Etes-vous sensible à l’esthétique ?
Je choisis souvent les restaurants dans lesquels je mange en scrutant la déco plus que la carte ! Heureusement ces deux éléments sont presque toujours corrélés dans les restaurants indépendants. Le bon chef lorsqu’il ouvre son restaurant s’implique dans la déco. L’esthétique de la vue rejoint l’esthétique du goût. Inversement, le laisser-aller ou le mauvais goût se traduisent dans l’assiette !
Pour celles et ceux qui y sont sensibles, l’esthétique est un filtre qui oriente les choix, pilote les émotions et finalement détermine notre appréciation du monde.
Mais alors l’esthétique est-elle importante dans l’entreprise ? Les entrepreneures et les entrepreneurs doivent-ils prendre en compte l’esthétique dans la construction de leur business ?
Avant de commencer
Vous faites peut-être partie des plus de 100 millions de personnes qui ont déjà utilisé ChatGPT, une innovation particulièrement esthétique au sens où cela sera défini dans cet article.
Puisque depuis les deux derniers numéros, j’utilise la fonction sondage de Substack, j’ai envie de persévérer avec deux questions :
J’espère que vous serez plus nombreux que précédemment à répondre, car sinon c’est non significatif. Je vous promets que ça ne ralentit pas votre lecture !! Merci d’avance.
Traiter de l’esthétique sur le plan philosophique dépasse de beaucoup mes compétences. Cet article présente plutôt un point de vue personnel et pragmatique.
Nous n’avons pas tous la même sensibilité à l’esthétique. Certains d’entre vous ne comprendront donc peut-être pas l’importance que j’y attache. Je vous propose un raisonnement simple pour vous convaincre d’y prêter malgré tout attention :
Celles et ceux qui sont sensibles à l’esthétique seront facilement rebutés par une approche non-esthétique de l’entreprise et auront peu d’appétence à devenir client ou salarié.
A l’inverse les insensibles à l’esthétique ne se plaindront pas d’une approche esthétique puisqu’ils ne la verront pas.
L’approche esthétique n’exclue personne et représente donc la meilleure chance pour une entreprise de séduire le marché. CQFD.
Maintenant que nous savons que nous avons intérêt à faire attention à l’esthétique, voyons les grands domaines dans lesquels elle joue un rôle.
L’esthétique du logo
Le logo et plus généralement la charte graphique sont la vitrine d’une marque. Ils font partie des premières choses visibles lorsqu’on découvre une entreprise. Du fronton du bâtiment à la carte de visite, le logo est partout.
Il est très fréquent que les logos et les chartes graphiques des entreprises ne soient pas esthétiques. Je dirais bien, sans pouvoir l’étayer scientifiquement, que pour au moins 30% d’entre elles, c’est le cas.
Les PME traditionnelles et les entreprises spécialisées sur les marchés BtoB sont généralement moins attentives à l’esthétique de leur marque. Sans doute pensent-elles que le client professionnel sera moins sensible que le client particulier à l’esthétique de son logo.
Pour ma part, un logo disgracieux, non travaillé, qui semble avoir été choisi à la va-vite laisse planer un doute : cette entreprise est-elle attentive au détail, a-t-elle réfléchi au message qu’elle véhicule, prête-elle attention au client ?
A la vue d’un logo moche, d’un site web mal charté, d’un flyer bourré d’image “clipart”, je n’ai pas vraiment envie de rentrer en contact avec l’entreprise et de m’intéresser à ce qu’elle propose. Je constate dès ce premier abord que nous ne partageons pas le goût de l’esthétique et l’attention au client. Je pressens que nous ne serons pas en connexion.
La marque et le logo véhiculent la vision, la mission et l’ambition de l’entreprise. Le choix de la marque et le design du logo sont donc essentiels. Il convient d’y prêter l’attention qu’ils requièrent et de s’appuyer sur des professionnels pour les réussir.
Il existe de nombreux sites qui proposent gratuitement des logos comme Logo.com par exemple. Le problème avec ce type de sites, c’est qu’ils proposent de très nombreux logos pour une même marque. Ils ne disent pas en revanche comment choisir. Vous allez donc le faire au feeling. La construction d’un logo fort demande pourtant un raisonnement quasi scientifique et une démarche qui prend en compte de nombreux facteurs. Au final, vous aurez donc toutes les chances de vous retrouver avec un mauvais logo.
L’esthétique d’un logo n’est pas simplement sa beauté. C’est avant tout sa cohérence avec le message à délivrer, sa force de persuasion, son attractivité pour la cible visée, et sa facilité à être identifié sans ambiguïté.
