Ce mois-ci, M6 diffuse la saison 2 de “Qui veut être mon associé ?” (QVEMA), une émission qui met en scène des entrepreneurs qui viennent pitcher devant des investisseurs business-angels.
Au-delà du côté nécessairement théâtralisé de ce type d’émissions, de vrais messages sont passés, et ceux-ci vulgarisent l’envers du décor de l’aventure entrepreneuriale.
Elles constituent une excellente occasion pour celles et ceux qui se lancent ou voudraient se lancer de comprendre certains éléments clés du succès.
En regardant QVEMA, vous vivrez un peu ce que nous, les professionnels de l’accompagnement d’entrepreneurs vivons au quotidien. Cependant, c’est de la TV grand public et le rythme doit être dynamique. Il n’y a pas toujours le temps de s’attarder sur une situation et d’en faire la pédagogie.
Je vous propose donc de décrypter pour vous quelques leçons issues des deux premières soirées de cette saison 2. Il n’est pas nécessaire d’avoir vu les émissions pour lire et apprécier cet article. Je recontextualise pour que le texte soit accessible à toutes et à tous.
Les leçons tirées de l’émission s’appliquent pour partie à d’autres situations que l’entrepreneuriat et peuvent donc concerner chacune et chacun.
J’ai lu pour vous
Comme promis dans UPI#77, j’inaugure une nouvelle rubrique qui vous plaira j’espère. Je partage quelques articles (ou vidéos) pas forcément récents que j’ai lus (ou vues) récemment et que j’ai trouvé intéressants. Je vous informe tout de suite que ce sera assez hétéroclite, en français ou en anglais !
Depuis que la Finlande reloge tous ses SDF, elle gagne 75 millions d’euros par an, Hilaire Picault, Les éclaireurs, Canal+ (10/12/2021). J’aime les paradoxes et les contre-pieds. Ils sont souvent à l’origine d’innovations décapantes. Celle présentée dans cet article s’oppose aux idées reçues et mérite d’être vite copiée dans d’autres pays.
Protocols, Not Platforms: A Technological Approach to Free Speech, Mike Masnick, Columbia University (08/2019). Les plateformes de réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc…) sont critiquées de toutes parts sur la menace qu’elles représentent sur notre vie privée, la démocratie, la concurrence, la liberté d’expression ou la santé mentale des individus. Cet article présente clairement les différents problèmes et propose une solution pour essayer de les résoudre en favorisant l’émergence de protocoles universels qui permettraient plus facilement la concurrence et la juste répartition de la valeur des données.
Interview vidéo de Guillaume Moubèche le fondateur de Lemlist (11/2021) : la startup Teale, spécialiste de la santé mentale a lancé une série d’interviews vidéo d’entrepreneurs où ils se livrent sur des sujets rarement abordés : les difficultés liées au mental et aux relations humaines. Dans cette épisode, Guillaume Moubèche décrypte le sujet des relations entre associés et celui de l’alignement abordé aussi dans UPI#9)
J’espère que ces ressources vous inspireront et vous aideront à progresser. Si vous aussi, vous découvrez des pépites, n’hésitez pas à me les partager. Je pourrai les proposer ici si elles me parlent aussi.
N’oubliez pas de vous abonner à cette Newsletter pour la recevoir dans votre boîte mail, le mardi toutes les deux semaines.
Dans “Qui veut être mon associé ?”, les punchlines des investisseurs sont nombreuses et recèlent pratiquement toutes une vérité à comprendre et à appliquer.
Les internautes peu familiers avec l’exercice du pitch critiquent souvent ces remarques des investisseurs qui semblent crucifier définitivement les entrepreneurs pourtant méritants.
Qu’en tirer de positif ? Qu’apprendre des présentations des entrepreneurs, des réactions des investisseurs, de leurs façons de négocier ?
Le pitch parfait : un préalable à une bonne négociation
Dans UPI#35, je vous avais expliqué comment construire un pitch et travailler sur le fond. QVEMA nous enseigne plutôt la forme.
Les pitchs des entrepreneurs sont généralement très bons et constituent donc de bons exemples dont il faut s’inspirer.
Je retiendrais ici 4 grands principes qui permettent d’obtenir un pitch réussi sur la forme, le genre de pitch qui met en bonne position pour bien négocier :
raconter une histoire : le pitch doit embarquer l’auditoire. Quoi de mieux qu’une histoire ! L’histoire met en scène, contextualise, personnifie le projet. Elle permet d’expliquer le pourquoi, elle donne à comprendre les motivations profondes.
Nicolas Subra, le fondateur du Magicien Bio est un jeune magicien de 22 ans. Il a créé une marque de boissons saines et bio soutenue par un univers fort autour de la magie. Son pitch est réussi, mais pourtant Eric Larchevêque détecte chez lui le syndrome de l’imposteur. Nicolas n’a que 22 ans et souffre d’un manque de crédibilité lié à son âge. Il en vient à effacer son identité de son grimoire de recettes. Eric Larchevêque l’incite au contraire à s’affirmer et à faire de sa différence une force.
