A l’occasion de la rentrée, Le Huffpost proposait les résultats d’un sondage qu’il avait commandité et qui montrait que plus de 70% des français étaient favorables à la gratuité des fournitures scolaires !
A quel degré zéro du journalisme sommes-nous parvenus pour qu’un tel truisme soit considéré comme ayant un quelconque intérêt ?
Dans le genre, je vous proposerais bien le sondage suivant :
Ne vous inquiétez pas, je suis comme vous, j’ai bien répondu le confort ! Et oui, qui se complait dans l’inconfort ?
Je vais pourtant vous montrer qu’innover est inconfortable. Ce qui explique sans doute pourquoi il est si difficile de se lancer dans une démarche d’innovation !!
A lire et relire
Dans cette nouvelle rubrique, je vous propose de relire quelques articles anciens que je regroupe par thème.
Il est des valeurs universelles importantes dans la vie quotidienne, mais tout aussi fondamentales dans les affaires. La confiance, la bienveillance et la vérité sont essentielles.
Mais au fait qu’est-ce que le confort ?
Avant d’entamer notre démonstration sur le fait que l’innovation n’est possible que dans l’inconfort, définissons d’abord ce qu’est le confort.
Le confort est un puits de potentiel au sens de la physique.
Si vous lâchez une bille en haut d’un tas de terre, elle ne va pas forcément rouler jusqu’en bas qui est son potentiel minimal. Elle peut s’arrêter en chemin bloquée par un trou ou une aspérité. Elle se trouve alors dans un puits de potentiel, un minimum local d’énergie, où elle ne consomme plus rien, puisque les forces de la gravité sont parfaitement compensées par les forces de réaction de l’obstacle.
Le confort pour l’humain relève de cette même logique de minimum d’énergie et de douleur.
Assis dans mon canapé moelleux, je ne fais aucun effort pour me maintenir et je n’éprouve aucune douleur aux fesses ou au dos. Je suis confortable. Sur une chaise dure par contre, je ne fais toujours aucun effort mais mes nerfs me font savoir que le bois comprime mes vaisseaux et mes muscles et génère une douleur. Je suis inconfortable.
L’inconfort n’est pas que physique. La méditation par exemple permet de s’extraire d’un stress créé par des évènements extérieurs. Le temps méditatif est un puits de potentiel pour le stress, un îlot de confort mental.
La notion de puits, minimum local d’énergie est très répandue : chacun peut se trouver confortable avec une souffrance à laquelle il s’est habituée et qui demande un gros effort pour s’en affranchir. Nous préférons la souffrance connue à l’effort nécessaire pour atteindre une nouvelle situation inconnue. Ceci explique que le confort est une notion relative d’un individu à l’autre.
L’humain recherche naturellement le confort car il économise ainsi son énergie, diminue la pression exercée sur lui, échappe à la douleur. Cet état physique et émotionnel procure du bien-être et même du plaisir. Plus l’homme goûte au confort, plus il a envie d’y revenir. Le confort est addictif.
Apprendre passe par l’inconfort
Cette semaine nous avions une journée de formation commerciale pour une partie de l’équipe. Charles-Eric notre formateur n’y va pas par quatre chemins. Il croit, et il a raison, que la pratique est plus formatrice que la théorie.
Tout au long de la journée, il convoque sans avertissement les uns et les autres à venir devant le groupe pratiquer le pitch commercial, l’appel pour passer le barrage de l’assistante, ou le rendez-vous commercial avec un prospect peu conciliant.
Même s’il est très bienveillant dans ses intentions, les situations sont brutales et les échecs embarrassants. Le moins qu’on puisse dire est que la journée nous a poussé très en dehors de notre confort. Dans quelques mois, nous saurons si cet inconfort a payé !
Qui a jamais appris quoi que ce soit en étant confortable ?
L’apprentissage est par définition une situation d’inconfort.
La honte face au regard des autres, la difficulté liée à la nouveauté, le risque lié à la non maîtrise parfaite du geste, l’effort intellectuel ou physique pour acquérir de nouveaux réflexes, la peur de l’échec, le manque de confiance, le trou de mémoire, la dureté des chaises, la nécessité de rester immobile, … sont autant d’inconforts physiques, intellectuels et psychologiques liés à l’acte d’apprendre.
