Entre 2005 et aujourd’hui, la recherche du mot “bienveillance” sur Google a augmenté exponentiellement, et l’intérêt pour cette recherche est dix fois plus important aujourd’hui qu’il n’était il y a quinze ans. La période compliquée que nous traversons va sans doute renforcer la tendance.
Je ne sais pas interpréter cette tendance générale, mais en tous cas, il est certain que dans le monde du travail, ce terme monte en puissance, et gagne en intérêt.
Une abonnée, fidèle lectrice d’Un pas dans l’inconnu, m’a justement suggéré il y a quelques jours d’aborder le thème de la bienveillance au travail. C’est effectivement un thème qui m’est cher, et que je traite donc avec plaisir.
Il se trouve qu’en plus, j’ai eu l’occasion d’échanger très récemment sur le sujet avec des chefs d’entreprise dans le cadre d’une rencontre des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, et je me permettrai d’ailleurs d’évoquer certaines des idées développées ce jour là, en remerciant ici les contributeurs présents à cette réunion.
Avant de commencer
Il y a quelques semaines, j’avais lancé la version anglaise de cette Newsletter. Après 4 numéros, j’ai décidé de l’interrompre. Je n’ai pas consacré assez d’efforts à en faire la promotion et elle n’a pas décollée toute seule! Créer du contenu ne suffit pas, il faut aussi en assurer la visibilité.
Je reprendrais sans doute plus tard, car je dois aussi allouer plus de temps au livre que je vous ai promis. En tous cas il est écrit, puisqu’il comprendra 40 des 41 premiers numéros d’Un pas dans l’inconnu (une petite devinette: lequel je ne retiendrai pas?). Il faut maintenant relire tout cela, faire quelques modifications, mettre en page, réaliser une couverture, trouver la meilleure plateforme pour l’éditer (à ce propos, si vous avez des conseils, je suis preneur).
Je réfléchis dès maintenant aux évolutions de la Newsletter à faire en 2021. Je vous en reparlerai d’ici la fin de l’année, mais si vous avez des attentes ou des suggestions, n’hésitez pas à m’écrire.
Si c’est la première fois que vous lisez un article, quand vous l’aurez terminé, s’il vous a plu, abonnez-vous pour recevoir chaque mardi à 9h un nouvel article. C’est gratuit! Et j’offre un livre sur l’innovation au 600ème abonné, qui est tout proche!
Si une idée développée dans cet article vous a intéressé, merci de la partager sur les réseaux sociaux ou en commentant directement sur le site. Si vous avez aimé l’article, merci de liker!
L’article #41, que j’avais terminé juste avant l’envoi (c’est la première fois que ça m’arrivait) a eu un grand succès, et il est passé en une semaine en tête du hit-parade. Merci pour tous vos retours positifs.
Veiller au bien de l’autre
Être bienveillant peut facilement être pris pour une autre formulation d’être gentil, être cool, ou être sympa. Le manager bienveillant serait donc la personne, qui n’embête pas trop son équipe, et laisse chacun faire ce qu’il veut.
Être bienveillant serait presque un synonyme d’être mou ou une description d’un manager manquant d’autorité.
Il n’y a pas vision plus erronée de la bienveillance.
Comme souvent, l’étymologie d’un mot en révèle son sens profond. La bienveillance vient du latin “bona vigilantia”, la bonne vigilance. La bienveillance est donc l’action de bien veiller sur autrui.
Être bienveillant, c’est être attentif à l’autre et vouloir son bien.
La bienveillance s’intéresse aux autres
Cette définition de la bienveillance porte en elle, la première attitude de la bienveillance au travail: l’attention aux autres, aux collègues, aux managers, aux managés, aux clients, aux partenaires.
Le manager bienveillant (je me concentre ici sur lui, puisque c’est un des sujets de cette Newsletter, mais c’est valable pour n’importe qui), ne peut ignorer les autres, ou les considérer superficiellement, en espérant éviter de s’impliquer dans la relation.
Le manager bienveillant observe, cherchant à déceler chez ses collaborateurs des émotions, ou des ressentis signifiants. Il porte envers chacun un réel intérêt et un réel désir de bien-être pour eux.
Pour guider ses paroles et ses actes, il doit comprendre les besoins ou les désirs des autres. Sans attention, sans une sensibilité orientée vers les autres, le manager ne pourra être réellement bienveillant, car il ne verra pas les situations nécessitant des actes bienveillants.
