courage, car il va falloir travailler plus fort pour retrouver un bon niveau d’expertise.
Une conclusion à deux faces
Réussir un changement de métier nécessite de passer par quelques étapes fondamentales :
bien identifier ses aspirations
ne pas s’arrêter aux impressions superficielles attirantes d’un nouveau métier, mais se renseigner en échangeant avec des professionnels
valoriser dans ses compétences et son expérience, ce qui sera mobilisable et central dans le nouveau métier visé
conscientiser ses lacunes principales et travailler rapidement à les combler
être prêt à reprendre la posture du débutant
fournir pendant les premières années un effort important pour se former.
Recruter quelqu’un qui a déjà tenu ailleurs exactement le même poste peut paraître rassurant, mais en réalité cela pose question. Pourquoi quelqu’un ayant déjà occupé un poste pendant plus de 5 ans ailleurs voudrait-il changer pour reprendre exactement le même poste ? Je ne trouve aucune réponse à cette question, qui puisse rassurer un recruteur.
Recruter quelqu’un qui change radicalement de métier ou qui évolue fortement présente un risque mais peut cacher une très belle surprise. Cela demande d’évaluer la candidate ou le candidat en suivant la check-list suivante :
savoir quelles sont les compétences qu’on accepte de ne pas trouver au départ
identifier ses compétences qui seront immédiatement opérationnelles
valider que les qualités clés indispensables sont présentes
s’assurer de sa motivation et en comprendre pourquoi il y a volonté de changement
vérifier sa curiosité, sa volonté de faire des efforts et sa passion
être prêt à s’investir dans sa formation après le recrutement.
Changer de métier tout comme recruter quelqu’un qui change de métier sont autant de pas dans l’inconnu, bourrés de risques mais porteurs de belles surprises !
Pour aller plus loin
Career change: the questions you need to ask yourself now: une conférence TEDx par Laura Sheehan
Comment changer d’activité professionnelle en 5 étapes ? : une conférence TEDx par Yves Patte
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Mardi 12 octobre 2021, de 8h à 10h à la Maison de la Technopole, Laval
Dessine-moi ton client :
Outils & bonnes pratiques pour mieux connaître et répondre aux besoins de votre clientèle.
Vous interagissez tous les jours avec elle, vous la rencontrez fréquemment, elle achète vos produits et services, elle revient même vous voir de temps en temps, … Mais connaissez-vous vraiment votre clientèle ?
Lors de cette matinée animée par Charlotte Duval, chargée d’accompagnement des entreprises chez Laval Mayenne Technopole, nous vous proposons de (re)découvrir l’un des outils qui permet de mettre ses clients au cœur de sa démarche d’innovation : le personae.Et comme toujours, échanges et convivialité seront au programme de cette Matinée de l'Innovation.
Merci Christian pour ce partage et cette analyse que je trouve personnellement très juste vu mon expérience personnelle et parcours. Ce poste que vous proposez d'accompagnateur de Start up doit être passionnant. Quoi de plus valorisant que d'accompagner vers la réussite ?