L’esthétique des locaux
De nombreux entrepreneurs se plaignent d’avoir du mal à recruter et à fidéliser leurs équipes. En même temps, lorsqu’on visite leurs entreprises, on découvre souvent des locaux dans leur jus des années 70 ou 80, des bureaux sans fenêtres, des ateliers mal rangés, des extérieurs encombrés, ….
Je visitais il y a quelques semaines le bureau d’études d’une entreprise industrielle. Le responsable était fier de m’expliquer qu’il avait avec son équipe relooké complètement leur espace de travail, avec un budget très faible. Et il faut dire que c’était très réussi !
Certains sont capables de travailler n’importe où car ils sont insensibles à leur environnement. Pour beaucoup de gens en revanche, la sensibilité au cadre de travail est importante. Pour ces personnes attentives aux ambiances, aux atmosphères, à la lumière, à l’harmonie des formes, aux couleurs, le moral et la productivité vont beaucoup dépendre de leur ressenti de bien-être dans les locaux de l’entreprise.
En négligeant la qualité de ses locaux, le chef d’entreprise impacte le bien-être de son équipe et donc sa performance. J’avoue que je ne comprends pas que ce point pose encore question.
Même sans moyens importants, il est très simple d’améliorer beaucoup la qualité de l’espace de travail. Une ou deux journées, des pinceaux, quelques pots de peintures suffisent à organiser une belle opération de “teambuilding” dont les effets durent longtemps.
L’esthétique des produits
Depuis quelques années, l’esthétique des produits même assez basiques prend une importance croissante.
Avec ses capsules, Nespresso a inventé une nouvelle façon de faire le café. La marque ne s’est pas contenté de cette innovation, mais a joué sur l’esthétique pour séduire la clientèle. Les boutiques mettent en scène le produit aux couleurs chatoyantes qui devient ainsi une décoration à part entière.
De nombreux autres produits ont suivi cette approche esthétique à commencer par les macarons, les confitures, les huiles et même les fromages.
Cette approche se retrouve aussi dans des secteurs où on ne l’attend pas. Longtemps condamné à des couleurs basiques et toujours les mêmes, l’outillage se pare aujourd’hui de ses plus beaux atours. Un exemple particulièrement réussi tant il allie esthétique et fonctionnalité : le jeu de clés coudées Wera Tools est multicolore car chaque clé est gainée d’une couleur différente pour l’identifier immédiatement. Il est évident que dans le rayon, ce jeu sera très attractif face au jeu ordinaire noir ou inox.
Steve Jobs a fait d’Apple une entreprise iconique de l’esthétique. Tous les produits de la marque sont conçus avec un soin particulier apporté à leur beauté, mais aussi à leur ergonomie.
L’esthétique chez Apple n’est pas seulement visuelle. Le design porte aussi sur la qualité de l’interface homme-machine. La simplicité est recherchée pour rendre l’usage intuitif.
L’esthétique d’un produit ne se réduit donc pas à sa couleur ou sa forme. Qu’est-ce qui la définit alors ?
Le mathématicien américain George Birkhoff a tenté de mettre en équation l’esthétique ! Il propose d’exprimer l’esthétique comme étant le quotient entre l’ordre et la complexité.
Cette formule donne des indications pour concevoir un produit esthétique. L’ordre décrit la présence de formes régulières, de symétries, de proportions, de couleurs complémentaires. La beauté est proportionnelle à l’ordre. Mais la beauté est aussi inversement proportionnelle à la complexité. Plus un produit apparait simple, plus il sera beau. Si l’ordre est relativement indépendant de l’observateur, la complexité est, quant à elle, dépendante de la perception de l’observateur. La complexité dépend de la capacité de l’observateur à comprendre l’objet et introduit donc dans la beauté une certaine relativité.
L’architecture donne un bon exemple de la pertinence de cette formule. L’architecture grecque privilégie l’ordre en s’appuyant par exemple sur le nombre d’or, là où l’architecture de l’école Bauhaus valorise la simplicité.
Concevoir un produit simple en prêtant attention à l’ordre qu’il véhicule est finalement un bon guide pour obtenir un résultat esthétique.
L’esthétique du packaging
Dans le e-commerce, l’emballage est la première façon d’entrer en contact avec le produit. Le soin apporté au packaging, l’esthétique de celui-ci incite le client à lui porter une attention particulière et bien souvent à le réutiliser, faisant ainsi la promotion de la marque.
Un packaging esthétique rajoute de la valeur au produit et constitue un excellent vecteur de communication et de promotion de la marque. Au delà d’être un coût, celui-ci devient un investissement.
Qui n’a jamais acheté des sablés bretons pour leur boîte métallique richement décorée plus que pour la qualité des biscuits souvent bien ordinaire ? Quoi de plus banal qu’une boite de sardines à l’huile ? Et pourtant nombre de marques rivalisent dans l’esthétique de leurs boites, allant jusqu’à faire travailler des artistes pour obtenir des design originaux ?