Dans une séquence d’apprentissage, tout est inconfortable. Même si les formateurs font preuve d’imagination pour rendre le moment agréable, l’inconfort ne peut disparaître. Si c’est le cas, c’est qu’il n’y a rien de vraiment nouveau à apprendre. On ne peut plus parler alors de formation, mais seulement de révision.
Innover consiste à ouvrir des champs nouveaux, à marcher en pionnier sur une route inconnue et donc impose d’apprendre sans cesse ! Il n’y a pas d’innovation sans apprentissage ! Comme l’apprentissage est inconfortable, la démarche d’innovation est inconfortable.
Difficile de sortir du conformisme
Le professeur Solomon Asch, pionnier de la psychologie sociale a montré dans une expérience devenue célèbre comment le groupe peut influencer un individu. L’expérience toute simple consiste à déterminer la longueur d’une ligne en choisissant la ligne de longueur équivalente parmi trois lignes témoins. Quasiment tout le monde donne le bon résultat lorsqu’il fait le test seul. Mais dans un groupe où trois autres participants donnent délibérément la même mauvaise réponse, 31,8% des personnes s’alignent sur cette mauvaise réponse.
Ce comportement suiveur s’observe très fréquemment dans les réunions professionnelles. Deux ou trois fortes personnalités suffisent à orienter les décisions, même si celles-ci ne sont pas forcément les meilleures.
Dans une entreprise, ce phénomène a tendance à éliminer les idées originales, à faire taire les personnalités atypiques et à privilégier les idées consensuelles les moins originales, diminuant fortement le potentiel d’innovation de l’entreprise.
Au sein d’un groupe d’entrepreneurs, dans une association de branche professionnelle par exemple, ce phénomène uniformise les analyses des problèmes et le regard différent qui enclenche souvent le processus d’innovation.
Innover c’est forcément sortir du conformisme, puisque c’est faire autrement que ce qui existe pour résoudre un problème que pourtant tout le monde a sous les yeux.
Innover nécessite de croire en soi au point de penser que l’on peut solutionner un problème que personne n’a encore su résoudre. C’est très anticonformiste comme posture !
Vous souhaitez innover, il va donc falloir accepter l’inconfort de l’anticonformisme : être seul contre tous, subir les critiques voire les moqueries, ne pas pouvoir partager avec ses pairs, être incompris.
Pour favoriser l’émergence de ce comportement anticonformiste en abaissant le seuil d’inconfort, quelques pratiques à mettre en place :
favoriser la mixité et la diversité des salariés,
ne jamais confier un projet à une équipe où tout le monde a la même formation,
mettre en place des méthodes adaptées pour permettre à chacun de s’exprimer en réunion,
ne pas côtoyer exclusivement des personnes de son secteur d’activité,
récompenser les idées originales.
Affronter le brouillard
Conduire dans un brouillard épais est très inconfortable. On ne sait pas exactement où est la route, on ne peut absolument rien anticiper et donc bien sûr le risque est maximum.
La gestion de projet moderne et ses méthodes (GANTT, PERT, WBS, Kanban, …) s’accommode mal de l’incertitude. Dès l’entame d’un projet, il faut en connaître le terme, le budget, les principales étapes, et l’attribution des tâches aux équipes participantes.
Dès lors qu’un projet ne rentre pas dans les fourches caudines des outils de gestion de projet parce qu’il comporte des étapes très incertaines, ou un objectif flou, ou un budget impossible à établir ou encore des compétences manquantes, il fait peur. Les équipes au sein des entreprises ne sont pas armées pour ce type de projet et préfèrent souvent s’abstenir, plutôt que d’affronter l’inconfort.
Innover nécessite de s’attaquer à des sujets qu’on ne maîtrise pas totalement, demande d’avancer sans connaitre précisément la ligne d’arrivée, et passe par des phases d’essais-erreurs qui se mettent difficilement dans un diagramme de GANTT.
Il m’arrive assez souvent dans des projets collaboratifs où plusieurs organisations travaillent ensemble, de proposer une innovation pour contourner une difficulté. Je vois alors sur les visages des partenaires l’intérêt que suscite la proposition qui se transforme vite en inquiétude au regard des incertitudes. La plupart du temps, le scepticisme l’emporte sur l’audace, le confort des solutions connues sur l’inconfort du brouillard.
Les projets d’innovation ne sont pas de la même nature que les autres projets et ne peuvent donc se gérer comme eux.