La bienveillance est désintéressée
“Notons cependant que la mise en place d’un management bienveillant n’est pas désintéressée : il s’agit bien, in fine, de «maximiser la performance des collaborateurs» comme le soulignent avec force les auteurs de The Progress Principle”.
Cette phrase tirée d’un article décrivant l’écart qui existe parfois entre les paroles et les actes au sujet de la bienveillance en entreprise, porte en elle toute la contradiction de la tendance actuelle des théories managériales.
Les managers recherchent l’efficacité et la performance de l’entreprise. C’est leur rôle, et on ne peut leur reprocher. Dès qu’une nouvelle façon de manager est mise en avant par les chercheurs des “business schools”, la mode est lancée et les entreprises essayent de l’appliquer. Le management bienveillant fait maintenant partie des théories en vogue.
Il y a juste un problème avec cette approche concernant la bienveillance. La bienveillance est désintéressée. Vouloir mettre en place la bienveillance dans un seul but de performance est donc un oxymore.
La bienveillance ne peut avoir d’autres buts que le bien-être de l’autre. Dès lors qu’elle chercherait autre chose, elle apparaîtra fausse et sera vite assimilée à de la manipulation.
Par contre évidemment, rien n’empêchera de constater a posteriori, qu’après avoir été bienveillant avec son équipe, la performance s’améliore. De nombreuses études montrent que c’est le cas, comme par exemple celle du Harvard Business Review qui mentionne des augmentations de rentabilité situées entre 7 et 20%.
La bienveillance a un spectre large
Dès lors qu’il s’agit de rechercher le bien-être d’autrui, le champ des sujets et des actions concernés est très large.
Mettre en place des rémunérations justes et équitables, apporter des solutions aux questions de sécurité, instaurer un dialogue constructif, donner du sens à l’action, prendre en compte les contraintes et les situations personnelles et familiales de chaque personne, fixer des objectifs ambitieux mais réalistes et adaptés aux possibilités de chacune et chacun, respecter chaque personne quel que soit son rôle et sa position dans l’entreprise, laisser une autonomie responsabilisante mais non paralysante, accompagner et favoriser la progression de chaque individu, être exigeant pour pousser chacun au meilleur de soi-même, sont autant d’exemples d’actions de management bienveillant.
La bienveillance n’est pas qu’une affaire de parole, même si la façon de s’exprimer et de traiter les autres est bien sûr déterminante. Nous savons que c’est souvent avec la langue que nous dérapons. Un mot mal choisi, une parole trop rapide, un trait d’humour mal à propos vont vite apparaître malveillant même si l’intention ne l’était pas. L’excuse sincère est alors de mise.
La bienveillance doit aussi se traduire dans les actes visibles et invisibles. C’est souvent là que les entreprises qui font de la bienveillance un outil de management au service de la performance vont pécher. Il est plus facile de parler avec les atours de la bienveillance, que d’agir dans la durée et de façon consistante en bienveillance.
La bienveillance parle vrai
Nous accompagnons des entrepreneurs débutants ou plus aguerris. Nous cherchons à le faire avec bienveillance. Nous sommes donc souvent confrontés à la situation délicate où le retour que nous devons faire n’est pas positif et peut donc être difficile à entendre.
Lors des séances d’entraînement au pitch, nous avons une règle: toujours commencer par des retours positifs. Il faut parfois chercher un peu, mais il y a toujours quelque chose de positif à dire. Nous remarquons souvent que lorsque nous faisons cet exercice avec un groupe d’entrepreneurs, et que nous donnons à chacun la parole à propos du pitch de son confrère, la tendance naturelle est de partir sur les points à améliorer.
Notre culture française ne nous a pas habitué à faire des compliments, à voir le verre à moitié plein.
Quand vient le moment de faire passer des messages à propos de ce qui est à améliorer, il ne faut pas se dérober. Il arrive qu’il faille traiter des postures, des attitudes, des comportements, voire des capacités limitées des personnes.
Parler vrai est un acte de bienveillance. Ne pas dire quelque chose à quelqu’un sous prétexte que ce sera difficile à entendre pour lui, n’est pas toujours une preuve de bienveillance. En effet lui faire prendre conscience d’une situation problématique, c’est lui donner la possibilité d’entamer un parcours pour en sortir, et ainsi de devenir meilleur.
Il en est de même avec le salarié qui a fauté ou dont les performances sont insuffisantes. Avoir le courage de mettre des mots sur ces situations est un acte de bienveillance. Bien sûr la forme est essentielle.
