J’ai l’impression (mais peut-être que je vieillis !) que l’engagement est en voie de disparition. La virtualité des réseaux sociaux ou des réunions Zoom nous fait-elle oublier la nécessité de l’engagement IRL (in real life) comme on dit maintenant ?
Paradoxalement, on n’a jamais autant parlé d’engagement: aujourd’hui il faut s’engager contre le changement climatique, pour l’égalité homme-femme, contre le racisme, contre la maltraitance animale, …
En même temps, le “sans engagement” est un argument publicitaire, tant l’engagement semble enfreindre la liberté, une autre valeur sacrée.
Alors qu’en est-il ? L’engagement serait-il réservé aux grandes causes ? Mais l’engagement simple du quotidien qui commence par oui, où est-il ?
Quels sont vos articles préférés ?
Vous avez visiblement aimé le dernier article sur le Manager (UPI#74) puisqu’en moins de deux semaines, il s’est hissé à la 11ème position du top des articles.
Cela me donne l’occasion de dire à celles et ceux qui découvrent cette Newsletter, que vous pouvez relire les articles préférés des lecteurs en consultant le classement ici.
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Peut-être avez-vous comme moi vécu ces situations ?
Situation 1: Après pas mal d’insistance vous obtenez un rendez-vous avec un artisan. Il ne vient finalement pas. Situation 2: Il vient mais n’envoie jamais de devis. Situation 3: il envoie un devis mais ne s’engage sur aucun délai ou date de réalisation des travaux.
Situation 4: vous avez confirmé à un stagiaire ou un candidat pour un emploi que vous reteniez sa candidature, il a accepté le poste et dix jours avant la date de démarrage, il vous annonce qu’il a trouvé autre chose.
Situation 5: vous organisez une formation ou un évènement, des personnes s’inscrivent, et la veille ou le matin même vous préviennent qu’elles ne sont pas disponibles. Situation 6: plus embêtant, c’est l’intervenant qui prévient au dernier moment qu’il ne viendra pas.
Et nous pourrions ensemble continuer cette liste.
Ces situations parlent toutes de la même chose : la valeur de l’engagement, la signification d’une parole donnée, la capacité à faire ce que l’on a dit.
Que votre oui soit oui
Enfant, j’ai été très tôt confronté à cette parole du Sermon sur la montagne qui enseigne simplement que le “oui” est un engagement ferme et définitif.
Oui ne signifie pas “peut-être”.
Oui ne signifie pas “on verra bien le jour J”
Oui ne signifie pas “OK, laisse moi tranquille”
Oui ne signifie pas “je te dis oui pour te satisfaire, mais en vrai je m’en fiche.”
J’ai été éduqué dans l’idée que “oui” signifie : “j’accepte en pleine conscience des conséquences et en plein accord avec moi-même de m’engager à faire ceci ou cela.”
Depuis, je vis avec cette idée du “oui” et j’essaye de l’appliquer au quotidien. Bien sûr, je ne suis pas parfait, et il m’arrive aussi de manquer à mes engagements. Je m’en veux alors terriblement.
La conséquence de cette éducation, c’est la naïve attente d’une forme de réciprocité. Quand quelqu’un me dit oui, je le crois et l’affaire est conclue. Le contrat ne vient qu’officialiser la chose. Comme malheureusement tout le monde ne comprend pas le “oui” de cette façon, je suis souvent déçu.
La liberté de dire “oui”
Le “oui” d’engagement est un “oui” non contraint. Pour que le “oui” soit “oui”, il doit être libre et vécu comme tel.
Dire “oui” en pleine conscience, c’est assumer ses choix et s’affirmer en tant que personne libre et autonome.
Dire “oui” c’est être conscient qu’on peut dire “non” et que ce n’est pas un problème.
Le “oui” d’engagement est un “oui” qui libère car il exprime un choix clair et assumé.
Dans les situations citées plus haut, les engagements n’ont pas été tenus, car les “oui” étaient non assumés consciemment, et surtout les “non” étaient refoulés car perçus négativement. Les “oui” sont donnés comme sous la contrainte avec mille excuses non verbalisées : “je ne peux pas refuser”, “il va mal le prendre”, “c’est mon boulot, je n’ai pas le choix”, “je repousse la vraie décision à plus tard”.
