L’équipe de France a malheureusement quitté prématurément la coupe du monde de rugby après un somptueux match contre l’Afrique du Sud.
Deux hommes ont marqué cette épopée : le capitaine Antoine Dupont acteur involontaire d’une tragédie qui aurait pu devenir une grande légende du sport en cas de victoire, et Fabien Galtié l’énigmatique coach aux lunettes iconiques.
Coach et capitaine, deux rôles essentiels mais tellement différents pour conduire une équipe à la victoire !
Théo Lion, un entrepreneur très présent sur les réseaux sociaux, posait il y a quelques mois sur X (ex-Twitter) la question suivante : “Si une boîte est une équipe de sport plutôt qu'une famille, le CEO est le coach ou le capitaine ?”
La question mérite d’être posée et la réponse n’est pas forcément évidente. Je vais tenter d’y répondre mais il m’intéresse de connaître votre avis avant de lire l’article.
Avant de commencer
Quelques jours après la publication de mon dernier article sur la liberté (UPI#117), j’ai eu l’occasion d’écouter l’épisode #351 du podcast de Matthieu Stefani.
Je dois dire que je n’aurai pas spontanément été attiré par cet épisode. Je l’ai écouté car je connais la qualité habituelle de ce podcast et j’étais curieux de comprendre qui était Camille Aumont Carnel.
Dès les premières minutes, j’ai été pris par l’intensité du témoignage, la personnalité hors norme de Camille et son intelligence fulgurante.
Mais le plus frappant est sa liberté. Si quelqu’un doit illustrer parfaitement la liberté d’être soi-même, d’assumer complètement ses idées et d’être aligné avec celles-ci, c’est bien Camille.
Je ne la connaissais pas quand j’ai écrit mon article, sinon, il est certain qu’elle y aurait tenu une bonne place. Je répare donc cette omission involontaire.
Qu’est-ce qu’un capitaine ?
Le capitaine dans une équipe de sport collectif est avant tout le représentant de l’équipe. C’est lui qui choisit le terrain après le toss. C’est lui à qui l’arbitre parle pour donner ses consignes et faire ses remontrances. C’est aussi à lui que les officiels remettent la coupe à la fin d’une finale.
Au delà de ce rôle “officiel”, le capitaine est aussi un modèle. Il est sensé incarner les valeurs de son sport, être un modèle de fair-play. Son comportement sur le terrain doit être exemplaire pour ses coéquipiers et en particulier les plus jeunes.
Quand l’équipe est sous pression, le capitaine redonne le cap, réveille ses coéquipiers, encourage ceux qui ont fait une erreur. A la mi-temps, les paroles du capitaine motivent l’équipe en lui montrant le chemin possible vers la victoire.
Le capitaine est aussi celui qui observe l’adversaire, pilote la tactique en cours de match ou de course et adapte les consignes de l’entraineur au déroulé de la compétition.
Qu’est-ce qu’un coach ?
Le coach, terme actuel pour entraîneur, est celui qui définit la stratégie, choisit le style de jeu et imprime sa vision.
Pour atteindre ses objectifs, il compose l’équipe qui lui parait la mieux à même de performer en fonction de l’adversaire, et distribue les rôles à chacun des joueurs.
Pendant le match, il supervise la performance des joueurs, transmet ses consignes lors des interruptions de jeu et décide des changements de joueurs. Au rugby, le coach est d’ailleurs dans les tribunes pour mieux appréhender la totalité du jeu et le placement des 30 joueurs.
En dehors des matchs ou des courses, l’entraineur étudie les adversaires pour mieux préparer son équipe. Il prépare un plan d’entraînement collectif, en prenant aussi soin des besoins individuels. Il cherche à amener chaque joueur à son meilleur niveau, tout en veillant à créer les meilleures synergies entre tous.
L’entrepreneur, capitaine ou coach ?
Quand on regarde attentivement les principales fonctions de ces deux acteurs, on trouve dans les deux cas beaucoup de similitudes avec le métier d’entrepreneur, au point qu’il est difficile de choisir si celui-ci est plutôt un coach ou plutôt un capitaine.
