#95 Grandir est irréversible
Faire grandir est un investissement
Qu’est-ce qui vous motive le matin pour venir au travail ?
L’argent, la passion de votre produit, l’ambiance de votre équipe, la rencontre de nouveaux clients ?
Peut-être ne vous êtes-vous jamais arrêtés pour réfléchir sérieusement à cette question, car vous êtes naturellement motivés.
Mais alors, qu’est-ce qui vous fait réellement plaisir au travail ? Réussir un projet, gagner un nouveau client, faire un beau résultat financier sont autant de moments plaisants dont on peut être fier. Ceux-ci procurent du plaisir instantané, un pic de dopamine très satisfaisant.
Comme avec un sucre absorbé pendant une course, l’effet dopant est de courte durée. Nous avons besoin d’un sucre lent pour assurer la motivation durable et se lever tous les jours.
Pour ma part, il y a assez longtemps que j’ai compris que la source la plus durable de mon plaisir au travail, la motivation la plus profonde pour fournir chaque jour un effort renouvelé, était de voir les autres grandir et progresser.
Au delà de ce plaisir au long cours, l’attachement à faire grandir les autres est, je le crois, un facteur clé de succès de l’entreprise. Je décrypte pour vous ce qui se cache derrière cette attitude de vie.
Avant de commencer
Deux fois cette semaine, des lecteurs assidus de cette Newsletter ont fait référence au détour d’une conversation à une phrase que j’avais écrite dans un des numéros. D’autres ont partagé en le commentant un article qui avait résonné avec leur quotidien. Une entrepreneure m’a fait part de son impatience à recevoir la Newsletter et de tout ce qu’elle lui avait apporté dans son aventure entrepreneuriale.
Après 600 pages écrites depuis le lancement d’“Un pas dans l’inconnu”, il m’arrive parfois de penser que bientôt je n’aurai plus rien à partager. Mais vos réactions, vos remerciements, vos commentaires, vos témoignages me motivent à continuer. Les rencontres hebdomadaires avec les entrepreneures et les entrepreneurs renouvellent les idées et alimentent l’inspiration.
Merci à vous toutes et tous, la communauté d’”Un pas dans l’inconnu”. N’hésitez pas à continuer de partager autour de vous pour que cette communauté s’agrandisse.
Merci encore.
Pauline est une jeune styliste que nous accompagnons. Avec Clément son associé, elle a créé Atelier Verde, une marque de maroquinerie innovante. Le 15 septembre, elle organisait son premier défilé en présence de Miss France 2022. Après un énorme travail de préparation qui a duré plusieurs mois, le défilé fut un grand succès.
Pauline écrit une Newsletter intitulée 19h19 où elle partage son expérience d’entrepreneure. Juste après le défilé, on aurait pu s’attendre à une Newsletter parlant par exemple des gros efforts consentis et de la joie qu’ils aient payé.
Pauline a choisi un tout autre angle. Voici ce qu’elle a écrit :
Presque 2 mois sans news avec l’organisation de mon premier défilé
Cela fait une semaine et 3 jours que je dois faire ce mail !! Je voulais absolument recevoir les photos avant !!
Ps: Ce n’est pas une excuse mais j’aime me poser pour écrire ma newsletter, c’est un moment privilégié où je me livre sur mes questionnements actuels.
Beaucoup me demande si je suis sortie de mon petit nuage ?
Oui, pour moi le défilé était un pur moment de plaisir, un moment hors du temps, un rêve éveillé !!
Qu’est-ce qui m’a le plus touché ?
- Mon associé ému qui pleure en face de moi au démarrage du défilé.
- Ma grand-mère qui m'apporte des fleurs avec mon petit frère.
- Lauryne en stage avec nous durant 2 mois qui a construit le défilé avec moi sur la partie textile. La plupart des pièces sont faites par nos petites mains !!
Explication: Ses parents étaient présents au défilé.
*Conversation*
Pauline : “Vous savez vous pouvez être fière de Lauryne c’est grâce à elle aussi“
Parents de Lauryne : “Elle a changé depuis qu’elle est venue chez vous, ce n’est plus la même personne elle a grandit“
Pauline et Lauryne qui fondent en larme.
Rien que de l’écrire je suis émue, j’ai participé à l’épanouissement d’une personne, pour moi c’est énorme…
Lorsque j’ai reçu la Newsletter, j’étais stupéfait de ce choix. Retenir d’un moment de gloire comme celui-là, la métamorphose de la stagiaire démontre une grande maturité. J’ai d’ailleurs aussitôt saisi mon clavier pour lui faire ce message :
C’est beau ce tu as écrit.