Savoir parler avec vérité, empathie et dans l’intention de faire grandir l’autre est un art difficile. C’est comme marcher sur une corde. Il est facile de tomber dans le jugement, ou la critique blessante, ou d’en rester à un message superficiel qui passe à côté de l’essentiel.
Même avec la meilleure intention bienveillante du monde, et après avoir pris son courage à deux mains pour traiter une situation délicate, il arrive d’échouer. Je me souviens d’un échec cuisant pas si ancien. Lors d’un entretien annuel d’évaluation, j’avais voulu aborder un point difficile. Je n’avais pas porté attention au fait que c’était la veille du départ en congé annuel de la personne. Comme en plus, je n’ai surement pas été très adroit dans mes propos, la personne m’a avoué plus tard qu’elle avait passé de mauvaises vacances. Chaque détail compte.
La bienveillance n’infantilise pas
Surprotéger, s’occuper de chaque détail, se substituer à l’autre lorsqu’on anticipe des difficultés, morceler les tâches au point de les rendre dénuées de sens, mettre de la procédure à outrance, ne sont pas des actes bienveillants.
La bienveillance, c’est d’abord voir en l’autre un adulte responsable et autonome. La bienveillance cherche à faire grandir et non à maintenir dans le cocon douillet de l’irresponsabilité.
La bienveillance donne au collaborateur l’occasion de progresser en lui proposant des défis nouveaux à sa portée (voir Un pas dans l’inconnu #18).
La bienveillance suppose la confiance (voir Un pas dans l’inconnu #11), et croit au succès de la tâche déléguée.
Quand la difficulté surgit, le manager bienveillant propose son aide. En se mettant au service de son salarié, le manager lui permet de réussir malgré les problèmes rencontrés. Cela préserve sa confiance, épargne sa fierté et le fait grandir.
Dans son livre “La bienveillance au travail”, le docteur Philippe Rodet, un expert du sujet, écrit: “Diriger c’est servir! Après que le manager a fixé une stratégie, qu’il a donné les moyens adéquats et mis en place des défis exigeants mais possibles, il doit rester à l’écoute et même plus, il doit accompagner ses équipes dans la réalisation de leurs missions; alors l’organigramme s’inverse car le dirigeant se met au service de ses équipes pour les aider à atteindre les objectifs. La réussite des défis devient source d’épanouissement et génère un cercle vertueux de la performance durable.”
Charité bien ordonnée commence par soi-même
Chacun a pu constater dans sa propre vie, qu’il est plus facile d’être bienveillant avec les autres, lorsque nous sommes bien dans notre peau. Si nous sommes contrariés par des problèmes personnels, frustrés d’une injustice, insatisfaits de notre situation, nous aurons beaucoup de difficultés à être disponibles pour les autres, et à montrer de la bienveillance.
Il est essentiel de ne pas chercher à être quelqu’un d’autre. En étant pleinement nous-mêmes, nous éviterons d’être frustrés de ne pas être celui ou celle que les autres veulent que nous soyons. Nous pourrons ainsi mieux nous concentrer sur le bien-être des autres.
Être aligné permet d’être libre (voir Un pas dans l’inconnu #9). Or la liberté est un ingrédient essentiel de l’équilibre, une protection contre la pression des autres et le stress.
La bienveillance s’exprime mieux dans la sérénité.
Un combat quotidien
Certains soirs, quand je me couche, j’éprouve un regret pour une parole de trop, un mouvement d’humeur ou une réaction trop hâtive. Ces impressions négatives reflètent quelque part un manque de bienveillance. Je me promets alors de faire mieux le lendemain.
Comme une poupée russe, la bienveillance véhicule la patience, la gratitude, l’encouragement, la vérité, la vigilance, l’esprit de service, la confiance, …
Plus qu’une qualité, la bienveillance est une attitude qui englobe de nombreuses autres qualités. Pas étonnant, que la bienveillance soit difficile, tellement est exigeante.
La bienveillance est un combat d’une vie, mais un combat qui vaut la peine d’être mené. C’est un choix difficile qu’il faut avoir le courage de faire. L’investissement est payant sur le long terme.
La récompense d’un management bienveillant n’est pas tant la performance accrue de son équipe, que les remerciements sincères des équipiers qui prennent conscience de l’influence que cette bienveillance a eu dans leur vie professionnelle et personnelle. Voir cet impact est une vraie joie.
Et comme la bienveillance est contagieuse, ses effets se démultiplient et perdurent dans le temps!
Pour aller plus loin
La bienveillance en entreprise: une conférence de l’amiral Olivier Lajous, ancien DRH de l’armée française.
Savoir dire merci, Un pas dans l’inconnu #33