La personnalité de l’entrepreneur, son expérience, le fait qu’il soit dans sa première entreprise ou au contraire qu’il soit un serial entrepreneur sont certainement des facteurs qui influent sur son comportement et qui le rapprochent de l’un ou l’autre des profils.
Je défend ici la thèse que peu importe sa personnalité ou son expérience, c’est plutôt les circonstances traversées qui devraient dicter la juste conduite à adopter. L’entrepreneur sera ainsi tour à tour coach ou capitaine.
L’entraineur s’occupe de l’équipe
Herb Kelleher le cofondateur de Southwest Airlines et l’inventeur de l’aviation low-cost est un des entrepreneurs qui incarne le mieux le rôle de l’entraîneur dans le business.
Une de ses plus fameuses citations est “The business of business is people. Yesterday, today and forever."1
Pour expliciter cette formule, Herb Kelleher poursuit : “Et parmi les employés, les actionnaires et les clients, nous avons décidé que nos clients internes, nos employés, étaient prioritaires. Selon nous, la synergie est simple : Honorez, respectez, protégez et récompensez vos employés - quel que soit leur titre ou leur poste - et, à leur tour, ils se traiteront les uns les autres et traiteront les clients externes de manière chaleureuse, attentive et hospitalière. Ainsi, les clients externes reviendront, ce qui réjouira les actionnaires”.
Tout est dit sur le secret du bon fonctionnement d’une entreprise. Sous son management, Southwest Airlines n’a d’ailleurs jamais eu à se mettre en redressement malgré plusieurs crises du transport aérien.
Didier Deschamps, coach à succès de l’équipe de France de football est un formidable exemple de l’entraîneur qui met l’humain au centre de son management : "Manager, c’est gérer des êtres humains. Des jeunes, des moins jeunes, des parents, des caractères, des personnalités, des sensibilités différentes. Il est important de créer un lien, d’avoir la relation avec eux, sans utiliser les mêmes mots ou avoir une approche identique. Au-delà du sportif de haut niveau, le plus important pour moi est de connaître l’homme que j’ai en face de moi. Savoir comment il réagit, ses qualités, ses faiblesses, ses sensibilités. Ce sont des leviers importants dans les discussions individuelles ou collectives par la suite.”2
Avant de s’occuper d’une équipe, il est essentiel de bien recruter. Sur ce point aussi, Herb Kelleher est très clair : “Nous embaucherons quelqu'un qui a moins d'expérience, moins d'éducation et moins d'expertise plutôt que quelqu'un qui a plus de ces choses et qui a une attitude pourrie. Parce que nous pouvons former les gens. Nous pouvons leur apprendre à diriger. Nous pouvons leur apprendre à fournir un service à la clientèle. Mais nous ne pouvons pas changer leur ADN”.
Recruter, connaître ses équipes et les aimer, placer chacune et chacun dans les meilleures conditions pour exécuter sa mission, tel est le rôle essentiel de l’entraîneur-entrepreneur.
Le capitaine est présent dans les projets essentiels
L’entreprise est avant tout une usine à projets. Ce sont en tous cas les projets qui lui permettent d’évoluer, de se transformer, de se développer. Vivre l’entreprise comme la simple gestion efficace d’un acquis est une route assurée vers l’échec.
Le chef d’entreprise visionnaire initie régulièrement des projets. Que ce soit l’intégration d’une nouvelle technologie qui vient de sortir, le déploiement de ses services dans un nouveau pays, le lancement commercial d’un nouveau produit, la mise en place d’un ERP (logiciel de gestion), ou une collaboration avec un laboratoire sur une technologie de rupture, chaque projet d’ampleur met sur la table une partie de l’avenir de l’entreprise.
Une fois le “go” donné, un projet d’ampleur est vital pour l’entreprise. Sa réussite dans les délais et dans le budget est impérative. Il n’est pas rare alors, et je dirai même que c’est plutôt rassurant de voir le patron descendre dans l’arène et prendre au moins temporairement la direction d’un tel projet.