Après ce défilé si réussi, tu aurais pu écrire sur ton succès. Tu as choisi d’écrire sur ton émotion de voir grandir ta stagiaire. Tu as compris là l’une des choses les plus importantes dans la vie d’un entrepreneur ou d’un manager. Le plus important et ce qui donne le plus de satisfaction, c’est de voir grandir les personnes de son équipe. Quand on comprend cela, ça oriente toute son action comme par exemple, déléguer, former, donner de l’autonomie, etc… Et généralement cela participe au succès de l’entreprise en plus de donner du sens aux personnes.
Cette histoire m’en a rappelé une autre que j’ai vécu il y a six ans. Nous venions de passer une journée incroyable, à l’occasion du plus gros évènement jamais organisé par la technopole, qui s’était clôturé par une très belle soirée d’anniversaire des 20 ans de notre structure. Quelle ne fut pas ma surprise en rentrant heureux mais fatigué de cette journée de découvrir à 0h53 un long mail d’Antoine qui était en charge d’une grande partie de l’organisation de cet évènement. Il me remerciait, avec des mots très forts, de lui avoir fait confiance et de lui avoir permis de progresser et de réussir un tel challenge. Voici un extrait de son message :
Aujourd’hui était une journée très particulière et très forte en émotion, et je souhaitais vous adresser ces quelques mots en remerciement. Durant ces quelques années de collaborations ensemble vous m’avez énormément apporté. Votre humanité, votre engagement, et votre volonté de partager sans modération pour enrichir les autres m’ont marqué pour le reste de ma vie. Ce dernier point est la plus belle chose que vous m’ayez apprise, et c’est maintenant le moteur premier de ma vie : une bienveillance quotidienne qui permet tous les jours d’enrichir, voire de transformer, la vie de tous les hommes et femmes qui gravitent autour de vous. Bravo ! Bravo et merci pour tout ce que vous nous apporté au quotidien ! Pour ma part, vous m’avez transmis des valeurs fortes, de l’énergie et de la confiance qui, j’en suis certain, me permettront de faire de belles choses dans les années à venir.
J’étais comme Pauline ému aux larmes. Après m’être ressaisi, je lui ai fait une réponse dont voici un extrait :
Merci beaucoup Antoine pour ton message très, très touchant. J’en ai pleuré de joie ! Tu sais, celui qui donne doit aussi rencontrer celui qui sait recevoir. Depuis le début, tu as su être réceptif, à l’écoute et ouvert à ce que j’ai essayé de transmettre, et c’est tout à ton honneur d’avoir su en faire quelque chose.
La prise de conscience réciproque de l’impact qu’on a pu avoir dans la vie de quelqu’un et la gratitude que cela génère, sont pour moi le plus haut degré de satisfaction professionnelle qu’on puisse atteindre.
Faire grandir implique de donner des défis nouveaux
Tous les métiers comportent leur lot de tâches répétitives. Celles-ci sont nécessaires car elles constituent une base stable et rassurante pour tout employé qui peut ainsi exprimer sans stress son savoir-faire.
Cependant, ces tâches répétitives ne sont pas suffisantes pour l’épanouissement d’une personne. Chacun, avec des degrés divers que le manager doit savoir apprécier, aspire à la nouveauté, à une dose de défi.
Être confronté à une situation nouvelle demande de mobiliser ses compétences d’une façon différente, nécessite parfois une formation spécifique, permet d’exprimer d’autres aspects de sa personnalité, provoque la rencontre de nouvelles personnes et procure in fine une satisfaction non éprouvée auparavant.
Notre technopole a fêté ses 25 ans l’an passé. A cette occasion, j’avais proposé à l’équipe d’organiser une exposition d’artistes pour explorer les similitudes entre la démarche artistique et la démarche d’innovation. Il en est résulté un très beau livre qui vient d’être publié. J’en tirerai d’ailleurs un prochain numéro de cette Newsletter.
Céline notre responsable communication qui était en charge de ce projet a posté récemment sur Linkedin un retour d’expérience de ce projet. Une phrase m’a interpellé :
Et toute cette vision, cette ambition de réaliser des choses dont nous n’avons pas l’habitude et de faire cet anniversaire spécial c’est aussi grâce à Christian Travier ! Merci de me donner l’opportunité chaque année de faire des choses que je n’ai jamais faites !