Dire “oui”, c’est savoir dire “non”
La formule complète du Sermon sur la montagne est la suivante : “que votre oui soit oui et votre non, non”.
La deuxième partie est aussi importante que la première. En fait, la première partie n’est possible que si la deuxième existe.
La possibilité de donner un vrai “oui” n’existe que s’il l’on peut dire “non”. Personne n’est en capacité de dire “oui” à toutes les demandes. Le fait de dire”oui” et de s’y tenir signifie qu’à d’autres moments il faudra savoir dire “non”.
Quand l’artisan vient chez vous voir un chantier et qu’il ne fait pas de devis et ne répond pas à vos sollicitations ultérieures, il exprime non verbalement son incapacité à dire “non”. Il pouvait dire “non” dès la demande de rendez-vous en expliquant sa charge de travail actuelle. Il pouvait dire “non” après avoir vu le chantier et constaté qu’il était trop difficile, trop petit, trop peu intéressant.
Dire “non” sincèrement, les yeux dans les yeux, demande une dose de courage et d’affirmation de soi que beaucoup de personnes n’ont pas appris à avoir.
Dire “non” libère.
Pour aider celles et ceux qui ont du mal à dire “non”, voici deux bonnes raisons de le faire:
dire “non” libère la personne qui le fait. En effet, esquiver, éviter la situation, décaler sa réponse, ne pas répondre au téléphone ou au mail, feindre de ne pas comprendre, sourire sans rien dire, sont autant de façons d’essayer de se sortir d’une situation où l’on ne veut pas dire “oui”. Le problème c’est qu’elles induisent de la charge mentale tant que la personne d’en face insiste. En disant “non”, on stoppe le processus et on peut passer à autre chose.
dire “non” libère la personne à qui on le dit. C’est là le paradoxe de la situation. Celles et ceux qui n’osent pas dire “non” pensent souvent qu’ils vont mettre l’autre en difficulté. Certes, à l’instant où ils le disent, ils créent une déception. Mais tout de suite aussi, ils clarifient la situation, donnant à l’autre la possibilité de chercher une autre solution. L’artisan qui a le courage de dire sur le champ qu’il ne fera pas de devis, libère le client de devoir attendre 15 jours celui-ci. Dès le lendemain, il peut se mettre en recherche d’une nouvelle entreprise.
Ne pas savoir dire “non” empêche les deux interlocuteurs d’aller de l’avant. C’est une perte d’énergie, de temps et d’argent considérable. Je dis souvent à mes fournisseurs ou partenaires, “il n’y a pas de problème à dire non”. Il y a par contre un gros problème à dire “oui” et à ne pas tenir parole ou à ne pas répondre.
Dire “oui” ou “non”, c’est avant tout décider
Dire “oui” ou “non” n’est pas une loterie. Cela doit être le résultat d’une décision consciente ou conscientisée.
Les situations décrites en introduction sont pour la plupart le résultat de non-décision.
Une inscription à une formation de laquelle on va finalement se désister, résulte dans la plupart des cas du processus suivant : je suis sollicité pour participer, le sujet m’intéresse vaguement, c’est dans quelque temps, je ne prends pas le temps de regarder en détail le programme, je n’ai pas le courage d’argumenter un “non”, et je repousse donc la vraie décision à plus tard. Mon “oui” signifie en réalité “oui, j’ai bien pris en compte ta demande et je déciderai plus tard”. Arrivé à quelques jours ou quelques heures de l’échéance, je décide alors que ce n’est pas une priorité, et j’annule mon “option”.
Dans la culture asiatique “oui” signifie très souvent “oui, j’ai bien entendu”. C’est ce qui perturbe les occidentaux dans leur relation de business avec les asiatiques. Cependant, nous utilisons aussi souvent et inconsciemment cette signification du “oui”.
Quand le “FOMO” s’en mêle
Cette incapacité à décider dans l’instant, résulte dans beaucoup de situations de la peur de manquer quelque chose, connue sous le nom de FOMO (Fear Of Missing Out).