Le storytelling doit sublimer les points singuliers d’un parcours. C’est ceux-là qui serviront de points d’accroches pour les clients et les investisseurs, et au final emporteront la décision.laisser passer les émotions : lorsqu’une histoire est bien racontée, elle laisse transparaître des émotions. Comme l’histoire de l’entrepreneur puise souvent dans son passé, l’émotion n’est pas loin. Au lieu d’essayer de la contenir et de la contourner, il est bon de la laisser transparaître en évitant toutefois si possible de se laisser déborder.
Les deux premières soirées de cette saison de QVEMA ont été très riches en émotions, mais le moment le plus fort est sans aucun doute le passage de Frédéric Douin, le fondateur des éditions Douin. Son histoire comporte tout ce qu’il faut pour émouvoir : une passion pour les livres anciens, un mystérieux stock d’un million de livres anciens, une tumeur au cerveau qui a eu raison de sa première entreprise et un redémarrage qui s’apparente à une résurrection.
Bien que n’étant pas intéressé par ce sujet, bien que le projet soit assez peu étayé, Eric Larchevêque se laisse convaincre et termine la séquence la larme à l’œil.
A toutes celles et ceux qui en doutaient, les affaires sont aussi parfois des histoires d’émotions transmises.montrer son produit : quoi de plus explicite que le produit ou le service proposé. Bien sûr, il ne sera pas toujours possible de réaliser comme dans l’émission, une mise en scène sophistiquée de son produit.
Montrer, démontrer, faire tester, offrir, sont autant de possibilités qu’il faut au maximum exploiter en fonction de son produit.
Nelly Pitt, la fondatrice de BeautyMix, a été très convaincante en préparant en moins d’une minute une crème avec son robot cosmétique. Le voir permet de se rendre vraiment compte de la facilité d’utilisation de ce produit.
Raibed et Fatiha Tahri, les deux co-fondateurs de Pap et Pille, une marque de biscuits en boule inspirés du voyage, font évidemment goûter leur production. Leur pitch rempli d’émotions et leur produit original ont tellement plu qu’ils ont fait 100 000 € de chiffre d’affaires le soir de l’émission.
Youssef Zacharia, le fondateur de Meetinclass, un site qui permet de partager des cours de soutien scolaire, ne pouvant démontrer son produit a invité Ismaël son premier client en tant que témoin.
faire une demande précise : dans QVEMA, tous les pitchs comportent la phrase “je cherche xx milliers d’euros contre yy % de mon entreprise”. Sans doute imposée par la production pour clarifier la demande, cette phrase devrait figurer texto dans tout pitch devant des investisseurs.
Cette phrase comporte deux informations capitales : le besoin en financement pour développer l’entreprise à cet instant, et la valeur estimée de l’entreprise.
Le besoin en financement traduit à la fois l’ambition du projet et sa difficulté. Ce besoin ne doit pas être évalué légèrement, il doit correspondre à une étape précise à atteindre, et permettre de réaliser un plan d’action défini et chiffré en détail. Demander trop peu traduit un manque d’ambition, une certaine frilosité ou plus souvent une ignorance des besoins réels. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les investisseurs proposent souvent plus que demandé, car ils comprennent que ce ne sera pas suffisant.
Le pourcentage des parts accordé contre l’investissement traduit la valeur de l’entreprise. Cette valorisation est souvent trop élevée car les entrepreneurs surestiment leur idée et leur potentiel de réussite et sous-estiment la difficulté de réussir. Une valeur élevée leur permet aussi de céder le minimum de part tout en ayant un financement suffisant. La valorisation fera l’objet d’âpres négociations comme nous le verrons plus loin.
Les règles d’un bon pitch sont au final assez simples. Pour le réussir, il faudra aussi une bonne dose de préparation, et un maximum de sincérité !
L’art de la négociation
L’émission QVEMA est une grande séance de négociation. Les entrepreneurs cherchent à séduire les investisseurs en minimisant la part cédée. Les investisseurs cherchent à s’associer à des projets à potentiel important en évitant de les surpayer.
Que nous enseigne le passage des premiers entrepreneurs ?
J’ai analysé les résultats de la saison 1. Il y a eu 22 investissements réalisés sur 44 projets présentés. Contrairement à l’idée que se font parfois les entrepreneurs sur les investisseurs, 10 opérations se sont soldées par une proposition d’investissement d’un montant supérieur à la somme demandée. Concernant la valorisation, 6 opérations se sont faites à la valorisation proposée par l’entrepreneur, 2 à une valorisation supérieure et 14 à une valorisation inférieure. Les valorisations proposées par les investisseurs peuvent être jusqu’à deux fois inférieures à celles des entrepreneurs. Ces tendances semblent se poursuivre pour la saison 2.
bien estimer sa valorisation : sachant qu’il va y avoir une négociation, on peut être tenté d’augmenter la valorisation demandée. Cette approche ne doit pas être systématique, car les résultats ci-dessus prouvent aussi que les investisseurs peuvent y aller à la valorisation demandée ou à une valorisation supérieure. La décote n’est donc pas systématique.