Pour ma part, je choisis chaque année, le ou les deux projets critiques sur lesquels je vais particulièrement m’investir. Je suis très présent au début pour lancer le projet sur de bons rails, définir les objectifs, élaborer les idées principales, nouer les partenariats clés, et mettre en place les moyens nécessaires. Quand le projet entre dans sa phase d’exécution planifiée, je prends du recul et je reste seulement prêt à contribuer en cas de coup dur.
Mon implication dans un projet s’apparente beaucoup plus à celle d’un capitaine qu’à celle d’un entraîneur : sur le terrain avec l’équipe pour orienter, impulser, encourager et trouver des solutions.
Elon Musk, le mythique serial entrepreneur a donné un jour son meilleur conseil d’entrepreneur : “Je pense qu'il est très important d'avoir une boucle de rétroaction, où l'on réfléchit constamment à ce que l'on a fait et à la manière dont on pourrait le faire mieux. Je pense que c'est le meilleur conseil que l'on puisse donner : réfléchir en permanence à la manière dont on pourrait améliorer les choses et se remettre en question.”3 Cette approche constante de prise d’informations et d’actions correctives ne peut être mieux faite que par un capitaine actif sur le terrain et en prise directe avec la réalité des situations que vivent ses équipes.
Dans les premières années de la création de leur entreprise, tous les entrepreneurs se comportent comme des capitaines pour faire émerger le projet qu’ils ont en tête.
Malheureusement, nombre d’entre eux oublient de relever la tête après un certain temps pour prendre du recul et laisser à l’équipe la place de s’exprimer. On se retrouve alors avec des chefs d’entreprises-chefs de projet qui perdent la vision et s’empêtrent dans le quotidien.
Être sur le terrain dans les moments clés, agir concrètement au sein de son équipe pour garder le cap, franchir les principaux obstacles et maintenir le focus le l’équipe est une expression essentielle de l’entrepreneur-capitaine.
L’entraîneur donne la vision
Étymologiquement, l’entraîneur est celui ou celle qui emmène les autres avec lui ou elle. Dans le cas de l’entrepreneur, c’est la vision qui lui donne cette faculté d’entraînement (UPI#10).
Pourquoi suivrait-on quelqu’un qui a un projet aussi fou ? Parce qu’il sait où il va et qu’il sait partager sa croyance qu’un chemin est possible pour atteindre ce but qui semble pourtant inaccessible aux yeux de la majorité.
Tony Meloto est né dans une famille de la classe moyenne philippine. Après de bonnes études, il se lance dans une brillante carrière qui le conduit à un poste important chez Procter et Gamble.
Interpellé par la misère qui gangrène son pays, il développe petit à petit la vision qu’il est possible de donner aux pauvres les conditions d’un avenir meilleur. Il croit qu’un parcours vers l’autonomie et la prospérité est possible pour tout un chacun s’il est accompagné de la bonne façon.
Sa croyance se formalise dans une approche concrète qu’il résume ainsi : “Dans notre plan d’éradication de la pauvreté, nous avons commencé par une première phase s’attaquant aux basiques de la justice sociale, ce que nous traduisons par : de la terre aux sans-terres, des maisons aux sans-abris et de la nourriture aux affamés. Avec tout un écosystème rassemblant les énergies, nous construisons des logements en dur pour créer des communautés d’une cinquantaine de maisons. Mais une fois sortis du bidonville, il faut faire en sorte que les familles soient autonomes et que les villages soient autosuffisants. C’est la deuxième phase de notre projet : favoriser la création d’activités professionnelles. Pour cela, il faut travailler sur deux fronts : l’éducation, un fort travail sur l’éthique et les valeurs pour éveiller la capacité créatrice et la responsabilité, car nous devons sortir de notre culture de l’assistanat et retrouver notre fierté et notre dignité, loin de la mentalité d’esclave dans laquelle nous nous sommes laissés enfermer depuis des siècles.”4
La vision a littéralement entraîné des dizaines de milliers de bénévoles au service de cette noble cause et produit des fruits durables.
Vingt ans après, c’est plus de 20 000 communautés et donc des centaines de milliers de pauvres qui ont quitté les bidonvilles pour habiter dans des villages qu’ils ont construit de leurs mains et travailler à une activité génératrice de revenus.