Ce syndrome accentué par la quantité incroyable d’informations que nous recevons paralyse certains dans leur capacité à choisir.
Décider de participer à une formation, c’est choisir de ne pas être disponible ce jour-là pour des clients ou de ne pouvoir partir en WE prolongé.
Toute décision est une forme de renoncement et certainement une façon de passer à côté d’autres opportunités. La vie est ainsi faite et c’est ce qui en fait la saveur.
Ne pas décider pour attendre une meilleure opportunité est une façon de conduire sa vie. A la longue, elle crée une dépendance artificielle aux opportunités, elle conditionne le bonheur à l’attente et empêche d’apprécier l’instant et de se satisfaire de ses choix. C’est au final, très immature.
Les vies riches comportent énormément d’opportunités. Les conflits d’agenda sont donc multiples et frustrants. Réfléchir sur ses priorités, assumer ses choix, respecter ses engagements se révèle d’autant plus important.
Les vies ratées ne sont pas celles qui ont manqué des opportunités en ayant fait d’autres choix, mais celles qui n’ont pas exploité complètement les choix faits.
L’incapacité structurelle à dire “oui” ou “non”.
Il est une autre situation courante où le “oui” ou le “non” ne peuvent être donnés. C’est celle de la complexité décisionnelle d’une organisation.
Il est des décisions simples, qui engagent peu de moyens et ont un impact très limité et qui pourtant ne sont pas prises dans un délai raisonnable.
Les organisations très hiérarchiques ou très administratives ont une capacité étonnante à différer les décisions. Celles-ci remontent dans la hiérarchie sans qu’on ne sache vraiment au fond qui doit décider, ou bien se perdent dans la recherche d’un consensus tellement large que beaucoup ne comprenant pas pourquoi ils y sont associés, ne donnent pas leur avis.
Au delà du coût financier de telles décisions et de la perte de temps, le coût humain en démotivation et désengagement est considérable.
Cette incapacité structurelle à décider frise parfois la paralysie. Pour celles et ceux qui en prendraient conscience et voudraient y remédier, les pistes suivantes sont à considérer:
cesser de vouloir tout contrôler, faire confiance à ses salariés et baisser ainsi la peur de la sanction en cas de mauvaise décision.
définir une vision (UPI#10) et une mission (UPI#16) de l’organisme qui permettent à chaque salarié de prendre la bonne décision au bon niveau.
mettre en place la subsidiarité, qui nécessite une analyse détaillée de l’organisation et du rôle de chaque niveau hiérarchique.
Préserver son “personal branding”
A l’heure où le “personal branding” s’affirme comme une des composantes du CV, y compris pour les salariés et non plus seulement pour les dirigeants ou les indépendants, savoir dire “oui” ou “non” clairement en toute situation peut devenir une marque de fabrique intéressante et différenciante.
Un artisan qui construirait son entreprise sur l’assurance d’un devis sous une semaine, la garantie d’un délai respecté, et l’engagement sur une date de début des travaux, établirait un avantage concurrentiel certain, qui serait porté par le bouche-à-oreille.
Dire “oui” ou “non” de façon claire, sans délai, développe la confiance de vos interlocuteurs, construit une image de fiabilité et de réactivité et au final donne un sentiment de sérénité.
Celle ou celui qui assume ses responsabilités au travers du simple “oui” ou “non”, non seulement gagne en efficacité personnelle, mais fait aussi gagner beaucoup de temps à ses interlocuteurs.
Cessons de considérer la vie comme un mur Facebook, ou une boite mail où la dernière information efface celle qui la précède, mais actons le fait que les relations se construisent au travers d’engagements simples, clairement affirmés, et non remis en question au gré des évènements.
PS: une précision : je n’ai rien contre les artisans (mon père en était un), mais il se trouve que ces métiers ont souvent pris de mauvaises habitudes et c’est bien dommage.
Pour aller plus loin
Un pas dans l’inconnu #64 : Je décide donc je vis
Un pas dans l’inconnu #53 : Choisir comment choisir
Peut-être que l'incertitude génère de l'incertitude...
Cet engagement me parle. Oui j’essaie que mon oui soit oui et mon non,non.