Bien estimer la valeur de son entreprise démontre une lucidité et une capacité à admettre la réalité. Ces points sont très appréciés des investisseurs.En surestimant fortement la valorisation, l’entrepreneur apparaît soit à côté de la réalité, soit peu enclin à coopérer. En effet, valoriser trop haut passe le message suivant : “je veux bien de votre argent, mais je n’ai pas de place à vous donner”. Cette approche dénote une mauvaise compréhension de l’apport d’un investisseur.
négocier c’est collaborer : l’entrée en négociation est le premier acte d’un début de collaboration. Dès lors qu’une proposition a été faite, même si elle est inférieure à ce qui est attendu, l’investisseur exprime une envie de travailler avec l’entrepreneur. Celui-ci se retrouve donc à devoir réagir non contre un adversaire mais avec un partenaire. Attention donc à la façon de s’y prendre car une mauvaise attitude peut faire échouer le “deal”.
Damian Py et Antoine Fichet les cofondateurs de Daan Technology à l’origine du mini lave-vaisselle “BOB” ont fait forte impression. A la recherche de 500 000 € pour 5% du capital, ils se retrouvent avec 3 propositions de 500 000 € qui se cumulent, prêts à obtenir le plus gros investissement de l’émission.Eric Larchevêque insistant sur la valeur en industrie qu’il apporte par son expertise, demande 2% de plus que Delphine André et Marc Simoncini.
S’en suit alors une négociation un peu surréaliste, où les fondateurs ne veulent rien lâcher et font une contre-proposition sortie de nulle part en demandant qu’Eric Larchevêque les aident à lancer leur cryptomonnaie.
Les investisseurs sont choqués et les entrepreneurs passent tout près de tout perdre.
En faisant une proposition hors sujet, les entrepreneurs ont révélé un aspect inquiétant de leur personnalité. Seront-ils capables de rester focus ?
Contrairement à ce qu’on voit dans l’émission, les négociations d’investissement dans la vraie vie durent plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Ce sont les fameuses “due diligence”. Durant toute cette période, il y a un vrai travail en commun entre l’investisseur et l’entrepreneur. Les “deals” échouent souvent car apparaissent des difficultés à travailler ensemble.
être transparent : la prudence semble enseigner que dans une négociation moins on lâche d’informations, mieux on se porte. La réalité est un peu différente.
Sarah Pouchet et Benjamin Legros, le cofondateurs de Unbottled, une marque de cosmétique sans emballages, ont appris à leurs dépens que le manque de transparence ne passe pas. Interrogés sur les marges réalisées, ils sont restés muets. Bien sûr, être à la TV change un peu la donne car les infos deviennent publiques. Mais en règle générale, rechercher un investisseur revient à ouvrir ses comptes. L’investisseur a besoin de comprendre les métriques du business et la façon de gagner de l’argent.
Vouloir cacher la réalité, ou pire la maquiller, est une très mauvaise façon de rentrer en coopération avec un investisseur et de bâtir une relation de confiance.argumenter : l’entrepreneur peut refuser une proposition qu’il ne juge pas équitable, et faire une contre-proposition. L’important est d’argumenter, de donner des informations supplémentaires qui justifient ou expliquent sa position. S’arcbouter sur un chiffre, juste parce que c’est celui qu’on a décidé avant de se présenter n’est en général pas gagnant.
Quand Eric Larchevêque emporté par l’émotion, propose d’investir 180 000 € pour 50% du capital dans les éditions Douin au lieu des 20% proposés, on comprend qu’il est allé un peu loin. Frédéric Douin ne peut accepter de perdre le contrôle de son entreprise une deuxième fois, même s’il a vraiment besoin d’argent. Eric Larchevêque est à nouveau touché par la sincérité de Frédéric pour qui son entreprise est sa vie, et accepte finalement la contre-proposition à 45% de parts du capital.
Avant le prochain épisode
Il y aurait beaucoup d’autres leçons à tirer de ces tranches de vie d’entrepreneurs et peut-être y reviendrai-je plus tard.
Si vous avez l’occasion de visionner les prochaines émissions, je vous invite à vous mettre en posture de l’apprenant. Au delà du spectacle, l’émission est pour qui veut être à l’écoute, une formidable leçon grandeur nature, bien plus efficace et réaliste que n’importe quel livre de business.
Je serai heureux de lire les leçons que vous avez retirées des deux premiers épisodes ou des suivants. En attendant, je vous souhaite une bonne émission !
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Valentin Decker, le fondateur de Sauce Writing, une école d’écriture en ligne, m’a proposé un Live Zoom le mardi 25 janvier à 18h:
Au programme de l’échange :
Le parcours et les 1000 vies de Christian
Son rapport à l'écriture : d'où est-ce que cette envie lui vient ?
Sa newsletter : pourquoi l'a-t-il lancé ? Quels objectifs ?
Son processus de veille et d'écriture
Le rôle et l'impact de l'écriture dans son job au quotidien et sa capacité à accompagner d'autres entrepreneurs
Ses enjeux de monétisation ?
Pour s’inscrire c’est ici.