Ce gros projet qui venait en plus de son travail ordinaire était un vrai challenge puisqu’il comportait plusieurs réalisations que nous n’avions jamais faites précédemment. C’était donc l’occasion de se renouveler, de progresser, d’apprendre, de grandir.
On ne grandit pas en faisant toujours la même chose. Faire grandir quelqu’un suppose donc de lui offrir la possibilité de faire des projets nouveaux. Pour le manager, cela signifie être créatif pour inventer ces nouvelles tâches, mais aussi croire qu’elles sont réalisables et faire confiance au collaborateur.
Faire grandir nécessite de former
Parmi les moments préférés de mes journées au travail figurent les échanges prévus ou impromptus avec les collaborateurs ou les entrepreneurs que nous accompagnons. Il est fréquent que ceux-ci me donnent l’occasion de partager avec eux une expérience, d’expliquer un concept, de décrypter une situation, en bref de transmettre quelque chose en espérant que cela pourra les faire grandir.
Pour prendre du plaisir à la croissance des personnes qui nous entourent, il faut un goût pour la formation. Ceci demande d’être pédagogue (cela s’apprend !), d’être patient et de prendre du temps.
La formation passe aussi par les voies plus classiques, mais il faut y être attentif et s’en donner les moyens.
Laura, notre responsable évènementielle avait été embauchée après son stage de licence. Après quelques années, elle a souhaité évoluer et passer un master. Nous avons trouvé les meilleures conditions pour le faire et cette étape lui a permis de grandir, de prendre de l’assurance et d’endosser de nouvelles responsabilités.
Carole, notre hôtesse d’accueil à la pépinière d’entreprises est venue me voir il y a quelques semaines. Après plusieurs années dans son poste, elle souhaitait pouvoir évoluer. Quelques jours de réflexions, quelques échanges avec d’autres membres de l’équipe pour vérifier la faisabilité de mon idée, m’ont permis de lui confier des missions commerciales. Motivée par ce challenge, elle se forme auprès de ses collègues et dans les livres.
Charlotte qui accompagne les entreprises dans leurs projets d’innovation souhaite régulièrement acquérir de nouvelles connaissances. Il y a quelques années, elle voulait faire une formation à la méthode Lego Serious Play. Malgré le coût un peu élevé de cette formation et l’investissement en matériel à réaliser ensuite (eh oui, j’ai dû commander quelques boites de Lego !), j’y ai vu une opportunité intéressante. Aujourd’hui cette nouvelle compétence de Charlotte permet de proposer aux entreprises un outil très puissant d’animation de réflexions stratégiques de groupes de dirigeants. Je vous invite d’ailleurs à lire l’article de Charlotte pour en savoir plus sur ce sujet.
Je démarre la semaine prochaine une nouvelle formation pour nos entrepreneurs sur le sujet du triptyque Vision, Mission, Ambition. Je me réjouis à l’avance de ce temps qui sera riche et de l’impact que cela pourra avoir sur les personnes et leur business.
La formation sous toutes ses formes est un outil indispensable pour faire grandir les collaborateurs ou les clients. Au delà du plan de formation obligatoire, il est essentiel de prendre en compte les désirs des collaborateurs, et d’en faire des atouts pour l’entreprise. Et pour les clients, il faut toujours se souvenir qu’un client bien formé est un client satisfait, qui en plus coûte moins cher en support !
Faire grandir c’est aimer
Depuis quelques mois, les médias se font l’écho du phénomène de la “grande démission” et plus récemment du “quiet quitting”. Ce désengagement des salariés est sans doute multifactoriel, mais la recherche de sens figure parmi les premières causes. J’ai d’ailleurs traité ce sujet du sens au travail dans UPI#85.
J’affirme ici que si l’on est sincèrement épris d’un désir de faire grandir ses collaborateurs, il est impossible que le travail n’ait pas de sens.
Faire grandir l’autre demande d’abord de le connaître et donc de s’intéresser à lui ou à elle. S’intéresser signifie passer du temps, être disponible, à l’écoute verbale et non verbale. Celui ou celle à qui on s’intéresse perçoit qu’il a une valeur. Ce pré-requis de l’attention aux autres est déjà une excellente base dans la construction du sens, puisque ceux qui affirment que leur travail n’a pas sens, disent souvent qu’ils sont invisibilisés.