Au delà des outils de gestion qui seront à adapter, c’est avant tout l’état d’esprit de l’équipe qui va être déterminant. Il faudra choisir :
une équipe agile pour changer rapidement de trajectoire,
remplie de confiance pour croire jusqu’au bout en sa réussite,
capable de se réinventer à chaque moment pour imaginer une nouvelle solution après un échec,
débrouillarde pour faire beaucoup avec peu, car même s’il ne peut être prédit précisément à l’avance, le budget n’est pas illimité,
travailleuse car se confronter à l’inconnu demande beaucoup d’efforts,
résistante car l’incertitude permanente est une charge mentale importante.
Vous avez dit inconfort ?
Inconfort de l’apprentissage, inconfort de l’anticonformisme, inconfort de l’inconnu ! C’est déjà très inconfortable. Mais ce n’est pas tout !
Pour les entrepreneurs qui se lancent, quelques inconforts bien connus et amplement documentés et que je ne vais pas développer ici : inconfort de moyens financiers limités, inconfort du travail intense et de la fatigue associée, inconfort de la solitude, …
Innover c’est aussi plus généralement l’inconfort du risque : qui peut être certain de réussir une innovation ? Par définition ce qui n’a pas encore été fait comporte des risques souvent inconnus.
Le risque est un combat contre les probabilités : il n’y a pas 100% de chances de réussir. Malgré les efforts de l’équipe, sa compétence, son hyper ingéniosité, l’échec peut advenir.
Dès lors qu’une entreprise se lance dans l’innovation, l’échec doit être inscrit comme une option. Tout affirmation contraire du management et les injonctions du type “vous n’avez pas droit à l’échec” sont éminemment contreproductives dans un projet d’innovation. Une équipe qui serait managée de cette façon aura tendance à se recroqueviller sur des solutions connues, aura du mal à décider car chaque décision ferme des voies de repli, voudra tout valider et avancera donc moins vite tout en dépensant plus.
Échouer en innovant fait mal. A l’inconfort du risque subit durant le projet, l’échec rajoute un inconfort terminal qui va perdurer longtemps, induisant son lot d’émotions désagréables (regret, frustration, humiliation, sentiment d’injustice, …).
Mais cet inconfort majeur est pourtant porteur de fruits futurs. Combien de fondateurs de startups réussissent après un ou même deux échecs cuisants. Certains investisseurs font même d’un premier échec une case à cocher pour investir, pariant sur le fait que celui qui a échoué a appris et porte en lui l’énergie de la revanche.
Élargir sa zone de confort
Personne n’aime sortir durablement de sa zone de confort.
Les innovateurs seraient-ils donc les seuls à ne pouvoir se réfugier dans cette zone et nourrir leur confiance en eux ? Seraient-ils condamnés à souffrir, dans une forme perverse de masochisme inévitable ?
Le processus d’innovation produit comme nous l’avons montré nombre de situations d’inconforts. En aucun cas, nous n’avons dit qu’il fallait rechercher l’inconfort pour innover.
La conscience de l’inconfort qui nous attend lorsqu’on entre dans un processus d’innovation est très importante. L’ignorer et faire l’autruche est suicidaire. L’accepter prépare le terrain. Un innovateur averti en vaut deux. C’est le principe des incubateurs qui balisent le chemin pour les entrepreneurs innovateurs qui se lancent.
L’innovateur récidiviste se confronte à des projets de plus en plus complexes et ambitieux, et progresse par la répétition des situations inconfortables. La répétition permet d’élargir la zone de confort. L’inconfort apparent devient une forme de confort dans lequel il devient bientôt possible de prendre plaisir.
L’innovation est fondamentalement inconfortable tout comme la pratique intensive d’un sport en recherche de la performance. Celui ou celle qui en est conscient et veut maîtriser le processus d’innovation doit donc régulièrement dérouler ce parcours en choisissant des projets simples pour commencer. C’est la répétition, la confrontation à la multiplicité des situations qui va progressivement rendre normale voire appréciable les situations au départ inconfortables. Pour bien innover, il faut innover en permanence. De très nombreuses entreprises attendent plusieurs années d’avoir digérer un projet d’innovation avant d’en lancer un autre. Cette stratégie prive les équipes de la répétition qui rend l’inconfortable confortable.
Élargir sa zone de confort et celles des membres de son équipe, eu égard aux sujets d’innovation, devrait être une priorité de tout entrepreneur ambitieux. Souhaitons que beaucoup de chefs d’entreprises comprennent cette nécessité pour améliorer le bien-être de leurs équipes innovation.