Les marques de modes distribuent des sacs shopping esthétiques à leurs couleurs, là où pourtant de simples sacs en kraft suffiraient. Au gré de leurs déambulations dans le quartier commercial, les clientes deviennent malgré elles des porte-étendards de la marque. L’esthétique agit ici comme un cheval de Troie pour la marque.
Outre le design ingénieux et très esthétique de leurs outils multifonctions, la marque australienne Tactica les présente dans un packaging carton bicolore très sobre et très attractif, tranchant avec les habitudes du secteur.
Attirer le regard du client, porter les valeurs de la marque, en assurer sa promotion sont autant de fonctions essentielles du packaging qui devraient inciter les entreprises à s’en préoccuper plus sérieusement. Et ceci sans compter qu’un packaging esthétique se retrouvera moins facilement à la poubelle !
L’esthétique des process
Le succès d’Amazon tient en grande partie à l’esthétique de son process. Toute la chaîne allant de la prise de commande à la livraison a été pensée pour être la plus fluide possible, ce qui la rend esthétique et difficilement imitable. Comme il est difficile pour un peintre de reproduire le fameux regard de la Joconde, il est difficile pour un e-commerçant de reproduire la satisfaction client générée par la chaine logistique d’Amazon.
J’ai une grande admiration pour les ingénieurs qui conçoivent les lignes de production, et une fascination pour les process de fabrication. En voyant un objet, il m’arrive souvent de chercher à deviner comment il est fabriqué. Je me demande comment je m’y prendrais si j’étais en charge de concevoir sa ligne de fabrication. Il en résulte un grand intérêt pour la visite des usines.
Le process de fabrication du verre plat dit “floating glass” est particulièrement esthétique et fascinant. Vous êtes-vous jamais demandé comment sont fabriqués toutes les vitres de fenêtres qui nous entourent, depuis celle d’un petit vasistas jusqu’à la façade vitrée d’un tour de bureau ?
Jusqu’au milieu du 19ème siècle, les vitres étaient produites en soufflant de grands cylindres de verre qui étaient ensuite ouverts et aplatis. Une innovation pour augmenter la capacité de production a consisté à écraser la pâte de verre entre deux rouleaux, puis à la polir. Ces procédés étaient laborieux et donnaient un résultat imparfait.
Ce n’est qu’au milieu du 20ème siècle que Pilkington a réussi la mise au point d’un procédé élégant breveté dans les années 1900. En coulant le verre fondu sur un lit d’étain liquide, celui-ci s’étale parfaitement sous l’effet de son propre poids. Ce procédé particulièrement astucieux et simple dans son principe conduit à un verre d’une qualité parfaite. A l’échelle industrielle, cela donne une ligne de process continu qui peut atteindre plusieurs centaines de mètres et qui permet en une journée de passer du verre fondu à la plaque de grande dimension proprement découpée, le tout en une seule opération.
L’élégance de ce process tient dans sa simplicité conceptuelle, son ordre important (une seule ligne, l’épaisseur du verre réglée avec un seul paramètre), et la perfection du résultat.
Dans la construction de son process, qu’il soit industriel, commercial ou administratif, l’entreprise a intérêt à rechercher un process esthétique. Le sens commun l’a bien compris lorsqu’il qualifie un process compliqué dont on suppose qu’il va buguer d’”usine à gaz”. Vous avez vu comme c’est moche les usines à gaz avec des tuyaux dans tous les sens ! L’ordre est quasi nul, la complexité quasi infinie, et donc la beauté selon Birkhoff tend bien vers zéro.
Je dois bien avouer que le process le plus difficile à rendre esthétique est le process administratif !! La seule façon d’y parvenir est de le faire quasiment disparaitre !
Un process esthétique porte en lui les germes du succès : une maintenance plus facile, une qualité d’exécution supérieure, une efficacité plus élevée et au final un coût de revient moindre. Cela vaut le coup de s’y pencher attentivement.
L’esthétique soutient l’innovation
Vous l’aurez compris, l’esthétique peut se nicher partout dans l’entreprise.