L’écoute révèle les questions, les difficultés, les problèmes. Vient alors le temps des réponses, de l’action, de la mise en mouvement, de l’accompagnement, du début du “faire grandir”.
Faire grandir, c’est prendre par la main, montrer la voie, donner un coup de main, faire réfléchir, mais aussi corriger, tenir tête, argumenter, batailler, trancher.
En écrivant cela, je repense à des échanges longs (plusieurs heures), parfois difficiles et en tous cas profonds que j’ai pu avoir avec des salariés. Je sais parce qu’ils ou elles ont pu m’en faire part bien plus tard, que ces conversations ont porté leurs fruits et participé à leur développement.
Faire grandir demande un investissement sincère et désintéressé dans la relation. Si la raison première de l’engagement auprès d’un salarié est la nécessité d’obtenir quelque chose en retour, il y a toutes les chances que cela soit contreproductif et s’apparente à de la manipulation. C’est seulement en étant sincèrement dans la volonté d’aider que la croissance peut éventuellement se faire et dans un deuxième temps et comme un cadeau, rejaillir positivement sur le fonctionnement de l’entreprise.
Certains trouveront peut-être que ce mot est fort, mais être disponible pour faire grandir l’autre, c’est l’aimer sincèrement.
Faire grandir c’est réussir
Je suis profondément triste quand j’entends des histoires de mauvais management dans une entreprise, lorsque des salariés souffrent du fait d’un manager manipulateur, inflexible, intransigeant, méprisant, jamais satisfait, toujours critique, …etc… la liste pourrait être longue, tant l’humain peut parfois se montrer créatif dans la façon de faire du mal à son prochain.
Je suis triste, mais j’ai aussi beaucoup de mal à comprendre le pourquoi de ces attitudes. Qu’adviendrait-il d’un footballeur qui a chaque match marquerait au moins un but contre son camp ? Je crois qu’il ne resterait pas longtemps titulaire. C’est pourtant exactement ce qui se passe avec ces managers aux comportements évoqués ci-dessous qui jouent en permanence contre leur entreprise, en faisant fuir les talents, en démotivant ceux qui restent et créant un climat délétère de rivalité.
Au contraire, l’attitude qui permet aux autres de grandir génère de la motivation, de la montée en compétences, de la maturité, de l’envie, de la reconnaissance et donc de la réussite. Je n’ai pas besoin de développer ce point, car il semble évident, d’où mon incompréhension vis-à-vis de ces mauvais managers.
Une équipe qui progresse et qui trouve du sens dans ce qu’elle fait finit toujours par gagner.
Faire grandir c’est irréversible
Ludovic Girodon, un expert en management, invite souvent dans ses tweets les collaborateurs à remercier leur manager. Les remerciements que je reçois de mes salariés concernent en très grande majorité les occasions qu’ils ont eues de grandir.
Pourquoi cela ? Parce ce que grandir c’est passer une étape irréversible, c’est cranter un niveau. On ne revient pas en arrière. Une fois qu’on sait faire du vélo, nager, ou skier c’est pour la vie !
C’est la conscience de ces progrès irréversibles, de ces changements pérennes qui pousse le salarié à dire merci, car ils représentent des acquis personnels très forts. Il les emportera lorsqu’il souhaitera évoluer encore en changeant d’employeur.
Lors du dernier entretien avec un salarié avant son départ, j’aime à lui rappeler que tout ce qu’il a acquis est à lui et qu’il l’emporte. Je l’incite à s’en souvenir et à le faire fructifier dans sa prochaine étape. C’est aussi ce que je garde en mémoire. Je sais alors que je n’ai pas travaillé en vain.
Accompagner quelqu’un dans son évolution est assurément le plus bel investissement qu’on puisse faire. C’est tout ce que je vous souhaite !
La minute d’informations
Je me permets de partager ici des informations ou activités sans liens avec le thème de l’article, mais dans lesquelles je suis impliqué.
Comme mentionné dans l’article, notre livre “Innover et Réussir : les chemins de la création” est sorti. Il évoque au travers d’œuvres d’art, de photographies d’innovations, de textes et d’interviews vidéo, le parallélisme de la démarche créative entre un artiste et un innovateur.
Le livre est en vente ici. Merci de votre intérêt.
Je crois que vous identifiez là une des différences fondamentales entre un manager et un leader, si ce n'est LA différence fondamentale?
Toujours un plaisir de vous lire.