Montrer le cap invisible, définir un chemin pour y parvenir et communiquer de façon convaincante, tel sont les principaux savoirs-faire de l’entrepreneur-entraîneur.
Le capitaine est à la manœuvre pendant la crise
La vie d’une entreprise n’est pas un long fleuve tranquille (UPI#37). Traverser les crises est la marque de fabrique d’une entreprise solide et durable.
Lorsque la crise survient, qu’elle soit d’origine externe (retournement du marché, catastrophe naturelle, …) ou interne (perte d’un gros client, départ d’un élément clé, accident, …), le dirigeant est attendu.
Bear Bryant, le coach de l’équipe de football américain de l’université d’Alabama disait : “En cas de crise, ne vous cachez pas derrière quoi que ce soit ou qui que ce soit. On vous trouvera de toute façon.”
En tant que dirigeant, assumer ses responsabilités est la priorité des priorités. On dit souvent que c’est dans les crises qu’on reconnaît les grands leaders.
Le grand dirigeant américain Jack Welch, PDG de General Electric pendant 20 ans disait : “Regardez la réalité en face, telle qu'elle est, et non pas telle qu'elle était ou telle que vous souhaitez qu'elle soit.” Comment mieux prendre toute la mesure de cette réalité qu’en étant sur le terrain avec ses troupes.
Descendre dans l’arène, évaluer la situation, prendre les premières décisions, rassurer les équipes, avoir le mot qu’il faut pour chacun, sont autant d’étapes critiques dès l’apparition d’une crise. Suivant la nature de la crise et son ampleur, ces quelques étapes correctement menées peuvent éviter le pire.
La posture du capitaine, au cœur de la mêlée, partageant le vécu de terrain avec son équipe est primordiale. La pire erreur serait de prendre du recul, de s’enfermer dans sa tour d’ivoire et de piloter à distance. Une fois les éléments sous contrôle, la situation stabilisée, il sera toujours temps de lever la tête et regarder à plus long terme.
Indra Nooyi, restée 12 ans à la tête de Pepsyco entre 2006 et 2018, en ayant fait progressé le chiffre d’affaires et le cours de bourse malgré la grave crise financière de 2018, explique très bien comment la bonne gestion de crise permet de préparer l’avenir : “Les entreprises qui réussissent le mieux sont celles qui restent calmes et qui ont les pieds sur terre plutôt que de faire preuve d'agressivité pour raccourcir la période de crise. Les turbulences sont le début d'un processus de transformation fructueux.” Elle a également fait remarquer que les entreprises ne devraient pas s'intéresser seulement au court terme, mais plutôt au long terme.5
Gérer la crise sur le terrain avec les équipes, tout en préparant les transformations nécessaires pour assurer la prospérité à long terme de l’entreprise, constitue une belle synthèse de l’entrepreneur-capitaine capable de devenir entrepreneur-coach.
Capitaine et entraîneur
Didier Deschamps capitaine a remporté la coupe du monde de football 1998. Didier Deschamps coach a remporté la coupe du monde 2018.
Il est clair que ces deux postes de coach et de capitaine se nourissent l’un l’autre. Ils ne sont au final que deux facettes de la même pièce, que deux manières d’être un leader, que deux attitudes plus ou moins proches du terrain.
Zoomer puis dézoomer, passer du terrain au tableau blanc, de la théorie à la pratique, du business-plan au business, de la vision à l’action, c’est au fond la mission complète et riche de l’entrepreneur-entraîneur-capitaine.
The Business of Business is People and Other Leadership Lessons from Southwest Airlines’s Herb Kelleher, Nagesh Belludi, Right Attitudes, Septembre 2019.
Et si vous managiez comme... Didier Deschamps ?, Julien Gramage, post Linkedin, décembre 2022.
Elon Musk Shows How to Be a Great Leader With What He Calls His 'Single Best Piece of Advice', Marcel Schwantes, Inc., Juillet 2018.
A la rencontre d’entrepreneurs qui changent le monde : 5 témoignages inspirants pour ouvrir de nouvelles voies…, Nicolas Cordier, Juillet 2015.
Indra Nooyi on key to success: Stay calm in a crisis, don't be aggressive, FirstPost, Décelbre 2014.