Au delà de toutes les vertus de l’esthétique déjà abordées, il en est une qui m’est particulièrement chère et qui sied particulièrement à cette Newsletter (et oui, cet article est bien dans le thème d’Un pas dans l’inconnu !!) : l’esthétique favorise les innovations, et cela de plusieurs façons :
pour rendre un produit esthétique, il faut le simplifier et améliorer son ordre. Ceci n’est pas forcément simple et va souvent demander des innovations. Le designer va collaborer avec l’ingénieur (ceci est essentiel, car le designer qui s’improvise ingénieur produit souvent des monstres) pour trouver des solutions à la fois simples et belles. L’innovation n’est pas loin ! elle peut même être radicale ! Pour rendre sa première voiture esthétique et beaucoup plus attractive que les voitures électriques de son époque, TESLA a dû considérablement innover. Il en est devenu le leader incontesté du marché.
l’esthétique oblige l’entreprise à chercher d’autres talents : designers, artistes, ergonomes. Cette confrontation à une autre façon de penser ouvre l’esprit des employés et donc développe leurs propres capacités à innover. A la suite de la collaboration entre Jeff Koons et BMW pour la création d’une édition de voiture en série limitée, Oliver Zipse, le Président du Directoire de BMW, témoigne que “cette nouvelle collaboration avec Jeff Koons a inspiré tout le monde, aussi bien au siège de BMW qu’au Centre de recherche et d’innovation de Munich, ou encore dans les usines de Dingolfing et Landshut”.
l’esthétique demande une attention, une concentration et sens du détail plus important. En progressant sur ces sujets, les salariés de l’entreprise vont progressivement développer des qualités qui sont nécessaires dans la plupart des processus d’innovation. L’innovation demande en effet une attention au détail, car c’est bien souvent le grain de sable qui fait échouer ou au contraire l’infime détail trouvé après des milliers d’essais qui fait réussir. Sir Thomas Edison a fait des milliers d’essais avant de trouver la solution pour faire fonctionner correctement et pendant assez de temps sa lampe à filament, qui est une invention très esthétique !
travailler sur l’esthétique réveille les émotions souvent enfouies ou refoulées dans les entreprises. En les laissant s’exprimer, on apprend de nouvelles façons de travailler ensemble, on comprend différemment ses collègues, et on s’habitue peu à peu à être autre chose qu’une machine à traiter des dossiers. L’innovation est émotion : c’est la sensibilité à l’autre, à ses besoins, à ses ressentis qui inspire l’innovateur, c’est la coordination des 5 sens et la rencontre du conscient et de l’inconscient qui font surgir de notre profondeur l’étincelle du “Eureka”. Sans émotion, l’innovation n’est qu’un process mécaniquement déroulé à la recherche de sens.
Vous aimez l’art, vous appréciez le beau ! Ne gardez pas ce goût pour la sphère privée. Faites en profiter votre entreprise ! Elle se mettra à innover plus et vous et vos salariés en serez beaucoup plus fiers !
Vous n’êtes pas sensibles à l’esthétique, mais vous avez certainement tout plein d’autres talents. Identifiez dans l’entreprise celles et ceux qui ont cette fibre, et donnez leur plus de liberté pour exprimer leurs capacités. Observez progressivement l’influence de leurs actions sur les indicateurs clés de l’entreprise, la rentabilité, le chiffre d’affaires, la satisfaction client. Ils devraient normalement progresser !
L’esthétique est un “pas dans l’inconnu” qui vaut vraiment le coup ! Et en plus c’est assez fun !
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens obligatoires avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
APPRENDRE A L’ÈRE DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Dans le cadre du West Data Festival, nous organisons une conférence gratuite pour le grand public le 14 mars 2023 à 18h30 à l’Espace Mayenne de Laval.
Comment apprendre, enseigner, créer et travailler à l’ère de l’intelligence artificielle ?
ChatGPT, MidJourney, Dall-E... l’année 2022 a été marquée par l’essor des IA dites génératives dans la sphère du grand public. Avant elles, le Deep Learning et l’utilisation massive des données avaient déjà initié une transformation du travail. Mais où se placent ces outils dans l’histoire et la grande famille des technologies IA ? Comment fonctionnent-elles et surtout qu’impliquent-elles sur nos compétences, notre créativité, et notre humanité ?
Cette conférence sera l’occasion de faire un point d’étape, et d’aborder la question de la transformation des emplois, des compétences, de l’apprentissage et de l’enseignement par l’intelligence artificielle, d’en comprendre le fonctionnement, ainsi que les différents usages et architectures.
Conférencier :
Bastien Masse est le Délégué Général de l’Association Class’Code, un collectif de plus de 70 partenaires issus de l’éducation et du secteur Numérique: Institutions, Universités, laboratoires, Learning Labs, entreprises et associations, fédérations d’éducation populaire, qui travaillent ensemble pour produire des Moocs et des ressources éducatives libres pour accompagner les éducateurs (enseignants, médiateurs, animateurs, parents) dans l'apprentissage du code, de la pensée informatique et de la culture numérique.
Il est également chef de projet au sein de la Chaire UNESCO RELIA pour les Ressources Éducatives Libres et Intelligence Artificielle à Nantes Université. L’objectif de cette chaire est de développer l’IA au service de l'Éducation à travers la recherche et des projets européens, ainsi que l'Éducation à l’IA par la formation des enseignants et la création d’actions de médiation scientifique grand public.